Douce et chaude journée [Lune d'Orage]

La jument grise releva paresseusement la tête, laissant la brise la rafraîchir doucement, pour observer la danse des tâches de lumières sur l'herbe verte. Au-dessus d'elle, les feuille de l'arbre, auteures de cette joyeuse danse, se frottaient les unes aux autres, chuchotant entre elles ce que leur sifflait le vent. De temps en temps, un scintillement s'échappait du ruisseau qui coulait paisiblement à quelques pas. Tout respirait la tranquillité.
Un peu plus loin, elle sentait d'autres chevaux de son clan, mais elle était suffisamment isolée pour qu'elle puisse apprécier sa solitude. Si la compagnie d'un ami lui plaisait, elle détestait se retrouver en groupe, même si le sentiment de sécurité était appréciable.
Se rapprochant du tronc de l'arbre pour s'y frotter, Lune d'Orage entendit un cheval approcher et s'abreuver au ruisseau, puis venir vers elle. Elle replongea ses naseaux dans l'herbe verte et fraîche, décidant de l'ignorer pour lui laisser prendre l'initiative d'une parole ou d'un silence. Il choisit la première option, et elle se retourna vers lui pour le saluer à son tour d'un signe de tête et d'un sourire.
Elle ne le connaissait pas vraiment, juste assez pour savoir qu'il s'appelait Pogo, qu'il était né Solitaire, et qu'il avait parcouru durant un an le monde, mais elle ne lui avait jamais parlé.
Sa manière de demander lui fit sourire, et elle lui répondit, moqueuse :
« L'herbe de cette forêt ne m'appartient pas, et si tu n'as pas peur qu'un elfe vienne se venger de chaque brins d'herbe avalé, sers-toi ! »

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Le nez dans l'herbe humide, Lune d'Orage profitait de la saveur des feuilles, saveur bien plus fraiche, bien plus sauvage et forte que les herbes jaunies de son ancien pré. Du coin de l'oeil, elle apperçut Pogo, qui mâchait un dernier brin avant de relever la tête et de reprendre la parole.
La grise prit le temps de happer encore quelques pousses avant de répondre.

- L'âge... Je peux te répondre le temps depuis lequel j'existe vraiment, libre, ou l'âge que je paraîtrai avoir pour un animal encore domestique, mais je pense que tu me demandes le temps qui s'est écoulé depuis ma naissance... C'était il y a un peu plus de 4 années.
Et toi, quel âge as-tu ?

Elle prit le temps de couper délicatement deux brins qui avaient échapper à leurs précédents coups de dents, puis reprit, désignant de la tête la forêt qui bordait la clairière :

- Que dirais-tu d'une petite promenade ?

____L'alezan brûlé avait répondu plus sobrement à la question de Lune d'Orage, mais il avait paru enchanté de sa proposition. La jeune jument le regarda, amusée, faire ses cabrioles, puis, se prenant au jeu, elle profita de la bonne vintaine de mètres les séparant encore de la forêt pour se lever un instant sur les postérieurs et bondir au galop, où elle explosa en sauts de mouton et coup du cul sur les quelques foulées où elle pouvait courir.
Au moment de rentrer sous le couvert des arbres, la grise s'immobilisa un instant, hésitante. Alors que dehors le soleil brillait, au milieu des troncs le noir régnait, et nul cri d'animaux ne retentissait... La forêt resplendissait de majesté et de calme, mais d'un calme pesant, voir menaçant... A ce moment, Pogo arriva, et Lune d'Orage, rassurée par sa présence joyeuse, se décida. Comme pour l'approuver, un cri d'oiseau, que la jument, sauvage depuis peu, n'identifia pas, retentit.

Les muscles tendus, les nerfs à fleur de peau sans qu'elle ne le désire, la jument pénétra dans la forêt des elfes.

Pogo n'avait pas l'air effrayé par cette forêt, et son calme rassura Lune d'Orage, qui se mit à marcher d'un pas un peu plus confiant. Ils continuèrent ainsi, en silence, durant de longues minutes, appréciant le calme et le silence de l'endroit. La grise, qui commençais à s'y habituer, rompit le silence.
"J'ai ent..."
Elle s'immobilisa. Sa voix s'élevait dans le silence, comme un outrage à la forêt. Les feuilles bruissèrent sans qu'elle ne sente le moindre souffle de vent sur sa peau, et leur bruissement devenait des menaces à l'oreille de la jument. La promesse de la vengeance des elfes sur ceux qui osent les troubler... Elle se força à expirer calmement. Les elfes ? Des légendes. Les feuilles ? Une coïncidence, un vent trop léger pour franchir la canopée jusqu'à sa peau. L'impression de menace ? De la paranoïa. Depuis quand avait-elle peur du silence, elle qui aimait la solitude ?
Elle se força à reprendre, recommençant à marcher, sa voix troublant à nouveau le silence pesant de la forêt :
"J'ai entendu dire que tu avais voyagé à travers le monde... Comment sont les paysages, par-delà Whild Horses ? Quel est l'odeur de l'air loin de nos clans ? Et... est-tu allé, libre, sur les territoires des Hommes ?"
L'écho de sa voix lui sembla retentir encore longtemps entre les arbres géant, et elle se rapprocha imperceptiblement de l'alezan brûlé, cherchant pour la première fois un réconfort chez un autre équidé.
D'où lui venait cette inhabituelle sensation de menace ?

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Questions. Interrogations qui se bousculent.
Que fait ici cet humain, qui parle comme les chevaux ? Pourquoi sa monture reste-t-elle ainsi, harnachée, silencieuse... Soumise ? Qui sont ces deux êtres à l'allure presque fantomatique, inquiétante ? Pourquoi toujours cette impression de menace ? Pourquoi cette aura de... respect ?
Et aucune réponse à apporter...
Alors la jeune jument grise se contenta d'attendre, pressée contre le corps de Pogo, la réponse de l'humain. Réponse qui se fit attendre, tandis que le cavalier restait immobile, l'air soucieux. Sa voix finit pourtant par s'élever, porteuse d'un nouvel étonnement;
"Des chevaux... Mais que faites-vous donc ici, vous qui êtes si différents de ceux d'ici ?"
Tout en parlant, les deux êtres s'étaient avancés d'un pas, sortant de l'ombre des arbres.
Stupéfaite, Lune d'Orage ne lâcha pas un mot, les yeux rivés sur eux.
Sous la robe immaculée du haut cheval se dessinait une musculature fine sculptée pour la course, où s’entrelaçaient des veines, porteuses d'un sang qu'elle devinait vif. De longs crins ondulés recouvraient la blancheur de l'encolure et les paturons de l'étalon par une blancheur tout aussi éclatante, immobiles, comme si le vent n'osait les déplacer, de peur d'en atténuer la beauté.
Oui, l'étalon était magnifique. Mais Lune d'Orage cessa bien vite de le regarder pour se perdre dans les traits de l'être qui le chevauchait. Une peau hâlée sur un corps fin, un visage tout aussi haut et fin, et, cachés sous la danse des ombres des feuilles, des yeux en amandes surmontés de sourcils arqués et soulignés par des lèvres fines, et des cheveux blond pâle qui reflétaient les pâles rayons de soleils. Enfin, la jument remarqua, cachées au milieu des cheveux, les oreilles de l'être. Des oreilles pointues.
La compréhension se fraya un chemin au milieu des questions.
Un elfe.
Et encore de nouvelles interrogations. Un elfe ? Une légende, elle se l'était affirmé tout à l'heure... Une légende ayant depuis longtemps disparue...
La voix de l'elfe s'éleva à nouveau, la coupant dans ses pensées.
"J'ai l'impression d'avoir dormi... Longtemps..."

Il ne recula pas, bien qu'il en ressentit l'envie. Il jeta un coup d'oeil a Orage, toujours pressée contre lui, et comprit a son tour.
C'était invraisemblable, les elfes n'étaient qu'une légende. Et pourtant... il jeta un drôle de regard sur l'étalon qui portait l'elfe, comme s'il pourrait lui donner de claires explications.
Il répondit le plus calmement possible :

- Nous... nous voulions profiter du calme et de toute la sérénité qui émane de cette forêt.


Il était figé, se demandant que pourraient lui faire ces deux êtres étranges. Rien, certainement, mais Pogo restait sur ses gardes, au cas ou.
Il plongea ses yeux verts dans ceux de l'elfe, et demanda très poliment :

- Excusez moi, mais... que voulez vous dire par là ?



[Dis, ça ne te dérange pas que Strangeness vienne leur faire un coucou dans mon prochain message ? ]

Alors que Pogo était juste que là restait calme, rassurant ainsi Lune d'Orage, il semblait maintenant vouloir faire demi-tour, et c'est ce qui apeura encore plus la jument grise.
"Je ne sais pas... L'air a changé, les arbres ne sont plus les mêmes, les jeunes sont vieux et les vieux sont humus... La forêt m'est étrangère, sa magie est devenue si faible, comme l'aile d'un papillon qui se déchirera à la première ronce...
Et quel est votre nom, promeneurs ?"

Lune d'Orage ferma un instant les yeux, remettant de l'ordre dans ses pensées, puis elle s'avança d'un pas en direction de l'elfe, s'éloignant de Pogo. Il était temps de comprendre... Les deux être n'avaient pas l'air menaçant, elle espérait qu'ils ne le deviendraient pas...
- Savez-vous, ô... elfe (elle avait hésité un instant, craignant de faire une faute malgré l'évidence de l'origine de cet être), que... Cela fait bien longtemps que pour nous, votre race est devenue une... légende ?
Elle n'avait pas voulu le dire aussi brusquement, mais c'était raté... Elle reprit aussitôt, pour tenter de rendre ces paroles moins étranges pour cet elfe :
-Enfin… On prétend que vous avez… disparus, pour une raison inconnue, mais peut-être… Peut-être est-ce tout simplement qu’on ne vous voit pas…
Lune d’Orage ne savait plus quoi dire, et elle avait peur de la réaction de l’être.
 
L’elfe resta indécis quelques secondes, tentant de mettre un sens sur ses paroles. Et enfin il comprit, en même temps qu’il sentait le même éclair de lucidité traverser son compagnon équin. La nouvelle aurait dû l’assommer, mais, étrangement, il ne s’en étonna pas plus. Peut-être parce qu’il s’y attendait, d’une certaine manière, depuis qu’il s’était mis à suivre ces deux chevaux.
Le temps d’un échange fugace avec son compagnon, sensations plus que paroles ou même pensées, et le bipède se tut, laissant l’étalon répondre à Lune d’Orage et à Pogo. Sa voix, grave et chaude comme à l’accoutumé, s’éleva, sans paraître troublée par l’information apportée par la jument.
 -  Ainsi, cette sensation de longue nuit est bien réelle… Est-il temps de réveiller la forêt de son long sommeil, ou faut-il encore laisser avancer le monde ?
Sa phrase n’attendait pas de réponse, mais il reprit :

 - Vous dites « longtemps », mais qu’est-ce pour vous, longtemps ? Est-ce une année, un siècle, ou des millions d’années ? Que s’est-il passé entre-temps ?

Lune d'Orage leva brusquement la tête en voyant un chat noir sauter sur le dos de son compagnon.
Elle ne l'avait pas remarqué -et pourtant, en y réfléchissant, elle se souvenait l'avoir vu arriver et parler avec l'étalon alezan brûlé... Renonçant à comprendre, elle secoua la tête -on lui avait bien dit que dans cette forêt le jour était nuit et la réalité se faussait... Elle se contenta d'un coup d’œil interrogateur à Pogo, ne sachant si celui-ci voudrait répondre à ses questions sur le félin aux yeux verts. La voix mélodieuse de l'étalon, s'élevant à nouveau, l'interrompit dans ses pensées.
- Avant votre naissance... Oui, vous me paressez bien jeunes, mais notre existence, elle, parait bien vieille... Au point d'être devenue légende, peut-être bientôt oubliée... Mais je ne sais pas... Dois-t'on laisser notre mythe s'endormir, ou faut-il désormais le réveiller ? Non, je ne sais pas...
L'étalon semblai parler à lui-même, d'une voix basse mais claire. Il recula d'un pas, fondant à nouveau sa robe pourtant éclatante dans l'ombre des arbres.
- Mais il est temps pour nous de vous laisser... Allez, jeunes chevaux, profitez de inconscience de la jeunesse, mais n'oubliez pas qu'ici, les arbres ont des oreilles.
Lune d'Orage n''eut pas le temps de l'interroger -notamment sur sa dernière phrase... Si tout était possible, ici, qui sait, les arbres entendaient peut-être ! Déjà les deux êtres faisaient demi-tour...

Spoiler:

Bien que Lune d'Orage fut autant intriguée -et peut-être inquiétée- par cette dernière phrase que Pogo, la réaction de son compagnon la fit rire. Cette pensée en entraînant une autre, elle lui chuchota, malicieuse :
- Il n'est pas venu se venger des brins d'herbes avalés, au moins !
Elle blaguait, mais c'était pour cacher son malaise, et d'ailleurs elle n'osait à nouveau plus parler à haute voix... Elle ne sentait plus un regard -celui de l'elfe- peser sur sa nuque, mais ce n'était pas pour autant que la forêt avait perdu de sa majesté intimidante, et la remarque sur les oreilles des arbres n'avaient pas amélioré le malaise qui persistait chez Lune d'Orage. Elle reprit, toujours à voix basse, ne cachant plus sa nervosité :
- Et si on rentrait ?
Elle s'efforça de sourire, pour compléter :
- Pas que cette petite balade ne fut agréable, mais je commence à m'ennuyer, pas toi ?