You're no good. ( Sun Star )

Rage.
C'était peu être un peu fort ... mais ça s'approchait de ça.

De la colère à l'état pur, brut. Cela faisait longtemps que Stella n'en avait pas ressentie une pareille. Et bon sang, que ça faisait du bien... Elle en avait marre, ras le cul de jouer les saintes nitouche, la godiche blanche de Sun Star, inutile pour deux ronds, gentille, docile, aimante... Marre marre marre.

Alors elle explosait, dans cette forêt. Et dieu que ça faisait du bien... redevenir, l'espace de quelques heures, une pauvre gamine inconséquente, idiote et égoïste... Car, n'avait-elle pas eu le droit ?

Cette forêt était riche en souvenirs, tous plus heureux les uns que les autres, un bonheur qui laissait un goût sucré sur le palais de Stella, une saveur d'un doux-amer désagréable... Ici, ils avaient filé le parfait amour, et vécu en famille des ballades inoubliables.

Lune. Mort, disparu. Une Kiwi éplorée était venue lui apprendre. La petite tigresse avait encore grandi. Elle avait recommencé à ne plus parler, figée dans un mutisme qui lui servait de bouclier, contre la douleur, contre eux, contre elle même. Lune. Son bébé, son idiot... mort. Il ne reviendrais.

Et le second... C'était en partie contre lui que Stella dirigeait sa colère, qui masquait à grand peine une tristesse sans commune limite. Il s'était barré, purement et simplement. Conquérir le monde avec son " vert ", et surement courir la jument. Irresponsable. Inconséquent. Détestable. Egoïste. Et autant d'autres termes beaucoup moins sympathiques qui se bousculaient dans l'esprit de Stella.

Elle donna un coup de pied dans un buisson de fleurs roses. Cette douceur l’écœurait, à présent.

Immonde.

Plus là. Son fils, ses fils avaient tous les deux littéralement disparu de son horizon, et Sun Star avançait d'un pas lourd. Ce jour-là, même le calme de la Forêt, même la beauté et la sérénité du Sentier Infini ne parvenaient pas à apaiser son coeur meurtri. L'étalon doré avait l'impression que c'était hier que les deux poulains étaient nés sous ses yeux. Si différents...Lune, discret voir renfermé, solitaire, avec lequel il avait à peine commencé à renouer les liens à l'âge adulte.

Et Crystal, pétulant, pétillant, tombé entre les griffes de Stelmaria l'espace de quelques mois, Crystal le bavard et son vert insupportable. Crystal, qui était parti voir s'il y avait du vert ailleurs dans le monde. Univers, la grande panthère noire, l'accompagnerait, de toute évidence, et le poulain qui n'en était plus un, car c'était un adulte maintenant, avec la même carrure que Black, avait filé vers d'autres cieux. Et n'en reviendrait pas, il le pressentait comme on sent venir l'orage. Crystal avait simplement disparu, volait de ses propres ailes, vivait sa vie et si Sun Star lui souhaitait tout le bonheur du monde, il se sentait comme trahi par cette défection. Il avait laissé ses parents et sa famille derrière lui, il s'était barré. Il avait fui vers l'avant, pour ne, probablement, plus jamais revenir.

Et Lune. Lune, son fils moins exubérant, moins joyeux aussi, Lune qui avait mis bien du temps à se remettre d'évènements dont, au final, Sun Star n'avait jamais rien su puisque son fils ne lui en avait pas parlé. Non, la dernière fois qu'ils s'étaient vus, Lune s'était attiré quelques ennuis en la personne d'un ours, et l'étalon doré avait fini par décourager la bête avant de soigner son aîné. Lune...Sun Star ferma les yeux et secoua la tête, tentant de ne pas y penser. De ne pas imaginer le corps de son fils brisé au bas d'une falaise. Lune, l'innocent, le doux, Lune si sensible et loin d'être idiot, mais pas toujours bien adapté au monde où il évoluait, Lune mort en trébuchant en haut d'une falaise. Une mort bête et ô combien cruelle, qui laissait un amer goût de regret à Sun Star. Il aurait tant aimé réussir, au moins une fois, à vraiment parler à son fils. Aimé, aussi, réussir à atténuer la profondeur de certaines blessures qu'il semblait porter en lui, déceptions, douleurs. C'était fini désormais. Jamais plus, car Lune était mort.

Il ressentait presque de la rancoeur envers Crystal, presque de la colère, comme une façon de se protéger de la souffrance ou plutôt, réaction à la souffrance. Il agissait simplement comme n'importe quel animal blessé, qui montre les dents plutôt que de s'avouer vulnérable. Et Stella? Leur mère à tous les deux, elle qui les avait portés, allaités, accompagnés...aimés, aussi. Sun Star pressa le pas quand il l'aperçut juste au bout d'une clairière.

« Tu devrais prendre le temps de te calmer ... »

Stella eut une sorte de rictus sardonique à la recommandation de Comète, qui lui emboitait le pas, un air soucieux incrusté sur son adorable bouille de lapin.

Comète, son amie de toujours, ou presque, puisqu'elle l'avait rencontrée aux environs de ses deux ans. Elle était calme, raisonnée, avec un caractère nettement moins flamboyant que celui de sa compagne. Car Stella était un volcan. Comète, mieux que personne, était bien placée pour le savoir Une montagne de feu qui risquait d'exploser violemment à tout moment... Sauf qu'on ne savait pas quand. Dans ces moments là, c'était effrayant, intimidant, magnifique...
La lapine renonça à raisonner sa compagne. Après tout, elle comprenait sa réaction.
Elle le sentait, dans la tête de Stella, des phrases doucereuses, pleine de venin et de mesquinerie à peine dissimulées tourbillonnaient, ondulant sur la surface de ses pensées brouillées par la souffrance et la rancœur.
La belle jument claire continua à marcher, tapant violemment des sabots contre la terre, comme pour se faire mal ou évacuer la colère, torturant les pauvres feuilles roses qui formaient un tapis sur l'humus de la forêt. Elles ne pouvaient pas se défendre, autant en profiter...
Comète soupira et emboita le pas à Stella.

La jument blanche, elle, tentait de fermer la porte de ses pensées et de ses émotions à la lapine trop curieuse à son goût. Elle devait surement les deviner, mais peu importait, vraiment ...
Quand elle avait besoin d'aide, personne n'était là, jamais. Sauf Comète. Personne n'était là... Peut être parce qu'elle ne montrait jamais quand elle allait mal, affichant ostensiblement une bonne humeur aussi feinte qu'hypocrite ? Elle n'avait jamais été un ange, même si elle avait enchaîné le démon qu'elle était étant gamine.
Sun Star avait grandement participé à cela, il avait remis la bête en cage, bridé la peste, le monstre suintant de cynisme qu'elle était à l'époque, la transformant en une espère de guimauve... Mais c'était ce qu'elle voulait, ce qu'elle tentait d'être. L'autre partie d'elle même, plus naturelle, était toujours là, sous la surface, il suffisait de gratter un peu pour la retrouver, furieuse, avide de liberté, en colère contre sa propriétaire qui la reniait, cette stupide jument qui niait en bloc ce qu'elle était...
Mais chassez le naturel, et il revient au galop. Cela avait commencé par Equinox. Ils avaient échangé quelques phrases, et il avait réveillé ce qu'il y avait de flamboyant dans la jolie jument. Ils étaient devenus " amis ", malgré tout ce qui les opposait. Et puis, Equinox était parti, et le monstre avait été remis dans sa cage dorée de bonheur factice.

Au loin, Stella aperçut Sun Star. Elle fit mine de ne pas l'avoir vu et continua son chemin, amère.
Sun Star.
Il était toujours aussi magnifique, bienveillant, "pur"... Oh, il ne ressemblait pas à Liberty, qui affichait son " tout va bien madame la marquise " et qui y croyait vraiment. Non, Sun' était plus réaliste. Il connaissait la colère, la jalousie, la mesquinerie... Sans pour autant en user comme son frère Black. Liberty et Black étaient le ying et le yang, la lumière contre l'ombre, le blanc contre le noir...
Sun Star n'était rien de cela. Il était la neutralité, sutbile, ni blanc ni noir juste ... gris. Partagé, écartelé... Quand cela devenait nécessaire, il savait fort bien manipuler les gens, mais le faisait peu. Il était possessif et tendre à la fois, avait le sang chaud, mais pas trop non plus ... En bref, un être parfait ? C'était peut être le cas.
Stella se demandait toujours comment elle avait réussi à faire sienne cette merveille...
Car elle était tout de suite tombée sous le charme certain de ce dieu parmi les vivants. Enfin, c'était ainsi qu'elle le voyait, à l'époque. Depuis, elle était nettement moins ... entière, elle avait appris à nuancer ses pensées brouillonnes.
Au début, ça avait juste été de l'admiration et une remarque " innocente " ; " il est magnifique ". Ensuite, ils avaient parlé un peu, joués ensemble, et Stella était tombée amoureuse, complètement dingue de lui, ce personnage si important qui accordait son attention et son temps à une gamine comme elle...
Puis ils s'étaient revus, à plusieurs reprises. Sun Star l'avait remarquée, mais Stella avait tout fait pour ...
Elle avait appris entre temps que le superbe palomino n'avait que quelques mois de plus qu'elle. Il faisait bien plus mature, pourtant. Elle se sentait stupide, comme une gamine capricieuse... Qu'elle était. Toujours aujourd'hui alors que les ans avaient passés.
Et puis ils s'étaient fait leur déclaration. Le sang de Stella avait paru bouillir dans ses veines, son coeur avait failli lâcher sous le flot d'émotion et de délicieuse adrénaline ...

Au début, ils passaient beaucoup de temps ensemble, collés l'un à l'autre, heureux d'être l'un avec l'autre, naïfs et émerveillés devant cette splendide chose qu'était l'amour naissant et réciproque. Lune était né, puis Crystal, dans un monde parfait où les papillons sont roses et laissent des paillettes magiques sur leur passage ...

Et puis ils avaient grandi, et Sun Star semblait s'être rappelé qu'il avait un clan à gérer. Il avait repris ses responsabilités en main. Au début, Stella était restée à ses côtés, puis, se sentait plus qu'inutile, en ayant marre de servir de potiche, d'une espèce de ... faire-valoir dans l'ombre de Sun Star, dans le parfait stéréotype de la gentille jument, adorable mais un peu stupide, elle avait arrêté de se présenter à ses côtés, vaguant à ses occupations, dans un océan d'amère solitude.
Elle pensait qu'elle manquerait à son compagnon, qu'il irait la chercher, lui demander ce qui n'allait pas, pourquoi elle s'isolait et ne venait plus avec lui... Il n'en avait rien fait. Ce qui avait déçu Stella. Elle s'était sentie blessée, vexée, et s'était refroidie quant à son amour vis à vis de l'étalon. Et s'il ne l'aimait plus ?

Mais dès qu'ils se voyaient, rarement, faisant durer ces moments rares, sa colère s'évanouissait, disparaissant comme neige au soleil. C'était un peu ça. Ce soleil l'avait fait fondre, elle, le bloc de glace.

Amertume.
C'était ce qu'elle ressentait quand elle était de nouveau seule, délaissée. Elle se demandait si Sun Star l'aimait toujours autant à nouveau, mettait même en doute le fait qu'elle ai jamais compté pour lui ...
Rongée par une jalousie irraisonnée tendant vers la névrose, elle avait serré les dents en silence, soutenue, encore une fois, par Comète.

Lune avait grandi, s'était épanoui, puis était parti, puis revenu, puis reparti, en continuelle vadrouille...
Lui aussi ne faisait pas attention à ce que pouvait ressentir sa mère, se contentant de l'aimer de tout son coeur, sans jamais le lui montrer ou même lui parler.

Crystal Noir, lui, lui parlait, du moins, au début. D'un ton un peu condescendant, suffisant, comme s'il se sentait supérieur à sa 'vieille' mère. Il avait été prompt à remplacer celle ci par Stelmaria, d'ailleurs.
Intérieurement, Stella se réjouissait de son départ, et se donnait des gifles mentales pour avoir de telles pensées, même si on ne contrôle pas son subconscient...
Mais en même temps, elle lui en voulait à mort d'être parti. Paradoxe ...

Sun Star était si près qu'elle ne pouvait faire comme si elle ne l'avait pas vu, à présent. Elle le regarda un instant dans les yeux, soutenant son regard triste avec une lueur de défi, se détestant intérieurement de jouer les garces dans un moment pareil.
Puis elle se détourna, lui tournant sciemment le dos, et partit, espérant de tout son cœur qu'il la rattraperait.

" Prendre le temps de se calmer ... "
Comète avait raison. Encore.

Il y avait quelque chose de sombre, de mauvais dans ces yeux-là, somptueux, les yeux de Stella. Quelque chose qui fit dresser les oreilles à l'étalon, le marquant, un instant, sans qu'il sache réellement pourquoi, mais assez pour qu'il sentît qu'un problème se dissimulait. Stella, il pouvait le deviner, devait avoir été terriblement blessée, plus encore que lui, par la disparition simultanée de leurs enfants, mais c'était comme si une blessure plus ancienne se cachait encore...Il ouvrit la bouche pour l'appeler, pour s'inquiéter pour elle. Il ouvrit la bouche, et elle lui tourna le dos.

Tourna le dos.

Sun Star eut quelques secondes de silence interloqué, ne comprenant pas très bien la réaction de Stella, puis une autre peur se fit jour en lui. Stella, jeune, aussi jeune que lui, avait autrefois accepté de partager la vie et le coeur d'un chef, accepté de le soutenir quand il portait le fardeau du Clan du Soleil. Accepté, et il avait cru que tout cela durerait indéfiniment...s'était-elle lassée? En avait-elle assez? Etais-ce qu'elle, et il frémit, étais-ce qu'elle ne l'aimait plus? Il avait peur de savoir, peur de comprendre, peur de la voir le repousser, et peur aussi de la perdre. Il ne voulait pas, il savait qu'il ne devait pas rester là immobile, qu'il devait la questionner et affronter la vérité, quelle qu'elle soit. Mais la peur le cloua sur place juste le temps que sa dulcinée s'éloigne de plusieurs pas, juste assez pour qu'il ne puisse pas l'appeler et se trouve résolu à la poursuivre.

Il prit le trot, les questions tournoyant dans sa tête, inquiet et nerveux. Allait-il se voir repousser, sa plus grande crainte? Il s'en souvenait encore...Stella, à peine plus jeune que lui, était autrefois une véritable peste, mais leur première rencontre, sur un lac gelé, avait viré à la séance de patinoire. Il avait déjà vu auparavant la jument, encore pouliche, une véritable petite peste, mais, se souvint-il, en la rencontrant à nouveau il avait réalisé qu'elle était devenue une très jolie jeune jument et avait bien mûri. Et puis, aux rencontres avaient succédé les rencontres, et peu à peu ce simple intérêt d'un jeune étalon pour une magnifique jument de son âge s'était mué en affection et en attirance, puis en amour. Jusqu'au jour où il avait enfin osé lui avouer que son coeur battait pour elle, le jour où il lui avait avoué qu'il voulait vivre à ses côtés à jamais. Ce jour où il avait osé lui parler, conscient que son quotidien de chef était lourd et difficile à gérer pour une jument. Conscient que son rôle, son devoir, risquaient de le priver de Stella...mais elle était restée à ses côtés, toujours là, toujours présente. Stella se montrait rarement sur le devant de la scène bien qu'il ne l'en aurait pas empêché si elle l'avait désiré, mais il sentait toujours sa présence, là dans l'ombre, et cela le réconfortait.

Jusqu'à ces derniers temps. Car il avait senti, peu à peu, la jument blanche et chocolat s'éloigner de lui. Les premiers jours, il avait simplement cru que Stella voulait aller voir ailleurs, qu'elle vivait sa vie, se faisait des amis. Mais peu à peu, il la vit de moins en moins et submergé par le Clan et les évènements, ne parvint pas à trouver un moment pour en parler. En son for intérieur, résigné comme il l'était toujours, il se disait qu'il respectait son choix de s'éloigner, mais sa conscience le tenaillait, lui hurlait de la poursuivre, la ramener à lui, cependant qu'il savait bien que s'il la laissait s'éloigner ainsi, il la perdrait. Mais il l'aimait, il la respectait, et se refusait à la pousser à des explications si elle ne le souhaitait, à l'enfermer et la garder auprès de lui si elle souhaitait aller voir ailleurs. Et puis, toujours cette stupide crainte d'être repoussé...il avait été lâche, redoutant d'affronter la vérité, redoutant de connaître la réponse à cette question lancinante: l'aimait-elle encore? Voulait-elle encore de lui, ou s'était-elle lassée du poids de son rôle de chef?

Lui aussi trouvait le fardeau énorme, si lourd, si difficile à porter qu'il envisageait sérieusement de proposer à Renji de s'associer avec lui comme chef, afin de partager le poids du Clan avec cet étalon si dégourdi, tellement plus rusé que lui s'il était également tortueux. Renji en qui il avait, de plus en plus, la même confiance qu'en son défunt ami Balbas ou qu'en Stella, des êtres auxquels il aurait confié sa vie et ses proches, ses secrets et ses peines. Sa décision était presque prise, mais il lui fallait tout d'abord en parler avec Stella, si elle le désirait...si elle voulait toujours de lui. Cette restriction, susurrée par une petite voix au profond de son être, lui fit presser le trot. Il fallait qu'il affronte la réalité, aujourd'hui, qu'il lui parle, qu'il sache!

Il prit soudain le galop, n'y tenant plus, et appela, d'une voix à la fois inquiète et troublée, craignant plus que jamais de la voir continuer sans se retourner, de la voir le rejeter, le repousser dans les ténèbres et la solitude dont, au final, elle l'avait sauvé:

"STELLA! Stella, attends!!"

Accélérant l'allure, il finit par réussir à la rattraper et la doubler, pour se planter devant elle, le regard sérieux et grave. Son puissant poitrail se gonfla une fois, deux fois, trois, tandis qu'il quêtait au plus profond de lui-même le courage de lui parler et de poser ces questions qui l'empoisonnaient. L'étalon finit par prendre une profonde inspiration, celle d'un jeune oiseau qui s'apprête à s'élancer du haut d'une falaise, et riva son regard dans les yeux de sa compagne, son coeur, son passé...et son avenir peut-être:

"Stella, je...j'ai appris pour Lune et Crystal et..."

Sa voix s'altéra quelques secondes tandis qu'il pensait à ses fils, ses deux enfants, disparus, leurs deux fils, puis il se reprit et poursuivit, de moins en moins sûr de lui:

"Je sais que ces derniers temps nous ne sommes pas beaucoup croisés, et si tu ne veux pas me voir je...je respecterai ta décision mais...je veux juste savoir si tu m'en veux, si j'ai commis une erreur, si je..."

Il secoua la tête, s'empêtrant dans son propre discours, étouffé par la crainte de voir ses peurs devenir réalité et par son désarroi. Avait-il, d'une façon ou d'une autre, commis une erreur? Venait-il de perdre la jument qu'il aimait le plus au monde? Il respira profondément et reprit, se ressaisissant, plongeant à nouveau ses yeux dans ceux de sa compagne en priant pour qu'elle infirme ses peurs:

"Je suis bien conscient de n'avoir pas pu te consacrer de temps ces derniers mois...et même avant, je me suis bêtement débattu dans mes responsabilités sans oser les rejeter de temps en temps pour juste être avec toi. Je sais que...que tu as pu croire que je t'avais abandonné. Je sais que j'ai consacré plus de temps au Clan qu'à ma propre famille et j'ai bien vu que tu t'éloignais, mais...je ne voulais pas t'en empêcher si tu le désirais et je...j'avais peur de ta réponse si je te demandais pourquoi. Mais j'aimerais être fixé, maintenant. Stella...veux-tu encore de moi?"

Sa voix s'étrangla dans sa gorge sur les derniers mots, mais il parvint à achever sa question et demeura là, indécis, incertain, effrayé et troublé, craignant plus que tout d'entendre une réponse négative. Il avait besoin d'elle, juste besoin d'elle et de savoir qu'il pourrait toujours compter sur elle, son amour, sa personnalité et sa force. Mais il avait aussi besoin de connaître la vérité...et si elle ne voulait plus de lui ou pire, si elle ne l'aimait plus, il ne lui resterait qu'à courber l'échine, car il la respectait trop pour la contraindre à quoi que ce soit ou même tenter de la supplier. Mais il avait peur. Peur de retomber dans la froide solitude dont elle l'avait sauvé, peur d'avoir, encore une fois, à force d'avancer à tâtons dans le noir, fait mal à ceux qu'il aimait.

Stella daigna enfin lui accorder un semblant d'attention, exterieurement disposée à écouter ce qu'il allait dire, ou plutôt, entendre, puisque, dans sa tête, elle n'était pas - mais alors pas du tout - receptive. Elle était juste à la recherche de répliques plus mesquines les unes que les autres à lui lancer dans la figure, cliché ou non, tant qu'elles atteignaient la cible, et faisaient réaliser au grand étalon du Soleil qu'il était en train de la perdre de par son manque d'attention... Mais il se lança dans une tirade qui eut le don de déstabiliser Stella.

Il la surprenait toujours. C'était grisant... et lassant. Elle en avait marre d'être aussi prévisible, d'être touchée par de simples mots, tournures de phrases, qu'il manipulait si bien, lui, le chef de clan... Mais il parlait avec son coeur. Elle en était certaine. Ou presque.

Il lui disait qu'il avait peur de la perdre elle aussi. En plus de leur deux fils, la chair de leur chair, comme on disait si bien ... C'était cruel. C'était remuer le couteau dans la plaie. Même s'il n'avait pas exactement dit ça, c'était ce que la jument blanche ressortait de son discours d'orateur aguerri.
Arrête de penser ça. Il ne te manipule pas.
Une petite partie d'elle lui soufflait ces quelques mots, tentant courageusement de la raisonner.

La forteresse de glace dressée en urgence autour du coeur de Stella lors de la mort de Lune se fissura légèrement, une pointe de sentiment, une tristesse écrasante, aveugle et sourde, se fraya un passage dedans tant bien que mal. Une pointe qui atterit en plein centre du coeur de l'ex-mère et qui le transperça aussi bien que l'aurait fait un poignard aiguisé ou un croc de léopard. Elle vacilla.
Resta debout, tant bien que mal, tentant de continuer d'afficher cet air qu'elle se donnait comme si ... Comme si elle était forte, comme si elle n'était pas une misérable créature perdue, à la recherche de chaleur et d'affection. Elle était juste pathétique.

Se haissant interieurement, la rage au ventre, entièrement dirigée contre elle même, Stella acheva de clouer son cerceuil en plongeant son regard dans les yeux, profondément doux, comme une spirale de chocolat crémeux, de Sun Star. Elle avait envie d'entrer dans ce lac insondable aux couleurs chaudes, franches et rassurantes, s'y perdre, s'y noyer, ne jamais remonter...
Mais quand on est en bas, que l'on touche le fond, on ne peut faire qu'une chose, après tout. Remonter d'un coup de pied.
C'était bien plus beau, bien plus facile, brave et poétique tant que cela restait dans l'abstrait. Quand le temps de l'application arrivait ... C'était une tout autre affaire.

Une minute était passée. Une longue, éprouvante minute durant laquelle Stella se débatit avec ses sentiments, plutôt que de les repousser. C'était une jolie phrase, qui avait tinté agréablement dans son oreille au milieu du mini-discours de Sun Star. C'était on ne peut plus vrai. Elle ne portait pas tout le malheur du monde sur ses épaules. Ou du moins, elle le partageait avec Sun Star. Ou plutôt, il le partageait avec elle, tentant courageusement de lui ôter un peu de ce poids ... Il était noble. Courageux. A elle. Et elle ... elle le rejetait. Elle aurait du avoir honte... mais elle n'arrivait qu'à être égale, blasée, légèrement mortifiée peut être.

« Je ne sais pas. »

Quatre mots. Onze lettres. Onze misérables lettres contre une tirade comme la sienne.
Stella se sentit encore plus mal, encore plus minable, si c'était possible. Elle se recroquevilla, comme si elle voulait disparaître sous terre, ce qui, pour le coup, n'était pas une si mauvaise idée que ça ...
Ce n'est qu'à cet instant que le sens de ces mots l'atteignit, qu'elle réalisa pleinement l'énormité qu'elle venait de lui sortir. Qu'elle ne savait pas. Elle avait voulu dire oui, tout son coeur, tout son être le clamait ... Alors pourquoi avait-elle articulé quatre mots à la place d'un ? Un qui, bien sur, aurait été plus seul encore, plus minable, si c'était seulement possible, mais dont la médiocrité aurait été effacée par son sens, par ce qu'il représentait pour elle, pour lui, pour eux deux. Ce " eux " qui existait encore, et qu'elle venait peut être de tuer. Surement même.

Stella baissa la tête, laissant son opulente crinière d'ivoire recouvrir ses yeux noisette embués de larmes.

L’écoutait-elle ? Jamais Sun Star n’avait vu sa compagne si distante, et c’était bien ce qui l’inquiétait. Depuis des années, elle avait été là, à ses côtés, malgré le fardeau qu’il lui faisait porter malgré lui. Jamais elle ne l’avait repoussé, accusé, comme avait pu le faire Magie Noire, se retournant contre Black. Sun Star s’en souvenait bien…ce couple, pourtant bien assorti, mais trop entier, trop vif pour fonctionner, ce couple dans lequel s’était englué son frère des années durant avant de se voir rejeté avec violence. En ce temps là, quand on lui parlait des éternelles disputes agitant le duo, Sun Star songeait avec un brin de satisfaction que, lui, il avait trouvé la perle rare, celle qui l’aimait et le lui avait prouvé, sans jamais trop exiger de lui. Elle qui était restée sa bulle d’oxygène et l’avait doucement sauvé de l’asphyxie des ruses, des trahisons et des félonies, l’empêchant de s’effondrer, écrasé sous le poids de dizaines de destins. Il s’en souvenait…il avait été une époque où lui et Stella formaient le couple idéal. Et désormais, il craignait de voir cet amour se fissurer.

Car il l’aimait encore, nul doute à avoir. Oui, il était bel et bien fou d’elle, comme au premier jour ou peut-être un peu différemment, car la complicité et la connaissance de l’autre, si elles fluctuaient, apportaient une nouvelle profondeur à leur amour. Leur lien s’était distendu ces derniers temps, mais Sun Star espérait qu’il saurait tisser à nouveau ce cocon qui les avait rassemblés si longtemps. La disparition de leurs fils avaient empoisonné cette relation autrefois lumineuse ; oui, Stella était la mère de ses enfants, mais désormais ce statut serait toujours empoisonné du terrible souvenir de ces deux enfants disparus, de ses deux enfants disparus. Leurs deux enfants. Mais leur amour ne devait pas, ne pouvait pas mourir avec Lune et son frère, ce n’était pas possible ! Si, c’est possible…une petite voix amère rappelait à Sun Star que Black et Magie Noire s’étaient séparés à jamais après la mort d’Hell Demon. Une petite voix amère lui glissait qu’il s’était trop éloigné d’elle et qu’il ne reconstruirait pas cette relation…

Même s’il lui avait fallu repartir de zéro, la courtiser comme au premier jour, gauche et emprunté, timide car sincère, il l’aurait fait. S’il avait fallu à nouveau la séduire et obtenir d’elle un regard, un rire, un sourire, une caresse, il l’aurait fait, et plutôt deux fois qu’une. Tout plutôt que de la perdre, car il se sentait aveugle sans ses yeux, il se sentait nu et vulnérable sans sa présence et la certitude de son éternelle présence. Ses yeux rivés dans les siens, elle ne disait rien et le cœur de l’étalon accéléra, non d’excitation, mais bien de peur. Il aurait tout supporté d’elle, hormis qu’elle sonne aujourd’hui le glas de leur relation. Il aurait tout accepté d’elle, toutes les rancoeurs, tous les reproches et les humiliations, sauf la fin de leur amour…

Elle ne savait pas. Et lui perdit pied d’un coup. Elle ne savait pas, mais il ne savait pas plus qu’elle, ne savait plus où il en était et comment faire. Elle ne savait pas si elle voulait encore de lui…n’étais-ce pas là une tendre façon de lui répondre qu’elle ne voulait plus de lui ? Une dernière faveur, pour adoucir la pilule…Sun Star, blessé, coucha les oreilles et recula d’un pas, éperdu. Jamais il n’avait eu à fourni r un tel effort pour comprendre quelque chose…ses yeux noisette se fermèrent une seconde, puis il arqua le col et baissa la tête. Son long toupet ivoire strié d’argent retomba sur un front large et soyeux, masquant ses iris bruns sous les paupières aux longs cils baissés. Masquant, surtout, les larmes qui perlaient. Mais quand il parla, comment aurait-il pu dissimuler cette boule nouant sa gorge, rendant sa voix si mal assurée ? Lui l’orateur, lui formé pour parler et séduire, ne savait même plus parler. Il parvint à peine à articuler quelques mots :

« Je…d’accord. »

Il recula d’un pas, releva la tête sans chercher à cacher ses larmes. Comment, de toute manière, aurait-il pu cacher quoi que ce soit avec celle à qui il avait confié sa vie et son avenir ? Comment aurait-il pu dissimuler le tremblement de sa voix et la peine soudaine qui lui broyait le cœur, l’incertitude décuplée, le chagrin venant s’ajouter à celui de la mort de ses fils ? Il la respectait trop pour l’implorer ou la supplier, pour ne pas accepter sa réponse. Il recula encore, souffla, pitoyable :

« Stella…quand tu sauras…je t’en prie, dis-le moi, quelle que soit la réponse. »

Puis se détourna lentement, à regret, après plusieurs pas en arrière. Qu‘il était difficile de s’écarter d’elle en craignant de le faire pour la dernière fois ! Sun Star courba l’échine, et ce ne fut pas un chef ni même un amant bafoué qui repartit d’un pas lent. Père éploré, mais surtout, abandonné. Il s’éloigna, lentement, doucement, en espérant de tout cœur l’entendre le poursuivre, le rappeler.
Ne me laisse pas partir, ne me laisse pas trancher les derniers liens, je t’en prie, toi seule peux faire ce pas en avant !

Stella aurait voulu lui hurler qu'elle n'avait pas voulu dire ça, lui hurler que, oui, elle voulait de lui, et plus encore, maintenant qu'elle était certaine, que ses doutes, certitudes stupides qu'elle ne l'interessait plus, s'étaient envolés, evaporés comme de la neige sous un soleil trop ardent, trop brulant.
Comme lui.

Son coeur se serra encore un peu plus quand elle s'éloigna, à l'extrême limite de devenir une pauvre essoreuse, ou une éponge criblée de trous sanguinolents et béants... C'était effrayant. Il... Il s'en allait. Il l'abandonnait.
Pour de bon. Il allait la remplacer. L'oublier là. Elle attendrait, une chose qui ne viendrait jamais, le retour de la joie et du soleil dans son pauvre petit coeur transpercé, dans cette forêt, désormais tombeau de leur amour passé, leur idylle aussi merveilleuse qu'illusoire. Car c'était évident, elle allait rester là, sans trouver la force de continuer sans lui, pauvre poupée de tissu chiffoné, pantin sans vie, oublié dans un coin et condamné à voir le monde filer sous ses yeux, la vie suivre son cours, sans lui, sans pouvoir fermer les yeux, sans pouvoir renoncer, juste un objet inutile et inanimé qui finirait à être absorbé par le sol humide de cette forêt, puis recouvert par les pétales roses aussi doux que du satin moiré, dissimulant ses os blanchis par le temps et la pluie aux yeux des générations futures qui viendraient roucouler dans cette forêt stupidement candide, se dire des mots doux dans le crépuscule et sous l'astre de la nuit, une pleine lune magnifique innondant les crins nacrés et fins des jeunes aux souffles mêlés, entremêlés, enlacés et entrelacés.
Elle ferma les yeux.
Attitude purement stéréotypée, tellement stupide, comme elle, pour refluer la douleur. Elle n'avait rien compris. Aucun des deux n'avait rien compris à l'autre, mais chacun était persuadé d'être abandonné. C'était tellement pathétique que ç'aurait pu en devenir drôle ... Mais ça ne l'était pas, bien sur, loin de là.

Il lui semblait que le monde s'inversait, le haut devenait bas, la voute céleste comme celle des arbres à la robe d'un rose aussi pimpant qu'insolent remplacerait la terre bienfaisante et rassurante, puissante, siège de multiples vies ignorant le bouillon dans le cerveau de la jument.
Elle sentait trembler la terre sous ses sabots argentés, elle ne tenait plus sur ses fines jambes nerveuses, allait tomber...
Mais non. Elle ne devait pas. Sun Star n'était plus qu'un point doré dans un horizon de guimauve rosâtre, écoeurante de niaiserie vomitive.

Stella ne savait pas quoi faire.
Comète trancha à sa place, et lui mordit le tendon au dessus du boulet de sa patte arrière, faisant violement sursauter sa compagne sous le coup de la douleur aigue. Elle avait compris le message. Elle hocha la tête dans le vide, plissa les yeux pour chasser les larmes, et partit au galop, sans même passer par le pas.
Elle devait se dépécher, vite, avant qu'il ne soit trop tard pour de bon.

Elle bondit devant Sun Star, lui coupant la route, les yeux brillants, en partie à cause des larmes, et en partie animés par une flamme vorace, presque effrayante, qui les faisait bruler de l'interieur, nimbant les iris colorés.
Elle ne savait pas quoi dire.
S'excuser ? Certainement pas. Pas tout de suite. Peut être avec le temps ... Et encore.
Le sang battait dans sa tête, la faisait presque pulser, en silence, pendant qu'elle cherchait quoi dire. Ce furent deux mots des plus banals qui franchirent ces lèvres, un ordre, impérieux et pressant, trahissant une nécessité pressante, vitale.

« Reste là. »

Il n’entendait pas ses pas derrière lui. Il ne l’entendait pas le poursuivre…allons. Il secoua la tête. Elle le lui avait dit, elle ne savait pas si elle voulait encore de lui, elle ne savait pas si elle partagerait encore sa vie. Pourquoi s’attendait-il à ce qu’elle le poursuive, idiot et naïf qu’il était ? Elle n’avait aucune raison de le faire et c’était lui, lui si crédule, lui si égoïste, le fautif. Il fit plusieurs pas, et à chaque mouvement s’estompait derrière lui la présence de Stella, comme si elle s’effaçait de son univers. Non ! Il aurait soulevé les montagnes, traversé les océans, tout, tout pour qu’elle ne s’efface pas et c’était lui qui s’éloignait. Lui qui la laissait. Lui qui reculait, blessé, heurté, perdu…il aurait voulu se retourner, relever la tête et un instant l’envie l’en tarauda. La voir, la regarder et se repaître de sa beauté, et venir se blottir contre elle, sentir son odeur et la sentir accepter son contact, et lui souffler que ce n’était rien, un mauvais rêve. Jamais il n’avait senti plus réel que les feuilles sous ses pieds, ce paysage rose, rose, affreux, lui autrefois si romantique, ce paysage qu’il avait aimé et qu’il exécrait. Il avait changé. Elle avait changé, ils avaient changé et Sun Star avait l’impression que le monde tel qu’il le connaissait s’effondrait tout autour de lui. La lune chutait dans la mer et y rejoignait le soleil, les montagnes auraient bien pu danser la gigue, les arbres se mettre à chanter, la forêt rose devenir verte, quel intérêt ? Le soleil déclinait, bien le crépuscule nimberait Wild Horses d’un voile de sang, mais à quoi bon si elle n’était pas là pour s‘en émerveiller à ses côtés ?

Ne l’abandonne pas ! Ne l’abandonne pas, suppliait son cœur, laisse tomber tout ça, disait sa fierté. Son esprit se démenait contre lui-même, mais c’était son amour qui le menait à s’écarter d’elle, c’était son respect pour elle, et rien, absolument rien, pas même lui, n’était plus fort que son attachement à Stella. Comment aurait-il pu lutter contre cela ? C’était comme affronter une vague, un courant de fond…mais la lame de fond, aujourd’hui, l’emportait loin de Stella et s’il l’aimait trop pour la contraindre, son cœur à vif, déchiré, saignait comme jamais. Que lui restait-il ? Lune, mort, et il serra les dents, incapable d’imaginer son corps brisé sur des rochers. Lune, si doux, son fils, Lune ! La mort était injuste, et il avait envie de renverser la tête en arrière, hurler aux étoiles un immense pourquoi ?, les heurter, les bousculer, elles, les gardiennes scintillantes de la nuit, qui n’avaient pas vu éviter à son fils le gouffre. Et Crystal, enfui, et Stella qui ne savait plus si elle voulait encore de lui…et lui qui ne savait plus où il était, qui il était. Elle lui était nécessaire comme l’oxygène l’est à tout un chacun, loin d’elle il s’étoufferait, s’évanouirait et ne serait plus que néant, une loque traînée sur cette terre par son seul instinct de survie, le raccrochant à une vie solitaire. Il tiendrait, pour son Clan, il resterait là. Mais c’était elle qui tenait son cœur et l’emporterait loin de lui.

Un galop derrière lui. Il ne se retourna pas. Elle était déjà loin, il ne l’avait pas vue bouger, c’était sûrement un autre cheval qui galopait, heureux, lui, heureux de vivre et de s’agiter…cours mon grand, plus dure sera la chute. L’étalon doré ferma les paupières, étroitement, une seconde, pour y noyer ses larmes, et ainsi, ne vit qu’une flèche grisée passer près de lui. Il redressa la tête. Elle était là, et il crut que son cœur allait exploser. Il faillit se jeter à son cou en criant sa joie, lui dire le bien qu’elle lui faisait en ne le laissant pas fuir, le bien qu’elle lui faisait en le retenant. Il aurait voulu lui dire que même si elle avait besoin de temps, ce n’était pas grave. Du temps…ils en auraient. Il ferait en sorte qu’ils en aient ! Elle était là, peut-être ne savait-elle toujours pas…mais s’il le fallait il demeurerait à l’écart. Elle ne le repoussait pas. Elle le retenait, et son cœur se gonflait de joie. Il y avait encore trop de non-dits entre eux, il leur faudrait parler et peut-être, se disputer, pour remettre les choses au clair.
Mais elle était là.
Tout restait à bâtir.
Il aurait pu lui faire l’affront de refuser. Sa stupide fierté de mâle aurait pu l’y pousser…mais il avait eu si mal, il sentait que cette chance était inouïe et qu’on ne laisse pas sa fierté gâcher une telle bénédiction. Alors il planta ses yeux dans les siens, sans la toucher encore. Trop tôt. Il ne sourit pas, mais ses yeux parlaient pour mille. Et il finit, enfin, par trouver quoi répondre, l’orateur à court de mots :

« Toujours. »

Sans ton ni ironie, un brin de tendresse et une certitude, c’était énoncé comme un fait. Comme une évidence. Il serait toujours là, près d’elle, quand elle le lui demanderait, et il s’engageait solennellement.

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