I’m waking up to ash and dust - libre.

Renaissance. Noire et tranchante, l'île vers laquelle tous les regards s'étaient tournés la nuit dernière était aujourd'hui enveloppée de brouillard, et arrogante, elle semblait défier les flots capricieux de la briser. Inlassablement, ils venaient se briser contre elle, éclatant en une pluie de gouttes salées qui, dans le soleil du matin, brillaient d'un pâle éclat. Oh, que cette cruelle terre était belle ! Comme eux, la Zone était arrogante, hautaine, inaccessible et intouchable : elle était la délectable perle des Atolls, le joyau de la couronne. Personne encore ne l'avait foulée de son pied, excepté celui qui avait révélé son existence à tous : Black Hole. L'étalon noir à l'étoile blanche était donc encore vivant, malgré toutes ces années et donc, sans aucun doute, tous ces combats ? Personne, encore, n'était parvenu à le faire tomber ? Satisfaction. Le jeu pouvait donc continuer, puisque la proie courait toujours. Pourtant, beaucoup de choses semblaient avoir changé. Et qui était ce jeune étalon plein d'assurance si semblable au diable ? Tant de questions qui ne cessaient de cavaler dans son esprit, alors que depuis le petit matin, il s'était mis en route, s'enfonçant sans crainte dans les étroits tunnels, alors qu'il ne les avait jamais pratiqués auparavant.

Un rayon de soleil luisait à la sortie de l'étroit labyrinthe, et quand l'étalon s'en échappa, sa robe fut nimbée de chaleur et d'or. Personne ne pouvait encore en douter : il était de retour, lui qui avait hanté ces lieux autrefois. Méthadone Crystal s'était remis en chasse. Sur lui, l'on avait raconté beaucoup de choses : l'herbe, à ce que l'on disait, fanait dès que ses sabots s'y posaient. Superstition ou vérité, le sol, à cet endroit, était dur comme le marbre. Immobile dans son rayon de soleil, le guerrier regardait autour de lui. Plusieurs chemins s'échappaient du tunnel, partant dans différentes directions, alors que la roche laissait bientôt place à du sable rouge. Sa peau se mit à frissonner comme il s'ébranlait.

Comme une menace ou une infamie, il s'avançait, blasphème ou opprobre par sa seule existence. Empereur du mal, son enjôleuse virilité trouvait un écho à travers sa taille et les lignes puissantes qui dessinaient son corps sur lequel dansaient des muscles saillants, nerveux et souples. Mais ce qui lui conférait ce quelque chose qui faisait que l'on pouvait dire de lui qu'il était beau était l'exceptionnel aspect mat de sa robe. Aucun autre équidé n'était ainsi paré. Quelques cicatrices, pourtant, le saupoudraient d'un mélange de mystères et de craintes : mieux valait ne pas se frotter à une telle bête. Sous ses pas, les herbes se pliaient, perdant toute couleur et séchant ; mourant. Il était pire qu'un démon : Méthadone était le Diable, terrible amant de la Mort.

D'une démarche élastique, il prit le pari de s'enfoncer en cette terre qui n'appartenait qu'aux siens, alors que ses articulations craquèrent. Un de ses antérieurs était barré d'une longue cicatrice, profonde au niveau du genou et, quand l'on regardait attentivement, on pouvait suspecter -peut-être- une légère boiterie. Ce que personne ne savait en revanche, c'était l'atroce douleur qui le lançait à chaque pas. Mais jamais il ne s'en était plein, et il s'en était accommodé, à force de temps et de détermination. Méthadone était aussi impénétrable que dalles noires qui pavaient les enfers.

Etranger. Méthadone revenait d'un de ces longs voyages qui font changer. Il était allé bien au-delà des terres encore paisibles de Wild Horses, bien qu'elles aient été agitées de quelques furieuses batailles. Il était parti là-bas, vers cet exil aussi vague que grand. Il s'était saoulé de solitude et d'inconnu ; il s'était saoulé de sang et de coups. Combien en avait-il laissés derrière lui ? Oh, il ne les comptait désormais plus, cela ne lui apportait rien, et il l'avait compris rapidement. Ce qu'il aimait, c'était la danse précédent l'acte final, il aimait l'insidieux duel qui s'instaurait. La question n'était plus de savoir qui frapperait le plus fort, non ; la réelle question ne consistait en fait qu'à savoir lequel des deux aurait l'ascendant psychologique sur l'autre. Et à ce jeu là, l'étalon à l'incroyable robe mat n'était pas un des plus mauvais.

Sans prêter réellement attention à ses sens qui pourtant l'avertissaient d'une présence étrangère, le puissant entier laissait courir son regard sur les alentours, dessinant chaque creux dans sa mémoire. Il venait de choisir cet endroit comme arène. Bientôt, il défierait le seul qui n'était pas tombé sous ses sabots : il l'humilierait d'abord, puis, vicieux, il le ferait souffrir, imprimant sur son corps et son esprit des marques indélébiles. Mais il ne le tuerait pas, non, pas tout de suite. Il le laisserait se relever, et il sourirait de voir sur son visage une grimace de douleur. Il le provoquerait encore, l'incitant à marcher, à avancer. Il prendrait plaisir à entendre les articulations du mâle craquer, il prendrait plaisir à les voir ployer sous sa masse. Et seulement après, il l'achèverait, grand seigneur d'une autre époque. Oui, Il payerait bientôt pour ses crimes.

Une foulée, un claquement sec de sabot sur le sol, et Méthadone s'immobilisait, à quelques centimètres seulement de l'inconnu. Arrêté comme au carré, sa longue queue noire flottait dans le vent, jouant entre ses postérieurs. Il n'y eut de sa part, dans un premier temps, ni mot ni geste. Il se contentait de regarder l'inconnu dans les yeux. Le jugeait-il ? Impossible de savoir. Personne ne pouvait comprendre ce qu'il se passait dans la tête de l'étalon. Un inconnu. Mais était-ce vraiment cet autre que l'inconnu ? Méthadone, s'il avait déjà vécu ici, venait à peine de revenir. Pour cette génération, il était l'inconnu. Pourtant, si ce jeune animal se revendiquait comme Shikaku, il était possible qu'il ait entendu son nom quelque part ... Crystal n'était pas un animal qui se perdait en conjonctures. Il était réfléchi, raisonné et partait du factuel pour élaborer ses pensées, pour dessiner ses schémas qui donnaient ensuite vie à ses projets.

L'avait-il jugé ? Bonne question. Il avait hésité : entamer le dialogue, ou laisser au jeunot la tâche de commencer. N'était-il pas l'aîné, ici ? Si les autres, les ignorants, les non-croyants pensaient que les Shikaku n'étaient que des barbares, eux savaient. Chez eux, au sein de leur groupe, l'on respectait les anciens. On écoutait ceux qui connaissaient la guerre et qui portaient sur leur corps des marques indélébiles. L'on respectait Si Beau, Vent Glacé, Black Hole et lui-même.

Sourire. Méthadone n'était pas du genre à faire des cadeaux à ceux qu'il croisait, que ces derniers soient Shikaku ou non d'ailleurs. Il maîtrisait l'art des mots, et il avait fait de la manipulation une de ses spécialités, si bien que certains allaient jusqu'à dire qu'il se trompait lui-même et ce, malgré sa volonté de fer. Mais qu'ils parlent, chantent, dansent ou rient : ils n'étaient que des ignorants incapables de comprendre, ils étaient risibles ; ils étaient ses jouets. Démence. Aux mots du jeune, le puissant guerrier avait relevé la tête, soutenant son regard sans ciller. Si les mots devaient être rares et précieux pour satisfaire l'inconnu, alors, qu'il en soit ainsi ! Mais avant de répondre quoi que ce soit, Crystal ploya son épais col d'entier, rendant son salut à l'étalon, bien que les codes soient tournés en dérision. L'Ancien, se moquait-il de la nouvelle génération ? Ou n'était-ce qu'un clin d'œil pour lui dire que lui aussi détestait ces pathétiques protocoles ? Insondable.

| & toi ?

Court et concis, le Revenant allait à l'essentiel, tandis que sa voix, dans l'air iodé, vibrait d'accents profonds, venus d'un autre temps. A n'en pas douter, Méthadone était de ceux qui savaient. Il était, en quelque sorte, une de ces âmes qui connaissaient les secrets et vérités de l'existence. Méthadone avait vécu, plus que certains morts même, et il pouvait témoigner de son expérience, alors que sa peau était encore le meilleur témoin de ces années passées. Il était, à l'égal d'autres, la mémoire de cette génération qui se faisait violence, alors que le matin ne se levait que pour elle. Mais la nuit n'était pas encore terminée, et eux, Vieux d'un autre monde, hantait encore ces terres. Qu'ils sachent leur voler leur mémoire, leurs souvenirs et leurs expériences, et ils deviendraient alors les plus riches que la terre n'ait jamais portés.

Mais il y avait les codes, les règles tacites qui s'exerçaient pourtant. Si les Shikaku se moquaient des hiérarchies appliquées dans les clans, la leur était pourtant l'une des plus respectées. La différence était qu'eux n'avaient pas besoin de dire les choses pour qu'elles se voient appliquées : les nouveaux respectaient les anciens, et ils les suivaient. Bien sûr, demain, quand le jour se lèverait à nouveau, sans doute n'hésiteraient-ils pas à les poignarder, mais pour l'heure, ils les écoutaient encore, avec peut-être l'admiration d'un monde perdu au fond du cœur. Comment savoir ?

Crystal n'avait toujours pas eu sa réponse que, déjà, il s'ébranlait. Son genou eut un craquement sec, presque douloureux rien qu'au son, mais rien ne passe sur son visage : ni satisfaction, ni douleur. Le meilleur ennemi de Hole, était-il seulement encore vivant ? N'était-il pas qu'un fantôme venu hanter les cœurs et les esprits qui auraient pu, par mégarde, l'oublier ? Tranquille, sa queue continuait de se balancer au rythme de ses foulées qui s'allongeaient pour bientôt devenir régulières. Sans même se retourner, il jeta à l'intention de celui qui lui était encore inconnu :

| Viens.

Comment pouvait-il être sûr qu'il le suivrait ? Méthadone avait vu chez lui ce que peu avaient encore.

Spoiler:

Ruse. Lentement, habilement presque, le jeune étalon avait laissé glisser son nom, comme s'il s'était appliqué à le prononcer, comme s'il avait souhaité que Méthadone l'enregistre dans un coin de son esprit. Hopeless. Bref, mais riche de sens. Pourtant, lui savait que les noms n'étaient que des mensonges, de vulgaires apparats qui trouvaient leur utilité dans la duperie et la dissimulation. Mais n'était-il pas attaché à son identité ? Ne tenait-il pas à ces deux mots qui, liés l'un à l'autre, prenaient un autre sens ? Sans rien montrer encore, il se contentait d'avancer, ne se retournant pas même vers le jeune pour voir s'il le suivait ou non : cela lui importait finalement bien peu. Méthadone avait un cap à suivre, une route à tracer, et il n'avait pas de temps à perdre. Mais le fier combattant était aussi riche de cette soiffe intellectuelle, et tout ce qu'il pouvait apprendre, il le prenait. Cet inconnu semblait différent, alors que ses lourdes foulées sur le sable froissaient le silence. Il s'était mis en route. Un sourire carnassier tordit un instant la bouche de Crystal, alors qu'il continuait d'avancer, regardant loin devant lui.

Les secondes devinrent bientôt des minutes, alors que le duo avançait encore, l'Ancien en tête et le jeune derrière. Ils ne parlaient pas, préférant peut-être écouter le silence et le sentiment d'urgence qu'il instillait en eux. Mais comment connaître l'autre sans mot ? Si Méthadone se fiait aux apparences, Hopeless n'aurait été qu'un pantin désarticulé de plus. Mais fort de son expérience, il savait, il sentait que l'inconnu avait en lui quelque chose de rare, de précieux peut-être. Curieux et joueur, il lui sembla soudain que cela faisait une éternité qu'il ne s'était pas lancé dans un semblant de discussion. Mais parler de la pluie et du beau temps n'était pas ce qu'ils recherchaient. Si Hopeless était avare de mots, s'il semblait aller à contrecœur et avec décadence, Méthadone voulait savoir ce qu'il pensait, il voulait apprendre la façon qu'il avait de raisonner, voir s'il devait s'en détacher ou non.

| Pourquoi avances-tu ?

Il ne s'était ni arrêté, ni retourné ; il n'avait pas même pointé une oreille vers celui auquel il s'adressait. Arrogance, indifférence, snobisme ou ruse et intelligence ? Hopeless aurait tout le temps de penser à une de ces solutions, alors que de nouveau, le silence retombait. Pourquoi une telle question ? Et lui, pourquoi avançait-il ? Oh, la grande et terrible interrogation ! Méthadone savait vers où il menait sa barque. Il savait ce qu'il cherchait, ce qu'il désirait. Et c'était pour cela qu'il avançait. Un but, et non un espoir. Il avait appris, le bel animal, que l'espoir n'était qu'une vaste blague dans laquelle les faibles se complaisaient. Dans leur monde, il n'y avait pas de place pour l'espérance. Devaient-ils tous en haïr Pandore ? Ou avait-il pour devoir de l'en remercier ?

Tant de questions qui ne pouvaient ici trouver de réponse. Le paysage, autour d'eux, avait encore changé. Ils n'étaient plus ni sur du roc, ni sur du sable. Ils s'aventuraient dans une dense forêt aux arbres hauts mais frêles. Leurs feuilles semblaient noires, alors que le sol était recouvert d'une épaisse mousse qui étouffait le son de leurs pas. Un parfait terrain de chasse, en somme. Il tardait à Méthadone de se confondre à nouveau parmi les éléments : la longue attente allait bientôt être récompensée.

Spoiler:

Mort. Comment pouvaient-ils être à la fois si solidaires mais si distants les uns des autres ? Les Shikaku, parfois, se regroupaient en grande réunion, où chacun était libre de parler, de discuter, de mettre sur pieds d'invraisemblables projets. La nuit passait ensuite, et le jour venait. Chacun était redevenu un prédateur, et ils s'échappaient tous dans différentes directions. Certains d'entre eux se haïssaient même, chassant sous le soleil celui qu'ils avaient écouté sous la lune. Mais s'ils devaient avoir un point commun, il serait tout trouvé. Tous ces êtres qui se revendiquaient comme étant des Shikaku mentaient. Ils disaient, pensaient ou croyaient ne rien ressentir : mais l'Histoire avait prouvé que cette certitude n'était qu'une vaste mascarade. Ils avaient tous un point faible, un cœur qui battait encore, une âme qui se souvenait toujours. Ils n'étaient en fait que de simples bouffons amusés par la vue du sang. Ils étaient avides de pouvoir, et c'était là leur seule différence avec tous les autres.

Mais Méthadone n'était pas comme ça.

Certes, la nuit passée, il avait écouté Black Hole parler de cette terre, et, quand le soleil s'était mis à briller le matin venu, il le haïssait de nouveau, se jurant de l'abattre un jour. Alors, pourquoi et comment aurait-il été différent d'eux ? Le puissant bai n'avait plus de cœur, et jamais son organe ne se remettrait à battre pour quelqu'un. Était-il un quelconque dieu pour affirmer une telle chose ? Non. Il n'était rien, sinon un infirme haineux et rongé par la douleur. Jamais il n'aimerait, puisqu'aucune dame ne s'intéresserait à lui. Jamais son âme ne lui dirait, ne lui commanderait de se souvenir de la bonté du monde, puisque pour lui, la terre entière était une ennemie. Crystal n'avait pas choisi de s'enfoncer à jamais dans cette voie, de ne plus se retourner vers la lumière. Les autres s'en étaient chargés : cette vie était leur choix, cet animal, leur œuvre.

Ils auraient, à l'époque, dû le tuer. Quel guerrier digne de ce nom aurait laissé vivre un animal si blessé et mal en point ? Quel être doté d'un cœur ou d'une âme n'aurait abrégé les souffrances d'un animal encore si jeune et déjà infirme ? Oh, que ceux qui pensaient le dégoutaient ! Méthadone traînerait avec lui ses lancinantes douleurs jusqu'à son dernier souffle. Était-ce une vie que de savoir chaque matin que le soir, son corps serait tremblant de douleurs ? C'était un calvaire qui se répétait tous les jours, comme si Méthadone avait été un demi-dieu puni par l'Olympe. Et quelle malchance alors d'être la Mort : il ne pouvait se tuer, il avait pour lui l'essence de la vie.

| Alors arrête-toi.

La voix grave de l'étalon venait de claquer dans l'air, pleine de colère. Hopeless était un de ceux qui portait avec lui la vie de leur groupe. Il était un de ceux qui devrait œuvrer demain à la construction d'un monde nouveau. Et il était déjà contraint ? Mais qu'il se rebelle ! Qu'il s'arrête et qu'il se mette à reculer, à courir vers ces terres passées, vers ces jours plus vieux ! Que croyait-il ? Le vrai savoir ne s'apprenait pas en avançant. Le vrai savoir, c'était celui que l'on acquérait après s'être arrêté, après être repassé mille fois au même endroit, avant de comprendre et de changer radicalement de cap. Il fallait savoir ne pas tout prendre sur sa route, changer de direction, voir, revenir sur ses pas. Avancer, toujours, encore et à jamais n'apportait rien, sinon de lourds regrets. Et de quoi Hopeless pouvait-il être fort aujourd'hui ? Des terres qu'il avait traversées sans même s'en rendre compte ?!

Méthadone, en plus d'être énervé, était impatient d'entendre la réponse du jeune étalon. Ils n'auraient pas dû être ennemis : ils avaient même tout pour s'allier. Ils étaient intelligents, et ils partageaient cette soiffe d'apprendre. Mais Crystal avait l'expérience et Hopeless, malgré toute son intelligence, avait encore et surtout l'inconscience. Qu'il s'arrête, avant que la Mort ne s'en mêle justement, qu'il s'arrête et se retourne, qu'il braque son regard sur les profondes empreintes qu'il avait laissé dans le sol.

Traître. Méthadone ne s'était toujours pas arrêté, comme s'il refusait obstinément de poser les yeux sur l'étalon qui le suivait. Un instant, les lentes foulées du jeune cessèrent d'écraser de leur pas lourd le sol de la forêt. Un instant, l'ancien pensa que ses paroles avaient touché Hopeless. Il s'était trompé. Le jeune étalon s'était presque aussitôt remis en route, affirmant qu'il n'avait rien à voir derrière lui. Mais comment pouvait-il affirmer cela ?! Méthadone ne comprenait pas, il refusait d'admettre qu'un être aussi intelligent pouvait avancer de tels propos. Toute leur vie, et à jamais, ils subiraient les conséquences du passé. Personne n'était plus libre depuis le péché originel. Ils devaient tous, qu'importait la naissance, payer pour cette faute. Et si personne ne prenait le temps de regarder en arrière, d'analyser et de comprendre les erreurs, alors, ils referaient toujours les mêmes, et jamais ils n'avanceraient. Pensait-il pouvoir aider les Shikaku sans savoir ce qui avait raté dans leur coup d’État ? Pensait-il pouvoir les aider sans savoir ce qui opposait Si Beau et Black Hole ? Sans savoir quels étaient les amis de l'étalon noir à l'étoile blanche ? Les règles ne s'inventaient pas, et si elles existaient, c'est qu'il y avait une raison à cela.

| Comment faire partie de la meute si on la met en danger ?

Le puissant guerrier ne s'était toujours pas arrêté, restant en avant de l'étranger. Mais sa voix semblait déjà plus calme, comme si quelque chose avait réussi à l'apaiser. Crystal était un animal entier, et quand son sang le brûlait, il ne suffisait pas d'une prière ou d'un battement de cils pour que sa rage cesse de faire battre son cœur plus vite. Le grand bai devait avoir une idée derrière la tête. Laquelle ? Impossible de deviner. Parfois, sa colère éclatait, mais cela ne faisait pas de lui un animal prévisible ou compréhensible. Méthadone pouvait s'énerver d'un rien, et rester calme dans d'invraisemblables situations. Il était simplement différent des autres. Il ne pensait pas de la même façon, tout comme il ne voyait pas les choses comme eux les voyaient.

Défiance. Ils étaient beaucoup, aujourd'hui, à dire que les années semblaient être passées à une incroyable vitesse. Et sans doute cela était-il vrai pour eux. Mais pas pour lui. Méthadone avait senti chaque seconde, chaque minute, chaque heure passer. Et comme un fou condamné à reproduire toujours le même schéma, il avait compté, gardien d'un monde oublié, chaque instant de sa vie. C'était donc raisonnablement que le bel entier à la robe mate pouvait affirmer qu'il avait eu plus de mauvais moments que de bons. Mais ce n'était ni la question, ni le propos ni le lieu. Hopeless se moquait de l'avant et du passé, il se moquait bien des choses devant lesquelles il était passé, pour la simple raison qu'il avait la prétention de les avoir comprises. Mais il se trompait. Si Méthadone s'arrêtait et rebroussait chemin, Hopeless passerait alors en avant de lui, mais il ne l'aurait pas compris pour autant. Et par conséquent, il omettrait de connaître celui qui pouvait s'avouer comme son pire allier ou son meilleur ennemi. Mais le jeune ne voyait pas les choses comme lui, et sans savoir, sans se rendre compte de son ignorance, il avançait encore, toujours. Pourquoi donc s'était-il arrêté ? Pourquoi lui demandait-il en quoi il représentait un danger, lui qui se targuait de tout comprendre ? S'il en avait eu le cœur, Méthadone se serait mis à rire ; mais il n'éprouvait maintenant qu'une chose encore envers cette jeune cavale.

| Oui, toi. Tu es un danger pour mon groupe, pour tous ceux qui le composent et qui te côtoient sans savoir.

Si ses mots n'avaient pas été emprunts de colère ou de rage, ils avaient été secs et durs. Il était presque certain que Méthadone Crystal croyait en ce qu'il disait, marchant encore à travers la forêt. Il semblait parler en connaissance de cause, comme s'il avait vu de quoi certifier que l'étalon ne serait un atout pour eux. Mais si le bel animal au genou barré était un ancien, il n'avait pas la même notoriété que Si Beau ou Black Hole au sein du groupe. Il était davantage comme le solitaire blessé et dur, au cœur froid comme la pierre et aux idées sombres. Croyait-il seulement en la génération qui se levait à travers eux ? Vif-Argent, Bliss, Pandore ou lui ? Seul lui savait ce qui pouvait courir dans les méandres malades de son esprit.

Indifférence. Mais que lui importait, au fond, d'être compris ou non ? Méthadone n'attendait rien de ses semblables, et comme tous, il était condamné à s'éteindre un jour. Pourquoi, alors, s'échiner à expliquer sans cesse les mots qui, secs mais riches pourtant, s'échappaient de lui, oiseaux rendus à la liberté ? Bientôt, le temps terminerait sur lui son œuvre, et son cœur, qui n'avait jamais battu sinon pour pomper son sang et le drainer à chacun de ses organes, s'arrêterait. Il tomberait, ses membres se ployant enfin sous son corps, et dans un souffle rauque, il fermerait, une toute dernière fois, les yeux. Quels seraient les visages qui danseraient devant lui ? Verrait-il l'Etalon Blanc, si cruel et assassin ? Croiserait-il le regard furieux de Black Hole ? Ou se perdrait-il dans les yeux de biche effarouchée de la belle Pandore ? Rien. Aucune de ces âmes ne seraient là, à le tourmenter, le provoquer ou le charmer. Personne ne se donnerait la peine de venir, que ce soit un ami ou un ennemi. Méthadone était né seul, il avait grandi tout aussi seul et c'était seul encore qu'il mourrait quand le moment serait pour lui venu. Pourquoi s'embêter à répondre à ce jeune étalon ? Il ne valait pas mieux que les autres, pas mieux que lui non plus, et s'il ne comprenait pas, cela ne le regardait pas. Il avait essayé de lui faire passer un message, et si ses mots n'étaient pas suffisants, c'est qu'il ne pouvait rien faire de plus.

| Parce que les vents tournent, parce que la Terre change, parce que la bonté se meurt ... Voilà, "pourquoi".

Secs encore, ses mots semblaient ne plus rien dire. Comme si Crystal s'était métamorphosé en une espèce de Fou, qui lançait quelques phrases. Mais les Fous, n'étaient-ils en fait les plus sages ?