Enfin chez soi... [Kimba]

Le soleil brillait timidement dans l'azur du ciel. Ce n'était pas un temps d'été, chaud et sec, mais de printemps. Le soleil réchauffait doucement les rochers qui dépassaient ici et là de la couche neigeuse, les rayons lumieux parvenaient à traverser la voûte des pins et sapins pour illuminer le couvert des connifères. Des perce-neige et crocus perçaient quelques fois, ajoutant des touches colorées à la clairière lumineuse. Quelques fougères encadraient le tout, et un petit riusseau murmurait. Le dégel était annoncé mais si les températures n'atteigneraient plus que rarement le négatif, la neige resterait toujours sur ces terres.

Au centre de la petite clairière, assis sur un rocher gris couvert de mousse verte et de lichen, un loup se tenait immobile et droit, fier. Ses yeux de cristal étaient plongé dans le vague mais il restait attentif, ses oreilles frémissant à chaque fois qu'un oiseaux audacieux lançait une trille joyeuse. Son pelage était plus blanc que la neige qui l'entourait et son épaisseur témoignait de l'hiver rude que l'animal avait passé. Il était plus grand et fin que ses frères loups arctiques. Les petits animaux qui habitaient là s'étaient réfugiés qui dans son terrier, qui sur une branche, qui dans son nid. Ils avaient senti l'odeur du prédateur. Une louve. Une louve d'une beauté sans pareil, mais la saison la rendait irritable, nerveuse. Les loups mâles qui l'avait jusque là courtisé s'étaient fait vivement remballés par la femelle en chaleur.
Irritée, Kaja poussa un grognement bref. Elle s'était isolée pour avoir la paix, loin de ces idiots qui, maintenant qu'ils possédaient une terre ne passaient plus que du bon temps. OK, quoi de mal à celà ? Nouveaux grognement : la meneuse, elle, n'avait pas oublié la menace féline qui planait sur les Wolfs. Les léopards géants avaient beau se trouver à des dizaines de kilomètres, maintenant, elle savait qu'une telle distance était vite franchie par les énormes prédateurs. Heureusement, les léopards étaient très peu nombreux. Presque une éspèce en voie de disparition. Alors que les Wolfs prospéraient.
Kaja poussa un nouveau grondement. Décidement, elle était trop nerveuse, la saison des chaleures ne lui réussissait pas du tout.

Il se tenait, immobile, hésitant, à la lisière de la neige et de l'herbe. Derrière lui, les territoires rassurants, familiers, de Wild Horses. Devant lui, les roches claires et brillantes du territoire des Wolfs Arctiques. Les Wolfs Arctiques. Son espèce, pas sa race. Pas son peuple. Mais avait-il un peuple? Un Wolf est un animal de meute, faite pour chasser et vivre en communauté, pour obéir à un chef et partager la viande...il n'avait jamais goûté à cette communion de la meute. Sa meute à lui, c'étaient Sun Star, Stella et leurs deux fils. Par reconnaissance, il avait juré de les protéger, pour remercier Sun Star de l'avoir accueilli sous son aile, lui le Wolf solitaire. Un canidé n'est pas fait pour vivre seul...mais il avait été repoussé par les siens. Pourquoi? A cause de la Nature, qui lui avait offert, là où beaucoup n'ont qu'une robe brunâtre, un pelage noir et luisant, une haute silhouette là où les autres étaient râblés, de la force lorsqu'ils étaient faibles. Parce que la génétique l'avait doté d'un modèle différent, les siens l'avaient haï. Haï pour sa force supérieure à la leur, pour sa robe étrange, qui lui permettait, mieux que personne, de se fondre dans le silence de la nuit et la forêt. Haï pour sa différence. Ils l'avaient chassé. Tous l'avaient chassé, les uns après les autres, haineux et jaloux.
Tous, sauf un. Une. Une louve blanche, plus petite que les siens, d'un autre sang que le leur...une louve qui avait fédéré sous sa coupe toutes les tribus des Wolfs Arctiques, et résistait depuis des années, obstinément, à Tharaman et les autres léopards. Une louve à la beauté remarquable, au charisme impressionnant. Une louve qui était le daemon d'un ennemi de Sun Star. Une louve. Kaja.
Grâce à elle il avait réappris à vivre parmi des Wolfs. Grâce à elle il avait cessé d'être le loup solitaire...lié par son serment à Sun Star, il n'avait cependant pas réintégré de groupe. Il ne le pouvait pas. Mais désormais il était en paix avec les Wolfs des forêts. Il serait éternellement reconnaissant à Kaja pour cela. Mais...il n'était pas resté parmi les siens, avait continué à les éviter. Car eux, ils l'acceptaient sans l'aimer. Les louveteaux l'adoraient, les adultes se méfiaient de lui et rappelaient leurs petits. Ils ne pouvait effacer cette peur ancestrale du loup: la peur de l'inconnu. Il incarnait à leurs yeux cet inconnu, car il s'était lié à un cheval, car il était noir et plus grand qu'eux. Ils ne le chassaient pas, mais ils ne l'aimaient pas comme un des leurs. Il était resté l'ennemi de sa race.
Le loup fit enfin quelque pas. Il voulait la revoir. Kaja, la louve blanche. Ses pattes noires s'enfoncèrent dans la neige. Il avança rapidement, il se savait vulnérable car très repérable. Il cherchait, dans l'immensité blanche, une fourrure blanche dont il espérait entrevoir le lustre.
Il la vit, enfin, sur un rocher, au centre d'une clairière. Aussi belle que dans soin souvenir. Elle semblait perdue dans ses pensées, et le loup hésita à s'approcher. Enfin, il fit quelques pas vers elle, et l'observa avec admiration. Elle était vraiment belle, et encore plus ici, dans son monde et son élément.
Kimba finit par se signaler d'un aboiement de loup, un aboiement rauque et bref. Puis il éleva un peu la voix:

"Kaja..."

Mais il ne se décida pas à s'avancer dans le cercle formé par la clairière. Il resta à la lisière des arbres, hésitant, anxieux, presque apeuré.

La truffe de la femelle frémit et un éclair traversa ses yeux limpides. Encore ! Ils ne cesseraient donc jamais de l'importuner ? Un grondement sauvage sorti de sa poitrine. Il dura quelques minutes, puis, n'obtenant pas de réponse, la louve leva la tête. Ses yeux bleus se posèrent impérieusement sur la fourrure noir et épaisse, son regard accrocha les pattes fines mais robustes, caressa les muscles puissant qui se laissaient deviner sous le poil sombre. Quand elle plongea son regard dans les yeux jaunes de Kimba, toutes trace de mauvaise humeur avait déserté son visage. Ses muscles restaient cependant tendus, même si elle savait le loup noir son ami. Ses oreilles dressées et un sourire au coin du museau, excitée comme une puce à l'idée que leurs chemin se croisent à nouveau, elle trilla avec entrain:

" Kimba ! "

La meneuse sauta de son promontoire et s'avança de quelques pas plein d'énergie mais aussi légère qu'une plume. L'attitude assez étrange de son ami la surprenait un peu et -elle n'y pouvait rien, c'est l'instinct- la rendait méfiante. Elle posa des yeux interrogateurs sur lui. Il adoptait une attitude qui était presque celle qu'avaient d'ordinaires des loups d'une meute en présence de leur chef, celle de la soumission. Chez Kimba, cela n'était pas flagrant, mais Kaja n'était pas devenue leader en sautant aux conclusion. Pensive, elle attendit. Qu'avait donc le wolf noir ?

Kimba recula imperceptiblement en entendant le grondement peu amène de la louve blanche. Il aurait pensé qu'elle, elle ne l'enverrait pas promener! Le Wolf, déçu de n'avoir pas trouvé de compagnie, s'apprêtait à faire demi-tour, mais, à cet instant, Kaja se tourna vers lui son expression changea du tout au tout. Elle paraissait contente de le revoir. Elle était contente de le revoir et, dès qu'il s'en fut aperçu, le coeur du loup noir bondit comme une grenouille folle dans sa poitrine large. L'animal eut un sourire en réponse à l'exclamation de la louve blanche. Il aimait bien son nom, et l'entendre prononcé par un être cher était quelque chose qui lui plaisait encore plus. Un plaisir simple et intense dont il avait toujours été privé jusqu'ici, excepté lorsque Sun Star s'adressait à lui. Mais ce n'était pas pareil: Sun Star était un cheval. Kimba, quoique rejeté, était irrépressiblement attiré vers sa propre espèce. C'était sans doute ce qu'on appelait l'instinct...
Le loup noir détailla son vis-à-vis avec un regard brillant. Elle était toujours la même, belle, gracieuse, enveloppée dans sa fourrure blanche comme d'autres se drapent dans une cape avec fierté...Le loup noir, bien qu'il n'osât se l'avouer -toujours cette maladive timidité- la trouvait vraiment très jolie. Superbe.
Il se redressa lorsque son amie bondit du promontoire où elle se trouvait, et s'avança vers elle, presque gauche et emprunté. Il se sentait un peu timide, comme toujorus face à un autre loup, même s'il savait que cette louve-là ne lui ferait aucun mal...c'était une attitude ancrée dans ses gènes depuis qu'il avait été rejeté par ses semblables. Le loup noir sourit et s'adressa à Kaja:

"Bonjour Kaja...content de te revoir."

Kaja laissa pendre un petit bout de sa langue rose, amusée. La Wolf noir semblait si hésitant ! Presque pataud. Puis, elle se jeta littéralement sur lui en pépiant, mot assez précis pour traduire les rires et les exclamations qui fusaient, tels un carillons de clochette. Elle avait l'intention de le faire rouler sur le dos, ou au moins sur le flan, mais doutait d'y arriver. En effet, si elle était plus grandes que ses semblables les Wolfs arctiques, elle n'en demeurait pas moins plus petite que les Wolfs des Forêts ou des plaines. Qui plus est, Kimba était encore plus développé que ses frères. Elle finit cependant par s'interrompre de farfouiller avec sa truffe dans l'épaisse fourrure de Kimba et lui passa un grand coup de langue sur le museau.

" Tu m'as manqué !!"

La louve blanche recula un peu, ne quittant cependant pas le loup noir des yeux. Elle n'était pas si expensive d'habitude. Se contentant de donner quelques ordres par ci par là dans une meute, de hocher la tête avec formalité devant un autre meneur occuppant pourtant une place inférieure à la sienne au sein des loups... Mais la guerre était plus loin que proche, à présent. La guerre des nerfs, en quelques sorte. Elle était trop habitué à commander. D'ailleurs, il lui semblait que c'était la première fois qu'elle se comportait ainsi avec un autre loup.
A présent, les oreilles dressées vers lui, une étincelle espiègle dans ses yeux cobalt, elle attendait "sagement" la réaction de Kimba.

En effet, il se sentait pataud, lourdaud...et surtout stupide. Il avait eu envie de compagnie, avait décidé de rejoindre Kaja. Pourquoi Kaja? A lui-même, il se répondait: parce qu'elle est mon amie. Et sa conscience reprenait sur un ton ironique: ton amie? Le loup noir s'était souvent creusé la tête pour comprendre ce que voulait dire cette petite question railleuse, sans jamais en saisir le sens.
Le loup noir laissa la louve blanche l'entourer comme un tourbillon de glace, pépiant, visiblement heureuse de le revoir. Quand elle commença à lui donner des coups de museau, à ébouriffer sa fourrure noire, il rougit sous son poil épais. Elle se jeta sur lui, et le Wolf, bien qu'il n'eût aucune difficulté à résister au poids léger de la femelle, se laissa glisser sur le flanc. Juste pour lui faire plaisir. Puis il roula pour se coucher sur le ventre, pattes étendues devant lui. Kaja lui lança un grand coup de langue sur le museau, et Kimba eut un sourire. Son coeur bondit bizarrement dans sa poitrine tandis qu'il répondait, un peu maladroit:

"Euh, oui, Moi...moi aussi."

Lorsque Kaja se redressa, il se sentit à la fois déçu et soulagé. Déçu qu'elle aie cessé de lui frotter agréablement le cou avec son museau, déçu de ne plus sentir ce bizarre contentement, qu'il n'avait jamais connu auparavant, et soulagé parce que, plus elle s'approchait de lui, plus il se sentait mal à l'aise. Il sentit l'odeur fraîche de son pelage, et fixa la louve blanche avec un sourire un brin timide. Elle avait vraiment de beaux yeux, songeait-il, des yeux qui faisaient comme deux saphir enchâssés dans du diamant. Bleus comme le ciel le plus bleu, le ciel d'été, comme deux gemmes étincelantes, comme l'eau des mers du Sud...perdu dans sa rêverie, il remarqua qu'il était resté un certain temps immobile, à regarder bêtement les beaux yeux de la louve. Le mâle noir se sentit soudain très idiot, et, embarrassé, passa sa langue sur ses lèvres avant de chercher désespérément quelque chose à dire.
Grand moment de solitude.

La meneuse blanche laissa échapper un petit rire clair. La timidité de Kimba l'avait toujours amusée. Alors que lui était hésitant, elle, était plutôt du genre à foncer droit devant. Leur différence de caractère était assez originale. La louve pointa ses oreilles vers Kimba, essayant de percer ses pensées. Avec des loups de sa meute, elle y serait parvenue sans mal, leur état d'esprit se limitant la plupart du temps à obéir, plaire à leur leader, arracher une bonne part de viande à l'animal abbatu avec la meute et s'approprier un coin réchauffé par le soleil pour dormir en paix.

" Que deviens tu ? Cela fait longtemps qu'on ne s'est pas vu. Tout va bien, pour Sun Star et sa famille ?"

La seule fois ou elle avait rencontré l'étalon doré, c'était le jour ou le père de sa "maitresse" et meilleur ami du Chef du Clan du Soleil, Balbas, avait succombé sous les coups mortels de sa soeur, Stelmaria. Elle avait retenu de lui la sagesse et le feu qui couvaient dans un grand Chef, et avait conclu que ce cheval était juste et droit. Certainement le Clan le plus juste, dans la guerre qui déchirait Wild Horses...

Le rire de Kaja résonna dans les oreilles de Kimba comme une musique délicate et cristalline, comme les trilles d'un oiseau moqueur, et le loup se sentit encore plus idiot que précédemment, si c'était possible. Il observa son amie, oreilles pointées devant elle, qui le fixait. Essayait-elle de deviner ce à quoi il pensait? Étant meneuse, elle était sans doutes douée pour cela. On ne parvient pas à ce rang élevé sans une bonne dose de capacités et de psychologie. Du moins chez les Wolfs Arctiques, mieux dégrossis que les Wolfs des Forêts, chez qui c'était tout bonnement le plus gros, le plus agressif et le plus fort qui héritait du rang, à condition qu'un héritier du chef ou de la femelle dominante ne soit pas déjà sur les rangs.
Kimba entendit une véritable avalanche de questions. En tous cas, pour lui, timide et taciturne, ces deux interrogations en étaient une. Courageusement, il tenta de répondre en se promettant de ne pas bégayer ni trébucher sur ses mots. Amusant...il était le plus adroit des Wolfs des Forêts, pourtant il se cassait la figure sur ses propres paroles comme le premier des louveteaux.
Il souffla:

"Je ne deviens...pas grand-chose. Un chasseur solitaire et un ami de Sun Star...un compagnon de jeux pour Comète, Crystal et tous les autres...quoi de plus?"

Un silence, un peu amer, puis la suite:

"Sun Star et sa famille vont bien. Enfin, bien...un cheval a déboulé, Equinox, qui dit être le fils de Devil et vouloir venger son père qui aurait été tué par traîtrise, par derrière, par Sable Noir, alors que Devil venait d'épargner Black...si seul ce cheval -qui ressemble à Black comme à un frère d'ailleurs- l'avait dit seul, je ne l'aurais pas cru, mais Sun Star lui-même l'admet...Et ça a créé quelques histoires de famille, puisque Sun Star, avec son sens de l'honneur, estime que Equinox est dans son bon droit, et que Stella pense qu'il devait échapper à Equinox. Mais Sun Star a promis à ce fils de Devil qu'il serait là le jour où il voudrait le chercher, mais qu'ils s'agirait d'un combat, et pas d'un assassinat. En d'autres termes, il défendrait sa vie...mais CannonBall a perdu face à Devil, qu'adviendra-t-il de Sun Star face à son fils? Je ne veux pas perdre mon compagnon...Mais il m'interdirait de me battre avec lui...et comment lui en vouloir? Il veut que quelqu'un puisse rester veiller sur sa famille. Mais pourquoi faudrait-il que ce soit lui, et pas les autres, qui paye pour son père? J'en ai assez de le voir payer les pots cassés...
Mais il ne se dérobera pas, et je le comprends...seulement je ne veux pas le voir se faire exterminer par ce cheval qui ressemble par trop à Black. Et Black est tellement supérieur au combat à son frère...
Je crois que c'est, quoi qu'on pense de lui, lui le cheval le plus droit et méritant de Wild Horses, et pas Liberty."

Il avait beaucoup parlé, déversant tous ces torrents de mots qui obnubilaient son esprit et noyaient son coeur dans une mer agitée, d'inquiétude et de colère. Il avait parlé et maintenant se tenait immobile, surpris du nombre de mots qu'il avait prononcé. Il avait tout simplement tout confié à Kaja.
Et sans bégayer.

" Je n'ai jamais rencontré Liberty, aussi je ne pourrais pas te faire part de mes impressions à son sujet. Toutefois Sun Star m'a parut être un cheval tout à fait respectable, lorsque nous nous sommes rencontré, sur les Terres de Stelmaria. A propos, qu'est-ce qu'elle devient, celle là ? Cet Equinox qui débarque en voulant tuer ton compagnon en plus de la petite jument rouge, ça fait beaucoup en même temps, non ? "

Kaja écouta patiement le loup noir lui confier ce qu'il avait sur le coeur, d'abord en tant qu'amie, puis en tant que chef. Mine de rien, la louve blanche rangea les informations que Kimba venait de lui confier. Chez les Wolfs, plus un meneur en savait, mieux c'était. Ca pourrait toujours servir plus tard. Ou jamais. La leader ne put empêcher ses yeux de trahir son amusement : le loup noir avait tellement parlé ! D'habitude, elle ne réussissait qu'à lui arracher quelques mots sybillins. Elle savait que cela n'était pas méchant de la part de Kimba, juste qu'il était maladroit, cette maladresse qui le rendait assez attendrissant. Elle ne doutait pas qu'elle fut la seule louve à pouvoir lui faire autant la conversation, et aussi à le trouver... attendrissant, d'ailleurs !

"Sun Star? C'est le plus respectable, à mes yeux, des chevaux "importants" sur Wild Horses. Lui ne joue pas les hypocrites comme Liberty...sais-tu, Sun Star me l'a confié, que Liberty dit être fille de Sable Noir et se vante de ses origines prestigieuses, mais elle n'est pas la soeur de sang de Black et Sun Star? Elle a été adoptée par Larme Blanche, mais visiblement les deux frères -ils étaient très proches, et souvent j'entends Sun Star, quand nous sommes seuls, regretter leur enfance, lorsqu'ils étaient encore deux frères unis- ne l'ont jamais considérée comme leur soeur.
Et il n'est pas avide de combats et de vengeance comme Black...encore que, si je devais établir un classement de ces trois chevaux, Black arriverait en deuxième place, derrière Sun Star.
Cet Equinox a convaincu Stelmaria de laisser Crystal Noir tranquille, et de ficher la paix à Sun Star...pour que lui-même s'en occupe mieux. Qu'Equinox et Stelmaria se connaissent et soient visiblement proches -à part ça, comment pourrait-il convaincre la Jument Rouge de renoncer à une de ses proies? -m'inquiète franchement beaucoup. Stelmaria connaît Black...si en plus cet étalon s'y met, Sun Star aura trois des meilleurs chevaux de Wild Horses sur le dos...Lui ne les craint pas, mais moi j'ai peur pour lui. S'il meurt, je...je me retrouverais tout seul, sans véritable famille. Depuis de nombreuses années, c'est lui ma meute."

Kimba s'allongea au sol et bailla au soleil, dévoilant l'espace d'un instant des crocs blancs et étincelants, poignards certes pas aussi tranchants que ceux d'un félin, mais aussi dangereux. Sa fourrure noire le réchauffait, et il roula sur le flanc, puis sur le dos, et cligne des yeux au soleil. Regard mi-clos, il resta sur le dos, ventre offert, ce qui traduisait chez lui comme cehz les loups une totale soumission...ou une totale confiance. Pour lui c'était la confiance.
Il se laissa bercer par les rayons du soleil, espérant sans illusions qu'ils pourraient balayer ses pensées moroses et ses craintes comme ils balayaient l'obscurité.

Kaja écouta une fois de plus attentivement les paroles du loups. Les informations qu'il lui offrait involontairement étaient rangées bien sagement et précieusement. Sa voix l'enchantait. Grave, elle reflétait la masculinité même, et la louve se déléctait de l'entendre.
Lorsqu'il lui concéda sa crainte de voir son cheval tué, et de se retrouver à nouveau tout seul, elle ne put retenir un cri d'indignation. Une lueur de colère au fond des yeux, la femelle vint se planter devant Kimba, roulé sur le dos, sa truffe noire touchant presque la sienne, un grognement menaçant s'élevant de sa gorge :

" Ecoutes moi, bien, cervelle de souris : si un jour Sun Star doit mourir, tu ne te retrouveras pas tout seul ! J'éspère bien que tu viendras me trouver ! Et si tu n'oses pas, je viendrais te chercher et je t'emmenerais de force, que tu le veuilles ou non ! Et ta meute se réduiras à moi ! Tu ne resteras pas tout seul, compris ?! "

Kaja était plus petite que le mâle, plus fine, et bien moins forte. Cependant, elle ne doutait pas de réussir à l'embarquer avec elle. Elle utiliserais d'autres moyens de persuation, s'il le fallait... Des moyens bien moins guerriers !

Toujours penchée au dessus de Kimba, la meneuse attendait, l'échine hérissée. Il pouvait bien protester, elle ne lui laissait pas le choix. Ni maintenant, ni le jour venu !

Entendant le cri indigné de Kaja, Kimba sursauta et voulut se redresser, mais il n'en eut pas le temps. La louve était sur lui, truffe contre truffe, menaçante et le plaquant au sol. Désorienté, le loup noir caressa un instant l'idée de se débattre. Dans cette situation inattendue, il aurait préféré être bien campé sur ses quatre pattes, car sur le dos, il était en position de vulnérabilité face à la louve blanche. Le grondement menaçant de Kaja lui fit coucher les oreilles tandis que son regard incertain allait et venait, pour finalement se fixer sur les yeux de la femelle. La proximité avec Kaja le faisait frémir, et pas seulement d'incertitude. Une sorte de peur lui nouait le ventre, comme une gêne. Oui, c'était cela. La position de la louve le gênait, il aurait rêvé de se dégager mais aussi de rester ainsi pour l'éternité. Puis Kaja parla.
Kimba pointa les oreilles, à la fois surpris et agréablement comblé par la réplique virulente de la meneuse. Mais ses derniers mots le surprirent. Et ta meute se réduira à moi...Le loup noir l'observa, une oreille pointée vers elle et l'autre penchant vers le côté:

"Ma meute se réduira à toi? Mais...tu n'es pas toi-même meneuse d'une meute? Tu possèdes une meute, donc si je te rejoins...ne ferais-je pas partie de ta propre meute?"

Son instinct soufflait qu'il ne fallait pas le comprendre comme cela, mais Kimba souhaitait être sûr tout de même. Et puis, l'autre possibilité le surprenait vaguement...il la trouvait si improbable. Pour lui, passe encore, mais pour elle...
Il poussa soudain un léger couinement et tenta tant bien que mal de se dégager. Ce faisant il se débattit entre les pattes de Kaja, parvint à rouler sur le flanc, mais ne réussit ensuite qu'à s'emmêler avec son amie. Maladroit, timide, gêné par la proximité de sa fourrure avec celle de la louve, il resta immobile, tournant juste la tête pour observer Kaja et faire remarquer:

"J'ai appris à vivre seul, tu sais..."

Kaja s'emmêla les pattes dans celles de Kimba quand il se débattit. Sans en être incommodée, elle pivota tant bien que mal, hésita, puis libéra le loup noir. Elle recula de quelques pas et considéra Kimba un instant. Oui, le loup noir avait appris à vivre seul. Plus qu'elle, surement, même si elle avait passé un long bout de sa vie à errer seule dans le désert polaire. Mais elle, elle avait toujours su que sa meute l'attendait, quelque part dans l'immensité glaciaire. Seulement Kimba, lui, n'avait rien à quoi se raccrocher. Personne.

" Je passe déja bien plus de temps qu'avant en solitaire. Je ne revoit des loups, blancs ou gris, que quand un problème qu'ils n'arrivent pas à régler perdure, comme je l'ai fait pour les territoires. Je n'ai pas toujours été meneuse d'une meute..."

Sa voix se brisa, ses yeux se perdirent dans le vague. Son histoire, nul d'autre qu'elle ne la connaissait, parce que tous étaient trop intimidés pour l'approcher et bavarder simplement, de loup à loup, d'égale à égale. Cela n'était pas le cas avec Kimba.

" Préfèrerais tu vraiment une vie de solitaire à ma compagnie, que tu argumentes tant pour rester seul ?"

Kimba bondit sur ses pattes, sitôt que Kaja le libéra. Il se sentait de plus en plus gauche et intimidé avec la belle louve blanche. Le Wolf Noir frotta son museau à l'aide de sa patte ébène, puis fixa son amie sans mot dire. Il avait du mal à comprendre pourquoi la louve, qui avait la chance d'être membre d'une meute, la quittait...Il lui en fit part:

"Toute ma vie, j'ai rêvé de faire partie d'une meute. La solitude est si pesante...et toi, qui as la chance d'être membre d'une meute, tu rechercherais plutôt la solitude...
Cela dit, je veux bien croire que la vie de meute devienne à la longue aussi pesante que la solitude...Croire seulement, parce que je n'ai jamais connu une vraie vie de meute. Même lorsque ton intervention m'a permit d'être mieux accepté des autres loups, je suis resté le paria. Le loup trop grand, trop différent d'eux, en butte à toutes les moqueries. Le dernier à manger...et quand j'ai commencé à chasser seul pour me nourrir, puisqu'ils ne me laissaient rien, ils m'ont attaqué, sous prétexte que je devrais avoir honte de ne pas ramener la proie à la meute. J'aurais pu les tuer, je suis parti. Aucun ne porte la marque de mes crocs. Aucun n'a de raison de me haïr...Et pourtant ils me détestent.
Peut-être aussi est-ce ma faute...peut-être suis-je incapable de vivre avec les autres...Je n'ai jamais joué avec un seul loup, jamais partagé les proies ou hurlé en coeur avec un des miens...jamais appris à vivre avec ma propre espèce, tout simplement.

Tu n'as pas toujours été meneuse? Je...je veux dire, euh...tu n'es pas obligée de répondre si la question te paraît indiscrète et...Qu'étais-tu, avant d'être meneuse?"

Il rougit jusqu'à la pointe des oreilles. Il se trouvait idiot, mal élevé et indiscret.
Il évita le regard de Kaja puis répondit à sa question. Et, cette fois, ses yeux jaunes croisèrent ceux de la meneuse, et sa voix retentit d'accents de sincérité:

"Envisager de vivre avec toi impliquerait la mort de Sun Star...
Bien sûr que je préfère ta compagnie à la solitude! C'est juste que...je ne sais pas. J'ai toujours vécu seul, et j'ai du mal à m'imaginer vivre en ta compagnie...Mais je préférerais ta compagnie à n'importe quelle vie et..."

Il réalisa ce qu'il venait de dire et poussa un grondement horrifié en détournant les yeux. Cette fois-ci, même sa fourrure ne pourrait empêcher la louve de se rendre compte qu'il rougissait...il avait soudainement très chaud. Et il se sentait très bête. Et très maladroit. Et très gêné.
Mais qu'est ce que je viens de dire?

Malgré sa forte envie de rire, Kaja vérouilla séverrement son ironie dans un coin et put empêcher ses babines de trembler. Garder son sérieux en voyant le Wolf noir dans cet était était bien dur ! Mais elle se calma presque aussitôt et annonca aussi sérieusement que naturellement :

" Je n'ai aucunnement besoin de la mort de Sun Star, ni de personne, pour savoir que je t'aime. "

Et puis, vu que ça ressemblait quand même fichtrement à une déclaration, elle enchaîna, peut être un peu trop vite :

Les loups ont leurs propres légendes, comme les hommes, comme les chevaux ou les léopards.
Je ne suis pas née dans une meute. Mes deux parents en avaient été rejetés, mais pas par discrimination. Ils n'étaient pas frère et soeur, mais possédaient le même pelage d'un noir de nuit et une belle taille. Deux Wolfs Arctiques noirs, au milieux d'une meute blanche, ou gris, pour les plus foncés. Et aucun de nos ancètres ne s'était mélé à des wolfs des forêts, nous en avons la certitude, puisque nous ne savions même pas que vous existiez.
Or, les loups arctiques ont une rumeur plus qu'une légende qui dit que de ce deux loups naîtra quelque chose de très on, ou très mauvais. Ils les ont donc mis à l'écart, ne se rendant pas compte que, dans l'immensité du Désert Blanc, ils allaient avoir besoin l'un de l'autre et ainsi se rapprocher. Au bout de quelques années, les meutes n'ayant plus de signe de vie, elles oublièrent les deux loups mis à l'écart.
Et puis je naquis. pas dans une meute pour me protéger, mais entourée de mes deux parents attentifs et protécteurs. Ils m'élevèrent vite et bien, m'enseignant la chasse et la course.
Ma mère était un caractère fort, une louve fière et impétueuse. Elle serait surement devenue une louve alpha si elle n'avait pas été chassée. Elle était la plus sombre. Toute en finesse, les yeux d'un bleu ciel pur. Elle s'appelait Blue. Quant à mon père, il était plus calme, plus doux. Il était d'un noir moins foncé, qui devenait argenté à sa truffe et ses pattes. Ses yeux étaient jaunes. Il s'appelait Sang-Noir.
Quant à moi, j'étais le portrait craché de Blue, mais aussi blanche qu'elle était noire. Plus étincelante que les autres Wolfs. Et mes yeux identiques aux siens.
Quelques fois, alors que nous chassions, nous entendions une meute chanter au loin, ou nous tombions sur une patrouille en chasse. Mais toujours de loin. C'est ainsi que la rumeur revint. Deux loups noirs et une louve blanche dans le Désert. Mais les meutes ne semblèrent pas se soucier de nous, enfin... pour ce que nous entendions de leurs chants.
Et puis, un jour alors que mes parents étaient partis plus encore au Nord, ils furent attaqués et tués par un léopard. C'est pourquoi je les hais. Je survécu quelques mois seule, puis, lassée de ma solitude, je me dirigeait vers la meute dominante, la plus grande. Ils ne me posèrent pas de questions, ils savaient qui j'étais. Petit à petit, je gravis les échelons en multipliant les conquêtes, dans tous les sens du terme, et j'en suis finalement arrivée là.

"Je te passe tous mes doutes et mes plans de batailles contre ces foutus félins. "

Kimba se sentait de plus en plus bête. Mais la suite des paroles de Kaja l'emplirent d'un étrange sentiment. A la fois gêne, encore plus forte, et satisfaction, joie...une drôle de chaleur, un coeur qui battait drôlement vite pour un chasseur au repos. Il secoua de nouveau la tête, espérant vaguement que ce geste anodin dissiperait la chaleur intense qui régnait sous sa fourrure noire, et voulut parler. Mais se tut, car Kaja avait dit quelque chose.
Il ferma brièvement les yeux, écouta beaucoup, comprit beaucoup et analysa peu. Puis il observa Kaja. Ouvrit la gueule. La referma et, finalement, murmura:

"Les Wolfs m'ont craint et détesté dès mon premier jour. Je n'ai jamais fait partie de leur meute. J'étais un étranger, haï, leur rappelant trop de mauvais souvenirs...Kimba...ce sont eux qui m'ont nommé. Mon homonyme était comme moi.
Je suis né au sein d'une meute. Le premier son que j'aie entendu était une série de cris de surprise. Mais il est noir! Oui, j'étais noir, noir comme la plus noire des nuit, comme l'abîme et l'ombre au crépuscule, pourtant, mes parents étaient des Wolfs des Forêts, gris et fauves, aux yeux sombres, bruns comme tous ceux de ma race, des chasseurs respectés.
Mais chez eux, les préjugés avaient la vie dure, et les superstitions aussi. Greyback, le premier Wolf à avoir jamais fédéré les Wolfs des Forêts, s'était allié avec CannonBall et mourut, comme tant d'autres, sous les sabots de Devil et ses sbires. Or, Devil possédait un compagnon, Kimba, un grand Wolf noir aux yeux jaunes, une créature puissante qui tuait presque sans le moindre effort ses compagnons de race. Les Wolfs tombèrent comme des mouches.
Et ce carnage était encore dans tous les esprits lorsque je vis le jour.
Ma robe m'attira bien des moqueries, mes parents furent relégués au ban de la meute, et nourris, comme les louveteaux ou les parias, sur les restes des carcasses. Autant dire bien peu. Et pourtant, malgré toutes ces privations, ils me nourrirent.
J'ai oublié de dire qu'à ma naissance, nous étions trois. Mes deux frères étaient morts peu après, il était gris. On ne m'accusa jamais ouvertement, mais on me soupçonnait d'avoir tué mes frères...moi, un louveteau d'à peine quelques jours!
Moins nourri que les autres, je grandis pourtant autant qu'eux, aussi vite qu'eux. J'avais faim, mais pourtant je rivalisais en taille et en force avec eux.
Si la situation n'avait déjà guère été brillante à ma naissance, elle empira lorsque mes yeux s'ouvrirent. Jaunes, comme le compagnon de Devil. Dès lors, la méfiance redoubla, mais mes parents me défendaient griffes et crocs.
Sevré, les ennuis commencèrent. On aurait voulu me chasser, mais mes parents menaçaient de s'en aller aussi. Et comme ils étaient de grands chasseurs, essentiels à l'équilibre de la meute, on les garda. Moi avec.
Mais j'étais sans cesse en butte à l'animosité des autres louveteaux. Leurs parents leur interdisait de m'approcher. Eux me raillaient pour ma robe, m'interdisaient l'accès aux carcasses. J'en étais réduit à ronger les os nettoyés. J'appris vite à chasser de petites souris. Bien peu de nourriture, comparé aux autres. Mais, malgré cet apport faible, je grandissais. J'étais bientôt plus grand et robuste que mes congénères. Plus fort, aussi. Plus musclé, plus rapide, plus puissant, mes mâchoires plus solides, j'attirais leur jalousie autant que leur crainte. Jalousie et crainte devinrent vite haine. Où que j'aille, ce n'étaient que crocs dressés face à moi et regards froids, accusations et insultes. Sbire de Devil, larbin du tyran, entendais-je sur mon passage.
Et puis un jour, deux loups m'attaquèrent. Mes parents prirent ma défense. Mais la meute avait eu un nouvel alpha, et deux autres chasseurs, plus puissants que mes géniteurs. Ils s'interposèrent, et l'alpha ordonna leur exécution pour, je cite: "Avoir défendu un serviteur de félon". Ils moururent sous mes yeux. Ils étaient plus forts que les loups, et s'acharnèrent sur eux, leur infligèrent de multiples blessures avant de les égorger. Mais ils seraient morts tous seuls, vu ce qu'ils avaient perdu de sang. Alors, il laissèrent leurs cadavres aux vautours. Je ne pus même pas recouvrir leurs corps de terre.
On me chassa, à coups de crocs, et j'errais longuement, plus seul que jamais, la rage au coeur. J'évitais mes semblables, et on m'appela Le Vagabond. En me voyant, les mères rappelaient leurs louveteaux et les mâles me chassaient à coups de crocs. On me haïssait. Pour ma robe, pour ma force, pour mes yeux. Parce que j'étais la cristallisation de leurs peurs.
Je quittais un jour le territoire des Wolfs, me jurant de ne jamais y revenir. Je dus éviter les félins, les compagnons chevaux décidés à me tuer, et puis, un matin, ma route a croisé celle de Sun Star. Lui m'a considéré avec surprise, mais sans peur ni défiance, et me demanda simplement quelle était mon espèce, puisque je n'étais assurément pas un Wolf des Forêts. Et là, sans savoir pourquoi, je lui ais tout raconté.
La colère, les souffrances, les railleries, les crocs, les privations, la honte de n'être pas comme les autres, l'incompréhension devant leur cruauté à tous, les peurs, les remarques en coin, insidieuses et haineuses, la fureur, les cris de la meute, le sang de mes parents sur le sol, leurs râles, leur dernier regard. Morts de m'avoir aimé. L'habitude prise, de me refermer sur moi-même, toujorus la peur des autres, présente là, quelque part, la crainte de leur regard, de leur jugement.
Et lui m'a raconté son histoire...et j'ai découvert qu'il était fils de Sable Noir, et qu'il ne suffisait pas d'être fils de roi pour être heureux. J'ai découvert Black au travers de ses mots et compris son importance à ses yeux. Son départ. Frère perdu. Ses doutes, ses peurs, la traîtrise et la félonie de celui que tous voyaient comme le sauveur; j'ai tout appris de lui. Je le connais par coeur, comme il me connaît.
J'ai traversé la tourmente du retour de Black avec lui, j'ai vécu à ses côtés, j'étais quand il a rencontré Stella, quand son premier fils, Lune, est né, quand il croisé Stelmaria et vu son frère, quand sa soeur a voulu faire alliance avec lui. J'étais là, j'étais toujours là.
Et puis, je t'ai rencontré. et tu connais la suite..."

Kaja n'avait pas bougé. Le faire aurait dérangé Kimba dans son récit. Elle s'était donc tenue face à lui, droite, fière, ses yeux bleux plongés dans ceux du mâle, jaunes. Les oreilles pointées, pas un frémissement ne l'avait secouée pendant que Kimba lui racontait une histoire. Son histoire. Leurs vies se ressemblaient. Sauf que lui avait plus souffert. Sauf qu'elle était maintenant en paix avec les siens. Pas lui. Lui était toujours sans meute réelle. Sans amis sur qui compter. Elle ne pouvait pas dire qu'elle en avait, mais si elle le voulait, les wolfs viendraient aisément vers elle. Sauf qu'elle n'avait aucunnement envie que d'autres Wolfs que Kimba s'approche d'elle.
Elle resta immobile encore un instant, se remémorant les paroles du loup noir, puis, contre toute attente, cédant à une impulsion innatendue, elle fit un pas vers Kimba et enfui sa truffe noire dans le poil sombre, silencieuses, les yeux fermés.

Kimba avait senti durant tout son récit les yeux azur de Kaja dans les siens, et il s'était raccroché à ces deux diamants brillants pour pouvoir terminer son histoire. Il lui était toujours difficile de raconter son passé, les souvenirs étaient encore si proches, si vivants!
Il n'attendait aucun commentaire de la part de la louve, mais il fut très surpris quand elle s'approcha de lui. Il ne comprenait pas vraiment son idée. Puis Kaja plongea le museau dans sa fourrure noire et ferma les yeux, et le loup noir se sentit rougir. Il était gêné, et d'autant plus que la réaction de la louve lui faisait plaisir...
Puis il balaya toutes ces considérations. Pourquoi être timide face à quelqu'un, l'un des rares, qui le jugerait pas? Et puis, le contact de la louve contre sa fourrure épaisse était si...agréable. Kimba ferma les yeux. S'il avait été un fauve, il n'aurait pu s'empêcher de ronronner. Mais n'étant que loup, il se contenta de tourner légèrement la tête pour venir poser son menton effilé sur la fourrure blanche et épaisse du dos souple de Kaja.
A son tour le loup laissa ses paupières s'abaisser doucement, et un sourire étirer la commissure de ses lèvres. Il rêvait de plonger son museau dans la fourrure de la louve et de ne pas se contenter de simplement poser la tête sur son échine, mais la timidité, la peur de se voir rejeté ou de la déstabiliser était toujours là, derrière la joie. Il ne songea même pas, contrairement à son habitude, aux innombrables ragots qui verraient immanquablement le jour si jamais on les voyait.
Il resta simplement immobile, un sourire aux lèvres, les yeux clos.
Finalement il n'était pas si seul.

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