_L’Émissaire_ [Lusitania & Black.]

La jument ralentit. Elle parvenait au fond de son endurance. L'encolure luisante d'une couche de sueur, elle avait les flancs qui se soulevaient à une vitesse trop rapide. Mais elle n'avais pas le choix. Horus lui avait dit que, si elle désirait croiser Black, elle se devait d'accélérer et de se montrer sur les Plaines des Loups. Elle était alors allée au fond de ses ressources. Elle cheminait désormais seule, Kimba ayant eu l'obligation d'attendre. Le lié de Sun Star, dans une conversation avec Black... Autant que Lusitania mette un genou au sol en exposant sa nuque à ce combattant farouche. Ou qu'elle fasse demi-tour sans remplir son rôle d'émissaire. Non, elle avait promis, elle avait juré d'aller parler à Black, et elle le ferait. Elle savait ce qu'il lui restait à dire.

Elle s'immobilisa quelques instants, pour reprendre son souffle. En territoire ennemi, elle pourrait bien avoir besoin de se défendre, que ce soit de Black ou d'un Wolf. Ses muscles, encore contractés de tant d'efforts, étaient saillants, et on les devinait suffisant. Elle n'était pas taillée comme une guerrière, certes, mais elle avait au moins deux atouts redoutables: sa détermination à tout épreuve et son intelligence effrayante. Si la force ne suffisait pas, elle était capable de réflexion, non pas pour prendre le dessus, mais plutôt pour s'en sortir en limitant les dégâts.

Alors, Black entra dans sa ligne de mire. Les muscles légèrement tendus, l'encolure pourtant à l'horizontale d'une manière qui se voulait plus soumise qu'agressive, la Paint trotta avec élégance jusqu'au maître des lieux. Malgré la raideur de ses muscles, d'avoir galopé depuis le Soleil, elle gardait quelque chose de presque aérien, une grâce et une légèreté dont elle avait le secret. Elle s'arrêta quelques mètres devant le Chef, les naseaux dilatés, redressant la tête. Sa crinière mi-longue et légère englobait son encolure fine et sa queue s'était prise dans le vent, qui la faisait voleter. Son long toupet fin s'était éparpillé sur sa tête. Elle avait à la fois une prestance naturelle, une assurance qui coulait dans ses veines depuis sa naissance et quelque chose de pathétique, le corps trempé, frémissante.

Avec le respect dû à un supérieur hiérarchique d'un autre Clan, elle s'inclina avec déférence, sans pour autant se mettre un genou au sol. Une polie inclinaison du port, de circonstance d'ailleurs, pour ne pas se retrouver exposée, avait suffit. Elle portait l'odeur du Soleil et, elle le savait, bientôt Black devinerait l'objet de sa présence. Un léger sourire s'appuya sur ses traits angéliques et sa voix résonna avec un écho doux sur l'étendue. Douceur, détermination, intelligence. Elle avait une voix d'oratrice, qui pourrait aussi bien se muer en voix forte et grondante au besoin.

« Salutations, Black, Chef de l'Ombre. Je suis Lusitania, émissaire du Soleil. M'accorderais-tu une audience? Mes Chefs m'envoient pour une affaire d'importance en rapport avec les Fidèles. »

Avec clarté, elle avait posé les cartes sur la table, dès le premier tour. La franchise était l'un de ses traits de caractère. Car mentir revenait à trahir.

Il avait vu passer au-dessus de lui un faucon, animal rare sur ses terres, car les rapaces chassaient plus volontiers sur les terres ensoleillées du Sud que sur les siennes, pauvres en proies et en lapins. Seuls les très grands prédateurs ailés pouvaient s'attaquer à des louveteaux ou aux gros lièvres des neiges, qui parfois s'aventuraient jusque là...il avait donc deviné que l'animal, qui volait bas pour un faucon, le cherchait ou cherchait un cheval, et se doutait qu'il aurait de la visite...aussi ne fut-il pas réellement surpris quand il vit une très belle jument pie bai, petite et fine, gracieuse, s'avancer vers lui. Black ralentit et s'arrêta pour lui faire face, des années de règne lui avaient appris que le sujet vient au roi, qui demeure immobile. Il était utile de pouvoir établir dès les premiers mots une hiérarchie dans la discussion...

Quand elle fut assez près pour qu'il sente son odeur, il y perçut la fragrance du clan du Soleil, et devina qu'il se tenait devant un émissaire, un cheval qui ne venait pas de son propre chef mais, à en juger par son attitude de soumission et le repérage probable de l'animal volant avant elle, était envoyé par son chef. Par Sun Star. Une étrange émotion noua la gorge de l'étalon noir, qui n'en révéla rien : dès qu'il entendait le nom de son ancien complice, son esprit rejetait tout ce qui pouvait y être lié, de près ou de loin. Mais la diplomatie impliquait aussi de parler calmement avec les émissaires...et c'était ce que voulait également le code d'honneur. Alors Black rejeta par devers-lui sa haine et sa vieille rancune, pour toiser avec autorité et froideur la très belle jument. Il la salua selon les anciennes coutumes et les mots consacrés par lesquels étaient accueillis les émissaires :

« Salutations, Lusitania, envoyée du Soleil. En tant que chef de l'Ombre, tu as ma parole que, tant que je me tiendrai devant toi, nul mal ne te sera fait sur mes terres, et quand tu repartiras vers tes contrées, mes sujets ne s'en prendront pas à toi. »

Il l'observa le saluer, et arqua le col. Rapide hochement de museau, une salutation efficace et vive, d'un chef ennemi à un émissaire dont on connaît bien l'allégeance. Pas de courtoisie exagérée, juste la reconnaissance de son rôle et une assurance de sécurité : on n'abat pas celui qu'on a salué...Puis Lusitania, puisqu'elle se nommait ainsi, prit la parole. Belle voix, voix qui devait porter, et qui devait pouvoir convaincre et mener les masses...l'étalon noir lui accorda son attention. Ce n'était décidément pas n'importe qui, et elle le prouva en mentionnant les chefs du Soleil, et les Fidèles...L'étalon noir pointa les oreilles en avant, très calme et attentif :

« Les Fidèles ? Je t'écoute, expose donc le problème, ou les questions auxquelles tes dominants désirent obtenir des réponses. Mais avant, une question : es-tu venue seule, ou avec des compagnons et si oui, t'attendent-ils quelque part sur mes terres ou hors de ces dernières ? »

Bien entendu, comme elle s'y attendait, l'élégante fut accueillie sans l'ombre de la haine que Black vouait à Sun Star. En temps qu'émissaire, le Chef lui avait promis une relative protection en usant des anciens termes. Ses muscles se détendirent. Malgré sa réputation de combattant, on savait aussi que Black était un cheval de parole. Il ne s'amusait guère à user de termes si marqués par un sens ancestral pour le plaisir. Elle répondit de la façon appropriée.

« Je te remercie de ta confiance, Black, et t'assures que je ne dérangerai en rien le calme de tes Terres. »

Elle était franche et n'hésitait pas à planter son regard noisette dans celui plus sombre du meneur. Enfin, après un salut rapide et qui instaurait de suite une hiérarchie - mais Lusitania la connaissait déjà - entre les deux équidés. Elle inclina une fois de plus la tête, reconnaissante que Black accepte d'écouter un porte-parole de son frère, auquel il vouait tant de haine. Elle laissa un sourire amusé passer sur ses traits, lorsqu'il lui demanda si elle était accompagnée.

« Horus et Kimba m'ont accompagné. Kimba a préféré rester en retrait et Horus... Il a fait un peu de repérage pour te localiser. Venus pour la même raison que moi, il ne causeront pas plus de trouble que ma propre personne. »

Elle était capable de trouver les mots, à la fois francs et précis, qui pourraient l'aider. Par cette petite phrase, elle assurait une fois de plus les intentions pacifistes du contingent solaire. Ses traits se figèrent légèrement tandis qu'on la voyait plus sérieuse. Elle entamait le plein de la conversation.

« Sun Star a eu une conversation avec Arpango, concernant les pèlerinages. Avec Renji, ils sont parvenus à trouver une solution qui, en plus de contenter le meneur des Fidèles, leur permet de garder un contrôle sur leurs allées et venues sur notre territoire. C'est de cela que j'ai à t'entretenir. Nous souhaiterions en savoir un peu plus sur ta position, pour cette question de pélerinages. »

Elle prit le temps de la réflexion, par rapport à ce qu'elle avait à dire. Elle marqua une pause, durant laquelle le Meneur serait libre de l'arrêter ou de la presser, de même que de s'expliquer, avant qu'elle ne reprenne de sa voix égale. Légèrement féminine et ferme à la fois, elle avait le don de capter l'attention, lorsque les mots n'étaient pas suffisants.

« Mes Chefs ont décidé d'accepter les pèlerinages. Tout en gardant, évidemment, le contrôle. Les Fidèles de tous les Clans auront le droit, à certaines dates et en petits groupes, de circuler sur nos terres, par un itinéraire précis, en restant surveillés par un encadrement de combattants de notre clan, non fidèles. Les Meneurs du Soleil apprécieraient que tu réfléchisses à cette idée, pour que les Fidèles soient surveillés par tous les Clans, de façon à ce que ce nouveau groupe ne puisse pas venir attiser des haines déjà trop connues. De plus, sans vouloir te pousser vers un choix, cela permettrait au Clan de l'Ombre de ne pas se faire d'ennemis parmi les Fidèles. »

Elle avait joué rapidement tous ses atouts. Il lui restait encore sa stratégie à dérouler, pour mener la partie à son terme.

Très calme, il soutint son regard, sans manières et sans employer le ton charmeur qu’il aimait d’ordinaire à réserver aux juments. Non pas que Black fût en couple, enfin, il l’était mais ce n’était pas là la raison. La raison était que le chef de l’Ombre ne mélangeait jamais le plaisir du marivaudage aux débats de la politique. Ainsi, il fixa Lusitana avec tranquillité et plongea ses yeux noirs dans le regard noisette de la jument qui le toisait, franche, et directe.
Il espérait bien qu’elle n’apporterait pas le désordre sur ses terres ! Sans quoi elle subirait le poids de son courroux, et le courroux du chef de Clan était toujours lourd…sans mot dire, il accepta le retour de la formule ancestrale en inclinant légèrement le col, puis il laissa Lusitania parler la première.
Elle commença par répondre à sa question concernant d’éventuels accompagnateurs et il approuva, compréhensif. Une jument seule ne voyagerait pas du Nord au Sud, en tant qu’émissaire, c’était bien logique…traverser les terres hostiles du Clan du Crépuscule, ou même celles des Etoiles, pour achever sa course parmi les chevaux indépendants de l’Ombre ? Black esquissa un très léger sourire, un sourire de convention :

« J’espère que Kimba ne se trouve pas sur mes terres. Il est connu et y serait en danger. Mieux vaut pour lui qu’il reste à la lisière. Quant à Horus, je suppose donc que c’est lui, le faucon que j’ai repéré voilà quelques minutes, avant ton arrivée, qui survolait la plaine ? »

Puis, les traits de Lusitania devinrent plus durs, plus raides, et Black sentit que la conversation s’engageait désormais. Fini, le temps des échanges aimables et paisibles, désormais, ils allaient réellement parler, de meneur à porte parole. La jument pie entama en effet directement, tranchant dans le vif du sujet et mentionnant ces Fidèles. Ces Fidèles que Black désapprouvait grandement sans interdire à ses membres d’en être, agacé de voir ses chevaux se lier à d’autres que lui. Où iraient leur loyauté en cas de combat ? Quant à ces pèlerinages…Arpango était venu lui en parler, mais Black avait botté en touche, prétendant qu’il lui fallait y réfléchir. Il y avait effectivement pensé, et le moment était venu de confronter sa conclusion à celle de son frère haï.

Black, fronça le nez, amusé par le raisonnement de Lusitania, qui se tenait, cela dit ! Bien sûr, être le seul à refuser lui assurerait l’inimité des Fidèles… Black ne laissa rien paraître de cette hypothèse sur son visage, et répliqua :

« Je vois. Il serait en effet de bon ton que tous les clans parlent d’une même voix sur le sujet des Fidèles, afin de pouvoir efficacement contrôler ces chevaux et surtout, leur meneur. Il est évident que je ne suis pas plus favorable que ton chef à laisser les Fidèles vagabonder librement sur mes terres, et si j’accepte qu’ils effectuent des pèlerinages, ce ne sera certainement pas sans surveillance ni règlementations. De plus, et là encore tu es dans le vrai, les Fidèles en voudront probablement à qui leur interdira ces pèlerinages. J’aurais donc, selon tes arguments, tout intérêt à rejoindre le point de vue du Soleil…mais qu’en pensent les autres Clans, le sais-tu ? »

La jument laissa un sourire étirer ses lèvres. Elle répondit sur un ton doux et pourtant sans moquerie. Hors des heures de négociations qu'elle pourrait connaître, elle s'avérait toujours être courtoise et agréable avec les autres. D'autant plus quand ces derniers pouvaient avoir quelques informations qui lui seraient personnellement intéressantes de connaître.

« Kimba est resté aux portes de ton territoire. Quant à Horus, c'est en effet le faucon que tu as croisé. Il fera, à moins que cela ne te dérange, quelques rondes au-dessus de nous. Tu connais assez son lié pour connaître sa méfiance. Renji n'a pas tant changé. »

Là encore elle jouait de son incroyable franchise. Certes, aborder le nom d'un traître avant de négocier n'était jamais chose aisée, mais tout en sachant le conflit entre Black et Sun Star, rien ne pouvait être pire! Et on ne lui reprocherait pas sa franchise et son honnêteté. Quand bien même le dominant de l'Ombre en serait dérangé, il n'aurait qu'à le faire savoir, et Horus serait renvoyé aux portes du territoire. Maintenant, elle savait qu'elle ne serait plus en danger le temps de cette confrontation.

Ainsi, le sujet était lancé. La jument faisait encore une fois montre de son talent oratoire. Concentrée, elle écoutait avec attention ce que lui répondit le noir. Elle préparait sa réponse tout aussi vite, preuve de sa redoutable intelligence. Ici, elle ne se jouerait guère de sa ruse, consciente qu'elle avait face à elle un cheval qui était son égal à ce jeu-là. Elle ne voulait guère risquer de perdre une négociation importante pour avoir été trop arrogante et avoir cru ne serait-ce qu'un instant pouvoir prendre Black à un jeu dans l'art duquel il était passé maître. Elle eut néanmoins un léger sourire en coin.

« Pour le moment, je ne connais que l'opinion de mes chefs. Je suis partie sur l'heure de leur décision. Sun Star devait prendre contact avec Pépite d'Or avant de se rendre aux Glaces avec Renji pour s'entretenir avec Stelmaria. Ainsi, je ne suis au courant de rien. Mais, après tout, tu peux toujours te faire ton opinion personnel, Black. Les meneurs du Soleil souhaiteraient par la suite solliciter un entretien de tous les chefs réunis. Je te remets de leur part une invitation à ce sommet. Ni lieu ni date de retenus, pour le moment. C'est là que vous pourrez mettre à plat vos différents opinions. »

Elle inclina légèrement le port. Elle menait tranquillement sa barque. Pour le moment, Black ne semblait pas prêt de se braquer. Elle continuerait sur sa lancée. Si pourtant, elle décelait la moindre marque d'une méfiance trop grande, elle filerait coton. Après tout, elle n'était ni sa conseillère ni membre de son Clan et, par dessus le marché, faisait partie des ennemis. Elle avait tout intérêt à ne pas sembler vouloir diriger ses choix si elle voulait obtenir un résultat positif.

Renji! L'oeil de Black brilla d'une lueur agacée, quelques secondes. Renji, il se souvenait de lui, il l'avait vu naître au sein de son Clan, poulain, jeune et alerte, affamé de connaissances et plein de curiosité. Il l'avait vu devenir un élève, celui d'un autre étalon, pour apprendre à se battre, et l'avait vu, dans la longue période de calme et de paix qui s'étendait derrière eux, désormais révolue ou presque, s'étioler, s'effacer, et un jour, disparaître de ses terres. Renji n'était pas de ceux qui trahissent en fanfare et font une annonce, exposent, étalent leurs raisons de faire et s'en gargarisent. Il avait trahi, sans bruit, sans ostentation, il était parti vers le Clan qui lui convenait mieux. Et Black l'avait su, comment aurait-il pu ne pas être au courant? On le disait chef distant, chef secret, parfois chef absent, mais à n'en pas douter, il connaissait ses sujets. Il en savait les grands traits de caractère, et ce qu'ils lui faisaient l'honneur de lui confier, il le conservait précieusement, dans son esprit. Il avait vite su que Renji avait trahi et disparu.

Il lui en avait voulu, il en avait été furieux, contrarié. Et puis? Renji disparu de son Clan était un traître et pour cela, il lui sauterait à la gorge si le cheval noir avait le malheur de s'aventurer de nouveau sur les terres de l'Ombre, même comme émissaire. Quand au reste, il avait choisi son camp et il tomberait avec Sun Star quand viendrait l'heure de la confrontation finale. Il tomberait avec lui, ni plus ni moi, Black n'était pas être à s'acharner sur les traîtres plus que sur tout autre adversaire qui, après tout, étaient aussi des traîtres en puissance, dès lors qu'ils n'avaient pas rejoint ses rangs...En attendant, la mention que Lusitania faisait de l'étalon aurait pu paraître maladroite. En vérité, entendre parler de ce cheval qui, il le savait, avait obtenu une haute place au sein du Clan du Soleil, n'éveillait plus rien chez Black. Renji était parti. Il avait réussi ailleurs, grand bien lui fasse. Mais il n'était plus rien, pour son ancien chef, qu'un adversaire.

Blaack hocha la tête quand Lusitania parla de Horus: c'était de bonne guerre, après tout, et elle avait la correction de l'en prévenir. Le chef de l'Ombre était assez sûr de lui pour ne pas pinailler sur un tel sujet. Il aurait pu, bien sûr, exiger que le faucon se tienne à l'écart, et après? Qu'y aurait-il gagné, sinon peut-être la méfiance de Lusitania devant son entêtement, ou un acte révélateur d'une possible crainte? Refuser la présence de Horus revenait à dire qu'il le voyait comme un danger pour son Clan, et rien n'était moins vrai! Et puis, il savait que Lusitania s'en tiendrait à ses mots. Les chevaux du Soleil avaient bien des défauts et le premier était bien sûr qu'ils étaient du côté de Sun Star, mais Black devait leur reconnaître une grande qualité: ils étaient probes et honnêtes en négociation. L'étalon noir s'ébroua et prévint tout de même, ne se privant pas d'un peu d'ironie:

"Je vois, ça ne me pose pas de problème, il est normal qu'il garde malgré tout un oeil sur toi. On ne sait jamais, si j'avais soudainement envie de t'attaquer, histoire de semer le trouble? Bref....je compte naturellement sur la probité d'Horus, et il est évident qu'il n'a pas à parcourir tout mon territoire, simplement faire la navette entre toi et Kimba."

Black souleva une oreille. Tous les chefs réunis? Petite joueuse...savait-elle seulement comment s'était achevée la dernière réunion de tous les chefs, ensembles? Savait-elle seulement le bazar innommable que c'était devenu à ce moment là, les batailles, le sang, les prisonniers? Certes, la situation était alors différente, les Shikaku avait pris leur revanche ce jour-là. Mais même la réunion antérieure à celle-ci avait été une déclaration de guerre et d'alliances. C'était au moment où Hell Demon était encore vivant...Black eut un souvenir ému en pensant à son fils, puis balaya cette pensée. Il n'était pas temps de s'attendrir ni de ressasser, quand une adversaire se tenait devant lui pour négocier.

"Je vois. Sache cependant que, ne m'étant pas encore entretenu avec Stelmaria, la réponse que je te donne aujourd'hui est susceptible d'évoluer en fonction des opinions de mes alliés. Bien que je voie mal les Fidèles s'aventurer sur les terres de Glace, s'ils ne se perdent pas sur la banquise, ils rencontreront un ours polaire! Quant à une réunion entre tous les chefs, dis donc à Sun Star de ma part qu'il a de l'espoir. La dernière allait virer à la bataille quand les Shikaku ont déboulé, la précédente fut une déclaration de guerre, et celle d'avant a aussi manqué s'achever dans le sang. Parlerai-je de la Fête de Printemps?
En tous cas, je serais plutôt favorable à un encadrement des Fidèles. Ils n'ont pas à faire ce qu'ils veulent, et certainement pas sur nos territoires. Cependant, je peux tolérer certains pèlerinages...à condition, là encore, d'un encadrement par mes propres guerriers, des non-Fidèles. Un arrangement assez proche de celui que vous avez choisi, finalement."

Il s'interrompit, et une idée amusante se fit jour dans son esprit, idée qu'il se garda bien d'exposer, se contentant de froncer le nez avant de se reprendre. Il semblait pour l'heure adhérer au point de vue du Soleil, mais il lui restait encore un point non négligeable à définir:

"J'ajoute cependant une condition: Fidèle ou non, aucun membre du Clan du Soleil n'a droit de cité sur mon territoire. Ceux-là se passeront de pèlerinage sur les terres de l'Ombre, sous peine d'être considéré comme un ennemi violant nos terres. Fais donc en sorte que Sun Star le sache et que l'information se répande au sein de ton Clan, car je n'admettrai pas la moindre dérogation à cette règle. D'autre part, cette restriction est susceptible de s'étendre à d'autres Clans, en cas d'alliance que je jugerais trop profonde, par exemple entre Etoiles et Soleil. Mais je ne vous prendrais pas en traître, vous serez toujours prévenus de qui je tolère et ne tolère pas sur mes territoires."

Lusitania connaissait son jeu et ses risques. Mais elle était simplement sereine. Elle savait qu'il lui suffirait, de toute manière, d'un seul mot, elle pourrait attiser la méfiance de l'étalon. Elle préférait jouer franc-jeu, elle savait que cela payait toujours. Et c'était sa nature. Avec d'autres, elle jouerait sur les mots, elle tenterait de prendre le dessus. Mais Black et elle rivalisaient d'intelligence et elle savait qu'elle pourrait prendre le dessus aussi bien qu'il pourrait prendre le dessus et finir par la mener à la baguette. C'était inadmissible. Sun Star et Renji lui avaient confié une mission, elle ne pouvait pas se permettre de s'y rater. Il y avait trop à perdre. Elle lui adressa un sourire qui se voulait déterminé et serein, avant de lui répondre:

« Il a eu des ordres clairs: ma sécurité et rien d'autre. »

Bien entendu, elle savait qu'une réunion totale risquait de dégénérer. Mais elle se devait de le proposer. On l'en avait chargée. Néanmoins, elle ne s'était pas attendue à une telle réaction de la part du noir. Elle n'en marqua cependant rien. Elle se devait de rester égale. Bien entendu, elle avait dans l'idée que Black n'annoncé cela que parce que Sun Star et Renji y seraient. La pie se contenta d'hocher la tête, très neutre, un peu froide peut-être, mais sans pour autant montrer d'animosité. Si elle commençait à se mettre en bataille avec un chef rival à propos d'une simple mésentente sur tel ou tel opinion... Sa diplomatie ne servirait à rien. Elle lui répondit avec un sourire charmant, sur un ton assez léger. De sa voix, elle savait pouvoir jouer de manière convaincante et sérieuse néanmoins, pour ne pas la tourner au ridicule.

« Je lui passerai le message dès mon retour. Néanmoins, je te remercie de ta réponse, même si elle venait à changer. Nous saurons au moins sur quel pied danser, prochainement. »

Bien entendu, lorsqu'il s'interrompit, la jument sentit qu'il reprendrait. Elle le regarda froncer le nez et se demanda ce qu'il venait de songer. Bientôt, elle l'entendit reprendre et lui prêta la plus complète des attentions. Ses oreilles se pointèrent vers l'avant et ses naseaux frémirent. Horus passa au même instant et, entendant sûrement les dires du meneur, poussa un cri perçant avant de repartir à longs battements d'ailes. Lusitania ne lui adressa pas même un coup d'œil. Son regard noisette était vrillé à celui plus sombre de l'étalon. Elle répondit posément à Black.

« Que tu interdises le Soleil, soit, tu as tes raisons, indéniablement. Mais pourquoi interdire les alliés du Soleil? Leurs décisions ne sont pas les nôtres, tout comme nos décisions ne sont pas les leurs. Mais je le dirai sans détours à Sun Star. As-tu d'autres choses à lui faire savoir? Ou au Clan tout entier? As-tu des questions à me poser? »

Son regard était lumineux. On sentait néanmoins que, pour elle, l'entretien était clos. Ce n'était pas à elle de débattre du fait de l'interdiction des siens sur ces terres. Elle ne pouvait rien y répondre sans l'avis des Chefs. Si Black n'avait rien à ajouter, rien à demander, alors elle se retirerait. Horus était sûrement déjà en route vers le Soleil, volant en ligne droite. Kimba, peut-être, serait encore aux portes du territoire pour attendre la jument brune et blanche aux fins crins noirs.

Black esquissa un sourire devant ce qu'on aurait pu prendre pour une rebuffade de la jolie Lusitania. Sa sécurité...Il était plus que normal que, quoiqu'il fît manifestement confiance à son frère pour respecter son émissaire, Sun Star utilise un veilleur, pour garder la jument pie. L'étalon noir n'était en aucun cas choqué par la manoeuvre, qu'il saluait même comme assez habile, quoiqu'un peu vexante quant à sa probité. Black s'ébroua. Il n'allait pas ergoter sur un point si futile, quand Lusitania était avant tout émissaire dans l'affaire des Fidèles.

Il refuserait avec force la rencontre entre tous les chefs, principalement car Sun Star s'y trouverait. Black, lors de leur dernière confrontation, avait pour ainsi dire eu peur de lui-même, de la puissance de sa rage et de sa colère, de cette force qui le poussait à attaquer Sun Star coûte que coûte, sans se soucier des conséquences. Et les conséquences d'une telle attaque lors d'une réunion seraient terribles. Mais il y avait un autre problème, qu'il ne mentionna pas, certainement pas. C'était Nathanaël, le petit frère de son amie Stelmaria. Frère du Thar, du sang des Thars, l'étalon avait tout droit de se rendre à une telle rencontre. Mais Nathanaël était fou, et imprévisible, il pourrait réagir de n'importe quelle manière à la tension ambiante, et même de la pire manière possible: par le combat. Le cheval pourpre dominait encore moins sa Malédiction que Black sa rage, et l'étalon noir avait déjà eu idée, grâce ou à cause de Stelmaria, des ravages qu'un Maudit en transe pouvait causer.

Quand Lusitania émit quelques réserves sur les alliés du Soleil, il la laissa parler et estima qu'il pouvait bien lui fournir précisions et explications. Que Sun Star n'aille pas se méprendre sur ses intentions, ni sur la teneur de ses exigences! Black redressa la tête pour toiser Lusitania, sans morgue, mais sans humilité non plus. Il était le chef, il était de rang supérieur à elle et, par-dessus tout, il était sollicité sur ses terres. Si un cheval était actuellement en position de force, c'était évidemment lui. Mais sa voix, quand il exprima ses raisons, n'était ni dure, ni froide, simplement chaude et paisible. Black modulait sa voix aussi bien que ses attitudes, pour effrayer, terrifier, séduire voire charmer:

"Quand je parle d'alliés du Soleil, je parle d'alliés proches, non pas en termes d'idéologie mais en termes de combat. Fut un temps, par exemple, où Clan des Etoiles et du Soleil avaient presque confondu leurs territoires, ainsi que leurs guerriers. Dès lors qu'on en arrive à ce genre de cas, j'estime qu'on peut considérer que les guerriers en question sont tous membres du Soleil et donc, indésirables sur mes terres. Maintenant, un allié indépendant, même allié du Soleil, a droit de cité dans cadre des pélerinages."

Un allié indépendant, tant au niveau des informations récoltées, que de l'idéologie, que du commandement des guerriers...Black pouvait tolérer les Fidèles, mais il se gardait néanmoins d'offrir par ce biais une voie d'invasion à ses vieux ennemis. Même si, il le savait, Sun Star jouait le jeu et respectait les règles de l'honneur, quand lui jouait selon ses propres règles, l'étalon n'avait nulle envie de laisser des guerriers ennemis inspecter ses terres: leur neutralité ne durerait que le temps qu'ils seraient sur le territoire de l'Ombre, et qui sait à qui ils parleraient en émergeant des sombres plaines qui le composaient?

Black arqua le col, avec un sourire aimable, et roua son encolure en faisant un pas de côté, souple ainsi qu'un danseur:

"Cette discussion est terminée, je pense, Lusitania, à moins que tu n'aies autre chose à me dire."

Il arqua un peu plus le col et s'inclina, s'offrant un moment de détente dans un jeu de séduction factice; elle ne tomberait pas dans ses pièges, et quoiqu'elle fût belle, le coeur de Black n'appartenait qu'à Sorrow Life. Mais pourquoi ne pas s'amuser? Il posa un genou en terre puis se redressa avec ardeur:

"Permet-moi, douce émissaire, de te raccompagner à la porte de mon territoire."

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