Nuit, et le Crime devient Roi [PV-Liberty]

Mais trois nuits par semaine c'est sa peau contre ma peau et je suis avec elle.
Mais trois nuits par semaines, mais mon Dieu qu'elle est belle!
Mais trois nuits par semaine c'est son corps contre mon corps, c'est nos coeurs qui s'enchaînent.
Mais trois nuits par semaine, mais mon Dieu qu'elle est belle!

Indochine - Trois Nuits par Semaine

Snow ronronna, chat avec sa proie, chat face à la souris. Quel jeu palpitant, que ce jeu des corps et des gestes, qui mêlait désir et chasse! Pour eux, les félins, eux les prédateurs, quelle jouissance de s'adonner à des courses-poursuites, proies et prédateurs, chasseurs sûrs de leur succès, joueur comme le sont tous les félins avec leur proie, eux qui chassaient alors pour s'amuser et non pour se nourrir. Passant derrière elle, il posa une patte avant sur son dos, l'enfourcha une seconde, comme une provocation, avant de se glisser le long de son flanc, malicieux, son museau de velours masquant ses poignards d'ivoire, ses crocs, et se glissant dans le pelage ondoyant de la femelle tigrée. Ses yeux jade clignaient doucement dans l'expression d'un félin heureux, le clignement paresseux d'un animal lové au soleil, et goûtant le simple plaisir physique. Son ronronnement bas de gorge, son indubitablement masculin, faisait vibrer sa large poitrine tandis qu'il se coulait sous le menton de la femelle, se mussant contre son col velu, avec un feulement léger et rauque, provocant. Bien longtemps qu'il n'avait pas eu envie de jouer de la sorte, de gambader et de danser, évoluer sans apprêts, sans promesse de lendemain, juste pour une nuit exaltante, tourbillonnante, de plaisir, un torrent de feu l'emportant pour un soir, une nuit, une heure, une vie.

Féline. Ondulante, Tueuse Amor se laissait rattraper avec plaisir par le mâle irradiant de puissance, un ronronnement bas de gorge s'échappant dans l'air brûlant. Les remparts n'existaient plus, ni les barrières, ni les murs. C'était une large allée d'un marbre pur qui s'évadait de son coeur, pointant vers Snow. Aucune arme aux dangereux tranchants, seulement des promesses de douceurs et de sensualité, aucune défense, un coeur à prendre, un Royaume à conquérir. Et toutes ces émotions qui transparaissaient dans son livide regard. Elle était juste là, simple et dénudée de toutes ces poses guerrières, simple dans sa façon de se mouvoir, de se laisser aller. Elle était elle, tout simplement, elle était, à ses côtés, Amor. La tigresse s'élançait, se projetant avec une violence aimante contre le mâle, des rugissements sourds pour ponctuer son bonheur. Ils le tenaient, cet instant si doux et fiévreux, cet instant qui ne possédait aucune mesure, cet instant qui était tout un univers, ou le plaisir se conjugue avec l'envie. Et dans ses iris blanches, cette même invitation, ce besoin, cette envie, ce plaisir. La prédatrice se plassa face à lui, et s'approcha, une fois encore, doucement, la tête légèrement inclinée, aucun soupir, ni ronronnement. Rien qu'une approche silencieuse et feutrée. Elle cala ensuite sa large tête sous le menton du mâle, avant de le soulever, tendrement, la tête encore nicher contre lui.

Amour ou plaisir? Le désir exacerbait chaque sensation, chacun de leurs gestes, chacun de leurs regards, et l'amour était l'aboutissement promis de cette nuit de jeux et de poursuites. Pourtant, l'un et l'autre prenaient un malin plaisir à faire durer leurs jeux de chatons, de chatons plus si innocents, leurs jeux qui, à la lumière de l'attirance physique qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre, prenaient une toute autre connotation...elle était devant lui comme offerte, coeur ouvert, et il se tenait de même. Plus rien de farouche ni de prédateur dans ses gestes et ses attitudes, plus rien du jeu, il s'offrait simplement à elle comme on s'offre corps et âme à l'être aimé. Etait-il amoureux? Peut-être pas...mais le désir et l'instinct étaient là et lui commandaient de faire sienne, le temps d'une nuit opu d'une vie, cette femelle au corps superbe et en pleine forme. Tueuse Amor. L'amour et le crime n'étaient jamais très loin l'un de l'autre chez les tigres, les crocs proches de la langue, les griffes se lovant dans leur écrin de velours soyeux. Snow frémit quand Tueuse Amor vint pousser sa tête sous la sienne et la laissa faire, un grondement sourd, à la fois ronronnement et grognement de chasseur, montant de sa gorge. Sa longue queue rayée battit l'air, doucement, tandis qu'il pressait son poitrail contre la femelle et posait à nouveau une patte avant sur son dos. Mais sans la retirer cette fois, serré contre elle, sentant son souffle, son coeur et sa chaleur.

Ce n'était plus un jeu, ni les prémices de la séduction, c'était plus, c'était l'Instant unique, l'aboutissement de leur course et de leur caresse. Lentement, sur son corps ondulant, le voile du jeu et de l'innocence avait glissé, tandis que mise à nue par les yeux émeraudes du mâle. Oui, elle le sentait, elle le savait, elle le voulait: il pensait à la même chose qu'elle. Alors, elle se perdit dans ses pensées, explorant chaque désir inabouti, chaque passion rendue sur du vide, chaque loupé essuyé jusqu'alors. Un début, un commencement qui trouverait peut-être sa fin au même endroit; mais un sentiment fort et puissant qui valait d'être vécu. Ensuite, tout dépenderait d'eux, de la question incertaine qui planait au-dessus de leur tête comme une épée de Damoclès: une nuit, ou une vie? Raz-de-marée qui l'ejecta hors de ses pensées, la propulsant dans le présent, là où elle était, la tête contre le corps chaud de Snow. Tueuse Amor poussa un ronronnement sonore, alors qu'elle s'enivrait de son odeur, alors qu'elle aprenait son corps un peu mieux, traçant ses contours précis dans sa mémoire. Il serait celà: le fabuleux tigre blanc qu'elle aurait aimé, dans le doue d'une nuit, ou de l'attachement d'une vie. Plus qu'une simple rencontre, il demeurerait le symbole de cette terre chaotique, le Dieu de cette union diabolique. Et douce, elle se laissa faire, appuyant avec insistance son corps contre celui de Snow, savourant la pose de la patte du mâle sur son dos.

Je n’ai qu’une seule envie
Me laisser tenter
La victime est si belle
Et le crime est si gai.

Cœur de Loup – Philippe Lafontaine

Et tout d’un coup, ce n’était plus une patte sur son dos, mais la masse entière du grand tigre blanc, qui prit encore le temps, malicieux, de mordiller sa nuque. Un coup de langue derrière ses oreilles, tandis qu’il se tenait au-dessus d’elle, le dos arqué, l’œil brillant, un ronronnement à moitié feulement faisant vibrer sa large poitrine. Son thorax couvert d’un poil plus doux frôlait l’échine bicolore de Tueuse Amor au rythme de son souffle, sa queue battant derrière lui, avant qu’il ne la ramène autour de leurs pattes postérieures. Il saisit délicatement la peau de la nuque de la femelle entre ses crocs, de cette morsure douce que la mère inflige à ses petits pour les tenir, ou le mâle à la femelle pour l’immobiliser. C’était l’instinct qui orchestrait chacun de ses gestes, vers l’aboutissement de tant de jeux où la violence guettait, tapie, discrète.
Une nuit, un soir, une heure, une vie ? Qu’importait la durée de leur lien, quand elle demeurerait dans son esprit le souvenir d’une belle expérience, d’une fourrure douce, d’un corps chaud, d’un ronronnement incitateur et d’un plaisir intense au milieu de la nuit et des flammes ? Les tigres ne s’embarrassaient pas de sentiments, ni de fidélité, principes si propres à ces grandes créatures grégaires qu’étaient les chevaux. Les félins, solitaires par essence, et par conséquent plus libertins, n’avaient que faire d’une notion de fidélité. Ce soir, elle était sienne tout comme, lui aussi, il était sa proie, et ce soir c’était leur couple qui célébrait son union au milieu de la nuit. Le lendemain, peut-être demeureraient-ils amants, peut-être se sépareraient-ils, peut-être aurait-il une autre muse avant de revenir à la tueuse. Qui pouvait savoir ? Qui s’en souciait ? Assurément pas eux, seul comptait l’instant présent.

Une pause. Le Temps s'arrêtait, plus sourd et grave que les secondes précédentes, que les secondes suivantes. Les mots ne pouvaient simplement pas décrire un tel instant: tout prenait de l'envergure dans la passion, alors qu'un feu brûlant ne cessait de consumer son corps qui, en sentant le poids de Snow, frémissait. Tueuse Amor ne feula pas, ne gronda pas; silencieuse, seul son souffle rauque fit écho aux flammes qui dansaient devant eux. Son cou entouré d'une toison blanche s'offrait au mâle, qui, doucement mais avec assurance, l'empoigna. Langoureuse grimace que celle qui se dessina sur le visage rayonnant de la tigresse. Ses membres trapus cherchèrent le sol, y plantant avec ardeur ses longues griffes blanches. Quelque part, serrées contre ses flancs soyeux, les puissants membres de Snow se trouvaient, force souveraine qui était, à chaque instant, prête à éclater. Mais ou se trouvait la frontière entre la violence et l'amour? Entre le jeu et le combat? Même dans ces moments, leur esprit s'éloignait-il réellement de l'envie qu'ils avaient de dompter, de titiller leur force? Les yeux verts de Tueuse Amor se fermèrent un instant, découvrant l'instant suivant des pupilles encres dessinées en fine fente.
Il y aurait ensuite, de façon sûre et certaine, un souvenir des plus doux et des plus plaisants. La suite? Rien, pour ces grands félins, n'étaient encore écrit dans le Grand Livre, ils avaient toute leur vie, toute la nuit et tout le jour... Ils avaient tout ce qu'ils voulaient. Parfois, l'idée que tout puisse se plier à leur volonté effleurait le reste du Monde, qui tremblait d'effroi et de plaisir, de se dire que cet auguste pouvoir persistait. Comme un sursis, comme quelque chose de secret et d'obscur qui ne cesse de fasciner.

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