L'ennui est ma seule compagnie [PV Storm]

[Moi aussi, je me mets ma petite image ^^]



Seule.
Storm était seule.
Mais ça ne la gênait pas. Peut-être même qu'elle aimait ça.
De toutes façons, pour elle, la compagnie n'aboutissait qu'à une seule chose : un combat, et une mort. Mais ça non plus, ça ne la gênait pas. Peut-être même qu'elle aimait ça.
Ou alors, elle y était indifférente. Ce qui était le plus probable. Ni amour ni haine. Juste de l'indifférence. Pas d'impatience, pas de crainte. Uniquement un pas, et puis un autre, et puis encore un autre, indéfiniment, les sabots déjà usés foulant aussi bien l'eau que la terre, les roches que l'herbes, le désert que la glace. Indifférents. Qu'importe le temps. Juste marcher, sans but, pas même celui de s'en trouver un. Non. Tout simplement marcher.
Indifférente.

Et puis, une odeur. Si faible que la jument baie ne daigne pas y prêter attention. Suivie d'un bruit. Un peu moins ténu. Une oreille qui se dresse, les sabots qui arrêtent leur ennuyante danse. Une lueur dans le regard. Presque intéressée, ou intriguée. De nouveau, l'odeur. Celle d'une jument. Une odeur respirant la tranquillité, le bonheur et les autres chevaux. Une flamme s'allume dans l’œil de la baie. De la jalousie ? Non, pas vraiment. Elle ne veut pas de cette vie -ou refuse-t-elle de s'avouer le contraire ? Et puis, elle ne se considère pas comme malheureuse. Peut-être parce qu'elle ne s'est jamais vraiment posée la question.
Les sabots reprennent leur danse, cette fois-ci rapide. Vive et annonciatrice de mort. Ils écrasent et arrachent l'herbe plus qu'ils ne s'y posent, sans prêter attention à ces brins tendres et gras d'un beau vert, sûrement délicieux. Pourquoi les remarqueraient-elle ? Elle ne mange que pour vivre. Pour survivre.
Et de nouveau, la corne abîmée s'immobilise sur l'herbe humide. La jument baie s'arrête, exposant sans honte ni fierté son corps petit, mais sec et musclé, aux poils ébouriffés et aux crins emmêlés, à la robe salie et parcourue de cicatrices.
La jument qui se tient en bas de la prairie, robe d'or et formes pures, à certes plus d'allure, mais la puissance qui émane de Storm n'y rencontre pas d'égal.
D'un mouvement sauvage, respirant plus la force que la beauté, la baie se cabre alors, ses yeux noirs cherchant ceux de la palomino. De sa gorge sort un long hennissement rauque. Un salut guerrier. Un défi.


(27)

Troublée, Storm se laissa retomber. Elle n'avait connu que le combat, la souffrance,  la haine, et sa seule joie résidait dans la sauvagerie des bagarres. Quand elle défiait un autre animal, elle avait l'habitude de voir briller la colère ou la peur dans les yeux, et l'habitude que l'on se batte. Or, si la peur était bel et bien présente dans les yeux de la palomino, ils exprimaient surtout le refus du défi. Pas une soumission, juste un refus.
Quand à sa phrase... Bonjour. Que devait-on répondre à ça ? Elle avait lancé un cri de colère, et on lui répondait par une salutation.
Storm ne savait plus quoi faire. Lui répondre ? Non. Elle ne pouvait pas. Elle ne savait pas. Alors, se battre ? Quel autre choix lui restait-il, si ce n'était tourner les sabots -fuir, autrement dit ? Aucun.
La baie s'élança au galop en direction de la palomino, pour s'arrêter à quelques mètres et relancer son défi, cabrée. Mais cette fois-ci, sa voix rauque avait malgré elle un accent d'incompréhension, de question.

Incompréhension. De nouveau, Storm se laissa retomber sur ses sabots, couchant les oreilles en arrières -mais c'était plus de la peur que de la colère. Peur face à l'inconnu. Elle n'avait jamais rencontré quelque chose qui ne puisse pas être réglé par un duel, et, maintenant qu'elle ne savait plus quoi faire, elle avait peur.
Elle fit un pas nerveux en arrière, toute son allure trahissant le stress, la crainte de cette ignorance. Elle aurait voulu se jeter sur elle, coincer entre ses puissantes mâchoires la peau de la palomino, la déchirer avec ses sabots, et pouvoir repartir, oublier, retomber dans l'indifférence si connue... Mais le regard de la jument constituait un meilleur rempart que le meilleur des des guerriers. Un regard doux. Alors qu'il aurait du la rassurer, il la brûlait. Elle aurait voulu faire quelque chose, bouger, peut-être s'éloigner pour reprendre ses esprits et l'attaquer, mais ce regard la clouait sur place. Elle qui avait appris à cacher peur et douleur, fatigue et faim, voilà qu'elle se mettait à danser, indécise.
Elle finit par articuler un mot de sa voix cassée, un mot qui semblait avoir du arracher sa bouche pour surgir de ses lèvres.
"Pourquoi ?"
Sa question était en réponse à la déclaration de la palomino, mais surtout en réponse à son altitude et à sa douceur.


(16)

Doute.
Leaf parlait de "sauvages" pour se battre, mais Storm aurait plutôt parlé de "lâches" pour l'inverse. Et pourtant, qu'elle s'en rendre compte ou non, la palomino faisait bel et bien preuve de courage, en faisant face à ce fantôme bai aux yeux fous... Mais Storm ne comprenait pas. Pour elle, se battre était naturel. Donner la mort comme offrande à la vie. Et le fait que les deux juments ne se connaissent pas ? Aucune importance ; de toute façon, Storm ne connaissait personne.  Elle aurait voulu expliquer son évidence à la palomino, mais les mots étaient trop long, trop dur à trouver, trop matériels. Le plus simple était tout simplement d'enfin de battre. Il n'y a pas besoin de mots pour tuer. Un cadavre ne brûle pas l'esprit. Rien de plus simple que la mort.
Sans crier gare, la baie lança sa tête en avant, pour tuer son incompréhension, échapper à ses doutes. Alors que ses dents effleuraient déjà le cou de la palomino, elle entraperçut entre les crins épais de son toupet la trace d'un sourire.
Ses dents se refermèrent sur du vide. Storm avait déjà fait un écart, son encolure de nouveau courbée, ses yeux de plus en plus fous. De nouveau, elle ne savait plus que faire. Un sourire... En avait-elle déjà vu un ? Et de nouveau, elle chercha des mots. Et ils ne vinrent toujours pas.
- La sauvagerie est synonyme de la force et de la liberté...
Elle aurait voulu expliquer. Dire l'ivresse des combats, la sensation que seule apporte cette danse, lui apprendre que le seul moment où elle sentait la vie était quand la mort l'effleurait, que l'indifférence ne s'arrêtait que devant la faucheuse, que se battre était le seul but de sa errance, car elle ne cherchait que la vie et ne la trouvait que côtoyant la mort. Mais elle ne réussit qu'à dire ces mots vides et insensés, tandis qu'elle dardait son regard noir dans celui noisettes de la jument à la robe d'or.

- Je ne parlais pas de haine. Uniquement de la danse des dents et des sabots. Danse violente, peut-être, mais qui illumine la vie grâce à la mort…
Enfin, même s’ils n’exprimaient pas tout, Storm avait trouvé les mots –ou les mots l’avaient trouvée, qu’importe. Mais d’autres mots l’avaient touchée. Ceux de la jument palomino, belle mais presque frêle par rapport aux chevaux contre lesquels avait l’habitude de combattre la baie. Et pour la première fois, Storm se rendait compte que le courage ne tenait pas qu’au combat ou à la douleur. Leaf avait dit qu’elle fuirait. Mais dans cette fuite, la baie sentait bien plus de courage que dans un quelconque duel.
- Cependant, une danse demande deux personnes, et si vous ne me l’accordez pas, je ne la ferai pas. Par contre, les lâches méritent la mort. Mais vous n’en êtes pas une.
La baie resta quelques secondes immobiles, mais cet instant aurait pu durer des ans. Quand elle recommença à bouger, ce fut pour faire une chose qu’elle n’avait encore jamais fait. D’un geste maladroit, suivant son instinct originel et non celui forgé par la douleur, elle approcha ses naseaux de ceux de la palomino pour aspirer son souffle.
Jusqu’à présent, elle n’avait approché sa tête d’un autre être uniquement pour mordre, et, un instant, elle eut envie de le faire, mais elle se contenta de saluer la jument d’or.

Spoiler:

Storm releva la tête, surprise. La jument palomino lui avait dit son nom. Encore une chose inhabituelle... Qui se préoccupe des formules d'usages quand il s'agit de se battre ? Quel est l'importance du nom quand l'un des deux sera mort à la fin de la rencontre ?
Mais là, il ne s'agissait pas de duel. Pas de mort. Juste d'une discussion. Même si pour Storm, le "juste" n'était pas à sa place.
Golden Leaf... C'était un beau nom. Il respirait la tranquillité et la beauté. Le contraire de Storm. Caractères opposés, allures opposées, vies opposées, et noms opposés. Et pourtant, une certaine compréhension...
La baie humait le souffle de la palomino, son œil dans le sien. Un souffle lent, régulier, paisible, et son souffle rapide, saccadé, furieux. Un œil doux, calme, et son œil dur, indifférence protégeant la douleur. Encore des opposés. Mais une sorte de... bienveillance.
- Et mon nom est...
Storm s'immobilisa soudain. Non pas à cause d'une sorte de pudeur, ou de crainte de dévoiler son nom... Non, elle s'était tue parce que l’œil noisette s'était foncé, était devenu marron, et qu'elle le connaissait...
Elle fit un pas en arrière, les oreilles couchées.
Devant elle, Golden Leaf avait changé. Elle avait grandi, s'était épaissie, des muscles massifs remplaçant ses formes rondes, et sa robe palomino était devenue baie. Une voix dure arriva aux oreilles de Storm.
"La loi du plus fort..."
La jument baie foncée se cabra, tentant de noyer dans son hennissement rauque cette voix trop connue -mais celle-ci lui sembla résonner avec encore plus de forces dans sa tête.
"Que fais-tu ? Ne l'écoute pas te parler ! Elle ne veut que te retarder... Bas-toi ! Tu ne connais rien ; j'ai l'expérience des traîtres.Ecoute-moi. Tues-là !"
Les yeux brûlants de rage, Storm atterrit avec violence sur le sol doux, prête a attaquer la guerrière haïe qui lui faisait face. Déterminée à tuer sa mère.
"Oui, c'est ça ! Tues ! Tu n'attends que ça ! Sentir une vie entre tes sabots, soumise à ton désir... Peut-être lui laisser un espoir, puis l'achever... Laisse ton corps se déchaîner, profite de ce plaisir qu'est le combat !"
Elle coucha les oreilles en, arrière. La tuer. Enfin. Une fois qu'elle sera morte, peut-être que son souvenir mourra à son tour...
Non ! Qu'est-ce qu'elle faisait ? Cette jument... Cette jument n'était pas sa mère. La palomino... La douce jument palomino... Reculant d'un pas, Storm secoua la tête, laissant revenir l'image de la belle jument d'or.
Elle fit encore un pas en arrière. Et un deuxième. Comme pour mettre Golden Leaf hors de sa portée.
Non. Elle avait voulu la tuer, mais sa mère se trompait.Elle ne le voulait plus. Oh oui, son corps le voulait, l'esprit qui avait été forgé les combats le voulait, mais elle, elle ne le voulait plus.
Elle voulut s'excuser, s'expliquer peut-être...
-Je... Je m'appelle Storm.
Non... Juste dire ces trois mots... Elle les connaissait, même si elle ne les avait jamais entendu, et encore moins dit...
-Je...
Je suis désolée. Trois mots. Cinq syllabes. Impossible à dire. Elle se tut. Attendant. Elle aurait compris que la jument d'or parte. Elle aurait compris, mais peut-être qu'elle l'aurait tué. Et serait partie à son tour, ruminant sa haine et son amertume. Pour déchirer avec encore plus de force les corps, tentant de retrouver l'indifférence... Alors elle attendait, et elle espérait.

Golden Leaf avait reculé. Sa voix tremblait, et Storm entendait son cœur s’affoler et sa respiration accélérer. Elle avait peur. Sûrement ne comprenait-elle pas. Mais elle était toujours là. Elle n’avait pas fuit.
  La baie aurait voulu la remercier, s’approcher à nouveau d’elle, essayer de découvrir le bonheur calme qu’elle avait senti dans la palomino… Mais était-il encore temps ? Encore temps pour elle de découvrir ça, et encore temps pour que Leaf ne la haïsse ou ne la craigne pas ? Encore temps d’oublier ses combats, encore temps que Leaf ignore ses menaces ? Storm ne le savait pas.
  Elle voulut faire un pas en avant, hésita au dernier moment, raidit son antérieur et heurta violemment le sol, puis, prise d’une sorte de peur, elle fit un écart, presque un pas de danse cette fois-ci. Se reprenant, elle tenta à nouveau de parler.
  -Je…
  Les trois mots qui lui avaient semblé un instant si proche s’étaient à nouveau éloignés, encore plus imprononçables. Furieuse contre elle-même elle coucha les oreilles en arrières, les naseaux pincés.
  -Je… Pardon.
Le mot était hésitant, mais presque agressif, rauque et forcé. Pourtant, elle le pensait réellement, même s'il lui semblait étrange.
Elle fit un nouvel écart, indécise, ne sachant que faire, gênée par ce mot qu’elle entendait encore résonner dans sa tête. Elle piaffait, comme si l’herbe pourtant douce la brûlait, et finit par s’élancer au trot, passant à droite de la jument dorée, pour faire un demi-tour brusque, une pirouette violente et sauvage, avant de se remettre au même endroit, l’encolure rouée, la respiration toujours hachée.

(19)

De nouveau, Storm aspirait le souffle doux et chaud de la jument dorée, sentant que cette odeur se gravait dans son coeur, inoubliable. Elle voulait découvrir son bonheur, et oublier l'indifférence, ignorer l'oubli. Mais elle savait. Elle connaissait la réponse à sa propre question.
Était-il encore temps ? Non.
Peut-être que pour Leaf, rien n'était fait, mais le temps s'acharnait contre Storm, rendant sa vie à venir trop courte pour l'ennui mais trop longue pour l'oubli ; rendant sa vie passée trop courte pour l'oubli mais trop longue pour l'ennui. Elle aura le temps d'oublier, oh oui, oublier cette rencontre, oublier ce rêve, mais -car- elle ne pourra jamais oublier cette haine indifférente.
Peut-être respirera-t-elle le bonheur aujourd'hui, mais demain elle repartira, laissant derrière elle espoirs et nouveaux horizons, demain elle bouchera d'elle-même le chemin qui aurai pu la conduire à la paix, laissant peut-être dans les débris de ses espérances un cadavre dont le sang aura fait disparaître la robe d'or, et dont la gentillesse sera cachée par une haine.

Elle savait. Elle se connaissait trop bien, mais ne pouvait agir, simple pantin rêveur dans un corps haineux.
Non. Elle pouvait encore agir. Elle pouvait encore s'éloigner. Éloigner de sa folie cette pauvre ambassadrice de la paix.

Rouant l'encolure, elle écarta ses naseaux de ceux de Leaf. Un instant, son regard croisa celui de la palomino, et elle vit dans la pupille de cette dernière le reflet de la sienne, dont la froideur brûlante semblait s'être un instant craquelée, laissant apparaître une lumière rouge... Folie, douleur, espoir ? Ses yeux s'enfuirent aussitôt, errant entre le corps doré et l'herbe verte. Lentement, Storm recula.

- Non... Tu n'y arriveras pas... Peut-être une autre fois, dans une autre vie... Laisse-moi, j'appartiens désormais à ma haine... Ma chance s'est brûlée à mon contact, je ne pourrai oublier... Viens, et je te tuerai... Je ne peux plus...

Ses propos étaient décousus, elle s'était mise dans son trouble à tutoyer son interlocutrice, sa voix s'était cassée. Elle préféra finalement se taire, s'immobilisant, prête à faire demi-tour, à s'enfuir.

Face à elle, la jument dorée reculait elle aussi. Elle avait peur. Elle semblait regretter. Elle fuyait, lentement, mais elle fuyait. Elle fuyait la baie.
Storm ouvrit la bouche, voulu dire quelque chose, n'importe quoi, tout... Rien ne vint.
Ses pensées et ses désirs se mélangeaient... Se jeter sur elle, se battre, poser sa tête sur son dos, la tuer, la défendre, fuir, la suivre, ne plus être seule, retrouver sa solitude, découvrir le bonheur, redevenir indifférente...
Elle chercha une dernière fois les yeux noisette de Leaf, créer un lien pour mieux le rompre, vouloir rester avec elle pour mieux s'enfuir...
Ses antérieurs fendirent l'air. Pas pour tuer, pour fuir. Elle fit demi-tour d'un mouvement violent. S'élança au galop. Ses sabots heurtaient le sol, le martelaient, saccadés, cherchant à faire mal, faire souffrir la terre, faire souffrir Storm, Storm qui galopait, qui fuyait, loin de Leaf, loin d'elle-même, jetant toute sa rage dans ses membres, cherchant la douleur pour tout oublier. Elle était déjà loin, trop loin, rapide, comme un incendie affamé, elle avait dépassé la sommet de la colline, invisible maintenant aux yeux de Leaf, mais elle ne s'arrêtait pas, soulevant la poussière sèche sous ses sabots abîmés, la respirant, le souffle court. Ses yeux la brûlaient, mais ce n'était pas la terre desséchée qui l'aveuglait ainsi. Elle ferma les yeux, comme une enfant qui espère ainsi se protéger. Toujours galopant. Fuyant sa réalité.