C'était comme un vide. (Arpango?)

Lune rousse, temps froid.
Depuis le temps qu'il côtoyait sa mère Nature, comme il la connaissait, connaissait ses signes et ses dons, les plantes qui soignent, enseignées par ses amis et ses sauveurs, les plantes qui tuent...il l'aimait et la connaissait, il la respectait, elle, Gaïa.
Arpango allait d'un pas léger, sa robe alezan, flamboyante au soleil, brillant avec douceur sous la clarté opaline de la lune rousse. Sa longue queue, soyeuse, caressa ses membres postérieurs quand il freina un instant, plongeant son regard sur ces terres qu'il ne connaissait pas, et surtout sur la masse énorme du volcan. Montagne, flammes et puissance réunies, violence et beauté...Arpango ferma les yeux, face au gouffre, et pensa avec ferveur.
*Merci, Gaïa, pour la beauté de la Terre que tu nous offres...*
La journée avait été bonne, songea l'étalon en se coulant dans le silence, à peine un claquement de sabots. Il avait parlé à Renji et Sun Star qui acceptaient les pèlerinages sur leurs terres à la conditions que les pèlerins soient encadrés et les dates convenues. Il avait parcouru les terres et rencontré des chevaux intéressés par le culte. Il avait même, probablement, trouvé le lieu où organiser la première fête de Printemps que connaîtraient ces contrées sauvages...
Une étendue d'herbe.
Une jument.
Seule.
Perdue?

Arpango prit le trot pour la rejoindre et, d'un hennissement non pas retentissant mais doux et discret, quoique viril, la salua. Arrivant à sa hauteur de son pas allongé, il inclina la tête, ses yeux clairs ourlés de cils rouges rivés dans ceux de la jolie jeune femelle. Une bien belle allure, cette jument. Une jument avec laquelle il aurait aimé danser, une nuit, une année...probablement pas une vie, tel n'était pas son caractère. Mais le temps du plaisir? Sa voix était chaude et amicale, son regard attentif et curieux, car il aimait les êtres et s'intéressait à eux en tant qu'êtres et non en tant que Fidèles potentiels:

"Bonsoir...il est bien tard pour qu'une jument se promène seule? Oh, je sais que certaines sont de rudes combattantes, et qu'ici chacun lutte pour sa vie, mais il n'empêche qu'on m'a appris à protéger et respecter les dames, non à les affronter. Comment puis-je vous appeler?"

(Arpango:)

Lune rousse et étalon roux...le parallèle fit sourire le grand mâle. Mère Nature, qu'elle était belle et ce soir, c'était comme si elle était avec elle. Le chant des arbres, de la plaine, des oiseaux...qu'il les aimait. Qu'ils lui plaisaient, ces doux murmures! Même la jument face à lui était partie de ces rumeurs de la nuit, de ces esprits, ce grand esprit commun. En était-elle consciente? Et faisait elle partie de ceux qui pouvaient en prendre conscience? Il avait envie de parler de sa foi...il espérait qu'elle ne serait pas obtuse!

"Je m'appelle Arpango et je suis ne suis membre d'aucun Clan...mais disciple d'un culte, d'une déesse qui m'a autrefois, pourrait-on dire, sauvé. La solitude fait partie de vous, dites vous? C'est si triste...un être peut-il survivre entièrement seul, quand le contact avec nos semblables est une part si importante de notre nature?"

Dream Catcher le balaya des yeux. Un culte? Ah oui. Elle eu tout d'abord envie de rire, mais cet étalon de valait pas que l'on se moque de lui ainsi; quoi que pour le moins étrange, il paraissait fort sympathique.
Même si ce n'était pas en la nature de la jument marbrée à croire en tout cela, il était vrai qu'elle se sentait bien seule. Trop seule, même. Cela en devenait si éttouffant. Opressant, même. En verité, elle ne le supportait plus. A tel point qu'elle dêgna s'interesser aux paroles de l'étalon, juste pour s'en faire un ami, ou si possible, tenter de se faire croire en ce culte, qui, à écouter les paroles de l'étalon, se révélait salvateur.

-Ce n'est pas triste. Je pense juste que tout doit ce passer ainsi. Je ne peut rien y faire... Et... Un culte, dites vous? Pouvez vous m'en dire un peu plus sur cette déesse que vous vénérez?

Il la lut dans ses yeux, cette petite étincelle amusée, si coutumière! Quel cheval n'avait jamais eu envie de rire quand il lui avait parlé de son culte? Mais, et c'était la nouveauté, l'étincelle s'estompa vite et la jument reprit la parole, rélativisant les paroles de son interlocuteur, qui souleva une oreille. Pas triste? Normal? Ben voyons...amer fatalisme, demoiselle, bien amer fatalisme!

"Erreur, on peut toujours agir...toujours. Les conséquences ne sont pas toujours plaisantes. Et il faut trouver la voie d'action pour qu'elles soient bénéfiques. Mais on peut toujours agir."

L'étalon alezan piaffa, se sentant d'humeur guillerette, puis gratta le sol de la pointe du sabot et accepta de parler de son culte, sa vie:

"Gaïa. Le culte de Gaïa...dit comme cela, j'ai l'air d'un fanatique, non? Les Fidèles, mon peuple, voient en Gaïa une entité que nous sommes, d'ailleurs, bien en peine de définir. Disons, rapidement, qu'elle serait la créatrice ou du moins à l'origine de toute chose, y compris notre race, et qu'elle serait comme une entité supérieure et bienveillante. Certains disent qu'elle agit sur nos vies, je n'en suis pas sûr...mais, vénérant Gaïa, nous vénérons la Nature et elle nous le rend.
Ne voyez pas en nous des adorateurs des petites fleurs, des pacifistes. La lutte est une part essentielle de la vie, et les Fidèles aiment le combat, le frisson de la bataille. Elle est normale...c'est la guerre entre êtres du même sang qui dérange, c'est l'inceste, c'est le viol...mais quand au reste, nous ne sommes pas des saints, ni des entités. Nous vivons, avant de croire, et un culte, selon nous autres Fidèles, ne doit pas nous priver de vivre. Il faut haïr la mort et respecter la vie, la saluer. Ne pas tuer inutilement...mais nul Fidèle n'a jamais mené une vie d'ascète.
Nous formons une confrérie où se partagent les savoirs, les enseignements. Voyez cela comme un réseau si vous voulez, mais lié par cette même conscience de l'existence d'une entité, Gaïa, d'un Esprit de la Nature, ou d'une Mère Nature, selon les représentations qu'on s'en fait. Nous parcourons le monde pour répandre le culte, et convertir ceux qui le souhaitent...quand aux autres, eh bien, ils ont le droit de croire ce qu'ils veulent, comme nous. Mais la porte est ouverte à tous les novices. Quel que soit leur horizon."