EVENT - Fournaise estivale.

Ses muscles étaient tendus et son esprit ailleurs. Bliss et Thief, morts. Elle sentait la douleur de leur père. Elle savait qu'il serait poignardé en plein cœur. Et si cet étalon était de l'Ombre, alors le chef du Soleil combattrait en première ligne contre le Nord. Elle n'était pas une combattante-née, mais refusait de fuir. Pour son Clan, elle montrerait la route à suivre. Aux côtés de Sun Star, elle s'était dressée sur la plaine à l'heure de l'annonce. Elle avait vu les visages des plus guerriers se fermer résolument, elle avait vu ceux des moins expérimentés se figer dans une expression apeurée. Elle les avait compris, tous. Elle avait adressé à chacun un mot d'encouragement, une phrase pour les inciter à choisir en fonction de ce qu'ils désireraient, et non de ce dans quoi s'engageaient les deux meneurs. Quiconque suivait se voyait remercié. Quiconque restait se voyait salué en ami. Elle n'en voulait à aucun, au contraire. Elle voulait les voir survivre. Ils étaient sa famille au-delà d'être ses sujets. Elle n'avait, à leur égard, que de la tendresse, en cet instant. Elle s'était abstenue de parler. Elle se savait oratrice et convaincante et refusait de piéger par ses paroles ceux qui n'iraient pas sans cela. Son regard c'était posé sur Renji, dressé sur ses vieux membres. Elle savait sa décision prise. Il avait été poignardé par l'intermédiaire de l'Etalon de Nuit. Elle les savait proches. Elle savait que le frison ne rechigneraient pas à combattre ceux qui l'avaient vu naître. Elle ne l'avait pas dissuadé.

Vint le départ. Quand Sun Star se cabra, elle hennit d'une manière rauque qu'on ne lui connaissait pas, avant de se dresser légèrement sur ses aplombs. Sa crinière vola sur son encolure. Elle fit volte-face. Ses longs muscles fins, endurance et agilité mêlés, se mirent en mouvement. Les Chefs voguaient en tête. La douce vida ses craintes en répétant ses foulées. Ses craintes ? Non pas se perdre, mais perdre ceux qui comptaient, pour elle. Renji, assurément, son ami de toujours, son confident, son allié de chaque choix. Black Hole, aussi, qui avait pris une place particulière et impossible à nommer. Sans oublier Sun Star, chef respectait avant de devenir ami. L'œil de la jument se posa sur son voisin d'or. Elle ne dit rien. Son expression était farouche. Son visage déterminé. Son regard franc. Elle était confiante. Résignée à y laisser la peau pour les siens, s'il le fallait. Vengeresse.

Enfin, les lignes s'arrêtèrent. Les guerriers du Soleil étaient certes moins organisés que ceux de l'Ombre, mais ils se battaient par choix. Pas parce que leur chef les y avait exhorté. Ils avaient eu une porte de sortie. Maintenant, ils se battraient avec leur cœur. Pour Sun Star, pour Pépite, ou pour eux. Mais ils avaient tous trouvé leur raison. Ainsi, la jument était fière des siens. Elle traversa son Clan, un instant, prenant la parole, rapidement.

Sa voix était un appel assuré, calme. Elle laissait des émotions paraître. Elle se rendait accessible pour ne pas les abandonner derrière le masque qui était de rigueur. Elle avait parlé avec sa détermination et sa force, comme toujours. Elle savait cela plus fort que de grands cris. Enfin, elle salua ceux qui étaient proches d'un contact léger, d'une inclination de la tête. Puis elle leva la tête, fière, porta sa queue en bannière et revint à Sun Star. Elle colla ses naseaux à ceux de l'étalon, brièvement. Lui seul saurait ses incertitudes par ce contact. Elle ne laissait rien paraître mais se savait à la merci des chefs du Nord, avec sa fine carrure. Pourtant, elle cessa vite le contact.

Et elle attendit, à ses côtés. Lorsque le premier cri retentit, ses longs muscles se mirent en mouvement et la propulsèrent. Tout se fit calme en elle et elle se lança dans l'assaut. Son regard chercha le cheval qu'elle était certaine de trouver, ici. Un allié sur lequel compter. Un allié qui aurait peut-être besoin de son soutien, malgré le guerrier qu'il était. En attendant, elle était prête à se battre.

L'heure était au combat. Si l'âge n'était plus à ce genre de jeu, Renji se sentait obligé d'y aller. Il savait la douleur de son Frère. Il avait connu les deux poulains. Il savait qu'ils n'avaient rien demandé. Faire tomber leur tête de la sorte était impardonnable. Black payerait. L'ex-Chef du Soleil savait qu'il n'en reviendrait sûrement pas. Mais il préférait périr au combat pour une cause qui lui tenait à cœur que de s'éteindre de sa belle mort dans quelques années, perclus d'arthrose et en ayant reculé lorsque sa conscience lui sifflait d'avancer. Il s'était joint aux rangs. Lusitania l'avait vu ; elle l'avait laissé suivre sans un mot. Il était donc là, parmi les autres, dressé sur la Plaine d'Orage. L'air lourd et moite serait bientôt imprégné de relents de sang et empli de cri, de gargouillements d'agonie, d'appels au secours ou victorieux. Les craquements de os et les derniers soupirs ne manqueraient pas. Le grand noir en ferait sûrement partie. Pourtant, il avait le cœur léger et partait vaillant. L'Ombre de la Mort, un jour, l'avait tiré avec insistance et la pinto avait été là, tout comme le grand noir à l'étoile. Si aujourd'hui il approchait de cette ombre malveillante, c'était pour veiller sur Lusitania et être aux côtés de Hole dans ce combat. Enlever les jumeaux à leur père était la pire manière de l'atteindre, mais la seule qui marcherait assurément. C'était cruel. Plus cruel, sûrement, que ne l'était le Shikaku lui-même.

Alors, lorsque la bataille s'ouvrit, Renji avança, sans hésiter. S'il n'était plus aussi rapide qu'avant, sa force était intacte et il avait connu assez de batailles dans sa vie pour savoir quand et comment frapper, pour savoir se défendre, aussi. S'il ne serait jamais de taille face à Stelmaria ou Black, il se savait capable de blesser et mettre hors d'état de nuire d'autres combattants. Alors, s'il laissait les Grands aux plus jeunes, il contribuerait à la bataille. Il n'est pas de petites victoires. Et l'étalon était alerte. Dans le gros de la mêlée, son élégante et haute silhouette était bien visible. Il connaissait ses alliés, s'apprêtait à découvrir ses ennemis. Le combat l'appelait. Il ne reculerait plus. Plus maintenant.

Folie. Vengeance. Haine. Poison. Le fils de Hole brûlait de toutes les flammes de l'Enfer. Son regard était fou. Ses muscles puissants et courts, sous sa robe de nuit, roulaient, tendus. Son regard noir contenait tout la méchanceté du monde. La douleur lui avait crevé le cœur. Bliss. Il avait dansé dans ses pas et leurs cœurs avaient battu à l'unisson. Il n'aurait jamais cru, un jour, brûler de cette flamme-là. La jeune jument avait pigé chaque chose qu'il était dans ses pas experts. Elle qui l'avait fait virevolter était sa sœur. Demi-sœur, plus exactement. Leur père était le Démon vêtu de Nuit. Tous trois étaient Shikakus par vocation. Le noir ressemblait par milles choses à son père. Ne lui manquait certainement que de l'expérience. Sa stature n'était pas non plus aussi haute et large que celle de son père. Il était plus petit et plus fin, élégant cheval à l'apport arabique. Mais il brûlait des même flammes, était torturé des même démons. Sa pelote était la même, exquise en son front, seul trace de lumière dans son corps de cendres noires.

Et son cœur, crevé, avait sûrement saigné. L'animal aux allures de Loup qui le suivait comme son ombre avait hurlé à la mort, crié à la lune la douleur qu'avait retenu le noble animal. Pas un gémissement n'avait franchi ses lèvres. Pas une larme n'avait franchi ses yeux. Lorsqu'il avait su, il s'était consumé. Il avait réclamé vengeance. Car il n'y avait pas que Bliss, dans l'histoire. Il y avait aussi Thief, dont le même sang courait dans les veines avant qu'un cheval de l'Ombre ne l'abatte. Au nom de quoi ? C'était cette question qui obsédait le fils de Black Hole. Black Hole..! Lui aussi avait été brisé. Tant de choses qui avaient éveillé l'esprit fourbe de son fils aîné. Le dernier survivant de ses enfants. Vif-Argent savait que le Sud marcherait contre le Nord. Il savait qu'il marcherait avec. Il savait que Thanatos serait à ses côtés. Il s'attendait à voir son père se battre de concert. Il avait, guerrier, traversé les territoires qui le séparaient de la Plaine d'Ombre. Le sol avait tremblé de son galop et c'était un bruit de tonnerre qui roulait qu'il produisait. Les grondements sauvages de son lié l'accompagnaient. S'il se rendait seul au combat, il ne bataillerait pas seul. Alors, ainsi, Vif-Argent était prêt à se jeter à la mêlée. Il attendait juste de voir si un détachement de Shikakus arriveraient. Il laissait démarrer la bataille, donnait de l'avance aux Clans. Lorsqu'il y prendrait part, il serait implacable et tueur. Son cœur brûlait des flammes de l'Enfer et son regard de la méchanceté la plus implacable. Il n'était que fourberie et haine.

Il n'avait d'yeux, en ce jour de guerre, que pour l'étrange danseuse dont le corps ondulait félinement devant lui. Les courbes de son corps étaient délectables, alors qu'une essence furieusement mâle l'habillait. Si la Muse se dévoilait comme fine et haute, elle laissait également deviner sa puissance non-feinte, alors que quelques cicatrices paraient déjà sa robe acajou. Mais le plus attrayant de cette bête sauvage était son visage. Les traits y étaient délicats mais nettement découpés, alors qu'une expression sauvage et fière -presque insolente-, s'y dessinait. Et elle dansait cette jeune cavale, elle dansait et vrillait, ses membres secs se levant haut alors que légère, c'est à peine si elle semblait toucher le sol. Elle était une promesse d'infini et d'éternité, alors qu'enfin, les yeux du Shikaku plongèrent dans les siens, si semblables que cela en devenait presque troublant. Mais oh ! douleur dans ce cœur de père. Cette Muse ardente au regard de feu et de haine n'était autre que le sulfureux spectre de sa fille disparue. Bliss, sa douce et tendre Bliss qu'ils avaient, Pépite d'Or et lui, exortée à la vie, s'était éteinte bien trop tôt. Elle était morte pour les torts des autres : son seul crime avait été de naître. Et comme Hole fermait les yeux pour les empêcher de pleurer, il sentit son sang devenir lave dans ses veines, alors que tout son être se consummait maintenant d'un farouche désir de vengence. Que le sang de l'assassin coule et abreuve les océans et les plaines. Que l'univers tout entier l'entende gémir ; c'était bien là la moindre des choses que Black Hole pouvait faire pour sa fille.

Ainsi que pour son fils. Car si Bliss s'était faite tuer, Thief avait été le premier sur la liste du fanatique. Cette seule pensée rendait le Démon vêtu de Nuit malade : comment avait-on osé s'en prendre à un animal si pacifique et bon ?! Thief, à l'inverse de Bliss, avait toujours été plus calme, plus réservé et peut-être plus timide, alors que fragilisé par sa maladie. Comment avait-il pu oser ?! Jamais plus les yeux d'azur de son fils ne se noieraient dans son regard fou. Jamais plus il n'aurait à passer ses nuits sur les terres des étoiles à veiller la tendre silhouette bicolore. S'en remettrait-il un jour ? Hole savait ce qu'il avait à faire : il allait chercher, pister et traquer l'étrange Akhal-Téké pour le tuer. Sans doute prendrait-il du plaisir à entendre les os de son adversaire craquer sous ses coups. Sans hésiter, il lui arracherait peau et chairs de sa puissante mâchoire. Il ne tuerait pas, non : il massacrerait. C'était la seule chose qui le motivait encore. La seule chose ? S'il avait perdu ses deux jumeaux et que l'avenir lui semblait encore si abscons, demeurait le fils sublime de la créature onirique qui l'avait un jour séduit. Étoile. Une fois sa vengence accomplie, il lui resterait encore un enfant à aimer, un enfant sur lequel veiller. Vif-Argent, si puissant et intelligent déjà ! Vif-Argent qu'il aimait tant mais Vif-Argent auquel il ne le montrait pas : après tout, ils s'étaient à peine trouvés.

Ce qui lui fit dresser l'oreille fut le bruit d'une harde lancée au galop. En contre-bas, le Soleil et les Étoiles se ruaient sur l'Ennemi. À leur tête, la sublime muse Pinto. Non ! Il ne supporterait pas de perdre un des siens une fois de plus. Alors, sans attendre davantage, il se cabra de tout son haut, lançant un hennissement à en percer le ciel, alors que déjà, il s'élançait en trombes. Ses membres frappaient le sol avec force, alors que sa queue noire flottait derrière lui telle une bannière de guerre. Lusitania n'était plus loin, et alors qu'il s'en approchait davantage, il lança un hennissement bas de gorge, qui n'était destiné qu'à elle. Il s'approcha ensuite, son flanc noir et barré de cicatrices frôlant celui de la douce.

" Lusitania ! Mais que fais-tu là, en avant de tous et en première ligne ?! Cette guerre n'est pas la votre. Tu devrais faire demi-tour avant d'engager tes guerriers ... avant de risquer ta propre vie. "

Sans même ralentir l'allure, il posa un instant ses naseaux brûlants sur l'encolure de la belle, reprenant ensuite.

" & Renji, est-il ici ? Bien sûr que oui. Il ne fallait pas que mon Frère se trouve là. "

Et déjà, il regardait derrière lui, ployant son puissant col. S'il aperçu son fils, il ne vit pas Renji. Son cœur était partagé entre l'envie de rester aux côtés de Lusitania pour la protéger, et par le besoin d'aller trouver son frère. Il continua de galoper avec la meneuse, alors qu'il appelait son fils à leur côté.

Un cri, de nulle part avait surgi, et déjà, tout les guerriers s'ébranlaient. Le jeune alezan avait gagné la tête du cortège, alors que rapide, il se ruait sur la vague ennemie. Son sang, furieux et sauvage, battait violemment à ses tempes, alors que ses naseaux s'étaient dilatés. Il savait que les plus vaillants combattants étaient de leur côté : Black, Stelmaria et Equinox. En revanche, il ne savait pas quoi penser de Black Hole. Si certains disaient qu'il pouvait prétendre rivaliser avec les Grands, il ne l'avait jamais vu à l'action. Mais quoi qu'il en soit, il ne reculerait plus, alors qu'il se sentait galvanisé par les membres de son clan.

La guerrière des glaces avaient suivi son clan, et elle se trouvait maintenant sur la plaine d'Orage. Si elle allait se battre au nom de l'alliance qui les unissait au clan de l'ombre, pour la première fois, elle se sentait partagée : deux jeunes, deux poulains avaient été tués. Elle, elle ne l'aurait pas supporté. S'ils avaient tué son poulain, elle les aurait tous assassinés un à un. Leur cause, était elle réellement défendable ? Mais déjà, elle s'avançait vers Black, sans aller non plus jusqu'à lui. Elle lui adressa seulement un regard, confiant et amoureux encore, comme si elle souhaitait lui dire qu'elle était là, à ses côtés, et que tout se passerait bien. Ce fut ensuite le départ, et alors qu'elle pensait à l'enfant qu'elle portait, elle s'en allait vers son destin.

L.J.

Dans l'ombre de son clan, le grand Akhal-Téké avait écouté les paroles de Black, un étrange sourire aux lèvres. Peut-être trouvait-il quelque chose d'amusant dans cette guerre ? Après tout, L.J. n'était pas comme eux. Mais déjà, alors que son esprit malade s'emballait, le départ était donné. Vif, il sortit des rangs en premier, laissant son regard foncé aux reflets presque rouges se poser quelques secondes à peine dans les yeux de Black, le Maître de l'Ombre. Et avant que le cortège ne se mette en route, son attention se porta sur une grande et fine jument à la robe presque entièrement blanche. Elle semblait bien connaître l'étalon noir, même si elle avait refusé de s'en approcher vraiment, alors qu'elle portait sur elle l'odeur des glaces. Une fulgurante idée lui traversa l'esprit alors qu'il se promettait de se renseigner sur les deux équidés. Mais l'heure n'en était plus ni à la gracieuse inconnue, ni même à Black. L'heure était au combat, alors que L.J. laissait ses membres le porter, sans crainte ni hésitation.

Il avait réussi, de son point de vue, son coup. Il avait tué Thief, puis il était parvenu à aller au bout des forces de Bliss, supprimant ainsi les deux seuls enfants de Pépite d'Or, cette jument qui avait abandonné son père aux loups. Pourtant, même s'il avait supprimé ses enfants, le goût âpre de la vengence desséchait toujours sa bouche. Ce n'était pas suffisant, il devait faire plus, que la cremello se laisse dépérir de tristesse. Mais savait-elle seulement qui il était ? Libery se souvenait sans doute de lui : un Akhal-Téké à la robe d'or et de cendres, en soit, un animal pas si courant pour cette région là du globe. Mais pour Pépite d'Or, il était un inconnu, une énigme malfaisante et mystérieuse, un fou ou encore un fanatique. Ce qu'il voulait qu'elle sache à présent, c'était que ses enfants étaient morts par sa faute. Pourtant, si son plan semblait parfait, il avait comme "oublié" un détail, et de taille pourtant.

Ce détail, c'était le père des poulains. Si en leur ôtant la vie il avait percé le cœur de la cremello, nul doute qu'il avait en même temps fait de Black Hole son Ennemi mortel. L.J. avait eu vent de la personalité entière de l'étalon aux mains combats. Il savait, par exemple, que son nom venait après ceux de Black, Stelmaria ou Equinox. On le disait capable de rivaliser avec eux, alors que certains disaient l'avoir aperçu en compagnie du jeune Shiki ; on disait que le Thar avait fait du Shikaku son mentor. Mais plus que ça, Black Hole était considéré comme fou. Mieux vallait être son allié que son ennemi. L.J. avait, sans mauvais jeux de mots, mal joué. Lui restait à prier quelques dieux auxquels il ne croyait pas pour espérer ne pas croiser sa route. Et d'ailleurs, il venait de s'élancer à travers la longue plaine d'Orage, son corps maigre de fauve féroce fonçant vers l'ennemi.

Désormais, plus rien ne comptait sinon que Pépite d'Or et Black Hole devaient apprendre que Bliss et Thief étaient morts à cause de la meneuse des étoiles. Avec un peu de chance, Hole se chargerait lui-même de Pépite dans sa folie : c'était sa faute à elle s'il avait perdu ses deux beaux enfants.

Zénith

Fantôme vivant, Zénith était sorti des Marais au petit matin, suivant le jeune chef de clan qui n'était autre que son fils. Il avait marché longtemps, restant toujours en retrait, pour ne pas froisser son enfant qui devait en ce moment prendre d'importantes décisions. C'est au petit matin qu'ils étaient arrivés sur les terres de Black, alors que le soleil brûlait déjà leurs corps brillants de sueur. Le puissant entier à la détonnante robe dapple posa ses yeux sur le ciel, comme s'il y faisait monter une prière à ses êtres chers. D'une oreille distraite, il avait écouté Black parler à ses guerriers. Un sourire amer habilla ses lèvres, alors qu'il repensait à leur rencontre, sur le fin sentier de terre qui serpentait à travers la dense forêt lourde d'humidité. Mais bientôt, une voix familière fit battre son coeur plus vite : Zanzibar, en jeune chef, venait de prendre la parole. Il parlait au nom d'un tout, d'une unité, comme s'il n'était qu'un simple guerrier, comme eux. Son fils était humble. Sa voix se chargeait d'accents fiévreux, alors que ses yeux luisaient de certitudes et d'intelligence. Son fils était passionné. Le silence, ensuite, revint, alors que chaque cœur battait plus vite. Si les yeux de Zanzibar s'étaient tournés vers Black, Zénith, lui, ne pouvait détourner son regard de son fils au corps de flammes. Gaïa aurait été si fière de lui ! Mais déjà, un hennissement perçait l'air, et les chevaux, enhardis d'un étrange sort, s'en allaient. Le dapple sa calla à l'allure de son fils, alors qu'il disait de sa voix trop grave :

- Laisse-moi être ton ombre, mon fils.

Lune Noire

Si Lune Noire n'avait jamais été mère, son cœur s'était tout de même joint à la douleur des siens. Deux enfants étaient morts, alors qu'ils ne demandaient rien. Après avoir écouté Sun Star et Lusitania, Lune Noire avait fait demi tour vers la silhouette noire d'un étalon qu'elle connaissait aujourd'hui. Elle calla son galop sur celui de Renji, n'osant pourtant briser le silence.

L'étalon à la robe de nuit galopait aux côtés de Lusitania, mais ses mots touchèrent une autre âme. Sun Star. L'étalon à la robe d'or et aux crins d'ivoire était là, en avant de ses guerriers, en avant de la mort. Il était, en cette chaude journée, sublime de puissance et de détermination. Black Hole eut un pincement au cœur, alors que son regard fou s'était posé sur le Soleil. Oh, si seulement Sun Star pouvait savoir à quel point il l'estimait, lui qui se jouait de tous. Et si son cœur de père était serré et troué, il n'oubliait pas la douleur qui habitait le cœur de cet ami, de ce guerrier, de ce chef de clan. Alors, dans un étrange mouvement de danse, Hole quitta un instant les flancs de neige et de sang de la belle, se rapprochant du puissant guerrier aux yeux d'or. Sa gorge était serrée, et il savait pertinemment que s'il parlait, sa voix serait plus rauque que jamais, entrecoupée d'accents aigus et comme malades. Mais il savait aussi qu'à cet ami il avait des choses à dire. Il tourna la tête, regardant cette masse furieuse et grondante qui se ruait derrière eux. Ils couraient tous vers la mort, pour ses enfants. Était-il possible qu'il ne soit pas seul, lui le Shikaku damné et haï ? Était-il possible que tous se battent pour sa cause, pour celle de ses enfants chéris ? Et si Black Hole s'était toujours trompé ? Mais là n'était pas la question, et plus les secondes passaient, et moins il penserait. Bientôt, il ne deviendrait qu'une machine de guerre, animée par la perte des siens. Bientôt, Hole ne serait plus qu'un monstre. Pourtant, il avait besoin de dire ces mots à Sun Star. Aussi, il se rapprocha davantage de lui, souhaitant qu'il soit le seul à pouvoir recueillir ses balbutiements comme ses desseins.

« Je savais bien que tu serais là, à galoper en avant de tes troupes. Je le savais tout comme je le redoutais. Je ... je pourrai te dire encore tant de choses, mais je suis persuadé que tu le sais déjà. Merci, Sun Star. Fais attention à toi, et que le Soleil puisse te garder. Si je sais déjà celui qui sera mon adversaire, sois sûr que je ne vous abandonnerai pas, toi et les autres. »

La voix de l'étalon mourut sur ses lèvres, alors qu'il adressait un signe de tête, bref et discret, à l'égard de l'étalon doré, qui en disait bien plus que ses mots. Il n'avait pas cherché à le blesser ni à l'insulter, et il savait que Sun Star avait compris. Il laissa alors son regard courir sur le corps de Lusitania, et sur ceux de Renji et de Vif-Argent, un peu plus en retrait. Bientôt, Hole s'en irait, rompant les rangs, slalomant jusqu'à son adversaire à pas de loup. Mais quelque chose en lui se déchira, alors que tout était déjà brûlé. Et si l'un d'eux ne revenait pas ? Et si un de ces corps se faisait rappeler à l'ombre ? Jamais il ne supporterait de perdre son Frère de Cœur, son fils, son ami ou encore sa muse. Tout comme il n'accepterait jamais de voir mourir Shiki ou Odyssée. Mais pourquoi se battaient-ils ? Pourquoi étaient-ils de l'autre côté, en face ? Promesse muette qu'il ne se faisait qu'à lui-même : jamais il ne se prendrait à la Dame d'Acier ni au Petit Prince ; toujours il veillerait sur le Soleil, sur son Frère de Cœur, sur sa muse de Neige et de Sang, ainsi que sur son propre sang.

Enfin, il pouvait partir, libérer cet instinct farouche et cruel, le laisser le submerger et l'engloutir. La réalité n'avait plus d'importance, le monde pouvait imploser : ses rêves étaient morts en même temps que ses enfants. Mais avait-il réellement le droit de penser cela ? Les siens étaient encore vivants. Ils galopaient tout autour de lui, jouant leur propre vie. Oh, qu'il regretterait ce jour singulier et grave, qu'il regretterait à jamais ... ! Mais déjà, ses yeux ne regardaient plus que la formation ennemie, dans laquelle il crut reconnaître Shiki, suivi de la Dame d'Acier. Son cœur se serra pour ceux qu'il aimait, une dernière fois peut-être, alors que la silhouette féline d'un ennemi attira son attention. Il était là. Sur un côté de la formation. Fauve, le puissant étalon vrilla, passant devant Sun Star et Lusitania, se séparant d'eux, et galopant toujours plus vite vers l'objet de sa vengeance. Le Joueur et sa robe d'or et de cendres. Le Joueur qui, en s'en prenant aux enfants de Pépite d'Or qu'il voulait faire payer, avait tiré le mauvais numéro.

Black Hole n'était plus qu'une masse furibonde, alors qu'une écume épaisse et blanche maculait sa bouche. Ses yeux noirs et fous roulaient dans leurs orbites, alors que ses sabots frappaient le sol avec une rage sincère. Le Shikaku n'était plus qu'un animal prêt à tout pour venir à bout de son ennemi. Sur la Plaine d'Orage, le corps du guerrier se détachait comme la tache d'encore se détache sur le papier blanc. Les oreilles rabattues sur son crâne, les dents en avant, Hole fondait sur celui qu'il avait fait sa proie. Le choc était imminent, alors qu'il semblait ne plus voir que cet animal, ne se souciant pas des guerriers ennemis qu'il croisait, de ces guerriers qui pouvaient pourtant lui jeter un coup de temps ou le faire chuter.

Paradoxe, Hole ne vivait plus que pour son Ennemi.

Black ou Shiki, ils l'avaient reconnu, et sans un mot, ils l'avaient salué, alors qu'il en avait fait de même. Zanzibar savait que sa place était ici, que c'était cette alliance qu'il fallait à son clan. Pourtant, il n'approuvait pas le motif de cette guerre. Bliss et Thief avaient son âge, celui de Shiki aussi. Ils auraient dû, eux aussi, participer à son changement. Peut-être seraient-ils devenus chefs de clan ? Peut-être auraient-ils formé de nouveau groupe ? Et qui sait, peut-être seraient-ils devenus amis ? Mais un étalon s'était permis de mettre un terme à leur histoire qui commençait à peine. Le cœur lourd d'incompréhensions et de dégoût, le bel alezan galopait tout de même, aussi vaillant peut-être que ces grands combattants. Ses naseaux étaient dilatés, et ses yeux grands ouverts. Lui n'avait personne en particulier sur qui veiller. Oh bien sûr, il pensait à Antéa, mais elle semblait ne pas être là. Un instant, il se demanda ce qu'aurait pensé Gaïa de cette histoire. Mais sans doute la dame grise n'aurait-elle rien pu dire, plongée dans l'ombre de son compagnon. Zénith qui, justement, venait à ses côtés.

« Le sang qui coule dans mes veines sera à jamais le tien. Mais préfère-moi les membres du clan : eux auront besoin de toi. »

Et sans attendre une quelconque réponse, le jeune animal plein de fougue et de sang accéléra. Il reconnut aisément Sun Star et Lusitania, qui galopaient côte à côté. Ils l'avaient reçu, l'écoutant durant de longues heures. Ils avaient été prêts à l'accueillir, lui et son clan, au sein de leur alliance. Et fils indigne, roi parjure, il venait heurter ses forces aux leurs. Mais il avait fait un choix, et il l'assumait, sans honte, puisqu'il pensait dur comme ferme à ses convictions. Et son cœur battait encore de bonne foi. Alors, il accéléra, corps ondulant et brillant de sueur déjà. Sun Star était sur sa trajectoire, et il semblait aussi déterminé que lui à se battre.

Il l'avait vue. Ses yeux noirs dans lesquels l'on pouvait voir une lueur bordeaux, comme une fleur dont le cœur serait la pupille, s'étaient posés dans les siens, quelques secondes seulement. Black était un chef de clan, il avait des devoirs et des obligations, et, sans se mentir, il aimait le danger, la lutte et la danse. Le cœur lourd pourtant, la jument des glaces ne pouvait s'empêcher d'avoir peur. Ils étaient nombreux à haïr l'étalon noir, et s'il était un des meilleurs guerriers que la terre n'ait jamais porté, il était faillible. Ses prières n'iraient qu'à lui, lui dont elle portait l'enfant. Mais déjà, les guerriers s'ébranlaient, et Black lui fut dissimuler. Alors, poupée de chiffons manipulée par un de ces sorciers, elle partit, tout comme eux. Des batailles se mirent à éclater tout autour d'elle, alors qu'elle ralentissait, cherchant encore contre qui se battre. Non loin d'elle, une jument noire, de quelques années son aînée sans doute. Fine et gracieuse, elle portait sur elle l'odeur du Soleil, alors que ses yeux bleus fouillaient le paysage de guerre ... Sorrow poussa un hennissement bref mais défiant.

Ni Sun Star ni lui ne décélérèrent, alors que l'étalon doré acceptait son défi, lançant le premier assaut. Ils se croisèrent, leurs corps se heurtant, mais les dents de l'étalon n'eurent pour prise que les crins de Zanzibar qui, tout comme son aîné, vrilla ensuite, finissant de délimiter cet espace qui deviendrait leur, le temps d'une joute, d'une journée et d'une bataille. Le fils de Zénith sentait son sang frapper ses tempes, alors que ses naseaux dilatés aspiraient l'air à grands traits. Il savait bien qu'il ne sortirait indemne de cette danse de mort, pourtant, ses yeux brillaient encore de détermination, alors qu'il avait dressé son encolure, sa tête barrée d'une longue liste portée haute désormais. Il adressa un dernier signe de tête respectueux à Sun Star, se levant au-dessus du sol ; ultime salut guerrier qui certifiait son entrée en lutte. Il aurait aimé lui dire qu'il était honoré de l'affronter lui, mais les mots, dans cette guerre qui opposait deux alliances, auraient été de trop. Aussi, le jeune étalon plein de feu préféra l'action : de nouveau il s'élança vers son aîné, compacté en un seul bloc de muscles et de nerfs, alors que ses puissantes mâchoires semblaient déjà chercher un point d'accroche sur le corps de l'animal.