Le seul endroit au monde... [Nath']

La Maudite, la Renégate, devenue doucement comme une figure emblématique de Wild Horses, crainte autant que haïe, la Maudite, Stelmaria. Stelmaria, parce qu'on prononçait ce nom rapidement, soufflé dans une conversation, parce que quelques syllabes amenaient un froid vent d'hiver dans une discussion animée, parce que les oreilles tournaient et les regards s'égaraient en quête d'un impossible prédateur. Stelmaria, crainte tout autant sinon plus que son compagnon Tharaman, car Tharaman n'était pas un cheval, mais qu'elle, elle était l'ennemie et la prédatrice de sa propre race, car que Tharaman tue des chevaux était dans sa nature, dans l'ordre naturel des choses. Mais la Mort faite jument, où était la nature? C'était là le contre-nature absolu, et chaque cheval, instinctivement, par un vieil atavisme, ressentait au fond de ses entrailles la Peur, la Peur de ce qui n'est pas dans l'ordre naturel des choses, en se trouvant face à la Maudite. Tous les chevaux. Presque tous.
Tous, sauf quelques.

Et l'ami notoire de Stelmaria, l'allié de la Rouge, était de ceux-là. Black, Black l'étalon noir, à la robe aussi sombre que son nom, subtile alliance de sauvagerie et d'aristocratie tant dans ses manières que son physique, Black était certainement l'être auquel était le plus souvent associé le nom de la Tueuse Rouge. Tant de rumeurs couraient sur eux! Il y avait eu des bavards pour raconter qu'ils étaient du même sang, ou des enfants de Devil, et d'autres pour prétendre que ce n'était là qu'une amitié de façade, fruit d'un pacte de sang. Des chevaux pour prétendre que ces deux grands combattants étaient amants, des chevaux pour raconter que l'un était sous la coupe de l'autre...tant de mots et de rumeurs sur une amitié que nul, au final, ne pouvait saisir, autre que ses principaux protagonistes. Stelmaria, Equinox, Black, le trio le plus redouté, le plus soudé.
L'étalon noir accueillait souvent ces racontars avec mépris. Ce n'était là qu'une vague tentative de jaloux ou de tièdes pour s'approprier ce que leur frilosité ne leur permettrait jamais de comprendre: une amitié plus profonde que tous les liens de sang, d'amour et de politique, une amitié basée sur une confiance et une connaissance de l'autre aussi absolues qu'elles peuvent l'être; une amitié totale.

La Maudite...Il ne connaissait au final de la malédiction que ce que Stelmaria lui en avait révélé, ce qu'il en avait compris, couplés à la légende. Il l'avait vu, une fois, deux peut-être, dans ce terrible état de haine Absolue qui était le sien quand Stelmaria se trouvait submergée par la rage. Il avait même cru, dans les yeux de son fils Hell Demon qui, il le réalisait désormais, avait eu en lui un fond de folie mal dissimulé, reconnaître comme un pâle, très pâle reflet de cette haine et de cette soif de sang qui, même sur lui, faisaient courir quelques frissons. Il n'avait pas peur de Stelmaria. Il la connaissait, l'aimait comme on aime une amie aux allures d'alter ego, la respectait aussi telle quelle, et la respectait même assez pour accepter de ne rien comprendre de l'être que la Malédiction faisait d'elle. Mais quelquefois, il s'inquiétait de la progression du sortilège. Stelmaria, qu'il connaissait, qu'il appréciait tant, risquait-elle de se fondre et se perdre un jour dans la Folie pure qui parfois envahissait ses veines? C'était peut-être son impuissance qui, dans ces moments là, le heurtait le plus. Maudite, elle lui était inaccessible; la Malédiction était peut-être le seul endroit au monde d'où il ne pourrait la ramener, le seul endroit au monde où Stelmaria ne pourrait jamais, au grand jamais compter sur l'aide inconditionnelle de son meilleur ami.
Que devenaient donc les chevaux qui se perdaient dans le fleuve de sang de la Malédiction des Thars?

Un frisson, le long de son échine. Un frisson qui glissa, courut, disparut et enfin ne fut même plus souvenir, même plus conscient. Une simple réaction, comme un instinct ancestral, qui mit instantanément l’étalon noir sur ses gardes, comme l’animal sauvage qu’il était. Oreilles pointées en avant, il était attentif lorsque déboula des fourrés un somptueux animal, un cheval. Et quel cheval ! Corps gracieux sans être gracile, une musculature ciselée n’étant pas sans faire penser à celles d’Equinox, ou la sienne propre, des muscles de combattant et de danseur, habillé d’une robe soyeuse. Une robe…une robe d’un brun pourpre, sous des crins argent mêlés d’or pâle. Et ce regard, ce regard perçant, ivoire et azur, ce regard trouble aussi, qui fit frémir Black. L’étalon, somptueux mais instillant un étrange malaise, portait beau, c’était un animal jeune, en pleine santé.

En pleine santé physique, car quelque chose, un pressentiment ou la simple conscience aiguë qu’il avait d’autrui, soufflait au grand mâle que l’animal n’était pas plus sain d’esprit qu’un de ces Shikaku, ceux qui s’étaient effondrés sous ses sabots. Superbe étalon, en lequel l’œil exercé du chef nota une grande aptitude au combat et une grande expérience, une totale maîtrise de ses gestes. Cet air un peu malin, un peu arrogant, lui rappelait quelqu’un. Ce toupet flottant, ces hautes balzanes, les reflets pourpres de cette robe…le corps ciselé, la tête d’aristocrate, l’allure d’un cheval à taille de grand poney, et cette immense liste en travers d’un visage d’ange, un visage qui troublait l’étalon noir, non par admiration mais par une sorte de malaise…qui ? A qui ressemblait ce cheval ? L’image se fit jour dans son esprit, s’enfuit avant même qu’il eût pu la saisir. Il avait déjà vu pareille créature, déjà ressenti semblable malaise et pressentait que, s’il se souvenait d’où, il aurait la solution de l’énigme dansant dans les prunelles de cet étalon.

En attendant, le plus simple demeurait encore de se comporter avec un minimum de convenances et de politesse…Black ne s’inclina ni ne se cabra ; ce cheval irradiait la menace. Il se contenta de redresser, à peine, la tête, et des river ses yeux noirs dans le regard pâle de son vis-à-vis. Il aurait pu se prétendre enchanté d’avoir rencontré le mâle, poli, courtois. Mais il s’en fichait. Il aurait aimé demeurer seul, au final, et c’est pourquoi il se présenta de la façon la plus succincte possible :

« Black. »

Alors, bel étranger, quel est ton nom ?
L’étalon noir fronça le nez, imperceptiblement, réfléchissant à toute allure. Cette impression…Cette sensation…qu’avait-il pensé tout à l’heure ? Les Shikaku ? Ces chevaux, ces tueurs, ces assassins, qui avaient cru pouvoir le retenir prisonnier…avaient cru pouvoir passer la corde au cou de son amie de cœur ! Stelmaria…l’image de la jument rouge, prise d’une crise de Haine et de Rage incroyable, mais qu’il savait due à la Malédiction des Thars, lui revenait. Les hurlements. Les cris rauques et l’écoeurant fracas d’os, de sang, de chairs spongieuses s’affaissant dans l’herbe. Les gémissements coupés nets, les hurlements de démon, cris de rage et d’une jouissance malsaine. Et la robe rouge, si rouge, de son amie au visage blanc…Cette impression ! Il se souvenait ! Black avait ramené une oreille en arrière pour réfléchir et la pointa derechef sur l’étalon. Oui ! C’était le même malaise, le même pressentiment, le même frisson du contre-nature, qu’il avait ressenti ici, et dans l’antre des assassins…Mais qui était ce mâle ?
Une seule manière de s’en assurer.

« Dites-moi, connaîtriez-vous Stelmaria, le chef du Clan de Glace ? »

Etrange étalon ! Etrange créature, toute droit sortie d’une nuit pourpre, rêve ou cauchemar, dont le regard à la fois trouble et limpide faisait naître dans l’esprit de Black mille images malsaines, créatures fantasmagoriques et univers oniriques, yeux luisants à l’ombre de la lune ou des songes de promeneurs égarés. Il était beau, ce cheval qui sursautait soudain à l’énoncé du nom de Black, beau à s’en rouler par terre, beau à en couper le souffle aux juments et à en faire écumer de jalousie les étalons, si beau que même un carnivore, un non-équidé, ne pouvait que s’incliner devant cette allure d’ange. Beau, et empreint de cette aura malfaisante qui le rendait certainement attirant aux yeux de femelles naïves, toutes émoustillées par ce goût de danger, d’interdit, de tabou. Distrait, perdu dans les affres de ses pensées, l’étalon lui répliqua quelque chose de vague, une phrase marmonnée comme une évidence, avant de le toiser. Une lueur amusée dans les yeux. Amusée…Qui se teinta d’un fond d’intérêt quand Black, enfin, trouva l’origine de cette sensation si particulière.

Et l’étalon approuva, saluant son intelligence. Black savait lui aussi jauger les êtres, et avait dès le début deviné que le petit étalon gracieux ne faisait pas simplement allusion à sa question. Car le Maître de l’Ombre n’était pas un idiot. Cette simple question d’entrée en matière n’était que la partie émergée d’un immense iceberg de conclusions et de certitudes, flottant sur l’océan de la Malédiction mythique. Oui, ce cheval était certainement un Maudit, lui aussi, et par conséquent, du sang des Thars. Donc, de la race de Stelmaria, d’Aglow Star et de tous ses ancêtres jusqu’à Hymlya, père de la célèbre Alliance, et victime première de la Malédiction héréditaire. Et le cheval pourpre mentionnait maintenant Stelmaria, d’un ton qui laissait entendre que l’entrevue qu’il citait n’avait pas été anodine. Et ce mot, Thar…Black ne lui fit pas l’affront de lui demander s’il était du Nord. C’était si évident, tout comme évident qu’il était du sang de son amie, et maudit comme elle. Restait à définir sa place dans la lignée, et le mâle le renseigna enfin.

Black eut un sourire aux allures de rictus ironique. Disparus. Disparus, comme tous les membres des deux lignées de Rois ; races maudites, sacrifiées par leurs propres enfants. A son tour, son ton se fit changeant et onctueux, nimbé d’affliction :

« Moïra et Mendori…je vois. Une disparition bien regrettable. Et voilà donc Stelmaria avec un frère de plus. »

Un petit regard, vif comme un prédateur se faufilant sous les arbres. Petit cheval aristocratique, petit cheval du Nord, à qui il ne se frotterait pas, connaissant bien la Malédiction qui faisait de ses victimes des chiens de guerre. A un cheval peu vigilant, Nathanaël serait apparu comme un bon combattant. Mais ce regard, ce rire sardonique, cette posture assurée, tout soufflait à Black que, si l’animal était fou, il n’en était pas moins un démon du combat, un danseur face auquel même Stelmaria sous l’emprise de la rage n’avait pas victoire assurée. Un frère de plus, la belle histoire ! Il se souvenait de Ganesh, Ganesh trop intelligent, Ganesh pas assez discret, retrouvé massacré, abattu comme une bête nuisible. Par une bête fauve. Et Balbas, dont il avait vu et reconnu la mise à mort, dans une arène naturelle, comme un combat de gladiateur contre un prisonnier. Oui, c’était ce qu’il avait vu. Un étalon puissant et encore renforcé par la magie antique des Thars, brisé net, devenu fétu de paille, par le fruit de la Malédiction toute aussi ancienne. Il l’avait vu, et il maintenait sa prudence face aux Maudits.

Et puis ? L’étalon noir ne fit pas l’erreur de traiter Nathanaël en ami. Il était le frère de Stelmaria, mais son lien avec Stelmaria était à nul autre pareil, et ce n’était pas parce qu’il était l’alter-ego de la sœur et de son compagnon qu’il serait celui du frère ! Surtout au vu de la teneur des liens familiaux…la vengeance de la Jument Rouge avait teinté de bordeaux toutes les terres de Wild Horses, à plusieurs reprises. Carbon Destroy, Balbas, Ganesh…sacrifiés sur l’autel de la vengeance et de la haine, avant que Hell Demon ne soit lui aussi victime d’une autre rage, emporté dans la tourmente avec celle qu’il avait aimé.

Nathanaël, aux nouvelles…Black esquissa un sourire ironique. D’accord, mon beau, d’acccord…voyons voir à quel jeu nous jouerons tous les deux, toi le Maudit, moi l’ami. Quelle relation ? Je n’ai pas besoin de toi comme ami ni comme allié, pas davantage comme ennemi ; la folie dans tes yeux m’empêche de te vouer ma confiance ou même un fond de foi. Alors, définissons les règles du jeu et laissons juste le temps dessiner les véritables tenants et aboutissants de notre relation, tueur aristocratique du Nord :

« Aux nouvelles…et quel genre de nouvelles ? »

Nathanaël adressa un sourire effronté à Black, qui devait bien avoir le double de son âge.
De ton âge physique... Te crois pas plus jeune que tu l'es, papy ! Même si t'es plutôt appétissant, comme toujours... gloussa la voix dans son esprit.
*Dommage qu'on ne puisse en dire autant de toi... et que tu ne puisse en profiter aussi souvent que tu le souhaiterais !*
Il y eu un cri indigné dans son esprit, et l'étalon ne put empêcher son amusement de paraître sur ses traits fins. Mouchée, une fois de plus. Cependant il savait aussi bien qu'elle que c'était faux : la Malédiction s'était matérialisée une fois physiquement devant lui, et, par tous les anges, la créature qu'il lui avait été donné d'admirer, si elle paraissait certes cruelle et bestiale, n'en était pas moins d'une incroyable et sauvage beauté. Tellement qu'il... Hum.
L'étalon se reprit avant de se perdre complètement dans ces agréables souvenirs.
Elle n'avait pas fait long feux, face à moi, la petite Seilhan... sous entendit la voix, cajoleuse.
"Arrogante. " fit il avant de se rendre compte qu'il avait parlé à voix haute d'un ton résigné.


Il en revint à Black, planté là, qu'il voyait réfléchir à toute allure. C'était amusant, de voir ses sentiments peints sur son visage, qui devait pourtant paraître illisible à un oeil moins aguerrit. Il se demanda vaguement si l'étalon noir avait entendu le simple mot qu'il avait prononcé, puis décida qu'au pire, il le prendrait pour un fou, si c'était pas déjà fait. Le meneur du Clan de l'Ombre semblait prudent, mais guère inquiet. Le petit étalon sombre sentit ses yeux pétiller en entendant le ton prudent de Black, et lança avec amusement, comme s'il s'agissait là d'une bonne blague :

" Allons, ne sois pas si prudent avec moi... Je n'ai pas l'intention de t'égorger... Et je ne suis pas irritable pour un sous. Je suis venu coller ma grande soeur, voyons ! Apprendre un peu la vie de famille, tout ca... Non, gomme cet air sombre de ton visage, je ne veux pas me débarrasser d'elle, elle m'est précieuse... Et elle à l'air si prompt à s'énerver que je me voie sans peine dans mon rôle de petit frère agaçant."


Puis il se mit en mouvement. D'un pas souple, comme une nappe de brume glissant au dessus du sol, il s'avança vers Black. En même temps que la Malédiction. Son aura était déjà écrasante lorsqu'il était immobile, là, elle semblait s'avancer, se tendre en même temps que Nathanaël, avide, vers le Chef du Clan de l'Ombre. Ses sabots blancs se posant dans un tel silence sur le sol pourtant spongieux qu'on ne pouvait croire qu'à une apparition. Si la menace qui émanait des yeux vairons n'était pas si tangible. En un instant, il fut à un souffle de Black, alors qu'il était demeuré au pas, sans à-coups.
Son oeil bleu, laiteux, plongé dans le regard noir de Black, le Maudit souffla d'un ton doucereux :

"Disons que j'effectue un voyage... gastronomique..."

Les cils blancs s'abaissèrent lentement, se relevèrent, les yeux calculateurs caressèrent Black, et Nathanaël murmura avec un sourire en coin, un sourire pervers :

"Et tu as l'air délicieux..."




[Blackou va flipper toute la nuit avec ca xD C'est la première fois qu'on lui dit ce genre de choses, nan ? xD Nath' Psychopaaaaaathe !!!!! je kiffe ce perso xD je suis tordue *__* ]

Un étalon fou. Du moins, pas net, et qui parlait à voix haute, tout en décodant Black comme un livre ouvert. Quelle déplaisante sensation, que celle d’être deviné au moindre geste…petit sourire de l’étalon noir. Allons, on s’en fiche…arquant l’encolure, il prit la peine de répondre à Nathanaël, d’un ton plein d’ironie et de malice :

« Ah, que me voilà rassuré ! Mais j’ai du mal à te croire…enfin, plus précisément, je ne pense pas que entendes « apprendre la vie de famille » dans le même sens qu’autrui. Il me semble que ta famille, justement, a d’étranges notions quant à ce que devraient être les liens du sang. »

Et moi, je suis en guerre avec mon frère et avec le souvenir de mon père, et j’ai tué mon fils, songea-t-il immédiatement avec un rien de dérision. Je suis bien placé pour lui parler de ça, tiens ! Il s’approche…En effet, Nathanaël revenait vers Black, d’un pas souple, un pas silencieux, ondulant et fluide. Un pas si entièrement dans le temps juste, harmonieux, qu’il sembla ne pas avoir existé, comme si Nathanaël venait de glisser à un souffle de l’étalon. Black leva les oreilles, mais ne recula ni ne se déroba, et son regard noir soutint calmement celui des iris bicolores. Un brin railleur, un brin curieux, il rétorqua :

« Voyage gastronomique…étant donné la grande variété de repas disponibles par ici, nul doute que tu trouveras ton, ou tes, bonheurs. »

Quel naïf aurait pu croire que Black parlait de l’herbe ? Il connaissait, avait vu la Malédiction. S’il ne la vivait ni ne la comprenait, s’il s’en méfiait, il n’en était pas moins capable de saisir ce concept et d’en jouer. Oui, quels délicieux repas Nathanaël pourrait-il faire…Tu veux quelques bonnes adresses, petit aristocrate ? Clan du Soleil, peut-être, où la chère est riche et noble ? Clan du Vent, séchée par les embruns ? Clan des Etoiles, douce et goûteuse, protégée du monde par les barrières des vallées ? La phrase suivante de Nathanaël avait surpris Black, qui se laissa décontenancer une fraction de seconde, avant de trouver une réplique et de reprendre le contrôle de ses moyens, le regard pétillant d’humour noir :

« Merci, je sais, la plupart des juments s’accordent en effet sur ce point. »

Si proche de Black que ce dernier devait sentir le souffle bouillant du petit étalon sur son poil d'hiver, Nathanaël eut un sourire malin. Ses yeux pétillèrent et il fit un écart sur le côté, sans qu'un souffle d'air ne trahisse son mouvement. Une fois à une distance un peu plus convenable, ses yeux se durcirent légèrement, prirent cet éclat acéré qu'on les prédateurs. Cependant, c'est d'un ton presque hilare qu'il répliqua, sur de lui :
" Mais, comment pouvons nous connaître ce que sont les liens familiaux, si nous sommes livrés à nous même dès notre naissance ? "

Il tourna une oreille sur le côté, son regard se perdit soudain dans le vide. La Malédiction était gentiment en train de lui fournir toutes les informations qu'elle tenait de Stelmaria sur l'étalon noir. Stelmaria, qui devenait, bien inconsciemment, une source d'information énorme pour son frère... L'étalon rouge en savait bien plus que beaucoup sur le meneur, alors que ce dernier n'avait que ce qu'il voudrait bien lui confier.
Nathanaël la laissa finir, puis reprit, une étincelle encore plus amusée dans le regard.
"Ah, la famille... chose compliquée, n'est ce pas, Black...? Les liens du sang sont si puissants... "

Il sentit un frisson d'excitation parcourir son esprit. En lui, la Malédiction s'agitait, son appétit ouvert par le souvenir du sang si riche des Thars dont elle s'était nourrie. Si puissant. Si nocif pour autre qu'elle même.

"Je veux gouter à tellement de choses... En fait, je suis un fin gourmet, tu vois... toujours à la recherche de nouvelles saveurs..."

L'étalon faillit éclater de rire en voyant un instant l'air décontenancé de Black. Une seconde, à peine. Une seconde pour se refaire un masque ironique, qui ne trompa pas Nathanaël, Black le savait. Du haut de son mètre soixante, le Maudit lorgnait Black comme un casse-croûte très appétissant. Enfin, plutôt la Malédiction, parce que lui, il préfèrait quand même les jolies demoiselles aux étalons... Il râla mentalement sur la Malédiction, qui elle, avait tendance à baver sur les beaux muscles des combattants.
"Pourquoi a t-il fallut que tu sois une femelle toi...? >_<" "
Pffffff.... au moins avec ta soeur, sur ce point on se comprends, même si elle n'est pas une coureuse d'étalons, on a a peu près les mêmes goûts !
"Pitié, épargne moi les détails... C'est pas mon genre. Et arrête de baver sur tout le monde. Ca fait très peu convenable.. "
Pas sur tout le monde, juste les beaux gosses !
"..."

Ah. Merde. Black allait se poser de sérieuses questions maintenant.

"Hum, ouai... je te le fais pas dire... "

Et ca l'emmerdait un peu, la tout de suite.

Black perçut et détourna le piège d’une simple pirouette, ne répondant pas réellement à la question réthorique de l’étalon pourpre :

« Naturellement, certains idéalistes pourraient dire que c’est là une chose innée, que l’attachement familial, et que nul ne saurait aller contre les liens du sang… »

Y compris lui ? Lui qui avait renié son père et manqué tuer son frère, lui qui s’était simplement allié au pire ennemi de sa lignée, Devil, l’assassin de CannonBall, mais tellement plus fort et noble que Sable Noir le couard…Liens du sang, puissants ? Black esquissa un sourire. Non, petit Nathanaël…rien ne surpasse les liens du cœur, les liens du sang ne sont qu’une protection pour les faibles. Ce n’est pas le sang qui nous relie, c’est ce que nous reconnaissons de nous en l’autre. Ce n’est pas une histoire commune qui nous rend frères, c’est la complicité d’une enfance passée de concert. Et une trahison brise n’importe quelle complicité.

Quelle discussion à double, triple sens…peut-être qu’un spectateur peu informé aurait vu là une simple vantardise d’étalon charmeur, des plaisanteries de coureurs de jupons. Peut-être qu’un cheval innocent de ce point de vue n’aurait deviné que l’allusion à la gourmande Malédiction. Peut-être enfin que quelques personnes auraient compris la véritable teneur de ces échanges d’apparence anodine…

Et le regard de Nathanaël se fit vague. Ses mots destinés à un autre, un autre familier au vu du ton qu’il employait, un ton malin et excédé à la fois, un ton emprunt de regret et de malice. Une femelle, une femelle…Black plissa le nez. Dans ses rares moments de confidence, Stelmaria avait parlé de la Malédiction comme d’une disgracieuse excroissance, double personnalité ou plutôt, tyrannique entité, comme une vieille compagne…Il était visible que Nathanaël s’était enfoncé bien plus avant que la Rouge, sur la route de la Malédiction. Et l’étalon déduisit ainsi que le petit aristocrate conversait simplement avec l’essence de ce sortilège antique qui semblait, au gré de ce qu’on lui en avait appris, conserver les souvenirs et les goûts de ses victimes jusqu’à devenir une véritable personne. Parasite immatériel qui se greffait à l’esprit du Maudit, et se révélait doucement, non pas simple rage, mais être complexe et malsain, réserve de souvenirs et d’informations et surtout, créature avec ses goûts et sa propre individualité.

Quelle femelle mal éduquée…faillit lancer Black, jouant les misogynes pour le seul plaisir de provoquer gratuitement. Puis se reprit. Provoquer la Malédiction semblait un tant soit peu idiot…Au lieu de cela, il recula d’un pas et inclina la tête de côté avec un œil empli d’une malice railleuse :

« En tous cas, me voilà très flatté qu’une Malédiction remontant si à longtemps, et qui en a donc tellement vu, connu et admiré, me considère néanmoins comme appétissant… »

Nathanaël ne s'offusqua pas : il n'avait pas vraiment attendu de réponse, et il savait bien que, puisque la Malédiction lui avait confiée ces infos, il avait fait mouche. Il laissa cependant le loisir au Chef du Clan de l'Ombre de virevolter comme bon lui semblait, grand seigneur.
Il se contenta de hocher la tête, passant à autre chose. L'étalon noir avait déduis seul qu'il conversait avec la Malédiction. Un bon point pour lui.
Il faillit éclater de rire lorsque l'étalon noir s'adressa directement à sa vieille amie, ironique, et sourit lorsque l'entité au caractère bouillant lui fit paraître son amusement. Pour une fois, Nathanaël céda gentiment le contrôle de son corps à la Malédiction. Il sentit ses veines s'emplir de lave, ses muscles se tendre sous une énergie accumulée depuis des centaines d'années. Ses yeux virèrent au pourpre et un sourire diabolique et pervers naquit sur le bout de ses lèvres blanches.
La Malédiction s'avança à nouveau vers Black, féline, et rétorqua, amusée et séductrice comme une tigresse. Ce qui donnait quand même un mélange un peu bizarre, de voir cet étalon murmurer des mots doux au Seigneur du Caln de l'Ombre :

"Dommage que je sois coincé dans ce corps masculin, je me serais bien amusée un peu avec toi, mon mignon... Même si j'ai le bon souvenir d'antiques guerriers qui n'étaient pas mal non plus, et que je regrette aujourd'hui... Nathanaël approuvera. De toute façon, il approuve toujours... Ta soumission est totale, n'est ce pas Nath' ?"

"Ne profite pas d'avoir le contrôle pour dire n'importe quoi... ca va se retourner contre toi... Si tu te souviens bien, Setsuna avait trouvé un sortilège plutôt amusant..."

"Encore cette bécasse... Remarque, ca nous change un peu de Seilhan !"

"La ferme !!!!!"

Il changeait.
Nathanaël avait franchement eu l’air amusé suite à la réplique de Black, mais voilà que son sourire s’élargissait, que ses yeux brillants scintillaient maintenant d’une lueur malsaine. Il semblait grandir et pourtant, l’étalon noir savait que le physique du cheval n’était en rien modifié. Un frisson, naissant des épaules de Nathanaël, parcourut tout son corps ainsi qu’une vague immense et irrésistible, comme la lame qui s’abat sur les rochers et les enveloppe de liquide pâle. Ce regard, jusqu’ici bicolore, perdait soudain pupilles et iris, et les yeux du cheval se muaient en deux globes pourpre, comme emplis des flammes de l’enfer, de toute la Haine distillée par l’ancien sort. Black frémit durant la transformation de l’étalon. Il n’avait plus devant lui le petit aristocrate, il avait sous ses yeux…la Malédiction elle-même, cette entité se développant en pompant la santé mentale de son hôte, comme d’autres pompent les nutriments. La Malédiction, indubitablement féminine, au pas félin et au sourire large, pervers, lèvres serrées et mine aguicheuse. Elle s’avança vers Black, puis lui parla, et même sa voix se faisait différente. Inflexions douces, un timbre moins viril, Nathanaël était à ce point maudit que son hôte se manifestait désormais en tant qu’entité, entité physique. Black s’était remis de sa surprise, et écoutait maintenant la Créature lui parler. Il s’était lancé dans l’ironie, il y poursuivit :

« Dommage pour toi, tu ne sais pas ce que tu perds…peut-être peux-tu l'imaginer, au moins. »

Un fin sourire étira la commissure de ses lèvres, un brin moqueur, avant qu’il ne poursuivre et n’enchaîne sur l’allusion de la Malédiction aux anciens guerriers :

« A chaque époque ses guerriers, n’est ce pas ? »

Puis pointa les oreilles. Setsuna, Sheilan…Il les connaissait. Il en était sûr ! Mais d’où ? L’étalon noir, sans se défaire de sa méfiance, car l’idiot est celui qui se croit plus fort qu’il ne l’est, et seuls ses membres rapides le sauveraient de la tueuse en cas d’attaque, interrogea la Créature. Il s’adressait maintenant à elle sans chichis ni prudence excessive ; sa nature n’était pas propice à la diplomatie :

« Sheilan, Setsuna, sont des noms qui me sont vaguement familiers…sont-ils, pardon, sont-elles, plutôt, ce sont des noms assez féminins, de ces chevaux antiques auxquels tu faisais allusion ? »