Origines [Liberty, Black, Sun Star]

Vous pensez tout savoir de l'histoire de Wild Horses. Mais que savez-vous de ceux qui en sont acteurs? Des fils de Sable Noir?
Black, Sun Star, Liberty?

Prologue:
Sun Star était doré, beau comme le jour. Il luttait d toute ses forces contre son frère, Black, l'étalon renégat qui l'avait attaqué par pur goût du pouvoir, pour obtenir le trône...cet étalon noir était le rejeton de Devil. Il n'avait ni cœur ni âme.
Et Liberty, douce comme sa mère, sage comme elle, protégeait les chevaux de son Clan de la folie meurtrière du chef illégitime, le fils de Devil...
C'est ce qu'on vous a appris. C'est ce que vous croyez savoir. De moi. D'eux. De nous.
Mais tout a été si différent...les légendes m'ont peu à peu fait paraître comme un démon assoiffé de sang et de haine, un fils de Devil. Oui, je l'ai rencontré. Oui, nous avons parlé. Mais croyez-vous que nous ayons conclu un pacte? Jamais.
Mais c'était un grand cheval.
Lui il était loyal et droit. Lui. Il aurait pu être mon père. Il aurait dû être mon père.
Je n'ai pas de cœur? Si, mais vous n'en avez pas trouvé le chemin. Quels sont ceux qui, au long de ma vie, ont réellement vu en moi une personnalité, avec son passé, ses cicatrices, ses combats, et pas une machine à tuer assoiffée de sang?
Deux chevaux, guère plus. Stelmaria, et Odyssée.
Pas même mon fils.
Les autres? Je les hais.
Liberty? Elle n'est même pas ma sœur par le sang. Alors, par le cœur, vous pensez...
Sun Star? Oui, je ne l'aime pas. Nous sommes en désaccord, mais il me ressemble bien plus qu'à ma "sœur".
Larme Blanche? Sable Noir?
Jugez par vous-même...

Aujourd'hui je suis là, allongé sur l'herbe si douce sous ma joue, le sang s'écoule de mes plaies béantes, et ma vie avec lui. Mon cœur bat de plus en plus lentement, les ténèbres m'attirent. Je n'ai pas peur, j'ai tant côtoyé la mort que je ne la crains plus.
Silhouette dorée. Il est là. Mon frère, qui me contemple de ses yeux acajou. Lui aussi est salement amoché. Je ne suis pas sûr qu'il me survive.
Et Stelmaria. Ma seule amie, c'est vers toi que, ce soir, alors que j'agonise, c'est vers toi que vont mes pensées. Tu as été la seule à me comprendre. Stelmaria...Serions-nous devenus amis, si tu n'avais pas porté la malédiction des Thars, et moi l'empreinte de Devil?
Les ténèbres emplissent mon regard. Qui m'a tué? Je ne sais plus. J'oublie, peu à peu. Mon esprit revient en arrière. Autrefois. Flash-back.
Sun Star est là. Et, dans ses yeux, je lis que lui aussi se souvient.
Mon frère...

Lorsque tout commence...

"Lorsque j'ai rencontré Stelmaria, je l'ai haïe autant que mon frère...Mais peu à peu, je me suis rendu compte qu'au final, j'étais plus proche d'eux que de ma sœur..."

Il ferma les yeux. La lumière était trop violente pour sa jeune rétine. Trempée, sa robe dorée paraissait chocolat. Ses crins pâles étaient plaqués sur son encolure et sa croupe. Ses petits sabots noirs étaient tendres et mous.
La jument blanche se retourna, le flaira doucement, passa tendrement sa langue entre ses oreilles et émit ce hennissement de gorge qu'il entendrait si souvent.
L'étalon, robe chocolat et crins lavés, se pencha sur ce petit corps tremblant, puis effleura délicatement la jument blanche du bout des naseaux.
-Le plus beau cadeau que tu pouvais me faire, murmura-t-il.
Sur l'herbe de la colline rougeoyante, sous la lune du crépuscule, venait de naître un jeune soleil. Sun Star, premier-né des dominants, fils de roi.

*******

"J'ai toujours été reconnaissante à Larme Blanche de m'avoir intégrée à sa famille. Mais je n'ai jamais eu l'impression que les deux frères m'avaient acceptée."

Le vent balayait la clairière parsemée de colchiques. Un vent d'hiver, glacial et mordant. Une jument blanche marchait paisiblement, sa robe tranchant au milieu du vert de l'herbe, et du blanc des fleurs. Elle avait une tête fine, portée haut, une encolure courbée comme celle d'un cygne, des lignes toutes en grâce et en beauté. La courbe de son ventre marquait que la jument attendait un heureux événement.
Loin derrière elle, un étalon chocolat et un poulain doré restaient immobiles, face à face. On n'entendait pas ce qu'ils se disaient.
Larme Blanche, la jument immaculée, redressa soudain la tête. Elle avait perçu un mouvement devant elle. Elle s'avança, et découvrit, tapie derrière un buisson, une petite pouliche d'un blanc de neige, qui la fixait de ses yeux noisette grands ouverts.
Larme Blanche inclina la tête:
-Qui es-tu, petite, où sont tes parents?
La petite répliqua d'une voix plaintive:
-Ils sont pas là. J'ai pas de parents.
Larme Blanche marqua un temps d'arrêt, puis reprit doucement:
-Et ton nom?
-J'ai pas de nom.
La jument blanche regarda derrière elle, Sable Noir avec Sun Star, puis reporta son attention sur la petite pouliche. Elle murmura:
-Tu n'as pas de mère?
-Non. Je suis libre.
La jument se figea, puis, doucement, posa ses naseaux sur sa crinière. La petite ne se déroba pas. Larme Blanche murmura doucement:
-Maintenant, tu en as une, Liberty.
Liberty se tourna vers les montagnes, puis vers le fond de la clairière. Un étalon et un poulain. Son père et son frère. Elle se tourna vers Larme Blanche:
-Tu me les présentes, maman?
Et, sans attendre la jument, elle fila vers sa famille.
Vers sa vie et son avenir.

******
"Liberty n'avait rien à faire parmi nous. Si elle n'avait pas été là, les choses auraient peut-être été différentes...Après tout, mon frère me ressemblait plus qu'à CannonBall..."

Ils étaient tous là. Malgré la pluie qui tombait dru, les trempant. Malgré le tonnerre qui roulait au loin. Ils étaient là, tous trois. L'étalon chocolat. Le poulain doré. La plus petite, la jument de neige.
Il émit un cri de rage lorsqu'il tomba au sol. Ses petits naseaux ourlés, sur sa tête fine, étaient dilatés par la peur et la colère. Sa robe semblait si sombre, sous les éclairs qui illuminaient son corps frêle. Il ouvrit les yeux. Deux puits de nuit.
Il redressa la tête, son regard était déjà empli de combativité.
Larme Blanche, fatiguée, posa son museau sur le dos du petit, qui voulut se dérober. Sable Noir arqua le cou pour effleurer sa compagne.
Le tout laissait une impression de déjà vu.
Le poulain leva la tête. Les regarda tous.
Nuit noire, robe noire, œil noir.
Le premier était né sous le signe du soleil. Le premier était le jour.
Le second serait la nuit.
Sur la terre qui deviendrait sienne, Black prit une première inspiration.

Enfance et Innocence

"Liberty nous a exaspérés dès notre plus jeune âge. Impossible de faire quoi que ce soit quand elle était là! Le gendarme de notre mère, impossible à soudoyer!
Encore pire que Dancing Flame!"

-Hé, Liberty, tu viens à la rivière avec moi?
-Évidemment, Sun Star!
-Hors de question!
Larme Blanche venait d'intervenir, d'une voix forte et dure. Elle avait de l'autorité quand elle le souhaitait. Les deux jeunes chevaux se figèrent et tournèrent leurs yeux, les noisette et les bruns, vers leur mère. Liberty fut la première à intervenir:
-Mais, pourquoi?
-Parce que vous devez surveiller votre frère. Sable Noir et moi devons aller quelque part. Vous allez donc rester, et vous occuper de lui, c'est bien compris?
Sun Star coucha les oreilles. Jouer les nounous, et puis quoi encore?
Black aussi paraissait exaspéré, et il grogna:
-Je n'ai pas besoin de nounous! Et pourquoi je peux pas aller à la rivière?
Larme Blanche pivota vers lui, et gronda:
-Tu es trop petit!
Tu feras ce que je dis! Vous ferez tous ce que je dis!
Black se tut, excédé.
Larme Blanche leur donna à chacun un rapide coup de museau sur l'encolure -Black tenta de s'y dérober-, puis elle fila rejoindre l'étalon chocolat.
Black et Sun Star échangèrent un regard, puis attendirent d'être certains que leur mère était bel et bien partie. Le poulain noir piétina sur place, avant de fixer son frère:
-Hé, Sun...on y va quand même!
Sun Star se cabra -et manqua tomber- avec enthousiasme:
-Naturellement! On y va, ils ne rentrent qu'à minuit ce soir, on a le temps!
-Et Dancing Flame? objecta son frère.
Sun Star se figea, ennuyé par ce fâcheux contretemps. Puis il eut un petit sourire:
-Il est pas obligé de le savoir!
Black se cabra:
-Bien parlé, Sun! Allons-y!
-Non!
Les deux jeunes chevaux se figèrent, pour fixer la pouliche blanche qui venait de crier. Liberty les défiait de ses yeux noisette. Les deux frères échangèrent un regard ennuyé. Liberty était irritante. Énervante. Exaspérante.
Black fit un pas vers celle qu'il se refusait à appeler sa sœur, coucha les oreilles et montra les dents, agressif:
-De quoi tu te mêles? Restes si tu veux!
-Non! C'est une attitude irresponsable! Je refuse que vous y alliez! Mère a dit que nous restions ici! s'insurgea la petite.
Sun Star lui tourna le dos avec colère, échangea un regard avec son frère. On y va? On y va, répondirent les yeux noirs.
Silencieux comme des ombres, ils se glissèrent hors de la grotte qui leur servait de maison, puis, toujours discrets, passèrent loin derrière le rocher où somnolait Dancing Flame, le renard, compagnon de leur père. Glace d'Eté, le chat blanc, daemon de leur mère, était partie avec cette dernière.
Flame ne les remarqua pas.
Bien malgré elle, Liberty suivait les deux frères. Mais ses reniflements désapprobateurs et méprisants étaient fatigants pour les nerfs des deux poulains, qui attendirent d'être suffisamment loin de Flame pour filer comme une flèche, espérant semer cette étrangère à leur famille. Ils étaient déjà rapides, mais Liberty, haletante, s'accrocha, et finalement ils se retrouvèrent face à la rivière qui coulait au centre de la Vallée d'Entre les Monts.
Black et Sun Star, échauféfs par leur course, excités par le chaud soleil, bondirent d'un seul mouvement dans l'eau frémissante. Ils atterirent dans une grande éclaboussure, tandis que Liberty, restée sur la rive, faisait les cent pas, furieuse, et répétant que c'était une honte, qu'ils allaient le regretter, etc.
Black Et Sun Star, de l'eau jusqu'à l'encolure, voire plus, se chamaillaient, plongeaient, jouaient comme les deux poulain qu'ils étaient.
Ils gambadèrent ainsi pendant une bonne heure, puis sortirent de l'eau, trempés, dégoulinants, mais ravis. Ils se séchaient au soleil depuis quelques minutes lorsque Sun Star envoya une gerbe d'eau sur son frère, qui, bondissant sur ses sabots, poursuivit le poulain doré à travers toute la vallée. Ils s'arrêtaient parfois, se battaient, sans retenir leurs coups, mais riant aux éclats, leurs robes mouillées par l'eau et la sueur étincelant sous le soleil.
Puis, épuisés, ils s'endormirent dans l'herbe grasse.

Larme Blanche et Sable Noir les retrouvèrent des heures plus tard, en rentrant. Sans aucune pitié, Sable Noir leur colla quelques coups de sabots légers, qui les réveillèrent instantanément. Black et Sun Star ouvrirent les yeux. Près de leurs parents, Liberty sifflait à l'attention de sa mère:
-Tu vois maman, je te l'avais dit! Ils ont désobéi! Et ils m'ont forcé à les accompagner! J'aurais pu me noyer, on aurait pu être dévorés par les bêtes sauvages!
Larme Blanche se tourna vers ses fils, les deux comprirent qu'elle était furieuse.
La jument blanche ne dit rien, mais fondit sur ses deux fils comme l'éclair. Lorsqu'elle s'arrêta, une égratignure balafrait la joue des deux jeunes.
Black et Sun Star restèrent interdits.

Il galopait, à toute allure, heureux de sentir cette force nouvelle qui pulsait dans ses muscles. Il pila devant un poulain dont la robe dorée luisait comme l'or sous les feux de midi. Il se cabra, rit de bon cœur et fit mine de boxer son frère, lequel se dressa à son tour sur ses pattes arrières et fit mine d'attaquer Black.
Le poulain noir esquiva en souriant et porta une autre attaque.
Liberty n'était pas avec eux, elle était restée avec leur mère et leur père. Les deux chevaux l'appréciaient beaucoup, allant jusqu'à la donner en exemple à ses frères. Liberty, si mûre pour son âge, Liberty, aussi douce que sa mère, Liberty, belle comme le jour, Liberty, qui, ELLE obéissait...ce qui entraînait une certaine jalousie de la part des deux frères, à l'envers de la petite jument blanche.
Ils auraient donné beaucoup pour l'attaquer...

******

Un coup porté. Un cri de rage et de haine. Nouveau coup. Autre cri. Sous la pluie battante, sur la Plaine d'Orage, les deux étalons se défiaient, écumants autant de haine que de fatigue, le sang qui coulait de leurs plaies aussitôt lavé par la pluie d'orage. Les sabots noir emportèrent une partie de la peau de l'épaule de Sable Noir. Sa belle crinière dorée était souillée de sang.
Devil était fou de rage. Fou. Il avait cru CannonBall éliminé, la menace écartée. Sous sa tutelle, s'était formé un monde où seuls survivaient les chevaux capables de se débrouiller. Il avait entrepris des expéditions au Nord, où l'on avait signalé des léopards immenses et des Wolfs Blancs. Et ce crétin, le fils de son ennemi, allait tout gâcher.
Il lui avait proposé de s'associer pourtant. A deux, ils auraient formé une nation aussi puissante que celle des Thars dont on parlait dans les légendes. Sable Noir avait refusé.
Ils se battaient.
Black observait le combat, à la périphérie du champ de bataille, ses yeux brillants d'une lueur exaltée. Il admirait, avec ses yeux de poulain, son père qui combattait avec brio. Son frère était pareil. Seules, Liberty et Larme Blanche détournaient les yeux, dégoûtées par le sang.
Une envie qu'il ne parvenait pas encore à identifier pulsait dans les veines de Black. Se battre, vaincre, monter, toujours plus haut...vaincre, encore et toujours...et même si l'on perd, tirer sa révérence avec élégance...
Devil fouetta du pied Sable Noir, qui tomba. Black bondit, ses yeux brillants, assoiffé de combat. Il voulut mordre le grand étalon noir, aider son père. Il frappa du sabot, son petit pied noir. A deux ans il était déjà grand et fort, mais il n'avait que deux ans!
Devil lui jeta un regard noir, au propre comme au figuré, et l'envoya valser proprement d'un coup de pied. Black roula au sol, grogna, se releva et se cabra.
Devil se planta devant lui, ses flancs se soulevant avec force, son regard empli de haine. La rage le tenait, mais il reconnaissait son empreinte en ce petit cheval qui lui tenait tête.
Il ne vit pas Sable Noir qui, sournoisement, s'approchait. Black voulut crier, Devil lut l'alerte dans ses yeux et pivota. Trop tard. Les dents de l'étalon chocolat ouvrirent sa gorge. La blessure était mortelle, il mettrait longtemps à mourir. Saigné à blanc. Une horrible agonie.
Sable Noir partit.
Plus tard, alors que la fête battait son plein, une silhouette noire revint sur ses pas, seul. Il est toujours là, allongé sur l'herbe, cette terre qu'il avait voulu posséder. Son cœur bat faiblement, mais il vit. Il lève les yeux. Le voit.
Face à Devil, Black baise la tête. Il hait son père pour avoir tué cet étalon si noble, en la frappant par derrière. Par sa faute...
"Petit."
Black fixe l'étalon, qui reprend. Devil parle avec difficulté mais il y parvient:
"Tu es le fils de celui qui m'a tué, mais tu portes en toi une force qui n'est pas sienne. Il ne tient qu'à toi qu'elle devienne le ciment de ta puissance future. Tu portes mon empreinte, jeune cheval. Black. C'est le sang de Sable Noir dans tes veines, mais c'est mon cœur qui bat à l'unisson du tien.
Ton frère a la même stature, mais jamais il ne portera l'empreinte de Devil en lui. Tous le savent, tu sais...que tu es mon portrait. Ils se méfieront toujours de toi, Black...
-Je...
-Il ne me reste plus beaucoup de temps...j'aurais voulu entraîner Wild Horses dans la bonne direction, celle où les chevaux seraient libres et capables de se débrouiller seuls. Pas ce monde niais que voulait CannonBall...
Toi, tu as notre force à nous deux, les chevaux de légende...Black...ne renonce jamais. Lutte toujours. Ne cède pas un pouce de terrain. C'est le sang de CannonBall dans tes veines, Black. Du premier cheval au monde. Pas celui de Sable Noir ou de Larme Blanche.
Black...bats-toi toujours, et plus loyalement que ton père...
Ne me déçois pas, souviens-toi, tu portes mon empreinte sur ta robe et dans ton âme..."
Devil se raidit, le souffle qui s'exhala de son corps tendu fut le dernier. Il s'apaisa et ne restèrent que ses yeux noirs fixés sur Black.
Le jeune étalon inspira profondément.
Puis, il se cabra et poussa un cri étouffé mais sauvage. Ébauche du hennissement strident qui serait sien, plus tard.
Il portait en lui l'empreinte de Devil.
Et il voulait s'en montrer digne.
Jamais il ne renoncerait, plus jamais.

Ses sabots frôlèrent la peau lustrée. Des dents manquèrent le blesser, il recula d'un bond, sa crinière tourbillonnant autour de son encolure déjà arquée. Âgé de deux ans, Sun Star était devenu un bel étalon doré, à la robe souple et lustrée, étincelante. Face à lui, Black sourit et bondit de nouveau, frappant avec force. Sun Star esquiva habilement. Black rit et fit mine de mordre, signalant là la fin du jeu.
-Les enfants, venez, votre père veut vous parler!
-Attends!
Larme Blanche poussa un grognement de colère et poussa un hennissement strident, sans équivoque: bougez-vous. Les jeunes chevaux sourirent et rejoignirent leur mère. En chemin, Black donna un coup de museau sur l'épaule de son frère:
-Eh, Sun, tu crois que c'est lequel de nous le plus fort?
Sun Star réfléchit:
-Je ne sais pas...mais de toute manière ça n'a guère d'importance, vu qu'on gouvernera Wild Horses ensembles...
-Moi, je n'aime pas partager.
Sun Star coula un regard surpris à son frère. Black évita son regard, puis le regarda franchement. Il lui glissa:
-Tu sais bien que de nous deux c'est moi que le pouvoir attire le plus...je veux laisser mon nom dans les légendes et toi, tu aspires au bonheur...
-Je te laisserais volontiers la place, tu sais. Mais je suis l'aînée, et père ne voudra jamais rien entendre...Mais Liberty...
-Je suis sûr qu'il te demandera de régner avec elle ou une bêtise du genre. Mais dès que nos parents ne veilleront plus sur elle...elle sera écartée de notre famille!
-Tout à fait d'accord! Je n'aime pas les intrus...
Ils rejoignirent leurs parents en échangeant un regard complice.

******

*Si mon père n'avait pas littéralement repoussé Black, l'avait laissé devenir roi, qui sait ce que serait devenue notre terre bien-aimée...Il avait déjà commencé à pervertir Sun Star...*

-Je vous ai appelés pour que nous parlions. Sun Star, tu es mon successeur. Tu seras donc formé au combat par les meilleurs chevaux de Wild Horses, moi compris. Liberty, tu régneras avec Sun Star, ta père t'enseignera ce que tu dois savoir. Il est temps pour vous de prendre de véritables responsabilités, mes enfants.
D'accord? Bon, alors...
-Et moi?
Black venait de parler d'une voix sincèrement surprise. Sable Noir tourna ses yeux vers son cadet, et répliqua:
-Mais toi, Black, tu es le plus jeune. Tu ne peux prétendre au trône, et à ce titre tu n'as pas besoin d'une éducation spéciale. Tu pourrais devenir lieutenant, peut-être...
Quand l'entrevue fut finie, Black s'éclipsa discrètement.
Flamme de rage au cœur.
Haine dans ses yeux.

******

-Je pars, Sun.
-Mais, Black! Pour aller où?
-N'importe où, pour me former, voir d'autres horizons. Tu me connais, Sun, tu sais que je ne me contenterais jamais d'être le second. Même le tien. Et surtout celui de Liberty. Alors, je pars. Et quand je reviendrais, je serais devenu plus puissant que ne le sera jamais Père ou CannonBall!
-Tu leur...
-En ai parlé? Tu rêves? Ils ne voudraient jamais! Non, je partirais ce soir, tu sais...tu es le seul à être au courant, Sun...ne leur dis pas où je suis, ou mens, mais je ne veux pas qu'ils viennent me chercher...
-Bien sûr que je ne leur dirais pas! Je suis ton frère, Black, et pas un traître! Futur roi ou pas, tu pourras toujours compter sur moi...
Black pressa ses naseaux sur l'encolure de Sun Star:
-Au revoir, Sun. Tu dois être le seul que je regrette un peu de laisser. Et je dis ça sincèrement, sans sentimentalisme. J'aurais aimé que tu puisses me suivre. Mais tu as ta formation...
Sun...Tu seras un grand roi, c'est moi qui te le dis!
Black s'éloigna au grand trot, puis au galop. Face à l'est, des rêves plein la tête, des rêves de gloire, de combats, de grandeur. Il voulait vivre, et pas finir ses jours comme sous-fifre.
Il quitta les terres de Wild Horses le soir-même.

******

*Il n'a plus jamais été le même. Aurais-je dû le retenir? Non...Black ne se serait jamais plus dans le mode de vie étriqué que Sable Noir lui avait prévu...Mais il a changé, de manière définitive, lorsqu'il est parti.
D'une certaine manière, mon père m'a ravi mon frère.*

Galop. Libre. Enfin! Enfin?
Mais je ne suis pas habitué à la solitude. Mes foulées rapides et dévorantes ralentissent peu à peu, je jette un regard autour de moi. Je me sens un peu vulnérable.
Je baisse la tête, immobile.
Lorsque je la relève, une lueur féroce danse dans mes yeux.
Je porte l'empreinte de Devil, la marque du plus puissant cheval de ces terres! Sa robe et sa force, sa légende coule dans mes veines!
Je serais digne de cette distinction!


Lorsque Black s'arrêta, les terres de Wild Horses n'étaient plus qu'un lointain souvenir derrière lui. Invisibles. Il se nourrit, bu un peu. L'image de son frère dansa devant lui. Il la balaya. Oui, Sun lui manquait un peu. Mais comment rester, vivre comme le dernier, toujours dans l'ombre de son frère et de Liberty, qui, elle, ne le méritait même pas?
Non. Black voulait la première place. Ou, du moins pas celle du gentil conseiller ou du larbin. Il rêvait de combats épiques, et le feu qui brûlait en lui, le feu de Devil, le poussait en avant, sans cesse.
Il de viendrait quelqu'un dont on se souviendrait.
Il en faisait le serment devant ce cheval noir qui aurait pu être son père.
Il repartit. Tournant le dos à Wild Horses.
Sans se retourner.

Du feu plein les yeux, Black contemplait ces terres vierges qui s'offraient à lui, qui seraient siennes, en songeant à son frère. Où était-il? Pensait-il à lui? L'étalon noir secoua la tête. Sun Star avait sûrement tant de choses à penser autres que lui...comme lui-même en avait tant à penser, tant qu'il en oubliait son frère.

Son frère...la solitude avait un goût étrange, un goût tel que Black ne s'y était pas encore habitué. C'était comme une morsure, là, au creux de son coeur, et il devait se rendre à l'évidence: son frère lui manquait. Il lui manquait, celui qui partageait son sang et connaissait son coeur, le compagnon de ses jeux insouciants, son complice de toujours...Il lui manquait. Black avait presque envie de renoncer et, comme toujours, c'est le souvenir de Devil qui l'emporta sur sa nostalgie. L'étalon prit son élan et galopa. Le monde s'accéléra, se fondit une multitude de teintes et de lignes. Ses sabots battirent la plaine dans un bruit de tonnerre. Il goûta, enfin depuis si longtemps, à la liberté dont il rêvait. Ses naseaux, finement ourlés, dilatés, aspiraient l'air à grand bruit. Ses yeux flamboyaient, toujours ce feu sauvage dans ses prunelles, ce feu qui jamais ne s'éteindrait, jamais ne deviendrait cendres, étincelaient. Sa queue et sa crinière claquaient au vent, crête et bannière. Sa robe noire miroitait sous le soleil de ce début de printemps. Ses crins sous les nuages, noir sur blanc. Sa tête face au ciel, noir sur bleu. Ses pieds sur l'herbe, noir sur vert. Le monde était vitesse, vent, puissance. Le monde était couleur. Le monde était Liberté.
Il s'arrêta finalement, haletant, essoufflé. A deux ans, ayant grandi dans un monde casanier, il n'avait pas encore l'endurance des vagabonds. Il l'aurait bientôt, car sa force se doublait d'une prodigieuse capacité d'adaptation, et, encore en pleine croissance, ses muscles se formaient vite et bien.
Un petit ruisseau coulait sous ses pieds, et il baissa la tête, but. Il but, l'eau glacée qui venait des cimes, l'eau limpide des sommets. Une eau étrangère, dont le goût différait de celle qui dévalait les pentes des montagnes, pour venir alimenter mers et fleuves de Wild Horses. Elle avait un goût étrange, un goût de liberté?
L'étalon noir redressa la tête, sursautant, au passage d'un oiseau. Une buse. Le museau constellé de gouttes cristallines, il suivit son vol harmonieux du regard, avant de s'ébrouer. Loin de son père qu'il haïssait tant, il se sentait heureux, pleinement vivant. Il se cabra, son grand corps s'éleva en suivant une trajectoire oblique tandis que ses sabots antérieurs battaient l'air et que ses postérieurs frémissaient sous l'énorme masse qu'ils avaient à soutenir. Pour la seconde fois sa crinière forma une crête sur son encolure arquée, et sa queue claqua dans le vent qui lui apportait tant d'odeurs nouvelles. Ses naseaux se dilatèrent, émirent un ronflement sauvage, et il poussa un long hennissement joyeux et exubérant. Si semblable au cri poussé le soir de la mort de Devil, et pourtant si différent. Ce hennissement-là exprimait la tristesse d'avoir perdu un cheval qui aurait pu être son père, la rage d'avoir vu son père user de traîtrise, la perte de ses illusions de poulain. Le hennissement qu'il poussait à cet instant faisait résonner dans cette plaine nue qui deviendrait sienne sa joie d'être enfin libre, sa peur et son excitation à l'idée de ce qui l'attendait, son amour de la liberté, sa soif de vengeance et de combats.
Il se tut longuement, observant la buse qui revenait vers lui. Il était comme elle, il avait quitté le nid familial pour voler, enfin, de ses propres ailes, confronté à la beauté d'un monde nouveau mais aussi à ses dangers. Il ne savait pas à quoi s'attendre, il voulait juste vivre et se venger. Venger la mort du plus grand cheval qui aie jamais foulé Wild Horses. Il déployait ses ailes, jeune étalon, superbe et impitoyable dans sa brutale jeunesse, et il se préparait déjà s'élever, toujorus plus haut, pour fondre sur un ennemi un jour ou l'autre, comme la buse tue ses proies. Superbe et intouchable. Black se cabra de nouveau, avec cette fois une étincelle de défi au creux des yeux.
Le rapace était là, et il frapperait bientôt.
Savait-il que, loin de là, une jeune jument souris découvrait la puissance de la malédiction qui la tenait sous sa coupe, l'antique malédiction des Thars, qui ferait virer sa robe grise au rouge du sang et ferait d'elle une tueuse assoiffée de sang? Savait que près d'ici, un jeune cheval noir comme lui, son frère jumeau, errait, déterminé à venger la mort honteuse de son père. Son père, Devil. Savait-il que, dans quelques années, ces chevaux se rencontreraient et deviendraient les meilleurs amis du monde? Unis face à tous leurs ennemis? Au monde entier?
Il ne le savait pas, mais en lui son coeur bondissait et quelque chose lui soufflait qu'il deviendrait quelqu'un. Un cheval à l'aune de Devil, et dont on parlerait en les mêmes termes peureusement respectueux que de la Rénégate ou du fils de Devil. Parce qu'il était un de ces fils de Devil.
Il se retourna, reprit sa route, au trot, patient et dynamique. Dos à Wild Horses, déterminé à tracer son chemin coûte de que coûte, face aux aléas et à la mort, tuant s'il le fallait, jusqu'à sa vengeance. Une certitude était déjà ancrée en lui.
Je me vengerais, je vous tuerais.

Tu vas voir, Sun Star en bave aussi...

Hey nan ! Pas bien