Marry the Night.

La nuit avait arboré ce soir la plus sombre de ses robes, alors qu'elle étendait ses doigts aux griffes acérées sur les terres de Wild Horses, caressant chaque âme de son souffle morbide et glacé. Humbles, les proies s'étaient retirées, laissant la place aux prédateurs qui traquaient inlassablement de quoi se mettre quelque chose sous la dent, alors que nombre d'hurlements montaient au ciel. Parfois, il croyait apercevoir au loin deux billes jaunes qui l'épiaient. Un large sourire, presque malsain puisqu'il se mutait en une effroyable grimace, passait alors sur son visage aux traits nets et vifs. Lui semblait ne pas avoir peur, lui semblait ne pas craindre la nuit, alors que pourtant, il était proie. Mais l'était-il réellement ? L.J. avait une démarche fauve, alors que sa queue battait doucement chacun de ses flancs, comme s'il cherchait quelque chose, curieux et impatient. Ici, personne ne le connaissait plus, sauf peut-être Liberty qui pouvait encore se souvenir de lui. Ici, il était maître de son destin, puisque personne ne connaissait ses desseins. Mais déjà, il lui semblait entendre un bruit derrière lui.  

Vif, le bel Akhal-Téké à la robe d'or et de cendres fit volte-face, portant ses grands yeux aux chatoyants reflets vers l'élégante silhouette qui s'approchait. Un hennissement bas de gorge s'éleva dans les airs, alors qu'il s'était mis au trot, dans des allures relevées. Ce soir, il savait déjà quel masque il allait arborer, puisque l'animal qui s'avançait n'était autre qu'une élégante. Un sourire carnassier passa sur ses lèvres, alors qu'il savait qu'elle ne le verrait pas : il faisait trop sombre. Il poussa un autre hennissement, continuant toujours de s'approcher, alors que déjà, son sourire prédateur s'évaporait.

L.J., à la façon d'un prédateur, décrivait à présent de larges cercles autour de la jument, laissant ses yeux sombres aux reflets presque rouges glisser sur elle. L'inconnue semblait être terrorisée, alors que tout son corps tremblait. Un étrange sourire, encore, passa sur le visage de l'étalon qui enfin s'arrêta, s'approchant au plus près de la belle, alors qu'enfin, un rayon de lune embrassa son corps, en dessinant les contours, les reliefs et les creux, teintant ses cicatrices d'argent, et révélant sa rare robe d'or et de cendres. L.J., dont le sourire carnivore avait disparu, alors qu'il présentait une grimace avenante maintenant. Ce soir, il serait charmant.

Mais déjà, il inclinait respectueusement la tête, comme en signe de respect, alors que sa voix s'élevait seulement dans les airs.

Les douces oreilles de l'étalon se tendirent vers Cascada, alors qu'elle répondait d'une voix qui se voulait assurée. L.J. accueillit sa réponse par un étrange rire, doux et chaud, alors qu'une fois de plus, il braquait ses yeux sur elle, la dévisageant. Sa longue queue noire venait battre ses flancs maigres, sur lesquels ses côtes se dessinaient nettement, alors qu'on le devinait taillé pour la course. Patient, le bel animal laissa le silence retomber, tournant la tête vers le ciel d'un noir profond. Allait-il faire des concessions, répondre dans un premier temps ? Le terrain l'avantageait, alors qu'il le connaissait, pourtant, il laissa glisser les précieuses informations de ses lèvres de satin.

« On peut ne pas douter tout en ne faisant pas confiance. Vous pourriez être seulement indifférente ... Nous sommes dans la région des Plaines Cendrées, sur la Plaine Sauvage, plus précisément. »

La Plaine Sauvage semblait sienne, alors que de toute évidence, il s'y sentait comme chez lui. Mais existait-il sur cette terre un seul endroit apte à lui faire perdre ses moyens ? Son esprit fonctionnait différemment, et ce que les autres percevaient d'une certaine manière, lui le voyait autrement. Peut-être était-ce là le secret de son inébranlable confiance ... Mais déjà, il reprenait son étrange manège, tournant autour de la jument grise, un fin sourire ancré sur ses lèvres. Elle doutait, n'était plus aussi sûre et aussi cinglante. Le cœur de L.J. se contracta, ses pupilles se dilatèrent et se mâchoire s'ouvrit. Il sentait la peur. Et malade, un frisson électrique se déchargea dans son corps, parcourant chacune de ses veines dans une délectable caresse. Ses longs muscles s'étaient bandés, alors que tout son corps n'était plus qu'un amas de durs muscles. Et dans sa tête, cette certitude, ce nectar insolent qui lui faisait presque perdre pied : peur, peur, elle avait peur. Mais l'occasion était trop belle, et pour lui, virtuose des sentiments, le tout était de ne pas se précipiter. Alors, coulant et suave comme il savait l'être, il susurra à l'étrangère.

« Vous doutez du seul être qui pourrait vous guider dans cette nuit noire ? Vous doutez du seul être qui pourrait vous défendre ce soir ? »

Malice dans ses yeux bruns.

Un animal aussi atteint que lui pouvait-il réellement souffrir d'un prétendu point faible ? Rien, désormais, ne pouvait plus le toucher. Les coups le faisaient sourire, les moqueries le faisaient rires, et il était impossible de le manipuler, puisqu'il ne croyait en rien ni en personne. De lui, il n'y avait rien à tirer, rien à voler ni à explorer. Personne, ici, n'aurait compris les rouages de son esprit, et ils le penseraient sans doute quelconque au début, alors qu'en fait, L.J. n'était rien sinon une fascinante créature. Mais déjà, il riait à gorge déployée de la réponse de Cascada. Oh, mais que croyait-elle ? Elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle se trouvait, et il était impossible à l'œil de voir au-delà de cinq mètres dans cette dense nuit. Lui, en revanche, savait chaque parcelle de cette plaine, comme s'il y avait toujours vécu, alors qu'en réalité, il venait de revenir. Et quel retour ! puisqu'il avait déjà tué deux équidés, dont l'une pourtant était une véritable guerrière.

« C'est un jeu amusant. Mais laissez-moi d'abord vous donner de quoi douter. »

A peine avait-il terminé de prononcer ces mots qu'un large sourire carnassier apparaissait sur son visage. Et bientôt, fort de ses savoirs et de sa connaissance du lieu, il disparu dans l'ombre de l'épaisse nuit, maintenant invisible pour les yeux de la jument claire. Mais il avait décidé de ne pas s'arrêter là. Rapide, il bougeait sans cesse, en silence, alors que bientôt, il décrivait un cercle autour de celle qu'il faisait sa proie. Par moment, il s'arrangeait pour marcher sur une branche qui craquait alors sinistrement, puis, quelques secondes plus tard, il était à l'opposé de sa place et en faisait craquer une autre, créant ainsi une ambiance électrique où il ne demeurait qu'un seul mot d'ordre : la peur.

Oh, mais il n'avait jamais espéré lui faire croire que tous ces bruits ne provenaient de lui ! Au contraire, même. Plus elle se rendait compte que cette macabre mise en scène était sienne, et plus il en tirait de plaisirs ! Et malade, il continuait ses cercles, comme incapable de s'arrêter, alors qu'il avait rivé ses yeux sombres aux reflets rouges sur elle. Il épiait sa proie, alors que le corps clair tremblait. Cascada avait peur, mais elle faisait encore semblant, et il le sentait. Non seulement il en avait conscience, mais il ne pouvait alors s'empêcher de la détester davantage, elle qui pourtant n'avait rien fait, sinon de se perdre ici, à cette heure. Oh, quel immonde sourire que celui qui se dessinait alors sur son visage pourtant si fon et élégant ! Si seulement Cascada avait pu le voir ! Il aurait été alors certain qu'elle n'aurait plus eu à jouer d'avoir peur, tant cette grimace semblait mauvaise et rageuse ! L'étalon avait accéléré l'allure, ses membres battant le sol à un rythme frénétique, alors qu'aucun son ne s'ébruitait : Le Joueur, dans ce cercle qu'il avait fait arène, était devenu invisible, alors que ses dents étaient déjà visibles. Il donnerait bientôt une nouvelle signification au jeu.

Mais Cascada parla. Elle le questionnait seulement, alors qu'elle avait été hautaine face à lui. Qu'est-ce que sa réponse pourrait lui apporter, puisque de toute façon, elle ne s'en souciait guère ? Le sourire de l'étalon -qui devenait plutôt grimace- s'était élargi, alors qu'enfin, il calmait sa course, bien que Cascada ne pouvait rien en savoir. Il lui fallait rivaliser d'intelligence pour ne pas se faire repérer au son de sa voix, mais il avait déjà son idée. S'il se plaçait à l'est de la jument et s'il parlait d'une voix suffisamment forte, il y aurait un écho, qui serait vite porté par le vent, et qui rendrait méconnaissable sa position. Il n'allait pas se priver.

« Quoi, vous voulez me faire croire que je vous effraie ? Un rire cynique s'échappa de sa gorge. Laissez-moi rire. »

Le Joueur aurait pu ajouter qu'il était trop tard, maintenant, pour s'inquiéter de qui il pouvait bien être. Ne t'avais-je pas mis en garde, hein ? Mais bien sûr, tu n'en as fait qu'à ta tête !

Le Jouer avait fermé les yeux, alors qu'il essayait de se calmer. Tout son corps vibrait de haine, de rage, de nervosité et d'excitation. Il sentait son sang dans chacune de ses veines, alors qu'un voile rouge passait par intermittence sur ses yeux. Trop de sang. Un souffle rauque se fit entendre, alors que le vent le protégeait encore de tout repérage. Il n'en pouvait plus. Ni de l'entendre. Ni de parler. Il voulait qu'elle se taise, qu'elle arrête de jouer à un jeu dont elle ne connaissait pas les enjeux. L.J. n'en pouvait plus de l'entendre lui parler de son passé, et il aurait voulu lui sauter à la gorge. Mais quelque chose, pourtant, l'amusait. Elle semblait si sûre d'elle ! Oh, comme elle était risible ! Ce n'était pas son passé qui l'avait rendu mauvais. Il était, lui qui avait cette fabuleuse robe d'or et de cendres, né mauvais. Il n'avait jamais pensé ni réfléchi comme eux. Il était juste et simplement différent. Et là où certains craignaient la douleur, lui la cherchait. Personne ne le comprendrait jamais, L.J. était bien trop différent.

« Vous ne savez rien de moi. Et vous croyez que vos paroles puériles vont changer quelque chose ? Regardez-vous ! De nouveau, l'étalon eut un rire cynique. Vous n'avez donc pas peur, Cascada ? Tant mieux. Le jeu n'en sera que plus long et palpitant ! Oh ... j'ai tellement hâte ! »

Il n'en pouvait plus de rester immobile, et il reprit le galop, toujours silencieux et indétectable.