C'était comme une évidence [Libre]

L'un t'éclaire avec son ardeur,
L'autre en toi met son deuil, Nature !
Ce qui dit à l'un : Sépulture !
Dit à l'autre : Vie et splendeur !
C.Baudelaire

On m'avait dit un jour que ma vie serait comme une évidence, que mon destin ne dépendrait que de moi, de mes envies et de ma façon de mener ma vie. Mais dans ce plan là, il n'y avait pas de place pour les sentiments et les douleurs: rester de marbre pour vivre, en fait, tuer pour ne pas êter tué. Et je crois qu'en fin de compte, c'est bien la solution la plus simple. Pourquoi toujours chercher le plus court moyen, la facilité? Longtemps, j'ai essayé de réfléchir, de trouver des solutions, de changer pour ceux que j'aimais, que j'aime... Mais tout, autour de moi, me pousse à redevenir celui que j'étais avant, celui dont on avait peur, l'ombre qui embrassait les cadavres qu'elle laissait derrière elle... Rester sur le Territoire pour ne pas avoir à affronter l'écoeurante bassesse de ce Monde qui, décidément, ne sera jamais le mien, mais le votre. J'étais tellement bien, au milieu de mes écharpes de brumes tant chéries, sans endroits où me retrancher en cas d'attaques. Tuer pour ne pas être tué, exactement cela. Pourtant, j'ai goûté à ce qu'était la confiance, et je voulais ne jamais avoir à trahir mes promesses. Mais je suis fatigué d'être celui là. J'ai aimé la Mort avec une telle folie! J'étais l'enfant du diable, celui qui faisait souffrir le Mal, et me voilà, quelques années plus tard, à courir après ma vie qui s'enfuit, à esseyer de reconstruire ce qui s'est brisé. Mais au fond, de quoi ai-jevraiment besoin? Je voudrais juste, je crois, partir, m'endormir, oublier, et qui sait, voyager... Je voudrais comprendre ce qui m'arrive, et être capable de dire ce qu'aujourd'hui je suis. Serai-je encore un Shikaku des pires manipulateurs, ou cette page est réellement tournée?


Grave et interdit, le bel étalon noir à la pelote blanche marchait, avec toute sa majesté retrouvée, sa forme et son poids. Fin, encore, mais peut-être plus musclé qu'avant, et dans son regard, cette étincelle flamboyante qui brillait comme jamais elle n'avait brillé. Pas du même éclat que quand il se se trouvait avec les siens, non, d'un autre, plus tranchant et déstabilisant. Fureur et rage s'affrontaient en une paisible sérénité, il était aujourd'hui plus maître de lui, de ses gestes, il s'emportait moin -un peu seulement- et semblait avoir appris en sagesse. Pourtant, il demeurait ce père blessée, au fond de son coeur. Mais où étaient ses enfants? Plus le temps passait, plus il lui semblait que les retrouvailles seraient dures. Et dans son funèbre sillage, les pas veloutés de sa belle daemon, la gueule ouverte sur ses longues canines.


Féline, comme elle l'avait toujours été, mais avec sa vigueur retrouvée. L'alchimie qui liait les deux êtres semblai parfaite: il suffisait que Black Hole se laisse aller pour que l'humeur de Tueuse en soit affectée. Mais elle, en même temps que lui, s'était redressée, plus forte et sauvage qu'avant. Elle ne brûlait plus que d'un feu: celui qu'un mâle avait allumé en elle...

(moi aussi je peux? Je comprendrais totalement que vous me dites non)

(Tkt, pour moi, c'est OK )

A qui souhaiterais-je la place de deuxième-né ? J’ai vécu et grandi dans l’ombre de mon frère, mais rien ne ternissait notre entente, jusqu’à ce que j’apprenne qu’il hériterait de l’ensemble des terres de ce pays que j’aimais, et que je ne serais plus qu’un sous-fifre. Mais là encore, lui en ai-je voulu ? J’ai fui car je n’aurais su supporter que mon frère soit mon maître, mais je ne lui en voulais pas. C’est mon père qui prétendait me plier à l’ancien droit d’aînesse, mon père qui n’a su comprendre que j’avais besoin d’air. Ma vie était tracé, toute tracée, je serais le lieutenant fidèle et le bras droit loyal d’un frère que j’appréciais, mais qui n’en serait pas moins mon roi. Je serais son chien de garde et son conseiller, son sujet le plus dévoué et le dernier à quitter le champ de bataille, son épée, sa lame, son soutien et son armure, toujours dans son ombre, un pas derrière lui et humble.

On a voulu peindre ma vie de ces teintes monochromes, moi qui ne suis né que pour les extrêmes, et j’ai fui. J’ai fui et je me suis peu à peu affranchi de l’ombre de mon père, de sa tyrannie et du destin qu’on me traçait, je suis devenu comme autre et j’ai appris à me battre, pour affronter ceux qui prétendraient me mener là où je ne voulais pas me rendre. J’ai vécu longtemps seul, mais mes amis le sont de toute mon âme. On m’avait dit que ma vie était tracée mais aujourd’hui, dans les rires que je partage avec Stelmaria, dans mon combat avec Equinox, dans ses yeux à elle, je redessine seul un tableau pour lequel on avait prétendu guider mon pinceau. J’avais d’abord cru que les sentiments me briseraient, mais ils sont le tremplin du haut duquel je m’élance, ma piste d’envol, et même s’ils me blessent parfois, même si je dois me défendre derrière cette carapace de sarcasme dressée comme bouclier, j’ai appris la valeur des sentiments.

Pétris de bonne volonté, ils avaient voulu me dessiner une cage, une cage dorée, un futur qui serait mien, mais j’ai brisé les barreaux, j’ai tâtonné et fait des erreurs, je me suis échappé de leur tableau. J’ai souffert, et j’en ai fait souffrir d’autres mais aujourd’hui, mon destin ne dépend plus que de moi et de mes envies, de mes principes, et ma vie est une évidence où chaque jour j’emprunte une route que je trace à chaque pas. Cette vie n’est qu’à moi ; j’ai combattu pour qu’elle soit mienne.

Snow revint d’une chasse fructueuse, repu, et s’assit aux côtés de Black en léchant son pelage bicolore pour en ôter toute trace de ces sanglantes ripailles auxquelles il s’adonnait. Son ami ne lui adressa pas un regard ; nul besoin de le voir, pour le savoir présent, Snow et lui étaient adultes et désormais, leur lien s’était renforcé par les années de proximité et leur nouvelle sagesse. Quand le grand tigre blanc eut fini sa tâche, il avança aux côtés de Black, en silence, chacun percevant l’humeur de l’autre avec une acuité sans cesse améliorée. La fourrure monochrome de Snow ondulait au rythme de ses pas et de ses épaules puissantes, comme la crinière noire et lustrée de Black, en pleine forme, nerveux et musclé, au pelage brillant. Leurs yeux flamboyaient d’un semblable éclat, bien que le tigre fût prédateur et l’étalon, une proie. Black croisa le regard doré du tigre et lui sourit. Non, il n’était pas seul, lui, il serait toujours là, quel que soit le chemin qui se dessinerait, ils l’arpenteraient à deux et le construiraient de concert. Et l’étalon noir sentait chez son compagnon un nouvel émoi, une sérénité particulière, si semblable à la sienne, lui qui avait trouvé l’apaisement du cœur et des sens auprès de Sorrow Life. Il sentait la nouvelle ardeur qui agitait Snow, et le tigre savait bien que l’étalon noir esquissait un sourire amusé quand les moustaches de Snow frémissaient, et que ses songes éveillés l’emportaient vers une nuit toute aussi ardente que la terre qu’il avait arpenté ce soir-là.

Quand il la vit apparaître devant lui, Snow flaira l’air pour s’assurer que c’était elle. Tueuse Amor, la compagne de Black Hole, Shikaku. Black, derrière lui, s’arrêta à ses côtés et arqua le col, sans méfiance excessive mais sans aménité non plus, saluant Black Hole d’un hennissement strident et d’une amorce de cabrade. Il lui signifiait par son geste et par son cri que, s’il n’avait pas d’intentions belliqueuses, il était maître en ces terres. Il était de bon ton que son homologue le sût.

Snow se campa sur ses pattes, et tendant le cou, émit le feulement rauque et caractéristique des tigres. Ses yeux pétillèrent, tandis qu’il saluait sa dulcinée d’un soir, sa longue queue remuant au ras du sol, ses épaules musclées l’ancrant au sol par le biais de ses larges soles plantaires. Chez les tigres, le cœur n’était jamais loin des griffes.
Etrange scène, un cheval noir et un tigre blanc, tableau graphique et monochrome, comme deux reflets d’un même miroir, qui se déroulait sous le regard de la plaine.

C'était comme un vide.
Un vide sinistre, si calme, si furtif, mais bien présent.
Un vide dans mon esprit, un vide blanc et brumeux, qui emmêle mes pensées, les mélangeant entre elles, bouillonnantes, comme la valse infernale du vent soulevant les feuilles mortes en automne.
Un vide trop présent, même. Un vide assassin, comme avide de peur et de solitude. Un vide silencieux mais insupportable, qui ronge mon esprit, le dévorant de l'intérieur, comme un soufle ravageur et cruel.

Antéa frissonna. Sa peau était secouée de tressaillements provoquant en elle un courant glacial, la parcourant de tout son être. Elle marchait calmement sans même savoir où elle allait, le souffle court, une buée brumeuse se formant au contact du vent froid et de son souffle chaud. La nuit sombre commençait à tomber, laissant les ténèbres exprimer tous leur désirs les plus fous. Les nuages noirs et ténébreux se dégagèrent, laissant apparaître la Lune argentée, la laissant briller de tout son comble sur le monde, veillant sur ces terres glaciales où régnait un vent farceur, qui venait caresser doucement son pelage blanc truité. Elle s'ébroua nerveusement avant de prendre le trot, foulant la terre sombre de ses pas fins et gracieux. Au fur à à mesure qu'elle s'avançait vers les ténèbres grisonnants, elle aperçut deux ombres, tout d'abord floues puis de plus en plus nettes. Quatre coeur battaient puissamment devant elle, deux rongés par leur futur. Deux étalons d'un noir d'ébène, se confondant avec les ténèbres maléfiques de la nuit opaque, leur membres puissants et nerveux plantés dans le sol. A leur pieds, deux tigres blanc neiges dont le vent venait faire onduler leur épaisse fourrure d'ivoire. Un hennissement strident retentit, faisant frissonner Antéa, qui reprit le pas. La gorge nouée, elle s'arrêta à quelques mètres de ce couple ténébreux, les regardant de ses yeux doux, avant de les saluer respectueusement d'un signe de tête.

Et j'ai rêvé d'Enfers.
Le Jour et la Nuit, l'espace d'un moment, se sont mélangés. Le Temps s'est arrêté, et l'Espace a éclaté. J'étais la, seul et fragile, à courir au milieu des bruits effrayants d'un Monde que je ne connaissais pas, et je suis tombé... J'ai sombré dans la Haine et la Rage, reproduisant ainsi le chaos de mon souvenir.

Il filait, à la manière d'une ombre ou d'un fantôme, il errait, comme une âme errerait à la recherche du Paradis. Pourtant, le bel étalon noir ne demandait que l'Enfer, pour parfaire la longue liste de ses supplices et de ses douleurs, comme s'il voulait, au plus profond de lui, avoir mal, se saigner à blanc, et s'écraser, après avoir usé de tout son kérosène, s'éteindre, comme un astre malsain ayant briller trop longtemps. Droit et solide, il apprenait avec bonheur que ses membres ne le trompaient plus, et qu'au contraire, ils l'emenaient avec peut-être plus de vigueur qu'avant. Ce qui brûlait son coeur à cet instant, pouvait-il être apparenté à du bonheur? Ce soir, sous la clarté presque inexistante de la Lune, il avançait, comme un conquérant venait revendiquer ce qui lui avait appartenu. Provoquait-il pour se tester? Ou ses élans de puissance n'étaient que joie ? Quoi qu'il en soit, seul lui savait. Mais, alors qu'il se perdait en lui comme dans sa foulée, le son d'une autre galopade tinta à ses oreilles qui se pointèrent vers l'avant, captant alors un bref hennissement qui pouvait s'assimiler à de la mise en garde. Choix tentant, dont la réponse était courue d'avance: répondre en arrogant, ou se plier? L'arrogance serait la majuscule du premier alinéa. En un simulacre de cabriole, il lança un hennissement rauque et sonore, qui retentit sous le couvert des arbres. Invitation ou diffamation, à Black de choisir s'il se sentait offensé, ou invité. C'est alors qu'avant qu'il ne puisse rajouter quoi que ce soit, il vit la silhouette claire et bi-colore d'un équidé s'approcher. Il stoppa alors tout de sa démarche princière, et fixa l'Animal de ses grands yeux noirs.

Tueuse Amor courait, non pas pour suivre l'entier Shikaku, mais pour vérifier ce que lui annonçait son odorat développé. Et quelle plaisante surprise de le voir là, fort et sensuel, habillé de son manteau blanc. Un sourire à mi-chemin entre la grimace et le rire s'afficha sur son visage fermé, tandis que ses yeux presque blancs luirent dans l'obscurité.

Une jolie jument tachetée s’invita dans leur pas de deux, inclinant le col, soumise et douce, feutrée…N’eût-il été en couple, Black eût prit plaisir à la séduire. Là, il se contenta de lui trouver fort belle mine, et la salua d’un petit hennissement bas de gorge, tandis que face à lui apparaissait le mâle noir, qui lui répondit avec une belle ardeur. Black esquissa un sourire ironique…qu’il était altier, cet étalon, pour se cabrer ainsi et hennir comme si c’était une évidence qu’il en avait le droit ! Il n’en avait pas le droit, mais tant que le grand noir ne manifesterait pas d’intention belliqueuse, Black lui ferait grâce du combat.
A quelques pas de lui, une distance raisonnable, le Roi de l’Ombre stoppa sans brusquerie, mais la puissance et la sauvagerie sculptaient chacun de ses muscles. Son regard, noir et profond, parcourut l’étalon noir puis la jeune jument qu’il ne connaissait pas. Il commença par saluer son homologue masculin, plus râblé que lui, moins découplé mais, à n’en pas douter, tout aussi puissant. Si Black Hole était bâti en courbes et Black en nerfs, ils n’en étaient pas moins tous deux tueurs avant d’être coursiers.
Le chef de Clan poussa un hennissement calme, un brin froid mais poli et, sans se cabrer, faisant fi de ces esbroufes d’adversaires qui se découvrent, alors que lui connaissait bien Black Hole de nom et de réputation, il se contenta d’énoncer le nom de son vis-à-vis, lui reconnaissant droit d’existence sur son territoire :

« Black Hole. »

Son regard noir pivota vers la jument, mais il gardait le potentiel adversaire à l’œil. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire où subsistait un fond de son charme naturel, simple réflexe de mâle face à une femelle si belle, tandis qu’il la détaillait rapidement. Il lui demanda d’un ton autrement courtois, moins froid et sans le respect de mâle à mâle, viril, qu’il avait accordé à Black Hole, mais paré de celui différent qu’un étalon doit à une jument, en vertu de coutumes plus anciennes que le monde et inscrites dans son sang :

« Et vous, je ne crois pas vous connaître…je m’appelle Black, chef du Clan de l’Ombre. Vous êtes, mademoiselle ? »

Snow vit et sentit le sourire de sa compagne, de son amante d’une nuit, et le sang battit à ses oreilles. Son cœur battait plus fort, simple souvenir du plaisir éprouvé et de sa course folle, tandis qu’un grondement sourd montait de son large poitrail. Il prit son élan et courut vers elle, lui aussi, le regard flamboyant, les babines à peine retroussées pour que paraissent ses crocs blancs. Il l dépassa en trombe et revint vers elle pour la saluer d’un geste, queue haute, frottant sa joue velue contre son col en signe de soumission. Puis poussa plus fort et se coula le long de son épaule et de son flanc, fourrure contre fourrure, corps contre corps, se pressant contre elle comme s’il eût voulu mêler son poil au sien jusqu’au plus infime duvet protégeant sa peau grise.

Le hennissement rauque du massif étalon d'ébène la fit tressaillir. L'encolure courbée, les oreilles plaquées sur son crane, la jeune jument à la robe blanche et brune où ondulaient les ténèbres opaques, l'emportant avec eux dans l'infinité obscure, s'efforça d'éprouver un peu de courage. La peur avait toujours été son sentiment primitif, depuis qu'elle s'était enfuie de ses terres.
Elle se remit donc à avançer, s'approchant des deux étalons noirs d'encre, ses membres fins foulant la terre brune, presque invisible dans cette nuit si inhabituellement sombre. Tout ce qu'elle remarquait, dans ce noir infini, c'était la lueur de défit qui luisait dans les yeux des deux étalons, noirs comme la nuit, qui semblaient aspirer les ténèbres autour d'eux. La jeune jument blanche pailletée de brun s'arrêta donc à quelques mètres du couple mystérieux, puis, un peu rassurée par les galantes paroles de Black, répondit d'une voix douce, mais qui logeait néanmoins une pointe de crainte, qui restait toujours en elle, insistante. Le clan de l'ombre... Elle en avait déjà entendu parler, ne sachant plus trop pourquoi.

-Je suis Antéa, jument solitaire. Enchantée, Black, et enchantée, Black Hole.

Le nom de Black Hole ne l'inspirait en rien. Elle ne connaissait pas grand chose, ici, étant nouvelle sur ces terres. Puis après tout, elle était et deumeurait toujours une simple jument solitaire, vagabondant ici et là, sans trop d'histoire. Elle ne participait à aucune de ces guerres entre les clans, et cela lui allait pour le mieux.

Sans même penser à ralentir, l'étalon noir poursuivait sa course, lançant de puissants coups de reins avant de simuler un demi-arrêt pour finalement, après un cabré adolescent, repartir de plus belle. Alors, il arriva devant l'Empereur des lieux, calmant enfin sa frénétique envie de combat, car il n'était pas là dans un de ses cruels élans de rage. Black Hole se tenait droit sur ses membres, la tête haute et le regard flamboyant, dévisageant le guerrier de l'Ombre, celui qui avait prouvé à tous qu'il savait tout aussi bien s'entourer que se battre, comme le montrait son amitié avec la Jument Rouge et le compagnon de cette dernière. Mais le nom de Black ne rimait pas qu'avec cela pour le Shikaku. Le frère de Sun Star était également le mentor d'Odyssée, la douce fille de Liberty. Odyssée. Le rythme cardiaque de l'animal-démon accéléra, alors que le souvenir du combat nocturne qu'il avait partagé avec elle lui revenait. Il se souvint notamment de son regard anthracite pénétrant, de son agilité de danseuse... Odyssée, ou celle qu'il avait surnommé la Dame d'Acier. Il inclina son profil rectiligne, lançant son étoile immaculée en avant, comme une ironie glaçante et qui nous fait grincer des dents. De sa voix enjôleuse et prédatrice, il répondit:

"Black, mentor de la Dame d'Acier..."

Le chef de l'Ombre n'aurait pas grand mal à deviner le nom qui se cachait derrière le surnom par lequel Black Hole la nommait. Le mot 'mentor' avait reçu une intonation plus respectueuse. De plus, le guerrier à l'étoile exprimait ici qu'il le considérait avant tout comme un véritable combattant que comme un Chef. Toute la hiérarchie à couronne l'écoeurait. Après ce salut au grand mâle, il tourna son regard abyssal vers la jument qui se présentait à eux, et murmura en guise de réponse:

"Ravi d'une si belle rancontre."

Il fit glisser ses yeux noirs sur le corps d'Antéa, avant de les plonger une nouvelle fois dans ceux de Black. Hole était désireux, ces derniers temps, de s'éloigner du sentiment, pour retrouver tous ses atouts de Shikaku, mais ce n'était pas la chose simple.


Tueuse Amor gronda de plaisir quand elle vit que Snow se précipitait vers elle, cette même mine radieuse et séductrice, ce regard si doux et vif qui l'hypnotisait. La tigresse se serra contre la fourrure blanche de son amant, sentant comme une vague brûlante en elle, une caresse torride qui alluma bientôt son regard livide. Elle donna un affecteux coup de langue au mâle, signe de respect comme d'amitié. Ils se retrouvaient, leurs chemins se croisant une nouvelle fois. Etait-ce un signe?

Une jument solitaire…Black étouffa un sourire, un rictus plutôt. Le temps de l’innocence ne durait jamais ! Elle prendrait parti, qu’elle le veuille ou non, qu’elle s’en aperçoive ou non, elle prendrait parti en se prenant d’affection pour tel ou tel étalon, telle amie…Innocence, neutralité, rêves d’enfance ! L’étalon noir hocha la tête. Solitaire. Black Hole continua dans cette veine en mentionnant une autre solitaire. La Dame d’Acier…cette fois-ci, le sourire de Black fut plus sincère. L’étalon noir faisait assurément allusion à Odyssée, son ancienne apprentie, sa fille de cœur et celle de Stelmaria. Si la Maudite et lui n’avaient jamais formé couple, ils avaient néanmoins, pouvait-on dire, un poulain en commun, cette petite demoiselle, cette fille de Liberty érigée en arme, contre sa mère, contre Sun Star, cette jument libre devenue mère, cette farouche combattante, enfin. Une de ses plus grandes fiertés, assurément…comme le serait, peut-être, Nesta. Etait-il donc écrit que Black n’élèverait pas de poulain de son sang ? Il espérait encore infirmer la loi tacite…avec Sorrow Life, son espoir et son amour…Il répondit, affable :

« Tu aurais donc combattu Odyssée ? C’est un sacré bout de guerrière. Elle et Aglow Star incarnent la nouvelle génération de grands combattants, je pense, les prochaines légendes…Antéa, la connaissez-vous ? C’est une jument gris pommelé, du genre aimable si je ne m’abuse, et qui possède un goût vif pour le combat. »

Snow ronronnait à pleine gorge. D’ordinaire, il ne revoyait pas ses conquêtes, ne trouvant rien à leur dire, mais un quelque chose, une aura, émanaient de Tueuse Amor. Il la revoyait, la reverrait-il encore ? Il se liait rarement aux femelles…le museau de Snow fourragea dans l’épaisse fourrure, avec un grognement aimable, inspira. Le tigre riva ses yeux verts, mi-clos, signe de bien-être, dans ceux de Tueuse Amor :

« Content de te revoir. Tu n’as pas changé… »

Les yeux abyssaux de l'animal luisaient, diamants plantés au milieu d'une robe de Nuit, trompée par cette étoile blanche si symbolique! Deux rictus sont communitatifs: le sourire et la grimâce. Ce fut donc tout naturellement qu'un sourire s'étala alors sur le visage du Shikaku, peu après que celui de Black naisse. Oui, il s'était battu contre elle, contre une danseuse de Mort, fine, légère, belle et acerbe, quand il s'agissait de défendre son fils, ce jeune Shiki qui avait du grandir, depuis. Avec quelle force le jeune fils d'Odyssée avait vibré! Il serait un combattant, à n'en pas douter, et puis, ses origones étaient la meilleure des écoles. Il serait accompagné par des combattants, tout au long de sa vie, et il deviendrait sans doute le meilleur de tous. Le jeune Père laissa retomber le silence, respirant calmemant, son poitrail se soulevant avec régularité. Il n'adressait aucun regard à la Solitaire, se contentant de fixer de façon imperturbable le grand animal qui se dressait devant lui. Black Hole savait bien les légendes, les alliances et les affinités, mais la seule chose dont il ne douterait jamais, c'était que seules les cicatrices ne mentaient pas. Il répondit donc, après ces quelques minutes de silence, de sa voix enjôleuse:

"Oui, j'ai d'abord croisé son valeureux héritier, et puis, avec cette grâce assassine, elle est apparue, comme une danseuse de Mort, les yeux flamboyants de cette soif de combat... Un sacré bout de guerrière, oui."

Enfin, il fit glisser son regard sur la solitaire, s'attendant à ce que Black fasse en sorte de satisfaire son ignorance quand aux hiérarchies qui régnaient ici.


Oh si, Tueuse Amor avait changé. Cela ne se voyait pas encore, mais l'instinct le lui disait, elle était sûre de son savoir, sûre de ce qui s'annonçait. La tigresse ne ronronnait plus, elle grondait de plaisir, alors que dévorant Snow de ses yeux clairs. Féline, elle se leva, ses épaisses pattes se posant en silence sur le sol, alors qu'on devinait toute la puissance qui dormait dans sa chair. Malicieuse, elle se frotta avec vigueur contre le flanc du mâle, et glissa:

"Snow... Bientôt, tu seras Père."

Son valeureux héritier...Shiki. Shiki, le fils d'Aglow Star, un héritier à la fois béni et maudit, le fils et petit-fils des plus grands combattants de ces terres, car le compagnon d'alors de Liberty, Sword, avec tous ses défauts, avait été un grand combattant. Un héritier du sang des Thars, les rudes chevaux du Nord, du sang des guerriers, un héritier qui portait en lui la tare ancestrale, la malédiction des Thars. La fameuse malédiction qui frappait Stelmaria comme elle frappait une jument grise de la lignée à chaque siècle, dont Aglow Star subissait certains échos, et dont Shiki connaîtrait peut être également les marques, grandement atténuées par les générations successives...à la prochaine lignée, chez les enfants du jeune cheval gris, la Malédiction ne serait plus visible, mais comme une maladie sournoise, elle dormirait, au plus profond du coeur, au plus profond du sang des Thars, et la dilution de ce sang du Nord par les lignées du Sud ne la découragerait pas. Dans un siècle, le sortilège s'éveillerait et une nouvelle Aube Rouge se lèverait sur Wild Horses en la personne d'une Jument Maudite.
Mais il fallait avoir connu les Thars de près pour connaître leur sort, et Black ne donnerait jamais ces informations confidentielles, preuves précieuses de la confiance que lui accordait Stelmaria, à un autre étalon. Et surtout pas à Black Hole...notant le coup d'oeil de ce dernier à Antéa, Black suivit son regard, sourit à la jeune solitaire et fournit au grand noir les explications réclamées sans un mot:

"Ma foi, nulle hiérarchie ne règne parmi les solitaires...Odyssée n'est reine que de sa propre existence, comme Shiki, à moins qu'il ne choisisse de rejoindre un Clan. En tous cas, il grandira parmi les combattants. C'est en lui. Il suffit de voir comme il est attiré par les sociétés de combattants...j'ai cru comprendre qu'il avait choisi de voyager, un peu, ces derniers mois. Nous le reverrons certainement grandi, pas en état de lutter contre vous ni moi, ni contre sa mère ou son père, mais désormais apte à être entraîné par celui qui aura l'honneur d'être son mentor..."

Les yeux de Black se rivèrent, perçants mais curieux, sur Antéa:

"Vous venez d'arriver? Mais alors, vous êtes arrivée au même temps que les Fidèles, ou peu de temps avant?"

Celle-là, il ne s'y attendait pas! Snow tressaillit, comme piqué par un insecte, et manqua faire un bond de côté, de surprise. Il n'avait jamais, avec Arwen, engendré la moindre progéniture. Mais Arwen était une panthère et Tueuse Amor était de sa race...père? Les yeux de Snow brillaient, ses crocs se découvrirent en un geste de défi, un léger geste. En lui se bousculaient la peur, la surprise et une étrange joie, celle ancestrale de transmettre ses gènes et celle, plus personnelle, que cette belle tueuse porte le fruit de sa semence, l'union de leurs sangs. Il avait reculé d'un pas, sous le choc, et la considéra avec une autre lueur dans les yeux, un léger ronronnement au fond de la gorge. Nul n'aurait su deviner l'information, car elle était svelte et fine comme une tigresse juste adulte...mais une autre sérénité, plus mystérieuse et nouvelle, dansait dans ses prunelles. Il hocha la tête, gravement, et prit sa décision. Ils seraient deux:

"Alors, nous seront Parents."

[Dream? ]

(Yep pardon)

La jument truitée écouta Black très attentivement.
Ces chevaux devaient être de très bons guerriers. Toute cette histoire l'intriguait, même si elle savait que jamais elle ne pourrait en connaître toutes les facettes.
Le regard de Black Hole la fit légèrement frissonner. Son aura n'était pas du tout semblable aux chevaux qu'elle avait rencontré jusqu'à présent. Il parvenait à créer autour de lui une atmosphère morbide, et chaque regard qu'il portait glaçait le sang.
Antéa reporta son attention à Black.

-Non, je ne fait pas partie des Fidèles. Il sont arrivés sur ces terres je pense peu après moi.

I fallait dire que cela ne l'intéressait que peu. Elle avait une autre question bien plus importante pour elle à poser au chef de l'ombre. Et elle comptait avoir sa réponse.

- Je ne voudrais pas paraître trop curieuse, mais que c'est il passé dans le clan du Crépuscule?

Le Clan du Crépuscule ! Black sursauta à moitié, un peu surpris par la question…cette vieille histoire ! Il regarda longuement Antéa avant de répondre, presque froidement, puis résolut de ne lui révéler que la vérité récente, les derniers temps, les dernières années. Le temps de Jun et Moondance spoliés de leur héritage, le temps de Zanzibar et de Zénith qui s’était cru grand, et n’avait jamais ouvert ses ailes. Le temps d’après Hell Demon.
Son fils…Black n’oublierait jamais ce regard là. N’oublierait jamais le long frémissement de tous les muscles de l’alezan, sa chute si maladroite, si lente, ni le jappement aigu et brusquement coupé de Legolas, le loup noir.
Il prit la parole, reprenant en même temps son contrôle sur lui-même :

« Eh bien…après la mort de Hell Demon, ses deux poulains sont nés et on été élevés au sein du Clan du Soleil. Moondance et Jun, les jumeaux…d’eux deux, reste Moondance, qui vit en solitaire, et vit sa vie. Elle n’a jamais encore fait valoir ses droits au rang de chef, elle le pourrait ! Mais entre temps, un étalon avait repris le flambeau, nommé Zénith. Un étalon sorti de nulle part, qui avait supplanté Dancing Flame, l’ambitieux Dancing Flame prévoyant de devenir chef. Et puis, Zénith a cru qu’il serait un grand chef. Et il a disparu, laissant son fils, Zanzibar, tout poulain encore.
Alors, c’est Dancing Flame qui a accédé au pouvoir, et il l’a gardé. Longtemps…il n’a pas si mal géré le Clan, mais de s’allier avec les Shikaku sonna son glas. Désavoué, haï pour ses choix, il a dû battre en retraite dans l’ombre, aujourd’hui, et le Clan était sans chef jusqu’à l’arrivée d’Arpango. En ce moment, il gère le Clan sans cacher qu’il le cèdera au premier présenté…et la guerre fait rage entre les partisans, dont Zanzibar, le fils de Zénith, revenu de son exil. »

Black Hole partit et Black le laissa fuir. Il n’avait pas envie de combat ce soir, pas envie de danser avec le grand tueur, pas envie de peindre du sang et des cris des batailles le calme de cette nuit. Il le laissa repartir vers une vie qui n’avait plus rien d’une évidence, pour l’étalon.
Derrière eux, Snow et Tueuse Amor ronronnaient de concert, et leur sérénité déteignait sur Black, qui reporta son attention sur DreamCatcher, priant pour qu’elle ne le questionne pas sur Hell Demon et en même temps, élaborant une histoire plausible, assez proche de la vérité, et ne révélant pas les points essentiels de l’aventure pour le cas où elle l’interrogerait.
Snow haussa la tête pour laisser Tueuse Amor se blottir, et sentit sa propre gorge vibrer contre son pelage au rythme du ronronnement. Ployant les pattes arrières, il s’assit à demi et la laissa s’appuyer contre lui, refermant comme une cage protectrice son menton sur le front de la tigresse, souriant aux étoiles. Et il posa la question classique de tout futur père un peu perdu :

« Et ils naîtront quand ? Il y en a combien ? Mâle ou femelle ? »

[Dream Catcher?]