Play it Harder ft. Méthadone

Hermès, en plus de lui avoir appris le mensonge et l'art de la persuasion, lui avait donné la curiosité. Rompant à ses avances, la jeune jument avait décidé de se mettre en route pour la Zone. Elle avait suivi les chemins, se repérant par l'odeur qu'un étalon avait laissé ici. Dans un silence lourd, elle cheminait à travers les anciennes mines. Elle ne voyait presque rien, et ses sens étaient la seule chose qui lui permettait de ne pas se cogner sur les parois de terre humide. Plusieurs fois elle appela, pour savoir si un de ses semblables pouvait se trouver par ici. Mais elle n'eut jamais de réponse. Ce qui, en soit, ne lui importait pas beaucoup. Pandore aimait la solitude et l'obscurité, les ciels roses et les longs jours d'été n'étaient pas pour elle davantage. Elle continua donc d'avancer, ses sabots frappant le sol de leur empreinte. Les suivants verraient et sauraient qu'elle était passée par ici. Pandore, pour tous, aurait foulé leur terre de ses longs membres aux articulations cagneuses. La rose s'enfonçait dans la pénombre.

Mais les roses, aussi coriaces peuvent elles être, ont besoin de lumière. Sous elle, une légère pente remontait vers la surface, alors que les tunnels étaient de moins en moins obscurs. Bientôt, elle s'échapperait de ces corridors sans nom. Et le bientôt arriva avant même qu'elle ait le temps de souffler. Le ciel était éclairé d'un grand soleil, et il n'y avait pas un nuage à l'horizon. Pandore marchait sur une pierre toute dure, et ses sabots claquaient dessus. Elle n'aimait pas cette sensation et, pour s'en libérer plus rapidement, elle prit le galop. L'arabe était petite, mais ses muscles étaient puissants, et elle avait la vitesse dans le sang. Ses crins se balançaient dans le vent, alors que sa course était comme celle de bataillons entiers lancés vers l'ennemi.

La roche avait laissé place à du sable rouge, mais elle ne ralentissait pas. Elle voulait aller au-delà, découvrir les autres terres qui composaient la Zone. Elle continua donc sa course, regardant de ses grands yeux les paysages changer au fur et à mesure. Elle ne s'arrêta que quand elle se sentit fatiguée. Elle était arrivée sur une large plaine d'herbe grasse et verte. L'endroit était immense et coupé d'un large ruisseau d'eau froide.

Légère et danseuse, elle s'en approcha, alors qu'elle voyait son reflet s'y dessiner. Une tête expressive et racée, perchée sur un corps tout aussi fin et élégant. Pandore, si elle était belle, savait s'en amuser. Et elle n'avait pas peur de faire souffrir son cœur ou celui des autres. Pandore aimait aimer, même pour une heure seulement.

Souvenir. Ils n'étaient que peu à s'être aventurés dans la Zone, à oser emprunter les interminables mines qui menaient à cette terre riche de paysages et de mystères. Mais parmi ces arrogantes cavales s'en trouvait une plus mauvaise que les autres peut-être, ou du moins, plus renfermée et sombre. Personne ne pouvait se targuer de le connaître, et rares étaient ceux à avoir croqué sa silhouette en détails. Méthadone Crystal était une énigme, un songe ou encore un fantôme. Insaisissable, il avait fait de lui un démon affranchi de tous codes ou de toutes règles. Les méandres de son esprit n'avaient d'ailleurs jamais été cernés en leur totalité : il n'était pas seulement dément ; il était aussi dangereux. Dangereux pour les autres comme pour lui-même, alors qu'un goût amer lui était resté dans la bouche. Crystal brûlait de l'intérieur, son âme se consumant sur un ardent désir de vengeance et de sang. Aussi intelligent et habile pouvait-il être, quand il s'abandonnait à ses souvenirs, le puissant étalon perdait pied. Tout autour de lui s'écroulait alors, et toutes les leçons si durement apprises s'oubliaient. Il ne lui restait qu'une certitude alors : son assassin était encore en vie, et il courait toujours, heureux ou presque de ses jours.

Blasphème ou infamie, le bai était paré d'une robe à l'incroyable aspect mat qui rappelait aussitôt ses grands yeux bruns. Les lignes qui dessinaient son corps étaient puissantes, et sa virilité habillait d'une ancienne élégance sa haute taille. Méthadone était un de ces rois venu d'un autre temps, avec une démarche assurée bien que légèrement boiteuse. De multiples cicatrices constellaient son corps, mais la plus impressionnante demeurait celle de son genou. Profonde et large, il était impensable de se dire qu'elle ne le faisait pas souffrir. Mais rien ne passait jamais sur son visage, sinon les sentiments qu'il voulait montrer. On disait de lui qu'il pouvait modeler à l'infini les grimaces qui tordaient son visage : Crystal passait du rire aux larmes en un quart de temps. Insondable.

La foulée régulière, c'était au pas qu'il arpentait ces terres encore inconnues, son genou craquant sèchement parfois. Rien ne semblait le perturber, alors qu'il s'entêtait à regarder droit devant lui. Une plaine d'herbe grasse avait attiré son œil, et sans attendre davantage, il s'était mis en route, quittant la pénombre des forêts de bois maigres. Il s'arrêta un instant, redressant sa tête et laissant son regard dévorer l'endroit. Tout semblait calme, et rien ne vivait. Rien ne vivait ? Là-bas, une fragile silhouette se découpait sur le ciel bleu. Encore un inconnu. Mais cette idée le faisait sourire de cette effroyable grimace carnassière, alors qu'il se mettait déjà en route.

Il n'avait étrangement pas forcé l'allure, préférant continuer sur ce pas aussi calme que majestueux. Au fur et à mesure qu'il s'approchait, il glanait des informations sur le Shikaku qui s'avérait en fait être une jument, bien jeune encore lui semblait-il. Elle n'était pas grande, et elle aurait pu être considéré fragile tant elle semblait légère ; mais les muscles noueux qui se tendaient sous sa peau trahissaient son aptitude au combat. Elle devait être une de ces guerrières explosives de rapidité et de ruse. Parée d'une robe brûlée, de légères pommelures plus claires y naissaient, faisant de son habit une étoffe précieuse. La tête était expressive et marquée par un large apport arabe, alors que les yeux luisants pétillaient d'intelligence : une splendide dame, en fait.

Personne n'avait connu de compagne à l'étalon sur les terres de Wild Horses, et il n'en avait jamais évoqué. S'était-il déjà seulement entiche d'une muse plus belle qu'intelligente malheureusement ? Rien n'était moins sûr. Peut-être frémissait-il des caresses de la vengeance qu'il couvait sous son aile ? Mais il avait toujours apprécié la beauté du corps, lui qui était devenu infirme mais qui avait su le cacher tout ce temps. Il aimait chez ces autres ce que lui n'avait plus : il adorait la science complexe du corps et son répondant. Aussi, il arbora un large sourire, qui tendait tout de même vers celui des carnivores, et ploya son épais col d'entier. Se moquait-il d'elle, alors qu'il tournait ces codes en dérision une fois de plus ? Impossible de savoir.

| Marbre, perle, rose, colombe ... Salutations.

Profonde et grave, sa voix avait tonné avec douceur dans l'air iodé de l'île, le transformant en un être charmant et presque délicat, malgré son corps qui criait partout et sur tout les tons qu'il était un furieux Shikaku. La belle rose, s'enfuirait-elle devant lui et son âge mûr ? Ou l'abîmerait-elle de ses épines venimeuses ? Oh, cela faisait si longtemps qu'il n'avait vu de robe si brillante, de formes si désirables et de regards si farouches !

Pandore avait passé l'âge d'avoir peur et de s'enfuir, d'être cette pouliche effarouchée par des regards trop brillants. Elle s'était redressée, braquant ses yeux de biche sur l'étalon qui s'approchait lentement. Il était grand et puissant, et sa robe avait une étonnante texture mat. Les rayons du soleil ne s'y reflétait pas, mais elle avait quand même quelque chose de luisant. Le corps de l'inconnu était parcouru de nombreuses cicatrices, dont une épouvantable qui lui barrait le genou. Ne souffrait-il pas à chaque pas? Mais la jeune jument n'y prêtait pas plus attention: cela aurait certainement déplu au grand mâle qu'elle s'attarde davantage sur cet aspect de son physique. Et puis, outre cette blessure, un certain charme se dégageait de lui. Il semblait savoir, connaître la vie et les déceptions qu'elle apportait.

Quand il s'arrêta devant elle, cambrant son col pour la saluer, elle lui sourit. Pandore n'était ni timide ni attachée à toutes ces règles, mais elle le salua quand même, avec respect, inclinant son court profil camus. La voix grave de l'étalon bai la fit frissonner, mais c'était paisible qu'elle avait posé ses yeux dans les siens, montrant par la même qu'elle n'avait pas peur, et que son apparence farouche n'était qu'un air, qu'une impression, qu'un mensonge finalement. Sourire en coin et étincelles dans le regard, elle reprit à la suite du mâle, se redressant:

- Bonsoir, sombre inconnu...

La rose piquerait de ses épines empoisonnées.

Méfiance. Avec ses yeux de biche, son sourire d'enfant et son immuable jeunesse, elle était belle. Belle comme l'Aurore qui pose la rosée sur chaque chose, Belle comme le Jour qui appelle toutes les âmes à l'éveil, Belle comme la Nuit et ses rêves charmants. Belle comme le Mensonge et le Vice. Cette jument, aussi douce pouvait-elle sembler, n'était-elle pas qu'une rose aux sulfureux appâts ? Une rose vorace de cœurs qui n'attendait que le bon moment pour blesser de ses épines ses prétendants ? Mais Méthadone voulait jouer aujourd'hui, et le jeu en valait la chandelle : sans retenue, si elle vivait, il se brûlerait les ailes, et sur sa jeunesse, et sur sa beauté, et sur ses épines. Il laisserait ces autres, pour une fois, jouer avec lui et son corps. Peut-être qu'enfin, grâce à elle, il pourrait ressentir autre chose que la lancinante douleur qui le faisait boiter. Peut-être qu'en sa compagnie, il glanerait deux heures de vie ? Play the game.

| Belle journée que celle qui se termine, n'est-ce pas ?

Un sourire enjoué passa sur son visage, tandis qu'il détournait les yeux, les posant au-delà de l'horizon, vers ce ciel rose de début de soirée. La nuit s'emparerait bientôt de la terre ferme, pour ensuite étendre ses bras jusqu'à eux. La perdrait-il de vue dans l'ombre mortelle ? Ou se mettrait-elle à briller comme une luciole égarée ? Un éclair traversa ses yeux bruns. Il ne la laisserait s'évanouir si tôt, il ne la laisserait s'échapper sans avoir goûté au venin qu'elle cachait.

| Tout se dissout, tout se détruit ...

Prédateur, il se regroupa, ses muscles se bandant sous sa peau de velours, alors que son genou craquait sinistrement tandis qu'il sortait de son immobilité. Il n'avait pas peur de la souffrance que lui causerait chacune de ses foulées, il ne craignait pas le lendemain douloureux qu'il aurait à affronter. Il voulait seulement, pour un soir, redevenir le maître de son corps. Pour elle, pour cette inconnue aux attitudes farouches et aux regards expressifs, il voulait danser. Lui faire la cour comme eux, guerriers, savaient le faire. Il voulait se moquer d'elle quand elle tomberait dans ses filets, il voulait se sentir trompé quand il se rendrait compte que ce serait en fait qui mènerait leur danse, il voulait se découvrir jaloux de la voir s'enfuir, il voulait pleurer de l'avoir perdue.

Personne n'aurait pu comprendre. Ils semblait tous bien se porter, alors qu'ils ne souffraient d'aucune blessure. Lui avait mal, et il savait que jusqu'à sa mort, son corps le lancerait d'affreuses douleurs. Il pouvait déjà dire, tout en étant sûr de ne pas se tromper, ce qu'il ressentirait demain et après-demain. Ô, devin ! Qu'il aurait aimé ne pas savoir ! Peut-être serait-il rentré dans le droit chemin ? Peut-être qu'une de ses danses aurait trouvé un écho dans les pas d'une dame ? Peut-être qu'il en serait tombé amoureux, et que pour voir le fils qu'elle aurait attendu de lui, il aurait renoncé à être un Shikaku ? Mais la vie en avait décidé autrement, et Méthadone Crystal n'était plus rien, sinon un infirme d'âge mûr, avec des projets irréalisables. Jamais il ne pourrait être l'objet de sa vengeance : il ne pouvait que voler un enfant au berceau et le façonner, comme une arme de guerre longuement travaillée. Mais était-il cruel à ce point ? Rien n'était moins sûr.

Etrange, imposant, charmant et envoûtant. C'était ce qu'il était pour elle. La petite jument arabe ne le jugeait pas sur son physique, sur ses profondes cicatrices. Elle se moquait de savoir s'il pouvait galoper aussi vite qu'elle, s'il pouvait danser aussi longtemps que d'autres. Elle se moquait aussi de savoir s'il allait souffrir demain de cette nuit passée en sa compagnie. Pandore, elle, ce qu'elle voulait, c'était saisir l'instant. La seconde, la minute, le moment qui faisait de la journée un jour différent des autres. Et elle avait l'impression que ce soir, ce serait le mâle qui lui donnerait ces quelques secondes de bonheur, de différence. Il pouvait faire d'elle ce qu'il voulait, la seule chose qui importait vraiment, c'était qu'il lui fasse ressentir quelque chose de vrai, de fort. Qu'il la provoque en duel, qu'ils s'affrontent: Pandore n'hésiterait pas à relever le défi. Elle n'avait pas peur de mourir, l'idée ne l'angoissait pas. Tout mourait un jour, et elle n'était pas née immortelle.

Le mâle était vigoureux, et sa démarche avait quelque chose de majestueux. Peut-être occupait-il une fonction particulière? Peut-être avait-il été élevé dans le but d'avoir des responsabilités? Mais encore une fois, Pandore n'en savait rien et s'en moquait. Qu'il soit monarque ou simple bâtard ne l'intéressait pas. Et est-ce que ça aurait changé quoi que ce soit de son physique, de ses pas de danse? Non, ça ne changeait rien, aussi, elle s'en fichait. Nullement effrayée par le craquement de son genou, elle se regroupa comme lui. Ses muscles roulèrent sous sa peau et sa robe luisante. Pandore, si petite était elle, était loin d'être l'enfant fragile pour laquelle beaucoup la prenait encore. Sa queue était dans le vent, et son encolure était cambrée, un joli arc de cercle se formant. Belle mais dangereuse, c'était ce que Pandore était.

- Vous avez peur de la nuit, monsieur?

Elle jouait à la mauvaise enfant, à celle qui se moquait de celui, plus vieux, qui venait lui faire la cour. Elle savait qu'elle avait ce qu'il voulait: il n'avait pas d'autres choix que de se laisser mener par le bout du nez. Il devrait la flatter, la laisser l'humilier, pour espérer peut-être pouvoir s'abîmer sur elle et ses mortels appâts. Pandore était une de ces rares roses: belle, oui, mais intelligente aussi.

You want to play with me? Follow me and go!

Intérêt. Le ton venait de changer. Pandore semblait différente des autres. D'une rare beauté, la petite Arabe était aussi farouchement intelligente, ce qui ne lui déplaisait pas. Méthadone avait en horreur toutes ces créatures de rêves qui pensaient que, par le seul biais de leurs courbes, elles pouvaient plier à leurs souhaits n'importe quel étalon. Mais elle, cette douce enfant qui donnait parfois l'impression de s'être perdue, elle était différente. Et provocante, s'était sans hésiter qu'elle le défiait, se moquant ouvertement de lui. Elle ne le craignait pas, et elle était déterminée, son regard s'embrasant d'étincelles farouches. Le croyait-elle courbé devant elle ? Le pensait-elle son esclave pour cette nuit ? Méthadone ne refusait pas de devenir son bouffon ou son fou, il ne refusait pas de lui raconter de longues histoires, de lui peindre un royaume étranger, et de l'y conduire, en la veillant, en la protégeant, en la courtisant. Ce soir, cette nuit, il lui serait tout entier, corps et âme. My eyes are wide open, baby, shine in the dark, it's your turn !

| Peur de la nuit ? Peut-être, mais seulement si elle devait vous ravir à ma vue, Rose.

Regroupé sur ses membres, Méthadone semblait être un de ces chevaliers d'antan. Qu'importait les dangers qui guetteraient leur route, il serait là pour elle, à la suivre telle son ombre, à se couler dans chacun de ses mouvements, à épouser chacune de ses courbes ; à se noyer dans son regard si profond mais vivant ! Oh, il l'avait déjà dans la peau ... Une si belle enfant qui était là, devant lui, et qui acceptait, semblait-il, de jouer avec un vieux guerrier abîmé. L'adrénaline lui serait peut-être fatale ? Rien n'avait plus d'importance, sinon la farouche proie qu'il se devait à présent de séduire. Sourire sur les lèvres, il s'approcha d'elle, ses crins noirs dansant sur sa puissante encolure rouée. Rapide, il vint au contact, pour la première fois. Son flanc dur frôla celui de l'Arabe, et déjà, sa peau frissonnait. Ces sensations là n'étaient pas les siennes. Elles étaient si agréables, si étranges et déroutantes ! Tout son corps tremblait, même si ce n'était pas perceptible. Habile, il vrilla ensuite, se retrouvant derrière elle, le souffle déjà court. Ses grands yeux bruns la fixaient. La Reine, allait-elle se retourner et parler à son bouffon ?

| La perle fond, le marbre tombe ...

Le jeu, enfin, pouvait commencer.

L'étalon bai n'était pas idiot, et il avait compris et accepté les règles tacites qu'elle venait de fixer. Ce soir, elle pourrait faire de lui ce qu'elle voudrait: il était sien. Et elle, même si elle ne le montrait pas, elle était déjà sienne. Elle avait posé ses yeux dans les siens, souriant à ses mots. Qu'aurait-elle pu répondre? Qu'elle resterait? Pandore ne voulait pas mentir: cela ne leur aurait rien apporté de plus. Et elle ne mentait pas pour rien. Elle se contenta donc de sourire, les yeux encore brillants. Elle ne bougeait plus, attendant, espérant, qu'il se déplace d'abord, que son bouffon, ou plutôt, que son Fou vienne à elle. C'est d'ailleurs ce qu'il fit. Sans prévenir, il fut là, juste contre elle, leur flanc se frôlant dans une longue caresse. Elle sentit la peau du mâle tressaillir, alors qu'elle n'avait pas bougé. Mais les battements de son cœur s'étaient sensiblement accélérés. La voix rauque de l'étalon s'éleva de nouveau. Un éclair de lucidité passa dans son regard, alors qu'elle l'écoutait, lui qui parlait derrière elle. Marbre, perle, rose, colombe, Tout se dissout, tout se détruit, La perle fond, le marbre tombe...

- La fleur se fane et l'oiseau fuit.

Joueuse, elle se retourna doucement, représentant son profil à l'étalon. Ses naseaux noirs n'étaient qu'à quelques centimètres des siens, plus clairs. Elle sentait sur le velours de son nez le souffle déjà haletant de l'étalon, et elle en souriait. Délicatement, elle fit glisser son nez le long de l'encolure cambrée du grand mâle, son épaule heurtant la sienne dans une chaude violence. La queue toujours dans le vent, elle s'éloigna ensuite, piaffant presque. Son regard n'était alors plus qu'une invitation.

Like a light I'm luring you.

Rythme. La fleur se fane et l'oiseau fuit. Pour rien au monde il ne l'aurait laissée s'échapper sans lui montrer ce royaume qu'il bâtissait, pierre par pierre, pour elle. Pour la première fois depuis bien longtemps, Méthadone était désireux de dévoiler son univers, de faire entrer quelqu'un d'autre dans son monde. Quelqu'un d'autre, oui, mais quelqu'un de spécial, de différent. Pandore était si différente, si unique, si rare et précieuse. Aucune autre ne lui ressemblait, et si elles étaient belles, elles n'avaient pas cette intelligence farouche au fond des yeux. Elles n'avaient pas cette délicate façon de se mouvoir, de danser, de parler, de regarder, de sourire ou de rire ; elles n'avaient pas ce qui faisait le charme de la petite jument au profil d'Arabe. Et lui, puissant guerrier venu d'un autre temps, il voulait faire de cette Rose sa reine. Il voulait, cette nuit au moins, lui montrer qu'il existait un endroit, quelque part, où elle saurait être en sécurité. Il voulait lui dire qu'il était là, lui faire qu'elle se sente bien et aimée.

Et peu à peu, à travers ses gestes lents et assurés, il modelait cet univers pour elle, pour lui, pour eux. Là, tandis qu'il tremblait de sa brûlante caresse, il dessinait un long chemin qui s'échappait à travers les eaux. Ici, comme il laissait à son tour ses naseaux glisser sur son échine, il faisait naître des profondeurs une île sombre et pleine de mystères. Les deux équidés étaient maintenant si proches que leurs poitrails se pressaient l'un contre l'autre. De loin, on aurait presque pu croire qu'ils s'enlaçaient, alors que le puissant col de l'entier était passé au-dessus de celui plus fin de la dame. Méthadone s'était immobilisé, ses naseaux brûlants appuyés sur le garrot de la belle. Oh, cette odeur, cette chaleur, cette douceur ! S'en remettrait-il un jour ? Parviendrait-il à oublier son sourire d'enfant, ses grands yeux rieurs ? Il faudrait pourtant qu'elle le griffe de ses épines, qu'elle l'abîme, le fasse tomber plus bas que terre. Pandore était une chasseuse, et il n'avait pas pour dessein de porter en faux ce fait.

| Rose, douce Rose, ne resterez-vous donc jamais ? Sommes-nous condamner à n'avoir que cette nuit pour courir sur le corps de l'autre ?

Sa voix grave tremblait encore d'accents rauques, et il ne parvenait à reprendre son souffle. Mais déjà, celle dont il voulait qu'elle devienne sa Reine rompait le contact, s'évadant de cette île, s'échappant sur ce chemin qui filait au gré de l'onde. Le regard de Crystal brilla, et puissant mais léger, il se jeta à sa suite. Comme elle, il piaffait, s'appuyant sur cette jambe invalide qui le faisait d'ordinaire tant souffrir. Mais ce soir, tout semblait différent, comme si la seule présence de Pandore pouvait anesthésier tous les maux de son corps.

Yeah, you luring me, but listen the rythme of my heart. It beats for you, beauty. So baby come on, take a wild walk with me. The night is our, and I want to shaw you where it's dark.

Plus rien n'entravait encore sa marche, elle l'avait comme libéré de son passé et de ses blessures d'antan. Il n'était plus rien, sinon son serviteur ou son voleur. Porté par une passion nouvelle et ardente, il accéléra le rythme, ses membres battant le sol au rythme de son cœur. Il décrivit un cercle autour d'elle, la regardant encore et toujours, comme si cette rose de lumière pouvait, d'une seconde à l'autre, s'évanouir ou faner. L'aurait-il aimé, sans cette brûlante jeunesse ? L'aimerait-il encore demain, quand les premiers signes de sagesse s'installeraient ?

It's the game of one night, baby.

Pandore ne lui demandait pas son amour. Elle ne cherchait pas en lui un compagnon de chaque instant ou de chaque jour. Elle avait juste besoin de sentir la chaleur d'un autre corps pressé contre le sien, elle avait besoin de lire dans des yeux brillants qu'elle était encore belle et jeune, elle avait besoin de savoir que ses pas pouvaient encore s'accorder sur ceux d'un autre. Méthadone n'était personne pour elle, sinon un sombre inconnu plein de charmes et de secrets. Sans doute que la jeune enfant ne chercherait jamais à en savoir davantage sur lui. Elle savait qu'à force de trop creuser, l'on finissait par déterrer des cadavres. Mais de lui, elle ne voulait rien savoir ni garder, elle voulait qu'ils restent l'un à l'autre deux étrangers. Et d'ailleurs, elle ne lui demandait en rien son avis: seul le sien pouvait compter, puisqu'après tout, c'était elle la Reine.

- Ne demandez qu'une nuit, et vous la passerez avec une rose. Demandez-en plusieurs, et vous courez le risque de terminer avec une fleur fanée.

Cruelle dans ses mots, son regard de biche effarouchée était plein de défis. Ils ne dansaient pas pour trouver un compagnon, ils dansaient pour séduire, pour le plaisir du mouvement, la beauté du corps. Méthadone avait accéléré, et il décrivait à présent des cercles autour d'elle, tandis que son corps tremblait encore de la caresse de l'étalon. Il ne la laissait pas indifférente, et il serait aisé pour lui de s'en rendre compte. Mais Pandore restait fière, et elle jouait encore à être cette dame imprenable. Méthadone était un voleur, un pillard, elle était reine. Qu'il danse, surtout, qu'il ne s'arrête pas, et peut-être daignerait-elle lui accorder ses faveurs, mettre bas les masques.

Elle lui sourit d'un de ces sourires francs et ravageurs. Il n'y avait plus rien d'enfant en elle. Souple, elle piaffait au centre du cercle, se calant sur le rythme de Crystal, sur le rythme des battements de son cœur, donc. Serait-il sensible à cette muette invitation? Que lui importait. Doucement, en passageant, elle quitta le centre du cercle, dessinant à son tour la courbe que venait de décrire Méthadone. Ils étaient maintenant diamétralement opposés. Elle laissait glisser son regard sur lui, sur son corps, cambrant son encolure sur laquelle dansaient ses crins. Briserait-il le cercle pour la rejoindre, pour la toucher, encore? Elle ne demandait rien de moins.

I come to you, but I've no fear. Show me where it's dark, and play again.

Jeu. Pandore le rendait comme fou, et il se découvrait incapable de détourner ses yeux de son corps à la robe brûlée et aux pâles pommelures. Il trottait encore, ses genoux remontant à hauteur de poitrail, tandis que sa massive encolure dessinait un arc de cercle presque parfait. Ses crins noirs dansaient au rythme de ses pas, donnant plus d'ampleur encore à sa démarche dansante. Les naseaux dilatés, un souffle rauque s'exhalait de sa gorge. Par moment, il frissonnait, un courant électrique remontant le long de son échine. Les oreilles tendues en avant, il avait écouté avec intérêt les mots de la belle. Une Rose aux pétales flamboyantes et à l'intelligence farouche. Existait-il plus rare fleur que celle qui dansait avec et pour lui ce soir ? Le monde venait de prendre un autre sens et, soudain, la vie valait en fait la peine d'être vécue. But just one night, baby.

Le puissant guerrier bai la regarda longuement, comme s'il allait user de sa voix grave. Mais devant elle et sa beauté, les mots semblaient devenir dérisoires. Rien n'avait alors plus d'importance, et les gestes parlaient bien mieux que la voix. Alors, sans crier garde, il brisa le cercle, s'écartant de sa trajectoire pour venir vers elle. Impérial dans sa robe au fabuleux aspect mat, il fit de son corps constellé de cicatrices une barrière contre laquelle -il l'espérait-, elle n'aurait pas peur de se briser.

Haut et fort, sûr de lui encore, l'étalon avait brisé le cercle qu'ils dessinaient ensemble. Il s'approchait d'elle, haut dans ses allures, vifs dans ses mouvements, ardent dans son regard. La jeune jument sentit son corps frémir. Si elle était Reine quand lui n'était que voleur, Pandore était obligée désormais de reconnaître qu'il ne la laissait pas indifférente. Un sourire, pourtant, se glissa sur son visage, déformant chacune ou presque des lignes qui le dessinaient. Pensait-il qu'elle allait se ruer vers lui? Ou le fuir? La Shikaku était provocante, elle était un prédateur, et jamais elle ne reculait, quitte à se brûler les ailes. Comme acerbe, elle vint se presser avec violence contre lui, le percutant avec force et rapidité, son poitrail se collant au sien, large et profond. L'odeur du grand mâle était enivrante, et elle ferma les yeux, les serrant avec force en respirant à pleines bronches cette odeur mâle. Son corps tremblait, comme si ses membres, d'une minute à l'autre, allaient se dérober sous son poids.

- Qui êtes-vous?

Sa voix était haletante et rauque, tant elle avait le souffle coupé. Elle se sentait pourtant étrangement bien, collée ainsi contre lui. Ses yeux ambrés fixaient ceux de l'étalon, et elle semblait sincère, se consumant de désirs et d'envie. N'était-elle pas en train de perdre le jeu? Qu'importait: là, elle se sentait bien, et c'était la seule chose qui lui importait vraiment.

One night or one life?

Peine. L'étalon à la robe mate piaffait presque, attendant, guettant ou quêtant un signe, un geste, un regard de la Rose Sauvage. Soudain, tout avait changé, tout venait de basculer, comme s'il avait été un aveugle, et que le jour, enfin, avait passé ses lourdes paupières restées pendant tant de temps fermées. Elle n'avait pourtant rien de plus. Sans doute s'en trouvait-il de plus belle, de plus affolante ou de plus charmante ... Mais c'était elle, vraiment, qui l'avait sorti de sa torpeur et de sa douleur. Elle n'était pas une reine, elle était bien plus. Il lui semblait que l'herbe verte, sous ses sabots légers, devenait sable. Un sable fin, un sable d'or que le vent emportait, dessinant de longues nuées dans les cieux ardents. Une Impératrice qui faisait naître partout où elle était son Afrique. Une de ces dames à la rare force, une de ces dames de fer. Et qu'il la désirait, elle qui tournait encore, insolente ou provocante peut-être. Son cœur était serré dans sa poitrine et les mots, brûlants mais balbutiants, se projetaient en avant, sans trouver pourtant de son qui puisse les porter, les élever. Pandore lui avait rendu la vue, mais elle lui avait pris la parole. Elle le changeait, faisant de lui une marionnette, un dépendant à cette drogue pure et dure, un accroc. En avait-elle seulement conscience ?

Nymphe rebelle ou hystérique muse, elle avait posé sur lui ses grands yeux de biche. Il ne savait pas si elle attendait quelque chose de lui en particulier, et il la regardait, comme si Pandore était devenue ce phare solitaire prisonnier de la tempête. La douce meurtrière, enfin, s'écarta de sa trajectoire, avançant à grand pas vers lui. S'arrêter, reculer, passer seulement ... les choix étaient multiples, les possibilités, infinies. Papillon aveuglé et magnétiquement attiré par la lumière, elle vint jusqu'à lui, son corps chaud et tendre se pressant contre le sien, plus dur et froid. Les membres abîmés de l'étalon qui, jusque là, dansaient, cessèrent bientôt de monter, pour s'enraciner presque. Méthadone ne bougeait plus, ses antérieurs à quelques centimètres seulement de ceux plus fins et légers de la guerrière, son poitrail musculeux pressé contre le sien, plus doux.

Les sens de Méthadone étaient comme engourdis du monde qui les entourait, mais aux aguets de ses gestes à elle. Ils n'étaient tendus plus que vers cet objet de désirs, prêts peut-être à céder à la moindre de ses volontés. Les naseaux de l'étalon aspiraient avec avidité l'odeur entêtante de la jeune créature, comme si là seulement était le moyen de ne jamais l'oublier. Il aurait aimé pouvoir parler, pouvoir poser des mots, pouvoir lui dire à quel point elle lui faisait tourner la tête, à quel point il lui semblait avoir besoin d'elle. Mais ils ne se connaissaient pas, et ils n'étaient, pour l'un et l'autre, que de simples étrangers. Pandore était belle, jeune, explosive et voluptueuse. Son corps était d'une rare élégance, et lui n'était qu'un étalon. Lequel d'entre eux ne se serait pas retourné sur elle ? Lequel d'entre eux n'aurait pas senti son cœur devenir fou ? Ils l'auraient tous aimée.

Lui qui ne craignait ni ne respectait personne, pourquoi ne se l'appropriait-il pas ? Pandore méritait mieux. Pour la toute première fois, il accordait de la valeur à un de ses semblables. Il aimait cette ardeur, cette violence presque qui la faisait se presser contre lui. Il apparaissait aussi certain qu'elle allait se brûler les ailes. Mais, par pitié, qu'elle ne fasse pas de lui l'Architecte de sa chute. Le puissant bai ne voulait pas la voir brisée, triste, désespérée ou désemparée. Il voulait qu'à jamais elle demeure ainsi, aussi vivante et brûlante, aussi Femme et Impératrice. Que son corps ondule encore, que ses membres courent toujours.

Dans une infinie tendresse, qu'il ne s'était jamais soupçonné, le puissant guerrier passa son col d'entier au-dessus du sien, dans une langoureuse caresse. Il aurait voulu se presser davantage contre elle, à s'en faire mal ; mais il ne pouvait pas. Il ne voulait détruire, abîmer, ébrécher, égratigner cette fleur sauvage. Qu'à jamais tu saches rester même.

| Souvenez-vous de moi comme un de vos rêves, comme un de vos délires. & ne revenez plus vers moi. Je ne sais si jamais je ne faillirai, et vous ne le méritez, Rose.

Un triste sourire dessinait ses lèvres, ses grands yeux noyés dans une sincère douleur. Oh, il savait qu'en la laissant s'en aller, il renonçait à vivre. Seule elle saurait, et à jamais, le mener sur ces chemins où il fait meilleur. Seule elle aurait su le guider, lui montrer tout ce qu'il avait omis de voir, plus jeune. Et sans avoir jamais aimé, voilà que le Monstre aimait de trop. Trop pour pouvoir toucher, pour pouvoir supporter une seconde de plus de fixer ce beau visage.

You are the only image in my mind, so I still see you around, everywhere. A new world, a new breath, a new heart and a new youth.

Incertitude. Les naseaux dilatés de l'étalon glissaient sur la robe brûlée de la jeune jument, et avide, il tendait une oreille charmée à la moindre de ses paroles. Pandore était jeune, Pandore était belle, mais Pandore savait aussi ce qu'elle voulait. La vie tout comme ses passions et ses déceptions ne semblait pas l'effrayer, et elle demeurait sûre d'elle, de ses acquis mais, surtout, de ses envies. Elle, du haut de ses toutes jeunes années, le voulait lui, vieux guerrier blessé et abîmé. Elle le voulait, malgré ses défauts, malgré son cœur de pierre et ses yeux dépréciateurs. Il semblait même à Méthadone que la jeune Arabe aurait su l'aimer. Pressés l'un contre l'autre, comme deux vieux amants qui se retrouveraient après de longs mois et qui se seraient déjà abîmés contre les passions ardentes de l'autre, ils se respiraient. Soudain, plus rien ne comptaient encore. Ne demeuraient que ces deux grands yeux plein de vie et d'intelligence, ces yeux de biche qui s'étaient braqués pourtant dans les siens et qui, plus même que les mots, l'interrogeaient. C'était à lui de délivrer une sanction, qu'elle soit positive ou négative. C'était à lui que revenait la lourde et écrasante tâche de juger. Il lui aurait été tellement simple de s'emparer d'elle, de lui promettre la lune et les océans turquoises, de lui dessiner un monde où les nuages auraient été roses et où il aurait été meilleur de vivre ... Mais Pandore n'était pas dupe, et elle méritait tellement mieux !

Pourtant, c'était de ses caresses qu'elle tressaillait, de sa présence qu'elle s'émouvait. Aucun autre ne l'avait encore charmée, sinon lui et ses mûres années. Pourquoi, alors, se refusait-il de saisir cette âme en soiffe d'aventures ? Ce soir, Pandore était sa drogue. Mais Méthadone, sans avoir jamais aimé avant, savait qu'elle ne le laisserait s'en aller. S'il cédait maintenant, jamais plus il ne pourrait se défaire de ces yeux de biche, de ce sourire d'enfant, de ce rire généreux, de ces frissons fiévreux ... Et Pandore danserait pour l'éternité devant lui, se moquant bien ce qu'il ressentirait alors. Pandore, légère et voluptueuse encore, vivrait, croquant à pleine dents les jours qui viendraient, oubliant ce grand corps froid et dur. Elle oublierait ces mots qu'elle lui aurait pourtant susurrés au creux de l'oreille. Elle oublierait jusqu'à ces frémissements maladifs qui s'emparaient pourtant de tout son corps, le faisant trembler de toute part.

Chaque jour, le puissant guerrier vivait déjà sa souffrance physique et sa solitude morale. Il ne désirait pas ajouter à ce lot quotidien la douleur des sentiments. Jusque là, il avait toujours trouvé le moyen de s'en préserver, ne s'attachant à personne. Mais sans être plus belle, plus affolante ou plus charmante, Pandore éveillait en lui des sensations qu'il n'avait jusque là jamais ressenties. Il lui semblait soudain qu'il n'était de nouveau plus qu'un jeune yearling amoureux pour la première fois. Le feu qui flambait dans son corps commençait à le brûler, et bientôt, ses reins s'embraseraient, le mettant en face de la réalité : Méthadone était incapable de se détourner d'elle une seconde de plus. Il ne pouvait faire demi-tour et s'enfuir, il ne pouvait la dépasser et partir, il ne pouvait mourir. L'étalon bai n'avait plus qu'un choix : être là, la regarder et, chaque seconde, l'aimer et la désirer davantage. Mais déjà, la toucher avec tendresse ne lui suffisait plus. Son corps tout comme son cœur exigeait davantage, comme si, pour un soir, ils pouvaient devenir les objets de l'autre.

| J'ai cru que l'amour, ce n'était pas pour moi. J'ai toujours pensé que je ne me passionnerai jamais pour une de mes semblables, que je saurai demeurer de glace vis-à-vis d'elles. Mais je vous ai croisée, Rose Sauvage. Je ne sais pas, je ne sais plus ... J'aimerai tant pouvoir demeurer ici, en votre présence. Mais vous êtes à peine née, et moi, mes beaux jours sont passés. Je vous adore trop pour pouvoir vous priver de toutes ces choses que seule une jeune âme saurait vous offrir. Pandore, ne faites pas de moi votre bourreau, je vous en prie ... !

Comme résigné, l'étalon s'était, à contre cœur, reculé. Il la dévisageait désormais de ses grands yeux noyés encore de peine. C'était à elle que revenait la dure tâche de choisir. Pandore savait maintenant tout ce qui pouvait l'attendre, et c'était maîtresse du jeu que les mots de sa bouche tomberaient.

D'un calme inquiet, le corps de l'étalon était plein d'alarmes : il la désirait tellement. Mais l'avoir ne lui aurait sans doute pas suffi. La serrer contre lui, respirer son odeur, toucher son corps ... Rien n'aurait suffi à taire les désirs qui le brûlaient entier. Et Pandore semblait, malgré le fait qu'elle soit Shikaku, si fragile à cette heure. Existaient-ils réellement des Esprits qui veillaient sur leurs misérables existences ?

Peur. Elle serait, comme elle venait tout juste de le lui susurrer, libre de s'en aller. Et c'était cela qui effrayait le grand mâle au poitrail profond et au regard noir. Il ne l'avait pas encore, mais la seule idée de courir le risque de pouvoir un jour la perdre le faisait reculer. Ne pas goûter à ce que l'on ne pourrait plus jamais avoir. La souffrance était son domaine, il en connaissait tous les détails. Du moins, c'est ce qu'il avait cru. Mais la jeune pur sang n'avait pas tort : il ignorait tout de l'amour, de la douleur qu'il pouvait causer. Mais avait-il encore l'âge de s'éreinter sur ce genre de passions ? Avait-il encore l'âge de déployer ses forces pour bouger les montagnes et terrasser les adversaires ? Méthadone Crystal n'était plus un jeune fringuant qui ignorait tout des sorts de la vie. Et combien, avant lui, avaient coulé pour l'amour d'une belle rose ? Combien étaient-ils à s'être pris au jeu et à en être mort ? Lui avait déjà choisi son tombeau et son meurtrier : rien ne lui laissait plus le temps de rencontrer, de connaître et d'aimer une semblable. La jeune jument à la robe châtaigne serait une erreur, un blasphème qu'il porterait seul à son dessein. En avait-il l'envie, le cran ou le courage ? Il tremblait, son cœur s'emballait et, déjà, son cœur se mourait pour elle.

Elle. La somptueuse jument avait déjà tout de lui, que ce soit le désir qui le brûlait, la morsure de l'envie qui le croquait. Tout, tout de ce qu'il pouvait offrir se tendait désormais vers elle, l'unique objet de ses passions, de ses désirs et de ses rêves de vieux fou. Il savait déjà le bel étalon qu'il ne pourrait passer au-delà de cette formidable rose. Quand il s'éloignerait d'elle, il souffrirait. Alors, s'il était déjà condamné, pourquoi ne pas continuer, pourquoi ne pas goûter au fruit interdit ? Elle était jeune, belle, joueuse et charmante : Méthadone ne pouvait résister davantage.

| Viens. Danse avec moi, ne dis plus rien et danse. Danse jusqu'au petit jour, et laisse-nous seulement nous enfuir. Viens, Rose mortelle.

Prompt, le grand étalon s'écarta d'elle, ses longs membres le portant avec vitesse et allure. La nuit, bientôt, laisserait place au jour, et à regrets il l'abandonnerait, essayant de trouver le moyen de l'oublier, de ne plus voir son sourire d'enfant dès qu'il fermerait les yeux.

Hésitation. Charmante, encore, la jeune et élégante jument s'était avancée vers lui, s'amusant de ses allures relevées et de ses muscles vigoureux qui se contractaient sous sa peau de velours. Elle était à chaque seconde plus désirable encore. Pourtant, quelque chose avait radicalement changé. Son sourire de grande enfant l'avait abandonnée, et les mots qui s'étaient évadés de son corps comme fragile avaient été brefs et froids, ils avaient été cet éclat qui brise le miroir. Elle danserait. Pour lui. Les oreilles de l'étalon avaient pivoté en tout sens, cherchant cet accent mutin, cette mielleuse douceur, cette sourde invitation. Mais les mots de la belle n'avaient plus rien d'enivrant ou d'aimable. Ils venaient de devenir des armes, et c'était contre lui qu'ils s'élevaient. Oh, mais comme elle se trompait ! Jamais, plus jamais Méthadone ne serait la lumière. Il n'était que le papillon, condamné à ne vivre plus qu'une semaine encore, maintenant qu'il l'avait vue mais qu'il ne pouvait encore l'avoir. Sa Rose Sauvage se faisait victime et prisonnière ; elle était en réalité Souveraine, une fois de plus.

Mais lui allait perdre le contrôle, il allait bientôt devenir fou, comme elle venait encore, l'accusant presque d'être l'origine des tourments de son cœurs, faisant de lui son bourreau. Déjà, elle ne l'aimait plus, elle l'aimait moins. Le cœur de la belle oscillait entre amour et haine, et il ne battait plus au rythme de son cœur à lui. Il percevait chaque doute, chaque hésitation et chaque recul. Devait-il demeurer l'esclave, le serviteur ou le bouffon d'une Reine qui bientôt le haïrait ? Méthadone ne savait plus quoi penser d'elle, de ses mots, de ses grands yeux de biche, de la lueur sombre qui s'y instillait. Naturellement, presque, le grand entier en vint à douter.

Il doutait de tout : d'elle, de lui, de ce qu'ils ressentaient, de ce qu'ils faisaient, de ce qu'ils étaient l'un pour l'autre. Deux étrangers Méthadone, deux étrangers. Simplement et cruellement. Simplement et cruellement, il aurait en effet été plus simple qu'ils ne demeurent, pour l'un et l'autre, que de simples étrangers. Mais ils s'étaient crus, ce soir, plus fort que le monde, et ils avaient fait le dangereux pari de jouer avec le feu. Ils venaient de perdre, de se tromper et de se désavouer. La chute serait longue, et si de cette rencontre un amour devait naître, il serait à coup sûr boiteux, belliqueux et dangereux.

Jamais le puissant étalon ne pourrait trouver en elle la compagne aimante de chaque jour. Jamais il n'aurait le loisir de se projeter dans le temps. Il venait de se condamner à vivre au jour le jour, accompagné parfois d'une ombre motivée de mauvaises intentions. Mais il savait déjà qu'il ne pouvait s'en défaire : elle avait et aurait tout de lui, à condition de le désirer.

Haut et fort, il décrivit un cercle autour d'elle, et dans ses allures légères et fluides, il s'éreinta à le réduire, si bien que bientôt, il la frôlait de ses flancs tendus et doux. Son corps tremblait parfois, tressaillant de désirs et d'appréhension aussi. Méthadone devrait, s'ils décidaient de continuer, conquérir chaque jour sa belle. Il savait que jamais elle ne satisferait d'une danse un soir. Il devrait toujours savoir être charmant et venir, sans cesse, la trouver, lui montrer qu'il était encore ce fringant étalon qui se dévoilait à elle cette nuit.

Il ne s'arrêtait plus, et tournait sans cesse, ses yeux se posant sur elle et refusant désormais de la quitter. Rose Sauvage aux mortelles épines, peut-être qu'en fait, elle venait de se frotter à plus terrible et plus torturé qu'elle ?

Douleur. Une rose, elle était une rose écarlate, une rose piquante et hautaine qui semblait se moquer de lui. Devaient-ils nécessairement être proie et prédateur ? Ne pouvaient-ils pas, à l'aune des grands, marcher côte-à-côte, la tête haute et le regard brillant, couple intemporel et estimé qu'ils pourraient être ? Quoi qu'il dise ou quoi qu'il fasse, il avait l'impression qu'elle le jugeait, comme si chacun des mots qu'elle prononçait avait pour but de le percer à jour. Elle attendait de lui quelque chose qu'il ignorait encore, vieux novice qu'il était désormais. Méthadone n'avait jamais aimé personne, et il luttait contre les désirs qui pulsaient pourtant en lui, se faisant violence pour ne pas bondir sur ce corps aux reflets délicats et doux. Mais plus elle le repoussait, et plus il éprouvait le besoin de la faire ployer, de la mettre à genou, de la mépriser comme elle le faisait avec lui. S'il l'avait faite reine, il était maintenant désireux de mettre son royaume à feu et à sang. Il voulait la voir tomber et que malade et blessée, seule et abandonnée, elle se traîne vers lui en le suppliant de l'aimer encore, de l'aimer plus fort. Le jeu semblait avoir assez duré, et les vieux vices de l'étalon ressurgissaient, millions de pensées noires et gluantes qui s'infiltraient partout en lui. Elle serait sienne, de gré ou de force.

Elle serait sienne, puisqu'il l'avait décidé.

Les mots de la belle avaient eu sur lui un effet immédiat, qui avait quant à lui fini par le décider. Aussi belle et charmante pouvait-elle être, aussi jeune et inconsciente semblait-elle être ; il lui brûlerait les ailes, l'empêchant de s'envoler jamais, lui rappelant avec un plaisir dédaigneux qu'elle n'était qu'une mortelle doublée d'une effrontée égoïste et prétentieuse. Elle n'était pas plus belle ou plus intelligente qu'une autre ... elle n'était qu'une de ses semblables, une assez folle et arrogante pour être venue se frotter à lui.

Et sans perdre un instant de plus, l'étalon s'élança. Son genou craquait régulièrement, une grimace de douleur habitant désormais le visage grave du mâle. Mais la souffrance était occultée ou presque par l'excitation qui le faisait tressaillir et trembler. Il courait, comme s'il avait toujours été en pleine possession de ses moyens et, qui plus est, il courait vers elle, objet de ses désirs les plus inavouables et les plus fous. Mais plus jamais il n'oublierait qu'elle avait été pour lui cruelle et machiavélique : toute addition se paye un jour.

Prompt, il l'avait rattrapée, et il galopait maintenant à sa hauteur, ses naseaux dilatés s'enivrant de son odeur sucrée et alléchante. Un sourire, presque carnivore, passa sur ses lèvres, ses dents tranchantes brillants au cœur de la nuit. Je te ferai mienne, Rose aux épines mortelles.

Jeune demoiselle rêveuse, au sourire mutin et au regard farouche, regardez-le. Voyez sur son corps les veines nerveuses, pleines du sang qu'elles charrient. Voyez toute la violence qui se fait dans ce corps, et tremblez, une fois pour l'amour du ciel, tremblez. Oubliez ce qu'était votre vie, oubliez les doux tourments qui, peut-être à l'époque, ont pu vous enivrer. La perle fond, le marbre tombe. Tout se détruit, tout se défait. Jeune demoiselle, vous vous êtes faite cruelle reine, et vous avez fait de votre bouffon un fou ; jeune demoiselle, prenez garde au loup, juste derrière vous !

Animal. Méthadone avait toujours été un animal plein de défiance, arrogant devant ceux qui le provoquaient, piquant dans les réponses qu'il leur jetait ; orgueilleux dans la satisfaction qu'il en tirait. Et Pandore n'était, à son grand dam, qu'un adversaire de plus qu'il faudrait un jour renversé. Pourtant, oh pourtant ! c'était en tout son corps qu'il ressentait l'impérieux besoin de l'aimer, de lui montrer qu'il pouvait être, et pour elle seulement, un compagnon digne de ce nom. Le bel étalon aux horribles cicatrices aurait aimé pouvoir lui montrer, lui offrir les gestes tendres, lui susurrer les mots doux, qui guérissent les pires disputes, et la rendre riche de ses richesses. Il aurait voulu la voir sourire de sa présence, rire de ses rires, et galoper à ses côtés. Pour elle, il aurait renversé les démons de son passé, et tel un Phœnix aux ailes de feu, il aurait ressuscité, plus fort et grand, plus ardent et jeune, peut-être.

Mais elle ne l'aimait pas, et elle le craignait désormais, lui qui sur elle avait posé des yeux de tigre. Son corps ondulait pourtant encore, et ce n'était que ses yeux qu'il charmait. Pourquoi ? Qu'avait-il raté, ou avait-il échoué pour qu'elle lui en veuille à ce point ? Ils ne se connaissaient pas, ils ne se devaient rien, et pourtant, elle agissait avec lui comme si leurs vies étaient dépendantes l'une de l'autre. Mais ce soir, Méthadone ferait en sorte de sceller à jamais leur destin.

Acide dans ses propos, elle s'en prenait à son corps, jugeant les plaies qui le barraient, et qui avaient été durant tant d'années sa prison. Mais par le désir qu'elle lui inspirait, elle le libérait de tout handicap, lui rendant cette férocité et cette ardeur de jeunesse. Pandore avait éveillé la Bête qui sommeillait en lui, et il était à présent certain que l'étalon essayerait de l'avoir, lui qu'elle voulait machine. Il allait lui montrer ce qu'était un concept défectueux, hors de contrôle, un concept échappé de la chaîne de montage ; oh oui, il allait le lui montrer ...

| Mais que m'importe de t'aimer ou non, de croire ou pas que j'en serai capable. Penses-tu encore, réellement, que mes jambes me feront défaut, moi qui suis en si bon chemin ?

La voix de l'étalon était froide, terrible et implacable, comme s'il c'était agit d'une sentence prononcée de vive voix. Et aussitôt, comme s'il était animé par la volonté de lui prouver ses dires, il se jeta sur elle. Avec force et violence, il la poussa, l'obligeant à s'arrêter et, en même temps, cherchant à attraper de ses dents tranchantes son col délicat de princesse.

Le rêve virait au cauchemar.

Démon ? Les mâchoires de l'étalon s'étaient refermées sur sa peau frissonnante, et s'il avait pensé qu'elle se débattrait, jument folle et sauvage, elle adoptait en fait une nouvelle attitude. Une rose aux mille visages, une actrice qui n'en finissait plus de se jouer de son être, et qui semblait même s'en amuser. Mais même à cette heure où elle devenait ennemie mortelle, même à cette heure sombre et incertaine, oh ! qu'elle était belle. Pourtant, lui savait que la beauté n'était qu'un appât, qu'un mensonge, qu'une impression ; la beauté ne faisait pas de ceux qui la possédaient des êtres meilleurs, plus forts ou plus justes. Au contraire, même.

Intelligente et explosive, elle se lova contre lui, presque violemment, et ce, malgré ses dents tranchantes qui tenaient son col de reine. Elle le provoquait, sans le craindre jamais. Saurait-il l'aimer ? Cette question ne se posait pas : il était sûr qu'il aurait su, qu'il aurait pu. Mais en cédant à ses avances, en rompant à ses invectives, ne devenait-il pas proie et elle chasseur ? Brusque, il abandonna son emprise, et la bouscula de son épaule solide. Il doutait. Mais de qui ? De quoi ? D'elle, de lui, de tout ?

Son cœur, dans sa poitrine, s'était serré. Il ne voulait pas de haine entre eux, pas de détestation. Il voulait essayer, pour la première et dernière fois, d'aimer une semblable. Il avait cette farouche envie en lui, comme s'il savait qu'elle en valait le coup. Pourquoi ? Il n'en savait rien.

| Méthadone. Méthadone Crystal.

Sa voix était rauque, comme si son souffle avait été court. Qu'ils s'arrêtent, s'évanouissent et s'oublient ... Il ne voulait pas souffrir, pas souffrir d'elle ... I lost my way.