C'est notre Sang. | REUNION SHIKAKU !

L'étalon noir à l'étoile blanche avait joué avec sa voix, lui donnant une conviction qui ne brûlait pourtant pas dans son cœur. Tout semblait avoir perdu de sa saveur, et même la nuit obscure et froide ne parvenait à apaiser son âme. Rien ne suscitait encore en lui de l'intérêt, rien sinon les siens restés debout. Et parmi eux, parmi ces quelques dont les corps étaient meurtris de la récente bataille, s'en trouvait un qui occupait le reste de tendresse et d'amour qu'il pouvait encore éprouver. Dire que ses enfants étaient morts aurait été une grave erreur. Là, dans l'ombre insidieuse, se dressait ce fils, ce jeune diable qui avait déjà tant souffert. Vif-Argent n'était à quelques pas, et si Hole ne le voyait pas encore, il le sentait dans son corps et son cœur. Il aurait aimé s'enfuir, descendre de ces roches coupantes, embrasser cet enfant solitaire, et l'amener avec lui. Black Hole voulait être ce père qu'il n'avait jamais pu être pour lui auparavant. L'étalon au sang trop pur ne l'avait plus vu depuis cette folle galopade qui les avait menés à se briser les uns contre les autres. Les marques qu'il portait sur son corps -puisqu'assurément il en portait- laisseraient-elles des cicatrices ? Le Shikaku aurait tant aimé le serrer contre lui, lui donner cet amour, cette tendresse, lui donner toutes ces choses auxquelles son sang n'avait pas goûté. Mais plus que cela, Hole avait juste envie d'être là, de devenir son ombre, de lui dire sans parler qu'il savait, et qu'il comprenait combien son cœur devait le brûler, lui qui s'était lié à Bliss dans le fracas des vagues et des sabots sur le roc. Mais en avait-il seulement le droit, alors qu'il se tenait là, devant ces inconnus qu'il voyait pour certains pour la toute première fois ? Le puissant guerrier n'avait jamais eu peur tout comme il n'avait jamais renoncé à ses idées ou ses envies : rien ne l'empêcherait de s'avancer vers ce fils brisé déjà. Revigoré peut-être de cette attente, de cette quête de l'autre, Hole se redressa davantage, son poitrail se gonflant d'air, tandis que ses muscles se contractaient. Oh, les marques qui couraient sur son corps étaient nombreuses, alors que son odeur était âpre du sang séché et coagulé maintenant sur sa robe de satin. Mais Hole semblait n'avoir rien perdu de sa superbe, comme s'il était encore inattaquable. Si seulement ils avaient pu voir ! Chaque rafale menaçait de le faire tomber, les genoux en terre, la tête basse. Le Diable était, à cette heure, ployable.

Un bruit de pas sur le roc, une vague se fracassant en contre-bas, et sortait de l'ombre le Shikaku solitaire. La bataille ne l'avait pas épargné, et personne n'aurait osé remettre en question le fait qu'il s'était battu de toute sa rage et de toute sa force. Et si Vif-Argent tendait ses muscles, Hole, qui connaissait son habituelle démarche, devinait sa boiterie. Son cœur, dans sa poitrine, se serra douloureusement. Bien sûr, il était fier de son fils, fier de voir l'engagement qu'il avait pris, la fidélité qu'il avait eu pour sa sœur et son frère. Mais pourquoi la vie était-elle si cruelle envers lui ? Resté seul face à une mère aussi belle que détestable, Vif-Argent était ensuite tombé malade, et s'était affaibli qu'il était parvenu à le trouver lui, son père, lui qui ne soupçonnait pas même l'ombre de son existence. Qu'il s'en voulait de l'avoir laissé à Etoile ! Hole était sûr qu'il aurait pu lui donner de l'amour. Certes, il aurait sans doute eu peur et il aurait douté ; mais il l'aurait aimé de cet amour si fort et bon. Il se serait brisé pour lui, et il lui aurait enseigné toutes ces choses qui font des jeunes des êtres forts et sûrs d'eux. Peut-être aurait-il aussi essayé de lui enlever cette rage héréditaire ? Mais son fils était comme lui. Vif-Argent était un Démon, un guerrier avide de sensations et plein de colère et de haine. Le cœur du jeune portait en lui plus de rancœur que quiconque aurait pu le supporter. Hole était lui aussi passé par là, un jour. Et il désirait être celui qui l'aiderait, celui qui le guiderait.

Et comme son fils s'avançait dans la blafarde lumière de la lune, il se recula, redevenant ombre parmi les ombres. Il était en retrait, mais il avait la tête haute et le regard brillant : tous les Shikaku auraient pu témoigner et de sa fierté, et du respect qu'il avait envers celui qui venait de s'avancer. Attentif, il écoutait les mots de l'étalon tonner dans la nuit vierge d'étoile. Vif-Argent était de cette nouvelle génération, il était de ceux qui referaient le monde selon leurs règles et leurs codes. Mais plus il le regardait, et plus il voyait en son regard, en sa posture, en son expression et en ses traits sa fille disparue. Ils avaient hérité de leur père, et ils avaient porté en eux cette haine féroce, alors que leur sang s'était éveillé par instant, les transformant en Bêtes à fleur de peau. Chasseurs hors-pairs, guerriers puissants : Vif-Argent et Bliss, quelque part, avaient été mêmes. Mais l'une s'était éteinte quand l'autre vibrait plus que jamais de colère. Les naseaux de Hole se dilatèrent, son sang brûlant bientôt ses veines. Vif-Argent était sa jeunesse, ses emportements ; son fils était sa vie.

Fauve dans sa démarche, son ombre se coula à hauteur de l'animal démon, bien qu'il demeurait en retrait : Hole n'avait aucune envie de sembler lier à cet éclat nouveau ; tout le mérite ne devait revenir qu'à l'initiateur, qu'à Vif-Argent. Il l'attendit donc, le regard brillant et la respiration rapide et courte.

Pandore se tenait cachée dans l'ombre, sur un rocher. Elle avait levé la tête pour mieux voir celui qui parlait en meneur, en guide. Elle ne connaissait personne ici, et elle était étonnée de voir que tous l'écoutaient respectueusement. Les Shikaku n'avaient pas de meneur, ils étaient libres et sans foi. Pourquoi personne ne s'avançait à hauteur de l'étalon, renchérissant? Pourquoi le silence était si lourd? L'Arabe n'en savait rien, et elle regardait avec ses grands yeux l'horizon, cherchant l'île. La Zone. C'était un joli nom, assez simple mais plein de mystères. Pandore ne pensait que à s'y rendre, et elle faisait demi-tour, tournant le dos à celui qui ressemblait à leur meneur. Mais, à sa grande surprise, un autre étalon sorti de l'ombre, s'avançant vers celui qui parlait. Ils se ressemblaient beaucoup : ils étaient tout les deux noirs, avec une étoile blanche sur le front. Peut-être que le plus jeune était le frère ou le fils du premier? Quand il se mit à parler, l'autre s'effaça, venant le rejoindre. Elle trouvait ça étrange, mais elle n'y prêta pas plus attention. Après tout, elle avait tout le temps d'apprendre plus sur eux! Elle remarqua tout de même un autre étalon. Elle avait l'impression qu'il était bai, mais elle n'était pas sûre à cause du noir.

Elle marcha tout de même vers lui, ses sabots claquant sur le sol. Pandore était une jolie jument arabe, de petite taille et fine, même si elle était musclée. Elle était comme une rose: pleine de séduction mais piquante, elle était un danger pour ceux avec qui elle jouait. Et jouer, elle aimait ça! Charmante, elle se rapprocha davantage du mâle et elle posa ses yeux doux sur lui, sans prononcer de mots pourtant. Elle était curieuse, mais elle désirait aussi que ce soit lui qui parle en premier: elle en apprendrait davantage sur l'habitude et l'attitude de ces chevaux.

Pandore, tout en restant dans l'ombre, observait tous ceux qui l'entouraient. Elle aimait se souvenir des visages qu'elle rencontrait. Et comme ses grands yeux glissaient sur les chevaux qui étaient là, ils rencontrèrent ceux du jeune étalon. Il lui sembla qu'il la regardait, mais elle n'en était pas tout à fait certaine. L'idée, pourtant, n'était pas pour lui déplaire, et elle se mit à sourire, au cas où l'étalon noir la regardait réellement. Pandore n'était pas du genre à vouloir se reposer sur l'épaule d'un compagnon: elle aimait séduire et jouer avec son corps et son cœur. Elle n'avait pas peur non plus de se faire du mal, ni à elle, ni aux autres. Malgré cela, elle fit mine de s'écarter un peu de l'attroupement général, voir s'il s'approcherait d'elle. Elle remarqua juste alors l'étrange chien loup qui accompagnait le puissant guerrier. Il semblait ne faire qu'un avec ce dernier, et elle avait l'impression que le même entrain les tenait tous les deux. Tous les équidés de Wild Horses étaient-ils liés à un autre animal?

Elle s'écarta de ses semblables, ses sabots claquant sur la roche blanche. Elle se pencha au-dessus de l'eau, dominant la crique de sa petite mais puissante silhouette. L'air marin lui donnait le sourire, alors que la nuit était noire et froide. Elle aurait aimé se retrouver seule et rêver, elle aurait aimé pouvoir jouer ce soir. Pandore n'aimait pas trop les grands rassemblements: elle était plutôt intimiste, et préférait les pas serrés et accompagnés d'une seule présence étrangère. Mais elle faisait partie d'un groupe, et elle en avait accepté les désavantages. Elle savait aussi que, dès demain, ils se sépareraient tous et continueraient leur route chacun de leur côté jusqu'à la prochaine réunion, ce qui, pour elle, n'était pas la pire des nouvelles.

La petite arabe à la tête expressive et au regard intelligent attendait donc patiemment, regardant en contre-bas les vagues s'écraser contre les parois rocheuses ou, plus pacifiquement, venir s'étaler sur la plage avant de se retirer. Il n'avait pas tort: elle aussi avait hâte de découvrir leur repère!