Viens, viens la mort, essaye de m'attraper, regarde, je t'attends pour jouer.

Froid. Storm avait froid. Froid. Et mal. Et faim.
L'air sec et glacé lui brûlait les poumons et le corps, l'assoiffait, ses sabots crissaient contre la glace, elle était essoufflée par le manque d'oxygène, mais elle marchait, et elle était presque bien, seule au milieu des pics blancs. Pourtant, la solitude, ce n'était pas une chose nouvelle pour elle, pas plus que la douleur ou la faim. Mais elle aimait ça. Elle aimait l'indifférence, l'ennui, la haine et la solitude, la douleur et la souffrance, la mort pour la vie. Elle aimait ses marches sans fin, sans avoir besoin de réfléchir, ni même d'observer, perdue entre deux vides, seule et nulle part, et elle aimait les combats, la violence et l'excitation, ces moments où seul compte l'instinct, ces instants où on risque sa vie, elle aimait narguer la mort, la tromper, lui offrir d'autres corps à la place du sien, et savoir qu'un jour sûrement, ce sera un autre qui la trompera, et que la mort la prendra elle en ignorant un autre, et qu'elle se vengera, la mort, de tous ces défis qu'elle lui avait lancée, survivant là où elle aurait du mourir mille fois.
Elle le savait, et ça lui plaisait. Pas qu'elle soit impatiente de quitter la vie, après tout elle l'aimait, mais ça ne la gênait pas vraiment, et puis c'était juste... C'était juste, car elle n'était qu'une jument, un cheval comme tous ceux qui étaient mort sous ses dents, elle n'était rien de plus qu'eux, et si elle donnait la mort sans regret, c'est bien pare qu'elle l'accepterait sans plus de regret le jour où ce sera elle qui perdra le jeu de cache-cache qu'elle menait avec la faucheuse depuis sa naissance.
Un jeu. Oui, sa vie était bien un jeu avec la mort.

Son sabot dérapa sur la glace, et ses genoux heurtèrent violemment le sol. La douleur fusa, lui tirant une grimace -un sourire, peut-être. Elle se redressa et reprit sa marche, ignorant dédaigneusement la douleur qui inondait ses genoux à chaque pas. Perdue dans ses pensées, elle avait atteint un sommet. Aveuglée par les reflets du soleil qui venait de se lever, elle jeta un regard sur les hauts pics qui la surplombaient encore. Ici, l'air était rare. Là-haut, il le serait trop pour un équidé. Elle se dirigea vers le plus haut pic. Un sourire arrogant aux lèvres. Elle défierait encore la mort. Peut-être sera-ce la dernier fois, qui sait... Mais qu'importe. Elle sen fichait.

Un regard. Un regard posé sur son corps. Storm se retourna. Ni lentement, ni rapidement. Ni surprise, ni inquiète. Peut-être, au fond de son corps, un petit frisson d'excitation à l'idée d'un nouveau défi, d'un nouveau jeu, d'une nouvelle mort. Les yeux noirs de l'étalon se fichèrent dans les siens. Tous les quatre durs et froids.
Elle les quitta un instant, le temps de détailler la silhouette baie pommelée -silhouette grande, musclée, barrée de cicatrices. Quand ses yeux revinrent affronter ceux du bai, un léger sourire étirait ses lèvres. Le sourire de celui qui sait que la partie sera dure, et que le jeu sera intéressant. La Mort l'avait à nouveau défiée, l'empêchant de choisir elle-même le pari. Tant mieux ; gagner n'en sera que plus jubilatoire.
L'étalon n'exprimait aucune émotion ; Storm avait quitté un instant son indifférence, mais son visage restait froid.
Elle était calme, mais se leva légèrement, laissant sortir de sa gorge un cri rauque.
Habituellement, elle aurait aussitôt attaqué, mais aujourd'hui, elle n'était pas pressée. Elle se permit même une phrase, elle qui détestait les mots.
-Si je suis encore ici, c'est que j'ai toujours su duper la Mort ; si tu peux me regarder, c'est pour la même raison... Pourquoi mourrait-t-on maintenant, si on a survécut tant d'années ? Et pourtant, l'un de nous deux perdra à ce défi, l'un de nous deux ne sera pas assez vif pour la Mort...
Peut-être avait-elle l'air arrogante, elle, petite jument bai, tout juste adulte, en disant cela, mais elle se fichait de ce que pouvait penser l'étalon. Elle coucha les oreilles en arrières. Prête au combat.

L'étalon bai n'avait pas du tout eu l'air perturbé par l'attaque de Storm, et il avait fait un écart, récoltant tout de même un bel hématome sur son poitrail -mais aussitôt, il avait tendu son encolure, vif comme un serpent, pour la mordre. La baie bougea rapidement, ne lui offrant qu'un bout de peau de son épaule, et non la chair et les muscles, voir l'os, qu'il aurait pu prendre... Faisant volte-face, elle se retourna, prête à se cabrer pour tenter de le boxer, mais elle s'arrêta avant. Elle avait l'étrange impression d'être seule à danser... L'étalon était bel et bien là, et le sang qui coulait le long de son antérieur le prouvait, mais il ne jouait pas : il se contentait de riposter, l'air désintéressé.
Elle coucha ses oreilles encore plus en arrière, si cela était possible, et exprima son agacement en tapant du sabot contre le sol gelé, ignorant la douleur qui envahissait son épaule à chaque coup.
Mais que fais-tu ? Que fais-tu à combattre ainsi ? Ne connais-tu pas cette excitation, cette unique sensation, qui n'apparaît qu'en plein combat ? Ne connais-tu pas le plaisir quand tu ne sais si tu vas vivre ou mourir ? Et toi, la Mort, à quoi joues-tu ? Tu m'as envoyé un miroir, qui me renvoi toujours mes attaques, sans aucun plaisir, sans aucune émotion...
Storm le pensait, mais elle n'aimait pas parler. Elle se contenta d'une unique phrase, question rauque, mais habituellement elle se serait contenté d'un silence.
-N'aimes-tu donc pas jouer avec la Mort ?
Elle avait l'air d'avoir oublié le combat, à parler ainsi, l'épaule pourtant en sang, mais elle était campée sur ses sabots, prête à esquiver et prête à attaquer. Ce qui ne l'empêchait pas de s'être effectivement désintéressée du combat. C'était juste son allure habituelle. Aux aguets.

Storm observa le bai, presque intriguée. La vent glacial faisait battre ses crins, lui fouettant parfois le visage. Elle secoua la tête pour dégager une mèche de crinière qui s'était plaquée devant ses yeux.

-Pourquoi te bas-tu, alors ? Et pourquoi vis-tu ?

Se battre, et vivre. Vivre, et se battre. Se battre pour vivre, vivre pour se battre. Se battre en mourant, mourir en se battant. Pour la grise, les trois étaient entremêlés : la vie, la mort, et le combat. Le combat n'était là que pour danser entre la mort et la vie. La vie n'était là que pour combattre et jouer avec la mort. La mort n'était là que pour achever la vie et les combats. Les trois liés en un cercle sans fin. Cercle qui n'acceptait rien d'autres. Le combat, la mort, la vie. Alors, si le plaisir du combat n'existe pas, pourquoi se battre ? Et si on enlevait le combat, pourquoi vivre et pourquoi mourir ?

Pour comprendre ? Mais comprendre quoi ? Qu'y avait-il a comprendre ? Il y avait juste à se battre, et à marcher, seule... Juste à sentir le sang et le vent sur sa peau, l'un le caressant, l'autre le fouettant... Écraser sous ses sabots tantôt la chair, tantôt le sol, tous les deux avec la même hargne...

- Qu'y a-t-il a comprendre ?

Mais déjà une autre phrase... Son serviteur ? Ainsi, c'est un de ses serviteur que la mort lui avait cette fois envoyé ? Mais un serviteur qui n'aimait pas se battre, et ne tentait pas de la tuer...

-Pourquoi la servir ?

Il avait affirmé qu'elle ne pouvait pas comprendre. Certains chevaux s'en serait senti humiliés, d'autres, curieux, auraient insisté... Elle se contenta de passer à autre chose. Elle ne pensait pas qu'elle ne pouvait pas comprendre, mais elle n'affirmait pas pouvoir comprendre, et si l'étalon ne voulait plus donner d’explication, elle n'allait pas en quémander une.
Le vent continuait à la fouetter, hargneux, et elle se dressa, hurlant sa réponse à ses cris. Ses crins battaient derrière elle, comme une bannière, si un être à la robe souillée de terre et de sang séché et aux crins emmêlés pouvait en avoir une.
Elle s'était préparé à jouer, mais n'avait pas pu... Si un autre cheval était apparu, nul doute qu'elle se serait battu contre lui. Mais il n'y avait que elle, diable froid et meurtrier, et l'autre, étalon bai encore plus froid et indifférent.
Elle voulait se battre, mais contre celui qui se disait serviteur de la mort, ce ne serait pas un jeu, alors elle se contenta de reposer ses antérieurs à terre, encolure rouée, jument au corps encore de poulain mais déjà musclé comme celui d'un étalon, et abîmé comme après une trop longue vie... Curieux mélange de jeunesse et de vieillesse, de faiblesse et de force, qui grognait, d'un grondement sourd. Impatience, énervement ? Sûrement aucun des deux, mais elle-même ne savait ce qu'il signifiait.

[Un peut court, pardon ^^]

[j'avais tenté de peut-être commencé un petit combat -sans mort à la fin-, en fait ^^ et pas grave pour la longueur,après tout on écrit pour son propre plaisir (ce qui n'empêche pas, évidemment, d'apprécier les longues réponses, mais ce n'est qu'un plus ^^)]



Storm, d'ordinaire, était froide. Pas un froid travaillé, poli, déposé sur son visage ; un froid d'indifférence.
Mais, parfois, ses émotions ressortaient. Alors ses membres tremblaient d'énergie, alors elle se dressait pour clamer sa rage au ciel, alors elle hennissait de colère et de défi, alors elle galopait jusqu'à ce que ciel et terre se mélangent, tournoyant ; elle galopait, poumons en feu, usant la corne de ses sabots jusqu'à ce que sa fourchette se heurte douloureusement aux cailloux, que ses membres s'écroulent d'eux-même, que sa gorge soit sèche, jusqu'à ce que son corps tout entier soit en feu. Et là, elle continuait. Elle accélérait. Elle jetait toute ses incompréhensions et sa rage habituellement refoulées dans sa course, elle courait de sa haine et de sa douleur, les yeux brillants et fous, laissant des traces de sabots rouges derrière elle, elle galopait jusqu'à ce que toutes ces cicatrices se rouvrent et que son sang dévale à nouveau son corps, poisseux et chaud, douloureuse manière de lui rappeler qu'elle était encore en vie, que la frontière n'avait pas encore été franchie. Elle galopait, ou elle fuyait.
Et aujourd'hui, son corps frémissait d'excitation. Elle fit un écart, brusque mais félin, presque aérien, rouant son encolure jusqu'à amener sa tête contre son poitrail, respirant son odeur âcre de sang et de transpiration, puis, à nouveau, elle se cabra. Dans ses yeux se reflétaient les sommets glacés, et de la buée sortaient de manière saccadée de ses naseaux écartés.
De nouveau, elle se cabra, hennissant avec rage, les yeux fous, sa bouche ouverte sur un long cri rauque, dévoilant des dents encore rougeâtres de son précédent combats. Une ancienne cicatrice sur son poitrail se rouvrit, et le sang qui la dévalait rejoignit sur son antérieur celui qui coulait de son épaule, éclaboussant le sol.
Elle se laissa lentement redescendre et, alors que ses antérieurs n'avaient qu'effleurés le sol, elle bondit, d'une brusque détente de ses postérieurs. Son corps frôla celui du bai, tandis qu'elle le croisait. Peut-être avait-il cru à une attaque, mais la baie ne s'était élancée que pour un bref et sauvage galop, voyant déjà l'à-pic vers lequel elle s'était inconsciemment dirigée...

Folie ? Non. Peut-être un rêve. Une fuite. Fuite de la réalité. Fuite de l'incompréhension.
Storm galopait. Devant elle s'ouvrait le vide. Elle accéléra. Encore une foulée, et elle tombait. Elle s'arrêta brusquement. Ses sabots dérapèrent sur la glace, produisant un bruit aigü. Et déjà, ils s'envolaient à nouveau. Sur le côté. Ils glissèrent encore, s'échappant vers le vide, tandis que les genoux de la baie foncée heurtaient à nouveau le sol dur et froid. Mais déjà elle s'était reprise, prête à longer la falaise abrupte.

L'étalon. Il arrivait au galop. Dans son allure, comme un intérêt, peut-être une émotion. La baie n'avait plus de temps à perdre avec les codes ; son sang bouillait d'une impatience, d'un désir impossibles à assouvir. Elle pila. Ses épaules se levèrent presque difficilement du sol, déséquilibrées par son brusque arrêt. Ses sabots abîmés battirent l'air en direction de la tête du bai. Elle se fichait de ce qui pourrait se passer. Elle se fichait de mourir ou non. Sa froideur impassible avait laissé place à une excitation et une rage extrême, l'aveuglant d'émotions, torrent d'autant plus violant qu'inhabituel. Sous son antérieur droit, une flaque rouge commençait déjà à se former.

Spoiler:

Hésitations. La baie resta quelques secondes encore dressée, face à l'étalon immobile. De la joue de ce dernier coulait quelques larmes vermeilles. Puis elle se laissa retomber, lentement mais prête à bondir à nouveau. Le bai se cabra alors, dominant à nouveau la petite jument. Son antérieur fila vers l'épaule de la baie foncée. Vive comme un serpent, elle se reprit alors qu'elle s'apprêtait à reposer ses antérieurs, et écarta vivement son avant-main vers la droite. La sabot ne le toucha pas, mais elle heurta violemment le sol, faisant craquer la corne de son antérieur droit. La douleur, fulgurante, lui tira une grimace, peut-être un sourire. Sans attendre, elle lança sa tête, bouche ouverte, dents en avant, espérant toucher peut-être le flanc, l'épaule ou l'encolure du grand bai.

Elle ne réfléchissait plus. Si elle le faisait parfois. Son esprit était perdu entre son instinct brûlant et sa froideur qui la faisait ignorer la douleur -ou l'y faisait croire. Ses oreilles étaient cachées entre ses crins emmêlés, plaquées sur son encolure boueuse et traversée de cicatrices, comme autant de veines. Des veines... C'était ses cicatrices qui la faisaient vivre, unique lien avec cette vie presque étrangère... Storm connaissait-elle mieux, à force de jouer avec elle, la Mort que la Vie ? C'était peu probable ; elle ignorait tout des deux, jouant à cache-cache entre elles.

Spoiler:

Perdue. Entre la Mort et la Vie, la réalité et le rêve -le cauchemar-, mais aussi perdue par l'étalon bai. Perdue par son galop alors qu'elle ne voulait qu'une danse corps contre corps.
Storm se rassembla, énervée par cette course, par son incapacité à attaquer, son incapacité à garder le face-à-face brisé par l'étalon. Elle piaffait, l'encolure rouée, les naseaux pincés, les oreilles plaquées en arrière. Son impatience et son exaspération la faisait galoper sur place, encerclée par le bai.
Soudain, il rompit sa course. Soudain, la danse éloignée se transforma en corps à corps, comme si le bai avait entendu Storm. Mais elle n'était pas prête. Les dents se refermèrent violemment sur son garrot, tandis que le choc voulait la faire trébucher. Elle ne pouvait pas se remettre d'aplomb, immobilisée par les dents du grand étalon. Elle tenta malgré tout de faire un pas de côté ; la douleur l'envahit, océan rouge. Elle étira à nouveau sa bouche en un sourire grimaçant, aux significations opposés, tandis que ses genoux pliaient en craquant, la mettant à genoux pour ne pas l'allonger. La colère continua d'envahir ses yeux noir. Pas à cause de la douleur, ni parce que le bai la dominait. Juste parce qu'ainsi, agenouillée, courbant l'échine, elle ne pouvait défier la Mort.
Elle se releva d'un bond, levant violemment l'encolure pour essayer de heurter l'étalon.

Spoiler:

Touché. Storm sentit presque de la joie, si joie elle pouvait avoir, en sentant les naseaux fragiles de l'étalon heurter le haut de son encolure. Dans son esprit, toutes les émotions se succédaient, trop courtes pour vraiment exister, comme la preuve qu'elle ne pouvait elle aussi exister, être vraiment vivante, et que ces danses, ces jeux, ces tueries ne lui donnaient qu'illusion -que sa vie n'était qu'illusion.
Et déjà, les sabots du bai se mirent à la frapper avec violence, la déséquilibrant alors qu'elle s'apprêtait à volter. Le sang se mit à couler sur son corps, venant de nouvelles mais surtout d'anciennes cicatrices réouvertes par les coups du mâle. Comme si ces blessures ne lui faisaient rien, la jument se retourna, se cabrant à son tour pour riposter au coups du bai, sans prêter attention à la douleur de ses antérieurs meurtris par les chocs.

Elle était brûlante, comme un feu au milieu de la glace. Mais ce feu-là n'était ni feu de joie ni feu de vie : les flammes n'étaient faites que de haine et ne voulaient que dévorer la vie, substance même de sa survie.

Choc. La baie n’avait pas bougée, ses quatre sabots comme plantés dans la glace. Un élancement douloureux parcourut son épaule gauche, là où l’os de l’étalon l’avait heurté, mais elle n’y prêta aucune attention : alors que le grand mâle n’était qu’à une foulée d’elle, elle avait lancé sa tête, bouche ouverte sur ses dents avides, visant l’encolure, peut-être la tête de son adversaire.

Ce dernier avait changé, elle s’en rendait bien compte malgré l’aveuglement de ses émotions : il n’était plus indifférent. Il y avait toujours sa froideur, mais son combat faisait moins mécanique, et elle le sentait… Différent. Comme si une sorte de rage l’envahissait.

Storm se rendait compte qu’il avait changé. Mais elle l’ignora, ou elle ne put y prendre garde plus longtemps. Car elle ne réfléchissait plus –elle ne réfléchissait pas. Elle se contenta de suivre le bai dans son écart, tentant toujours de le mordre, de serrer avec force et rage sa mâchoire, comme pour repousser toute sa froideur, toute sa colère, et tout son passé.