Always on your own... [libre]

[Ca fait bien un bail que j'ai pas joué ma p'tite solitaire...allons-y!]

L'automne s'effaçait déjà, songeait Odyssée en trottant dans les plaines rases du Clan de l'Ombre. Oh, l'herbe du territoire était encore grasse et nourrissante mais bientôt elle se ferait sèche, brûlée non par l'été, mais bien par les vents froids venus du Grand Nord, et qui saupoudreraient la neige sur les terres dominées par Black. Ces terres, qui étaient celles du Clan de l'Ombre, mais que la jument sans clan parcourait sans la moindre inquiétude. Elle avait beau être la fille de Liberty, ancienne reine du Clan des Etoiles, Odyssée avait vite viré de bord et choisi tant le camp que la compagnie de son oncle adoptif, Black, devenu peu à peu plus que son père. L'étalon noir avait pris la jument grise sous son aile à une époque où elle se cherchait encore, Stelmaria lui avait enseigné ce qu'elle savait en combat, et Odyssée avait grandi auprès du couple d'amis comme on peut grandir auprès de ses parents.

C'était aussi là, sur les territoires des alliés du Nord, qu'Odyssée avait rencontré son compagnon. A cette simple idée, la jument freina un peu et sourit pour elle-même. Un cheval de bonne taille quoique moins grand que Black ou Equinox, petit pour un étalon mais tout en muscle, en rondeurs et en légèreté, la queue en panache et l'oeil ardent, noir de jais à l'exception de balzanes et d'une étoile, Aglow Star avait toujours porté beau. L'étalon était le fils de Stelmaria, ce qui avait, un temps, amené quelques dissensions entre eux, le cheval noir étant persuadée que celle dont il était tombé amoureux ne le considérait que comme un frère. Mais finalement, ils avaient fini par mettre les choses au clair et un poulain était même né de cette union, un poulain devenu depuis un bel étalon gris, Shiki, l'Héritier du clan de Glace...Odyssée souriait en détaillant, en pensée, les courbes et les allures de son amant, qu'elle connaissait par coeur jusque dans ses plus sombres recoins, ceux où la vieille Malédiction des Thars le poussait. Et la jument grise s'étonna de sentir son coeur accélérer puis, amusée, secoua la tête. Presque six ans qu'ils étaient en couple, et elle se pâmait encore comme une pouliche à ses premières amours! Aglow Star ne valait d'ailleurs guère mieux de ce point de vue là...ils ressemblaient toujours à deux adolescents, ensembles.

*Pas grand-monde, aujourd'hui*, songea la jument grise en secouant sa crinière argentée et en s'arrêtant un moment. Tendant l'encolure, elle happa une bouchée d'herbe, puis frotta son flanc gris plus sombre, luisant et pommelé, qui la démangeait. Ses yeux gris, tandis qu'elle mâchait, ne cessaient de décrire des aller-retours, non pas qu'elle craignît une quelconque attaque, mais son mode de vie de solitaire lui avait enseigné à toujours demeurer vigilante. Prudence est encore aujourd'hui mère de Sûreté...
C'est d'ailleurs ainsi qu'elle remarqua, un peu par hasard, une silhouette noire, au loin, trop loin pour qu'elle l'identifie avec certitude. Black, peut-être? Odyssée prit un trot aérien pour se diriger vers cet inconnu, pleine de curiosité, et d'autant plus intriguée qu'elle se rendit vite compte que cet étalon - c'était une silhouette mâle, indubitablement - n'était pas du tout Black: il était moins fin, moins élancé que l'étalon aux fausses allures de pur-sang, quoique tout aussi noir, et manifestement musclé. Ce n'était pas Black Hole non plus, Black Hole était bien plus trapu et massif que cet illustre inconnu. Renji avait des crins et des fanons infiniment plus fournis, Equinox portait un noir mat et non luisant comme celui-ci. Qui était-ce donc?

Arrivant à portée de voix, Odyssée poussa un hennissement, un cri d'appel, avenant, pour attirer l'attention du cheval, puis prit un petit galop léger pour le rejoindre, très curieuse de savoir à qui elle avait affaire.

Eldorado releva promptement sa tête, à la recherche du du cheval qui avait poussé l'hennissement que ses oreilles avaient perçues. Au loin, il vit un cheval qui approchait. De plus en plus qu'il arrivait, on pouvait deviner que ce n'était pas un étalon, mais bien une jument. Une jument gris pommelé. Elle s'approcha encore, puis poussa un deuxième hennissement. Eldorado portait toute son attention sur cette jument. Il s'approcha lui aussi, et lorsqu'il fut à côté d'elle, la renifla poliment. Ensuite, il roua son encolure et se mît à tourner autour d'elle, trottant.

- Madame, mes hommages. Je me présente, Eldorado, du clan de l'Ombre.

Il s'arrêta en face de la jument. Il s'étonna de ses yeux gris acier. C'était bien la première fois qu'il voyait une jument qui avait des yeux d'une telle couleur. La plupart des chevaux qu'il avait croisé portaient des yeux de couleur marron ou encore noir. Il en avait vu certains de couleur bleu, ou encore presque blanc, et une fois aussi, un des yeux était de couleur marron et l'autre moitié bleu et moitié marron. Décidément il n'avait pas tout vu! Pour lui même, il avait la couleur que la plupart des chevaux avaient, c'est à dire des yeux marrons.

Le jeune cheval parcouru d'un rapide regard le reste du corps de la jument. Elle était gris pommelé. Elle avait l'air gentille, mais Eldorado avait appris à ne pas se fier à la première impression. Elle pouvait peut-être être une terrible combattante sous ses airs de jument...

Un nouveau membre du clan de l'Ombre, donc...d'un autre côté, c'était relativement prévisible dans le sens où les chevaux des autres clans, Glace exceptée, hésitaient à s'aventurer sur les terres de l'Ombre, qu'on disait parfois maudites. Absurdités bien sûr, mais les chevaux avaient toujours été friands de légende et les histoires qui couraient sur Black, et que l'étalon noir ne faisait rien pour enrayer, s'accordaient à merveille avec des rumeurs de malédictions. Tout ceci avait le don d'amuser prodigieusement Odyssée, accoutumée au caractère un peu rude du chef de l'Ombre, et qui n'était qu'une façon de se protéger. La jument grise s'étonnait toujours de la mauvaise réputation que traînaient les chevaux des deux clans du Nord, Ombre et Glace.

L'étalon inconnu se mit à trotter autour d'Odyssée, si bien que cette dernière crut avoir affaire à une boule de nerf comme l'était son propre fils, viscéralement incapable de cesser de s'arrêter et prompt à donner le vertige à toute créature sabotée, mais non, le cheval noir s'arrêta pour se présenter. Eldorado, donc. Odyssée lui sourit tout en appréciant la courtoisie dont il faisait preuve: enfin un pour qui les usages ne se perdaient pas! La solitaire arqua à son tour l'encolure, et se présenta sur le même ton et le même registre de langue:

"Heureuse de faire votre connaissance, Eldorado. Je suis Odyssée, solitaire."

Elle le sentait la détailler, mais c'était de bonne guerre et elle ne s'en offusquerait pas; ce d'autant plus qu'en règle générale, lors d'une première rencontre, les regards visaient avant tout à déterminer la dangerosité, les risques que pourrait présenter la nouvelle connaissance en question. Et puisqu'Eldorado faisait son examen, Odyssée lui rendit la politesse, laissant courir son regard le long du corps du jeune cheval -il ne devait pas être beaucoup plus vieux que son fils. Un animal assez musclé et en tous cas, bien portant, mais il était assez rare de croiser des bêtes en mauvaise santé dans le secteur, finalement. Un animal jeune encore, peut-être même un peu trop...le regard d'Odyssée pétilla d'un fond d'amusement. Elle le voyait bien faire un adversaire de valeur, mais dans quelques années.
En attendant, elle reprit la parole:

"J'ai beau avoir coutume de parcourir les terres de l'Ombre, je ne vous y ai jamais vu; êtes-vous un nouveau venu?"

La jument grise se présenta. Odysée. Elle usait de la même politesse que lui avait utilisé pour s'adresser à la jument. Elle détailla le cheval noir à son tour. Une lueur d'amusement passa dans ses yeux d'un beau gris acier. Qui était-elle vraiment? Était-ce une redoutable combattante? Bien qu'Eldorado ai croisé peu de jument qui se battaient contre les étalons, il se doutait bien que celles-ci existaient. Le jeune cheval jugea qu'il ne fallait peut-être pas classer cette jument du côté de celle qui se cachent derrière leur étalon pour qu'il les défendent.

La jument était donc solitaire. N'avait elle jamais été dans un clan? Eldorado savait qu'il aurait pu être un solitaire, et qu'il l'avait été durant plusieurs années, mais il avait eu besoin de compagnie à un certain moment. C'était pour ça qu'il était devenu membre du clan de l'Ombre. Odyssée le questionna; Était-il un nouveau venu? Il répondit.

"Je dois vous avouer que je suis nouveau sur ces terres. J'ai longuement vagabonder sur les diverses terres de Wild Horses, et celles qui n'étaient pas les siennes, avant d'arriver ici, sur la Plaine d'Orage."

Il se remémora les différents paysages qui lui avait été offert de voir, et les différents climats qu'il avait dû affronter. Toutes les terres de Wild Horses étaient tellement différentes les unes des autres...

"Et vous? Je dois bien imaginer que cela fait plus longtemps que moi que vous êtes ici, mais venez vous de ces terres? Ou êtes vous une vagabonde, comme moi je l'étais avant d'arriver ici?"

[bon, en fait j'ai 5 min alors, répondons^^]

Un nouveau venu et qui venait donc de loin...Odyssée ne put s'empêcher de faire le parallèle avec son fils, qui avait, quelques années durant, décidé de voyager loin hors des territoires de Wild Horses. Puis il était revenu vers les siens et, plus encore, vers sa terre et son Clan. Peut-être tous les étalons solitaires avaient-ils, un beau jour, besoin de se poser, peut-être un jour ressentaient-ils l'envie soudaine de vivre en compagnie de leurs semblables...A la solitaire elle-même l'isolement aurait pesé si elle n'avait pu bénéficier de la compagnie régulière d'Aglow Star, mais aussi de Black, Stelmaria et tout leur cercle d'amis, ainsi que de nouvelles rencontres. C'était pourquoi il était plus confortable d'être solitaire sur les territoires des clans que solitaire dans une contrée absolument vide et sauvage... Eldorado la questionna et, affable, la jument grise ne se fit pas prier pour répondre:

"En réalité, je suis une vagabonde, mais je suis née ici. Plus précisément, je suis la fille de Liberty, l'ancienne reine du clan des Etoiles, mais suite à de nombreuses dissensions avec ma mère, j'ai choisi la vie de solitaire, et choisi aussi de me rapprocher de mon oncle Black, qui est, finalement, comme le père que je n'ai pas eu. Je suis une vagabonde, je viens de ces terres, j'y suis né, j'y ai grandi, et mon fils y est né aussi...je n'ai jamais beaucoup voyagé. Mais cela ne m'a pas manqué...ces terres en elles-mêmes sont déjà si vastes et peuplées que même une vie ne suffirait pas à les connaître!"

Parler d'elle et de ses proches lui fit penser à une autre question:

"Avez-vous de la famille? Je veux dire, ici, sur ces territoires, ou bien ailleurs?"

Elle lui raconta qu'elle était née sur ces terres, et fille de Liberty. Eldorado avait entendu parler de cette jument alors qu'on lui racontait ce qu'était Wild Horses. En effet, le jeune cheval, cherchant une terre ou il pourrait s'établir, s'était informé durant son périple. Certain des quelques chevaux qu'il avait questionnés lui avait parlé des terres de Wild Horses, ainsi que de Liberty... D'ailleurs... Il ne savait pas pourquoi on lui avait parlé de cette jument en particulier. Odyssée s'intéressa à la famille du cheval noir.
Avec un peu de nostalgie, il lui répondit:

"Ma famille... De ce que je peux dire, elle ne vient pas d'ici, ça j'en suis sûr. En fait, je ne sais pas vraiment ou je suis né, car le troupeau se déplaçait souvent. D'ailleurs, je ni suis pas resté longtemps, car à mes un an... Ou presque, mon père, qui était chef, m'a exclus du troupeau. Je n'ai jamais vraiment su la cause de cette exclusion. Ce que je savais, c'est que, normalement, ce n'était pas à mon âge que les autres poulains partaient. Eux, ils nous quittaient à l'âge de deux ans..."

Eldorado prit une pause pour arracher quelques brins d'herbe et les mâcher, puis reprit son histoire:

"Peut-être que mon père pensait qu'à mes deux ans j'allais tout de suite vouloir me battre contre lui et lui prendre son troupeau... Je ne sais pas... En tout cas, il a voulu se débarrasser rapidement de moi. J'ai donc erré pendant plusieurs jours à la recherche d'un autre troupeau... Sans succès. Après plusieurs semaines, j'ai commencé à devenir plus autonome, et indépendant des autres. Maintenant me voilà ici, car la solitude commençait à me peser. Je ne suis en aucun cas rancunier de mon père. En fait, je le remercie, car j'ai pu apprendre à ne pas être dépendant des autres, et à me débrouiller seul."

Le cheval arrêta de parler, repensant à ces années passées dans la solitude, et aussi à ses premiers jours, complètement seul. Il était paniqué face au nouveau monde qui s'ouvrait à lui. Il avait appris à s'y faire, et ne regrettait rien. Ayant tout dit sur lui et sa famille, Eldorado retourna la discussion sur Odysée:

"Vous m'avez dit que votre mère était Liberty. Je crois avoir déjà entendue parler d'elle. Est-elle quelqu'un d'important ici?"

Odyssée comprit en écoutant le jeune cheval que ce dernier n'avait pas toujours eu la vie facile; un an, c'était bien jeune pour se retrouver seul dans le vste monde et même Shiki, ou Black, quand ils avaient décidé de partir en voyage et en solitaire, l'avaient fait sur le coup de leurs deux ans, environ. Ils n'avaient pas voyagé jeunes...même elle, si elle avait fait la connaissance de Black et Stelmaria à un à peine, avait choisi de laisser sa mère à son clan et de partir pour les terres du Nord vers deux ou trois ans. Elle ne l'avait d'ailleurs jamais regretté, même si passer d'un système de clans familiaux et soudés à ces tribus où chacun vit pour soi et où le chef n'est là que comme arbitre suprême, ou au pire chef de guerre, avait été difficile. Mais elle y avait trouvé une famille, avait pu s'inscrire dans une lignée, Black, Stelmaria, Equinox, et son descendant, Shiki...

"Liberty? Je...oui, elle est quelqu'un d'important! Elle a été adoptée très jeune par ceux qui sont donc mes grands-parents adoptifs, Sable Noir et Larme Blanche, parents également de Black et Sun Star. Lors de la fâcherie survenue entre les deux frères, Liberty a créé son propre clan, le clan des Etoiles, avec la volonté d'en faire une tribu paisible, pacifique voire pacifiste et d'y accueillir tout un chacun...en vérité, ce clan avait néanmoins des guerriers et il a su se défendre, par le passé. Simplement, tous, même les combattants, défendaient un idéal de paix et n'ont fait que se défendre; ils n'ont jamais, à ma connaissance, été les instigateurs d'une bataille.
Mon père était un de ces guerriers du Clan. Je l'ai connu, mais vers mes deux ans, quand j'ai choisi de me mêler aux chevaux du Nord, il a cessé de m'adresser la parole. Dans le tempérament, c'était quelqu'un d'aussi rigide que Sun Star, et c'était un grand guerrier, mort comme il avait vécu, dans un combat où, hélas, il eut le dessous. Ma mère est restée reine du Clan des Etoiles jusqu'à il y a peu de temps, elle a allié son Clan à celui de Sun Star, et puis elle a laissé les rênes de la tribu à Pépite d'Or qui, je suppose, a joué auprès d'elle le rôle de fille que je n'ai pas su jouer. Depuis, c'est Pépite d'Or qui dirige le Clan, mais Liberty demeure une figure importante de par son expérience, même si je juge sa vision des choses parfois assez orientée par ses propres idées, et elle est la "mère" du Clan des Etoiles."

Odyssée sourit amèrement:

"A défaut d'avoir été celle de sa fille..."

La jument, Odyssée, lui expliqua qui était Liberty. Elle avait créée sont clan après une fâcherie survenue avec son frère. Le clan fut nommé Clan des Étoiles. La volonté de Liberty était que son clan soit pacifique voir pacifiste et paisible. Eldorado buvait les paroles de la solitaire, l'écoutant toute ouïe. Odyssée n'avait pas l'air d'avoir eu une enfance facile, tout comme lui. L'abandon de ses parents à un si jeune âge l'avait beaucoup affecté le cheval noir lors des premières semaines. Il avait pensé se laisser dépérir et avait maintes fois tenté de réintégrer le troupeau, sans succès. Il avait donc décider de prendre sa vie en main et devenir plus autonome. Il commençait une nouvelle vie, à un âge si jeune...

Eldorado soupira, et observa le paysage. Le vent qui soufflait était devenu plus froid, et le sol n'allait pas tarder à geler. Le jeune cheval devait trouver un abris pour l'hiver. Bien qu'il ai un bon poil chaud lorsque la neige arrivait, le cheval préférait dormir dans une grotte, par exemple, ou tout simplement sous un arbre, quand il ne trouvait rien d'autre de meilleur. Il brouta un peu, puis reporta son attention sur la jument. Elle avait sourit amèrement lors de sa dernière phrase. Eldorado se questionna sur cette attitude;

- Liberty est donc votre mère... Et elle n'a pas été une bonne mère avec vous? Ou vous..., Eldorado hésita, n'avez pas été la fille que voulait Liberty?

Eldorado attendait la réaction d'Odyssée. Ce qu'il espérait au plus profond de son cœur, c'était qu'il n'ai pas blesser la jument avec ses dires. Il ne voulait pas briser une amitié qui pourrait se créer avec la jument. Seul depuis longtemps, c'était tout ce qu'il recherchait, un ami. Un ami avec qui il pourrait galoper, parler, jouer ou explorer le territoire de temps en temps. Un ami pour combler la solitude qui le prenait parfois, malgré qu'il soit indépendant.

Le vent soufflait toujours. Eldorado frissonna un peu, son poil d'hiver n'ayant pas totalement poussé. Dans quelques jours, il pourrait résister au froid de l'hiver. La raison de se frisson était aussi qu'il était immobile depuis un moment. À pars quand il sommeillait, le cheval ne prenait pas de grandes pauses. Il ne s'arrêtait que quelques minutes, parfois quelques secondes, puis repartait. Mais il ne pouvait fausser compagnie à la jument comme ça, alors que la discussion avait bien commencée. Il s'ébroua pour avoir un peu de chaleur.

Odyssée se doutait bien qu'Eldorado aurait noté la soudaine amertume de sa dernière phrase, et c'est pourquoi elle ne s'en offusqua pas: après tout, si elle avait voulu dissimuler ses sentiments à l'égard de sa mère, elle n'avait qu'à éluder la question...ou bien en dire moins. La jument grise considérait donc la remarque d'Eldorado comme de bonne guerre, mais la question en elle-même demeurait difficile. De qui était-ce la faute, finalement?

Le regard d'Odyssée se fit rêveur, et durant quelques secondes, longues secondes, elle garda le silence avant de commencer, d'un ton prudent, non pas hésitant mais délicat, et pesant avec soin ses mots:

"C'est une bonne question. Elle n'a pas été la mère qu'un poulain est en droit d'attendre, cela est certain: elle s'occupait davantage de son clan que de moi et je n'étais qu'un faire valoir, comme un animal-lié ou peut-être moins, qu'elle emmenait partout avec elle et qui devait saluer d'innombrables connaissances avec le sourire. Un outil politique, parfois, dans les discussions avec les chefs. Pourtant, je pense qu'elle m'aimait, sincèrement...mais elle n'a jamais su différencier la sphère privée de la vie politique, à la différence d'un cheval comme Stelmaria.

Et peut-être n'ai-je pas été la fille qu'elle attendait. Je n'ai jamais été pacifiste; mon père était un guerrier, et j'ai appris le goût du combat, j'ai aimé le combat très jeune, j'ai appris à me battre avant d'apprendre les phrases polies et les mots bien choisis. J'aimais le combat, et surtout, j'abhorrais la vision du monde de ma mère. Je ne veux pas d'un monde d'assistés et de clans paternalistes, traitant tout le monde comme autant de grands enfants. Je préfère l'individualisme de Black ou de Stelmaria et leur profession de foi, comme quoi tout un chacun peut, et doit, tracer sa voie, non pas seul mais la tracer lui-même...et quand j'ai quitté le Clan des Etoiles pour ceux de l'Ombre et de Glace, j'ai dû la blesser. Mon père ne m'a plus jamais adressé la parole, mais elle, ce n'était pas pareil: elle n'a jamais osé me reparler. D'un autre côté, ça ne me manque pas tellement: comme je l'ai dit, j'ai trouvé une vraie famille en les personnes de Black, Stelmaria et Equinox."

Elle acheva alors qu'Eldorado s'ébrouait et qu'elle-même sentait courir sur sa peau un long frisson. Odyssée plissa le nez, huma l'air puis sourit pour elle-même: l'hiver venait, l'air sentait le vent des grands froids...oh, la neige, les glaces! Elle n'aimait pas le blizzard, mais la plaine d'Orage figée sous le manteau blanc valait tous les paysages du monde! En attendant...Odyssée tapa du pied sur le sol: pur besoin de contracter ses muscles, aboutissement du frisson qui couvait sous sa peau. Avec un sourire elle regarda Eldorado:

"Je commence à avoir froid, immobile. Si nous trottions un peu?"

Odyssée ne parlait pas toujours de sa mère: si il était pour ainsi dire de notoriété publique qu'elle était la fille de Liberty, et sa fille renégate, le sujet demeurait cependant trop sensible, trop intime. Une vieille blessure dont elle était bien guérie et ne conservait guère de cicatrices, sinon une certaine amertume, mais qui amenait dans les yeux des autres tantôt la réprobation, tantôt la compassion. Quelle mauvaise fille, ou quelle mauvaise mère, voilà ce qu'elle lisait dans le regard de ses interlocuteurs, et cela la fatiguait, l'agaçait: elles n'étaient tout simplement pas faites pour s'entendre, et voilà tout! Elle ne voulait pas qu'on la plaigne, elle n'avait pas à se plaindre, deux des plus grands chevaux de cette terre l'avaient élevée comme leur propre fille, et formée, elle avait un compagnon qu'elle aimait à la folie et dont l'amour n'était pas affadi par la distance, un fils bien portant, un futur chef, et la liberté dont elle rêvait, gamine. Pourquoi se plaindre, de quoi se plaindre?

Odyssée parcourut les premiers mètres au petit trot, l'oeil alerte, tête haute et naseaux dilatés pour mieux goûter l'air vif, l'odeur du vent d'hiver, et pour le plaisir de sentir ce fluide froid pénétrer ses poumons, refroidir sa trachée. Son contact vivifiant était bien agréable...puis, tandis qu'Eldorado revenait vers elle après avoir cabriolé comme un poulain, elle prit une allure plus tranquille: ils auraient pu, bien sûr, aller plus vite mais à quoi bon? Et puis en allant plus rapidement, ils ne pourraient pas discuter! D'ailleurs, une pensée traversait l'esprit de la jument et elle questionna son compagnon de route:

"Vous avez voyagé, disiez-vous. Peut-être avez vous rencontré Black, Stelmaria ou même mon fils, Shiki? Et sinon, peut-être avez-vous rencontré d'autres chevaux, ici ou ailleurs? Des rencontres marquantes?"

L'air frais et vivifiant avait revigoré Eldorado. Après être resté longuement sans mouvement, ses muscles avaient commencés à se relâcher, comme si le cheval était sur le point de dormir longuement. Maintenant entièrement alerte grâce à ses cabrioles, Eldorado avait rejoint Odyssée et régla la vitesse de son trot à celui de la jument. C'était un trot plutôt lent et tranquille, qu'il jugea parfait pour continuer la discussion déjà bien entamée. Il était bien content de cette allure. C'était toujours mieux que de rester planter au même endroit et attraper froid. Eldorado avait hâte que son poil d'hiver le couvre complètement. Ainsi, il pourrait rester immobile plusieurs minutes lorsqu'il essayerait de voir un éventuel prédateur qui se camouflerait sous la neige, comme des loups. Des chevaux pouvaient même adopter cette même ruse. Les plus blancs pouvaient rester inaperçus pendant un bon moment avant que vous ne vous rendiez compte qu'ils vous suivaient. Comme il était noir, Eldorado devait souvent surveiller ses arrières. Il ne savait pas si c'était le cas ici, si les combats étaient nombreux.

Le soleil entamait déjà sa lente chute du ciel. Il ferait bientôt nuit sur Wild Horses. Bien qu'il était peut-être encore tôt, c'était ainsi. Les journée raccourcissaient et les nuits rallongeaient au courant des temps froids. Odyssée questionna le jeune cheval sur ses rencontres.

- Je ne crois pas avoir déjà rencontré Black, Stelmaria, ou même votre fils, Shiki. Je ne suis que depuis peu sur cette terre et cela fait un moment que je n'avais pas vu d'autre cheval ou même combattu. Pour ce qui est de rencontres mémorables, pas vraiment. Les seuls que j'aie fait, c'était lorsqu'un étalon pensait que j'allais lui voler des juments, ou bien lorsqu'un solitaire voulait tester la force....

Eldorado creusa au fond de sa mémoire, à la recherche d'une rencontre qui l'avait marqué. Soudain, il s'en rappela. La seule, l'unique de ses rencontres qui fut marquante, mais ô combien douloureuse. Il avait appris à l'oublier, mais voilà qu'elle renaissait en lui. Que les souvenirs fesait irruption à nouveau dans son esprit. Jamais il n'avait parlé de cette rencontre à un autre cheval. Peut-être que, pour oublier ce souvenir, il devait en parler, peut-être que ça l'aiderait... Il poussa un soupir nostalgique, avec une pointe de tristesse. Son regard s'assombrit et il rabattit légèrement ses oreilles le long de son crâne. Il calcula bien ses mots avant de parler de ce triste souvenir.

- Oui. En fait, il y a bien une rencontre qui m'a marqué... Cette rencontre, elle est bien triste. Vous êtes la première à qui j'en parle, et je crois que cela me soulagera de me confier. C'était il y a quelques années. Cela faisait peu de temps que je m'étais remis du rejet de mes parents. Je m'étais arrêté pour me désaltérer, et c'est là que je l'ai vu pour la première fois. Elle était un peu effrontée et n'avait peur de pas grand chose. Elle se nommait Butterfly, une belle petite jument âgée de 3 ans, environ, de couleur alezan. Un beau alezan aux reflets dorés. On est devenu amis, et on est restés ensembles, à explorer, pendant seulement deux jours. Après, elle est disparue pour toujours... Partit au paradis des chevaux, tout là-haut dans le ciel, derrière les nuages. Ça s'est produit durant la nuit. Elle montait la garde, pendant que je sommeillais. Elle n'avait pas vu venir le lion des montagnes... Il l'a attaquée, sans que je puisse réagir. Je ne bougeais pas, terrorisé. Elle se défendait, et elle m'a même sauvée la vie en galopant avec les forces qui lui restait, vers la forêt, où le lion l'a achevée. Lorsque j'ai su que tout était fini pour elle, que je ne la reverrai jamais, j'ai pris mes jambes à mon cou, me sauvant le plus loin possible du lion. J'ai lontemps pleuré la perte de mon amie, mais je m'en suis remis, et petit à petit, j'ai oublié ce terrible épisode de ma vie.

Il soupira une seconde fois, mais ce soupir exprimait le soulagement qu'il avait eu en racontant cette rencontre bouleversante dans sa jeunesse. Il redressa ses oreilles et chassa la lueur de tristesse qui paraissait dans ses yeux. Il reprit l'allure qu'il avait avant de parler de cet épisode à Odyssée.

Odyssée, pensive, hochait la tête tandis que l'étalon lui racontait ce vieux souvenir. Malgré elle, elle la voyait bien, la scène: une petite jument alezane, peut-être insouciante comme le sont les jeunes juments, qui goûtait le silence de la nuit. Ses oreilles allant de gauche à droite, ses yeux vifs scrutant les buissons, prenant au sérieux son tour de garde et effectivement, cette pratique, dans les montagnes, était vitale, sauf dans des montagnes exemptes de prédateurs comme l'étaient certaines vallées du Clan des Etoiles...Odyssée avait vu chasser les léopards. Elle imaginait bien l'attaque, elle connaissait si bien les fauves! Le lion des montagnes, tapi et embusqué, qui se laisse tomber de son arbre sur l'encolure fragile, la tord en tombant et, malchance, manque son cou, son poids échouant à briser net les vertèbres de l'infortunée proie qui pousse un hurlement de terreur, éveillant tous les autres. Une fuite éperdue, le galop désespéré de celle qui ne sait plus où elle va, tandis que les spectateurs voient le lion se ramasser, bondir, allonger sa foulée, lancé sur la piste du sang, le sang qui s'écoule en même temps que les forces de la jument. Eldorado, un spectateur bien impuissant...le dernier bond du lion, sur le cou, encore, qui cette fois le brise net et coupe tout bruit, la fin de l'attaque dans le plus grand silence, forme claire du lion sur le dos roux, qui plante ses crocs dans la gorge offerte et fait chuter la petite jument...Odyssée secoua la tête:

"D'ordinaire, les lions de montagne n'ont même pas besoin d'attaquer une seconde fois: ils brisent net le cou de leur victime qui a à peine le temps d'avoir peur. Mais de toute manière vous n'auriez rien pu faire: on peut éviter, chasser un lion des montagnes qui n'a pas encore choisi de proie, mais une fois qu'il a commencé à attaquer, il n'abandonne plus même au prix de sa vie, et ces bêtes sont si puissantes que même les hommes, leurs armes redoutables et leurs chiens ne peuvent les tuer en un coup."

Odyssée garda un silence plus long, avant de reprendre, toujours dans ce trot léger et régulier:

"Nous avons un rapport parfois étrange aux prédateurs, ici. Sur les terres des Etoiles, il existe des vallées absolument exemptes de fauves, ce qui m'a permis de grandir sans rien connaître d'une attaque de félin ou d'une meute de loups; je me suis familiarisée avec les compagnons de mes proches, loups, tigres ou autres, bien avant de découvrir que loups et félins ont des griffes et des crocs. Je les ai vus chasser des biches, bien sûr, mais jamais des chevaux et c'est dans la montagne, aux côtés de deux solitaires, que j'ai découvert l'impuissance qu'on peut ressentir devant une telle attaque. On ne peut rien faire, on est figé, tout va trop vite et en même temps...l'instinct nous cloue sur place.
Seuls les chevaux des Glaces ne redoutent pas les prédateurs, mais il faut savoir que ces chevaux grandissent avec les léopards géants, jouent avec eux, apprennent, aussi, par ces jeux, à les affronter et à faire face aux crocs et aux griffes. Plus d'un cheval des Glaces porte les cicatrices de ses jeux parfois effrénés avec les jeunes fauves et plus d'un les suit dans leurs chasses à l'orque. Quelquefois, je me dis que les chevaux des Glaces ne sont pas loin de se prendre pour des prédateurs!"

Elle soupira et secoua la tête:

"J'ai beau vivre avec eux, avoir pour compagnon un étalon des Glaces, il y a certaines choses que j'ai du mal à saisir, n'ayant pas été élevée sur la banquise mais dans une vallée bien abritée!!"

[C'est pas grave. De toute façon ma motivation est au plus bas, comme mon inspiration, et puis je suis débordée ces temps-ci...]