RP - Sujet principal : Les Frondaisons

La forêt, la douce forêt.
Les ombres jouaient dans les multiples pénombres des ramures, dansant sur la robe mordorée de Sun Star dont le dos ondulait paisiblement au rythme de ses pas. L'étalon doré allait, pas après pas, certes conscient de la présence du frère autant haï que regretté dans son dos, mais confiant et malgré tout, envers et contre tous heureux de ce voyage impromptu. A ses côtés, son vieux Renji qui lui avait paru si fringant au jour du départ, et en lequel il avait toute confiance pour assurer ses arrières ou lui ouvrir la route. Car qui, mieux que ce compagnon de tous les instants dont l'affection lui rappelait celle qu'il avait porté, autrefois, au défunt Balbas, saurait écarter de lui et d'eux deux tous les dangers de la route, tantôt brise-glace, tantôt lumière dans l'obscurité de leur futur incertain ?
Un oiseau fredonnait une entêtante ritournelle étrangement familière aux oreilles du vieil étalon, qui ferma un instant les yeux pour le plaisir de la musique, son pas balançant au rythme du chant et son long panache argenté ondulant sur le tempo de ses pas élastiques. Lui qui s'était parfois senti vieux, lourd et fatigué reprenait vie. Il lui semblait que son corps était éveillé par ces longues marches, ces nuits à la belle étoile en des lieux inconnus où le seul environnement familier était le flanc de Renji sommeillant tête-bêche contre lui. Emoustillé par tant de nouveautés, son esprit tournoyait entre les branches et les feuilles mortes avec l'exubérance des jeunes poulains et il lui semblait qu'il pourrait soudain tendre son dos comme une corde d'arc et détendre ses jarrets avec la force d'un incompressible ressort, pour une cabriole de jeune mâle arrogant. A chaque pas, ses pieds se faisaient plus légers, son port plus altier, son panache plus flamboyant.
Il revivait.
Il comprenait, maintenant, pourquoi certains comme Equinox ou Aglow Star avaient eu la folie du voyage et des aventures. Quoi de plus excitant qu'une longue route en compagnie d'un être cher avec lequel échanger des regards émerveillés devant les mêmes merveilles ? Quoi de plus stimulant que l'air, nouveau chaque matin, et que les mille levers de soleil sur les mille paysages de demain ? Quoi de plus rassurant que le pas dont on connaît jusqu'au rythme de celui qui marche à nos côtés depuis si longtemps que, si ce n'était pas l'amitié, ce serait l'amour ?
Une longue route avec un ami de longue date.

"Regarde comme cette fougère est immense, Renji !"

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Que voyait-il vraiment ?
La pénombre l'enveloppait et c'était tant mieux, car l'ombre était son domaine, son royaume et son Clan, noyant sa robe d'encre sous un voile plus sombre encore et masquant ses yeux déjà dissimulés derrière son long toupet soyeux. Sculptural dans la semi-obscurité qui arrondissait ses muscles et allongeait ses membres, le roi noir allait de son allure longue et souple, celle des combattants harassés. Ses prunelles, attentives par réflexe, éveillées par une vie de guerrier, brillaient d'une lueur bien terne que la nuit affadissait encore tandis qu'il portait haut sa tête par réflexe et humait les mille senteurs de la forêt en n'y cherchant qu'un parfum.
Les feuilles mortes, sous ses pas, étaient rouges d'automne et c'était un tout autre rouge que le prince des ténèbres quêtait éperdument dans ce tableau sylvestre. Les mille nuances de carmin lui évoquaient mille silhouettes, se faufilant entre les troncs d'arbre avec le sourire mutin de celles qui savent qu'elles seront toujours suivies, enviées, craintes et jalousées, mais qu'il en restera deux pour se jeter à sa suite avec le coeur en liesse, l'un d'amour et l'autre d'amitié. Deux ombres noires, deux ombres tombées des frondaisons droit sur le coeur rouge de la forêt. Deux odeurs mêlées à l'humus de la Forêt d'Adam, toujours et à jamais, deux rires dont les trilles le poursuivraient jusqu'aux confins du monde.
Dans la rougeur de l'automne, Black cherchait la Rouge. Dans les ombres des hautes branches, la robe de son amant noir. Son âme soeur et son frère de coeur, partis, envolés, volés par un étalon au corps rouge et au coeur noir - à moins que ce ne soit l'inverse ? - et qui désormais voguaient sous d'autres cieux, sur le seul océan qu'il ne saurait traverser pour les rejoindre avant que son temps ne vienne. Silencieux dans la peine comme dans l'amour, la tête lourde et le pas toujours altier, Black allait en portant son chagrin comme un fardeau.
Il aurait rêvé de s'en débarrasser, de l'accrocher aux branches et de partir dans un galop fou de poulain joyeux, mais la mort a ceci de particulier qu'elle s'accroche comme une sangsue et que, jour après jour, du matin au soir et de la nuit au matin, sous le soleil et quand il se voile de pluie, le petit démon grimpe à votre crinière, s'approche de votre oreille et, sensuellement cruel, chuchote un délicat : "Plus jamais !".
Plus jamais ces galops, plus jamais ces longues courses. Plus jamais ces combats dont ils sortaient aussi brisés qu'heureux et aussi haletants que sanglants, plus jamais ces regards échangés et ces défis sans mots, ces longues soirées d'hiver et ces luttes de concert. Plus jamais le regard fou de la Maudite sous l'oeil apaisant de son frère de coeur. Plus jamais.
Jamais plus.
Sous ses pas, l'ombre refluait et les feuilles rougeoyantes s'enfuyaient au galop de la mort.

L'étalon noir vivait une seconde jeunesse. Son corps sombre se réveillait tout doucement. Lui que l'hiver avait abîmé, et que l'arthrose avait affaibli, lui qui avait un moment envisager de ne plus avancer car sa grande carcasse toute entière vieillissait... Il se sentait de nouveau bien dans sa peau. L'été, déjà, lui avait été profitable. Il avait pu reprendre doucement de l'état, ses articulations ne l'avaient plus fait souffrir et il avait recommencé à arpenter ses terres, fantôme noir et discret, prince d'un autre temps à l'allure toujours noble, bien que son encolure soit moins épaisse qu'avant, son pas moins frappant et aérien. Il avait continué d'imposer le respect. Et ce voyage lui donnait une deuxième jeunesse.

L'étalon avait repris un bon rythme lorsqu'il marchait. Il n'était plus un fardeau pour le groupe, bien au contraire. Malgré les années qui s'égrenaient derrière lui, il marchait, franc et vif, n'hésitant pas à prendre la tête du groupe où à se joindre à un groupe d'éclaireurs lorsque la nécessité s'en faisait sentir. Généralement, pourtant, il restait aux côtés de Sun Star, qui était d'avantage son ami que son supérieur. Après tout, ils avaient été égaux, à une époque, et leur relation, depuis, n'avait pas vraiment changé. C'est un regard bien veillant que le frison tourna vers l'étalon doré, par dessus son long toupet soyeux qui lui retombait jusqu'au milieu du chanfrein.

Sun Star avait l'air encore plus vif et plus alerte que lui. En même temps, il en avait toujours été ainsi. Le meneur du Soleil avait toujours été plus vivant que son ancien lieutenant, pour toutes choses. Mais le caractère plus calme de Renji ne l'avait jamais empêché de passer à l'action. Et, dans ces moments-là, le frison rattrapait sa vivacité en puissance brute. Il avait toujours eu une force extraordinaire mais tranquille, qui ne lui servait qu'à bon escient. Et, désormais, elle lui servait à protéger les pas de ceux qui voyaient avec lui, dans cette forêt, sous ce couvert d'arbre qui n'avait, pour le Soleil Noir, rien de naturel. La voix du doré retentit à côté de lui et il leva la tête, observant ce qu'on lui montrait. Un rire rauque s'échappa de ses lèvres sombres.

« Je crois que cette forêt toute entière est dans la démesure. » Il marqua une pause, baladant son regard voilà de crins tout autour de lui. « J'avais rarement vu un automne aussi rouge, dans notre forêt. Jamais, même, je crois. » Il ne mentait pas. Autour d'eux, les feuilles prenaient une teinte plus sanglante qu'il n'en avait jamais vue dans les terres qu'il avait quitté. Bien sûr, il y avait les couleurs qu'il connaissait bien ; l'or et la rouille de l'automne voisinait l'étrange couleur sanglante qui ne lui était pas familière, sur les arbres. Le croisé frison souffla en secouant la tête, faisant voler sa longue et épaisse crinière d'ébène sur son encolure et sa tête.

Aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années.

Et pourtant, celle de Renji n'avait pas brillé de suite. Il lui avait fallu le Soleil, le lumineux Clan du Sud pour que se révèle soudain l'incroyable potentiel de cet étalon taciturne, d'apparence ombrageuse et qui cachait sous des dehors paisibles une force tranquille incroyable et un coeur plus puissant encore que ses muscles. Renji, le premier à avoir, réellement, tendu la main à Black Hole. L'étalon devenu le frère de coeur du Shikaku à une époque où tous le considéraient encore avec une réelle méfiance, une défiance qui n'avait pas disparu de tous les regards même si elle s'était enfuie de celui de Sun Star. Passée la petite pointe de jalousie, l'époque ridicule - était-ce la solitude, le printemps ? - où il s'était pris pour un vert galant et s'était cru jeune étalon en fleur, le chef du Soleil s'était remis à apprécier Black Hole et lui confiait, en son for intérieur, sans un mot plus haut que l'autre, le soin de la belle Lusitania.
Oui, songeait l'étalon d'or en cheminant aux côtés d'un Renji autant, sinon plus rajeuni que lui, cet étalon avait le potentiel des Grands. Il méritait son amitié et son admiration et, sans réserve, le chef du Soleil lui offrirait les deux.

Plus timide que son collège de velours noir vêtu, Sun Star se faisait moins remarquer et, s'il marchait volontiers dans les pas des autres, assurant les arrières pour le compte du groupe entier, indifférent à la présence solitaire de son frère qui cheminait toujours à l'écart et savait assurer ses propres routes, il n'osait guère se mêler aux éclaireurs pour l'heure.
Il savait se battre, mais il n'était pas un combattant et ne l'avait jamais été. D'autres seraient meilleures que lui dans cette course à deux, d'autres sauraient prendre le large et du champ pour déceler les dangers, les beautés et les merveilles qu'il savourait à son tour quand l'envie lui en prenait...mais Sun Star n'était pas une âme aventureuse.
Il cheminait en second, avec prudence et réserve.

Il hocha la tête à la remarque de Renji :


"Tout est plus intense, ici. J'ai même l'impression que si tous les chevaux étaient là, tous ceux qui sont restés, les amitiés et les haines seraient plus fortes, les amours plus flamboyantes...même moi, même moi qui ai toujours gouverné avec une certaine réserve et peut-être un trop grand attachement aux traditions, je me sens soudain l'envie de tout bousculer, tout renverser et avancer tout droit en voyant bien où j'arriverai, sans m'en inquiéter.
J'aurais peut-être dû faire cela. Peut-être ai-je été, à ma façon, un chef trop traditionnel ?"

Une rumeur court parmi les branches, un murmure qui fredonne, tournoie et tourneboule tout un chacun dans sa danse allègre. C'est comme un souffle, une brise entre les feuilles, le lointain écho d'un chuchotis d'antan associé à une bouffée d'un quelque chose inconnu qui fait dresser les crins sur la tête. On sent et on pressent, avec son instinct de bête sauvage, comme un danger. Un danger ? Non, on est sans peur mais ce qui vient, ce qu'on entend, ce qu'on perçoit c'est l'approche d'une puissance, d'une force inconnue dans laquelle on imagine le danger potentiel, si jamais elle était hostile.
Si jamais...
Un souffle dans les ramures, un bruit de pas, de sabots, étrangement proche et feutré mais pourtant lointain, comme voilé, qui approche, approche et soudain tourne autour de la petite troupe sans que jamais son propriétaire ne soit visible, sans que nulle odeur ne vienne flatter les naseaux et qu'aucun autre son que celui de cette chevauchée fantastique ne chatouille les oreilles. Et puis trotte, et puis galope, et seule l'oreille est alerte, ni vue ni odeur, juste le son et cette présence, et puis s'en va au grand galop, loin, et droit devant. Droit vers l'Est.
Le suivra-t-on ?

Jasmina avançait doucement sous les arbres. Peu lui importait que les lieux étaient étranges, qu'une chose inconnue s'éloigne droit vers l'Est. Les yeux dans le vague, elle repensait aux paroles de Wild Light, à la manière dont la panthère noire les avait repoussées, leur disant qu'il était hors de question qu'elles restent ici. Et tout ce que Jasmina et Ondée avaient essayé pour la faire changer d'avis, elle s'était refusée à partir avec ses amies. Et elle les avait suivies jusqu'au moment du départ pour être sûre qu'elles lui obéissent, partent loin de cette terre qui allait sans doute sombrer dans la maladie. La jument dorée secoua la tête, agacée. Depuis le départ, elle avait cheminé dans un silence total, se morfondant dans ses pensées. Même Ondée avait renoncé à la faire sortir de ce mutisme. L'once avait choisi de s'éloigner du chemin pour découvrir plus de choses, pour voir si il n'y avait pas quelque importante découverte à faire. Cela ne gênait pas outre mesure Jasmina qui était habituée au silence et à la solitude. Pourtant, elle espérait que son amie revienne, elle voulait s'excuser pour son comportement.

  Ondée trottait entre les arbres. Ses yeux azur fouillaient l'espace dans l'espoir de trouver quelque chose, n'importe quoi tant que cela dériderait Jasmina. Elle savait bien pourquoi son amie se morfondait en silence, elle-même avait ruminé ses pensées quelques heures avant de décider de tirer un trait sur son passé. Si jamais elle revenait un jour, elle aurait tout le temps pour parler à la panthère. Sinon, elle devrait accepter le passé et aller de l'avant, se construire une nouvelle vie dans un nouveau lieu.
 Ondée pivota sur ses pattes et partit en courant vers son amie. Cette présence l’intriguait mais elle ne pouvait se jeter à sa suite sans Jasmina.

Les oreilles de Sun Star basculèrent vers l'avant :

"Tu as vu ça, Ren' ?"

Si quiconque avait pu prêter la moindre attention à l'étalon noir et taciturne qui suivait la file, à l'écart, il aurait pu constater que ce dernier ne suivait plus rien et que sa trajectoire, pas après pas, divergeait de celle du groupe. Black, sans rien dire à personne, loup solitaire comme à son habitude, faisait cavalier seul en direction de l'Est et de cette étrange présence qu'il avait perçue. A petits pas dansants, son dos tendu ondulant et rebondissant comme un ressort tant il se montrait vigilant, l'étalon noir allait l'encolure arquée et tendue, la tête en avant et les oreilles pointées. Il se montrait curieux sans témérité, ne sachant que trop bien que le danger se cache souvent derrière le buisson le plus inoffensif...
Mais cette excursion, ce petit mystère dans une voyage certes beau mais parfois morne, lui rappelaient sa prime jeunesse et les longues galopades dans les longues plaines inconnues qu'il avait parcourues des mois durant, quand il fuyait les siens.
Black ne se retourna pas, ne regarda pas s'il était suivi.
Dans la semi-pénombre, sa robe miroitait.

[si quelqu'un veut aller explorer avec lui, on va ouvrir un nouveau sujet]

Jasmina prit un petit trot, elle se sentait coupable envers son amie. Ce n'était pas elle qui avait choisi de rester sur les terres connues mais Wild Light. Et comme à son ordinaire, la panthère noire était restée inflexible face à leurs arguments même au moment du départ. Un léger bruit lui fit relever la tête: Ondée arrivait. Elle semblait bouleversée par ce qu'elle avait vu ou entendu. La jument secoua sa crinière, inquiète. L'once n'était pas du genre à s'alarmer pour peu de choses. Jasmina se raidit, prête à entendre le pire. Et dire que cette journée lui semblait déjà horrible!

 Ondée pila devant la jument palomino et sans reprendre son souffle lança:
"-Il y a quelque chose là-bas... quelque chose que je ne n'ai jamais vu. Je...je ne sais même pas si c'est hostile ou non.
-Allons voir alors."
Jasmina suivit son amie à travers les arbres. Elle se rappelait de son passé; de ce temps où elle voyageait seule sur de grandes distances. Elle avait beau aimé la vie dans un clan, bien qu'elle ne s'y soit jamais réellement impliquée, la soif des grands espaces la rongeait toujours. Après tout, elle avait passé beaucoup de temps à voyager et elle avait toujours aimé découvrir de nouveaux territoires. Et puis, qui sait? Peut-être croiserait-elle sa mère ou une ancienne connaissance dans ce voyage...
La jument secoua la tête, ce n'était pas le moment de ressasser le passé. Elle se concentra sur le chemin que prenait son amie, laissant le reste de la troupe derrière elle.