Little Sister [Vif-Argent & Bliss. ONLY ou MPs.]

Matinée ou après-midi, la jeune guerrière n'en savait plus rien, et ne cherchait d'ailleurs pas à le savoir. Elle ne savait qu'une chose: cela faisait depuis des heures qu'elle avançait, ayant parcouru les terres de Black de long en large, s'exilant alors sur celles de Stelmaria, dans un unique espoir qu'elle avait depuis son enfance, mais qu'elle n'avait toujours pas accompli. Plus les nuits passaient, plus cette envie devenait morsure, et, bientôt, les dégâts seraient irréparables. Pourtant, aucun signe n'aurait pu laisser paraître son désarroi, sa perdition, en quelque sorte. Bliss était devenue une splendide jument, grande et fine, au visage sauvage et royal, percé de deux grands yeux noirs et sans fonds. De forme, elle était son père. Pour son corps, il possédait des courbes affolantes et gracieuses, qui criaient pour tous qu'elle était née femelle. Mais sa démarche assurée lui conférait un côté puissemment mâle, qui, on ne pouvait le nier, rajoutait à son mystère, la rendant peut-être plus belle encore. Bliss trottait donc, sa crinière et sa queue s'achappant dans le vent, alors que son instinct la guidait en ces lieux.

Enfin, elle aperçut une silhouette d'encre, presque aussi noir que celle de son père dans ses souvenirs de pouliche. Mais elle ne put lire, à mesure qu'elle avançait, la même puissance destructrice. Ce n'était pas lui. De plus, l'étalon qui se tenait la ne possédait pas la longue cicatrice-serpent du Démon. La fière fille du Shikaku continua néanmoins d'avancer, sentant comme une envie de combat chez le jeune animal. Quel âge pouvait-il bien avoir? Pas plus jeune qu'elle en tout cas. Quoi qu'il en soit, elle décida de ralentir son allure pour entrer dans une cadence rythmée, bien qu'étant au pas. Elle s'arrêta à quelques mètres de lui, plongeant ses yeux dans les siens, tandis qu'il reproduisait le même geste sur elle. Un Shikaku, mâle en plus. Il ressemblait étrangement à son Père, mais elle ne pouvait s'assurer de la présence d'une étoile ou non. Bliss avait aussi entendu dire qu'elle ressemblait à son père, et préféra ne pas trop s'aventurer dans ce genre de raisonnement.

Bliss décrivit un signe de tête à peine perceptible, salut bref mais qui voulait tout dire: elle le reconnaissait en temps que Shikaku. Alors, de sa voix cristalline et douce, elle rompit la glace:

"Bliss."

Semblable à une statuette d'acajou, la jeune jument ne bougeait plus, se contentant de scruter le visage de son protagoniste. La première chose qu'elle aurait pu en dire était qu'il était beau. Beau de cette beauté si emblématique qui ne vit que chez eux, mais elle devait aussi reconnaître son charme teinté de mystère. La brise fraîche qui soufflait arriva bientôt jusqu'à eux, les cognant avec passion, rallumant des braises éteintes en elle. Mais ce qui la troubla le plus, ce fut l'étoile blanche qui se tenait en plein milieu du front de l'animal. Il ne faisait pas que ressembler à son Père, il était son double, en moins tout ce qu'une enfant peut trouver à son Papa. Pourtant, Bliss ne cilla pas, refusant de lui montrer son trouble. La brise ne fit que décaler son soyeux toupet jais, découvrant l'extrême haut de sa longue liste blanche, qui finissait en velours noir sur son nez soyeux. Elle accueillit le salut du mâle avec un sourire amusé: il s'agissait de son premier échange autant formel avec un des leurs. La fille du Démon s'autorisait à perdre de sa gravité en présence d'un deux, car elle savait qu'ils étaient même dans leur façon de penser. Ce fut à sa voix mâle de retentir, présentant son nom. Vif-Argent. Là encore, la jeune jument crut reconnaître quelques tonalités semblable à celles de son Père.

Bliss ne sut quoi répondre, et, à vrai dire, elle n'avait jamais imaginé se retrouver dans une situation si compliquée! Elle savait pertinament qu'ils pensaient la même chose et qu'ils rêvaient tout deux d'Apocalypse. Le problème était que, justement, ils le savaient trop bien. Pourtant, la jeune Shikaku éprouvait ce besoin de parler, de rompre encore le froid insuportable qui s'installait entre eux. Parler ou jouer? Elle aimait se jouer de son propre corps, et l'étalon qui se dressait face à elle avait tout pour lui. Jouerait-il avec elle?

Féline, elle esquissa une cession à la jambe, se mouvant habilement sur ses jambes nerveuses. Danserais-tu avec moi?

Bliss était encore bien jeune, elle rentrait à peine dans l'âge adulte, et elle n'avait découvert son corps de jument que récemment. Pourtant, on ne pouvait nier qu'elle semblait déjà grave et sérieuse, comme si elle avait connaissance des déceptions nombreuses de la vie. Elle était jeune mais sage, peut-être même, insaisissable... Mais pour l'heure, elle était séductrice, et promettait de retrouver cette folie des jeunes, et de danser avec lui, jusqu'à ce que le rideau se baisse, jusqu'à ce que le soleil s'éteigne.

Elle le regarda entrer dans la danse, parfait dans son rôle, tellement léger et vif dans ses gestes. Il avançait, maîtrisant parfaitement son corps, et dessinait des cercles. A elle de les briser, de casser les codes. Voulait-il jouer? Leur journée serait longue.

Féline, la jeune jument baie se lança elle aussi dans un passage, ses muscles courts se tendant sous sa peau fine, faisant naître de nouveaux reflets sur son corps presque parfait. Les grands yeux noirs de Bliss, si semblables à ceux de son père, rayonnaient de malice, alors qu'elle jetait des oeillades endiablées au mâle. Oui, se jouer de son corps lui importait bien peu, tant qu'elle savourait le moment. Légère, elle s'approchait de plus en plus du tracé de l'étalon, et décida de l'emprunter, avançant face à lui, de sorte à qu'ils puissent se retrouver sur un arc.

La jeune jument baie était farouche, ainsi enfermée dans sa robe d'acajou qui, alors que le Soleil descendait inexorablement, se teintait de reflets rougeoyants, presque aussi vifs que du sang. Qu'elle était sauvage, alors que ses crins corbeaux s'enmêlaient sur son encolure gracieuse et délicatement arquée! C'était bien plus qu'une simple invitation, c'était un défi. Attrapes-moi si tu peux. Voilà ce que tout son corps semblait hurler. Retiens-moi si je pars, rejoins-moi quand je t'appelle, tente d'attraper mon âme, de me briser contre des passions trop violentes. Je veux vivre, fais-moi mal. Et c'était dans ces heures incandescentes que la fière fille du puissant Shikaku se sentait Intouchable. Plus rien n'avait de limite, tout pouvait être repoussé, recculé, retardé, annulé même. Bliss était à la fois prédateur et proie, et le choix de son rôle ne dépendait que de son propre chef. Qu'il était bon d'être Shikaku! Elle avait compris les motivations de son père, ses désirs, ses envies, son choix de répondre à ce sang bouillant, à ce sang fort et noble.

Pourtant, la fille de Black Hole n'était pas seule ici, perdue au sommet du col du Fou, tant réputé pour ses versants abruptes. Mais quelle joie de se savoir accompagnée par si bel étalon! D'un noir profond, il ne ressemblait que trop à son Père; simple coïncidence? Elle ne voulait qu'une chose: s'amuser, danser jusqu'au bout de la nuit. Et qu'il était charmant! Si elle était la fille d'une Reine et d'un Criminel, lui devait avoir aussi des parents aux dons de la nature exquis. Oui, tu es beau, jeune animal, mais outre ce physique et ces allures, outre ce regard, sauras-tu te jouer de moi? Sauras-tu me faire tomber dans tes filets?

Dans un brillant tour de passe-passe, l'étalon noir parvint à se retrouver sur un nouveau cercle qui l'entourait encore, et, docile, elle décida de rester sur plca dans un piaffé endiablé, cadencé, léger... Elle était un peu plus que Reine, alors que perdue entre terre et ciel, comme lui était plus que Roi. Ils avaient le monde, les éléments, la jeunesse et la Mort à leur pieds, tant d'antités qui se courbaient majestueusement face à eux. Nous sommes les rois du monde!

A chacun de leur pas, le coeur de Bliss se serrait un peu plus, pris dans l'étrange tourbillon des passions, s'affolant quand la cadence accélérait, se calmant quand son mental d'acier parvenait à reprendre le dessus. Mais dès que son regard farouche croisait celui de feu de l'étalon, alors, les digues qu'elle érgieait s'écroulaient, laissant libre cours aux sentiments qui broyaient son âme. Pourtant, son esprit guerrier se tendait à retenit ces écoulements, ces manifestations; devait-elle s'ordonner d'aimer cet inconnu au physique troublant? Elle dansait, la jeune jument à la beauté notoire, elle dansait sans faire attention au temps qui passait, à l'âge qui bientôt s'installerait. Alors que son corps chaud frissonnait sous le regard de braise de Vif-Argent, elle goûtait à l'inexplicable sentiment de plénitude qui nous tient, alors que l'on sait que l'éternité est juste à côté, alors que l'on sait que nous sommes en plein dedans, et que les secondes ne glissent plus. Et cet étrange rêve qu'elle faisait sien, elle le bâtissait avec l'étalon noir, si sublime, si royal dans ses mouvements experts. Elle n'était pas seule Impératrice ici, le fils de Hole était aussi splendide qu'un Prince, et la Mort ne se pliait pas devant Bliss; elle se pliait devant le couple indestructible qu'ils formaient en ces heures incandescentes.
Alors fais-le, mais prends-moi maintenant. Je veux vivre, entends-tu, je veux vivre aujourd'hui, demain et hier, je veux connaître les sentiments et la blessure qu'ils infligent, mais la blessure qui dit que tout était vrai, qu'il n'y avait pas de mensonge. Attrape-moi dans tes filets, puisque tu es sincère. Je ne m'opposerai pas à que tu voles mon coeur, si tu me promets d'être assez fort pour me tuer, quand je ne ressentirai plus le frisson du plaisir courir en moi. Fais-moi mal.

Royal, aucun mot n'était apte à mieux décrire le jeune Shikaku. Il était doté d'une grâce naturelle qui, couplée aux mouvements vigoureux et élastiques, ne faisait que s'emplifier. Ils étaient les Dignes Représentants de la Race, ils étaient la relève tant espérée par les ancêtres, ils étaient ceux qui avaient entre leur main la volonté et le savoir pour bousculer le monde. Leurs pères avaient cru posséder assez de force, mais ils avaient échoué, alors que flirtant de ce pouvoir si mal acquis. Mais l'ambition de ces jeunes était autre: il ne voulait pas seulement posséder, ils désiraient pouvoir jouïr de cette main infortune. Ils voulaient s'en amuser, la salir aussi, puisque après tout, la hiérarchie des couronnes n'était pas faite pour eux. Un chef, un seul, qui n'aurait de compte à rendre à personne, et qui aurait le droit de vie et de mort sur tout un chacun. Mais étaient-ils capables, eux, de panser de si mauvaise augure, aux vues de leur jeune âge? Bliss s'en moquait. Elle se moquait de tout, excepté de ce danseur au regard mélancolique et charmant. A deux pas seulement, le vide, mais qu'elle y tombe, s'il la suivait. Beau, il l'était méchamment, mais sa souplesse le rendait encore plus délicieux. Bientôt, il se planta face à elle, alors que la jument baie faisait mine de vouloir coller ses naseaux bouillants contre les siens.

Il avait formulé une nouvelle invitation, plus sensuelle encore peut-être, mais elle ne répondit pas, pas tout de suite. Elle était là, plantée devant lui alors que le matin naissait, débordant d'une douce couleur rose, qui allumait les gouttes de sueur qui perlaients sur leur corps d'athlète. Pouvait-elle avancer, venir coller ses naseaux, son chanfrein, son corps contre le sien, si fort et brute, si mâle? Bliss planta son regard dans le sien, et il pût alors, à n'en pas douter, mesurer toute l'intensité de son regard, qui brûlait à s'en rendre aveugle. Là, la fille de Black Hole fitun pas en avant, qui projeta son nez vers celui de Vif', qui colla ses doux naseaux contre ceux de l'étalon dans une caresse longue et où toute la violence de ses passions pouvait être ressentie. Oh non, elle ne se doutait pas un seul instant que cet animal de plaisir puisse être son frère, pauvres enfants...

Tout comme son Père avant elle, Bliss se dessinait, devant l'étalon noir, plus sous les traits furieux d'un fauve que sous ceux d'un équidé. Tout son corps coulait, se tordait avec connaissance, alors que Vif-Argent ne cessait de la fixer de son intense regard. Sans gêne, elle l'imitait, plongeant ses yeux sans fond dans la contemplation de l'être charmant qui dansait, dansait encore et toujours, jusqu'à s'en faire mal. Pour rien au monde elle n'aurait désiré arrêter ses pas, elle priait pour que le temps s'arrête, pour que cet échange puisse être infini, pour que jamais ses sabots ne s'arrêtent. Elle voulait, au plus profond de son être de tourments, qu'ils aient, ensemble, touché l'Infini, que la silhouette si désirable du Shikaku ne disparaisse plus, qu'il reste à ses côtés, et qu'il lui fasse goûter la moindre passion, le moindre sentiment, qu'ils puissent l'explorer, et tout prendre, tout tirer de ce que cette dernière serait apte à leur apporter, même si elle n'était que douleur. Qu'y-avait-il de mal à vouloir vivre? A vouloir vibrer de plaisirs dangereux et interdits? A vouloir se briser sur des rochers trop abruptes? Elle avait cela dans le sang, et justement, ce sang, celui qu'elle chérissait et qui faisait sa fierté, jamais, oh grand jamais elle ne se serait douté qu'il puisse aussi couler dans les veines de l'étalon fou, de l'étalon danseur au regard de braise, au corps d'athlète... Peut-être même qu'en cet instant, elle l'aimait, elle l'aimait de ce plaisir violent, de cet amour haineux mais tellement plus fort! Elle le voulait avec elle, mais elle lui promettait de le faire souffrir, puisqu'il voulait vivre, et que seuls ses sentiments obscurs et vilains pouvaient provoquer une telle vibration, une telle profondeur, un tel goût à la vie.
Juste pour te garder à mes côtés, Chevalier de Ténèbres, je te briserai, si fort et si bien que tu resteras toujours. Je ne veux plus que tu partes, je n'aime que trop ce bouillon dans mes veines, ce doute dans mon coeur, cette incompréhension dans mes pensées. Je te briserai quand tu me briseras, le choc sera plus fort, la douleur plus grande, et les sentiments plus vivaces. Peut-être que, parfois, il y aura de la Haine et de la Rage, mais si tu me laisses t'aimer, je voudrais que cet amour englobe tout, la passion comme la haine. Brise-moi, abandonne-moi sur les rochers contre lesquels je serai tombé, mais reste toujours à côté. Vif-Argent, ô Vif-Argent, es-tu capable de m'aimer ainsi? M'aimes-tu?

Alors, c'était donc cela, le "fil de la vie"? Trop engagée, Bliss ne voulait pas de lui l'amitié, elle voulait son amour, son coeur, et elle était aussi désireuse de remettre le sien entre les sabots de l'étalon, de lui donner sa vie et ses passions, ses emportements fauves et ses joies. Quand la cruelle vérité sonnerait, quelle serait leur réaction? Sauvages et farouches, les deux équidés virevoltaient sur le roc dur, de plus en plus légers, de plus en plus précis, de plus en plus puissants, de plus en plus beaux et de plus en plus fous, amoureux peut-être... Bliss avait perdu, avait abandonné ce côté mâle, elle n'était assurément plus que jument, fine et follement féminine. Face à lui, elle faisait tomber les barrières, les impressions et les mensonges. La vérité était là, Vif-Argent n'avait qu'à la saisir: Bliss lui appartenait. Et qu'il était beau, agile et vigoureux dans la moindre de ses passes, il se jouait avec aisance de ses allures savantes, de ces tours incroyables et qui révélaient sa force. La fine pellicule de sueur qui avait recouvert son corps noir le faisait briller, et ses crins jais s'enmêlaient sur son encolure, alors qu'ils suivaient ses mouvements rapides et farouches. Virile, assurément, il était désirable au plus haut point, et d'ailleurs, Bliss le désirait. La jeune jument baie amplifiait ses foulées, tournoyant sur elle-même, parfois autour de lui, ne pensant même plus à effectuer ses pas, tant ils lui devenaient naturels et simples, presque. Elle concentrait néanmoins son regard abyssal et ardent sur l'étalon. S'ils avaient sû...

Elle n'avait pas douté, en s'approchant de lui. Elle ne savait que trop bien qu'il recherchait les même sentiments qu'elle. Ils n'étaient que trop semblables pour se rejeter, ils ne s'entendaient que trop bien pour pouvoir sortir l'autre de leur vie. Pourtant, ils n'avaient échangé que leur prénoms. Mais quoi? Toutes les autres choses s'étaient répendue au cours de leur danse, ils ne se connaissaient que trop bien, ils savaient l'un sur l'autre ce qui peut faire naître l'amour entre deux êtres. Vif-Argent avait fermé les yeux, et Bliss l'avait imité, saisissant ainsi ses secondes d'éternité, ces instants magiques qui ne pouvaient exister qu'entre deux êtres. Ainsi, un secret commençait à naître, un secret qui, peut-être, les détruirait. Alors le bel étalon s'approcha encore, collant son poitrail fort contre le sien, passant son élégante encolure au-dessus de la sienne, plus fine. Trop doux, trop bon. Bliss s'appuya plus fort contre le mâle, alors qu'elle frottait sa tête le lond de son épaule, en remontant jusqu'à sa nuque. Jamais elle n'aurait envisagé un seul instant qu'il puisse être son frère. La chute serait terrible.

Leurs muscles se tendaient, dessinant de nouveaux reflets sur leur robe, alors que leur danse s'éternisait, demandant toujours un peu plus d'effort à leur corps, tandis que le rythme s'intensifiait. Malgré toute la volonté qu'ils y mettaient, bientôt, les pas endiablés prendraient fin, et, ensuite, ils chuteraient. A aucun moment, l'idée de ce lien de sang ne l'avait ébranlée, elle, la Shikaku au profil fauve et farouche. La chute serait brutale et dure, ils tomberaient de haut et n'auraient plus qu'à oublier, qu'à effacer cette effroyable instant de leur jeune mémoire. Parviendraient-ils à tirer une croix l'un sur l'autre? Se relèveraient-ils seulement de cette terrible journée? Mais ces doutes voguaient bien loin de la jeune femelle, et elle se donnait toute entière à cette rencontre d'artistes, cette rencontre d'assassins, cette rencontre entre le vif guerrier et la bête fauve. Ses membres couraient seuls, son corps suivait, et ses pensées s'évadaient, se heurtant contre le désirable étalon noir, l'entourant d'un voile de violence et de passion, le rendant, à ses yeux, le plus vivant de tous. Il avait compris le guerrier, il avait bien compris l'importance des sensations, il savait aller au fond des choses; il savait ce qu'elle voulait de lui, et semblait consentant à le lui offrir, pour peut qu'elle soit apte à le lui rendre à son tour. Rien, à cet instant, ne semblait plus simple qu'exaucer ce désir.
Alors, Chevalier Noir, plus rien ne m'importe. Que la nuit tombe ou que le jour se lève, mes yeux ne regarderont plus le lointain: ils resteront braqué sur toi et toi seul. Aime-moi maintenant, puisque j'accepte de me faire brûler par ton feu. Allume la mèche des passions en moi, et suis-moi. Viens Vif-Argent, je dois t'avouer, alors. Je t'aime.

Bliss était encore jeune, et toute les fougues coulaient en elle, alors que devant l'étalon noir, elle s'était mise à nue, lui ouvrant son coeur comme son esprit, demeurant elle et seulement elle, danseuse sur ces roches noires, insousciente du temps et de l'espace, mais brûlante de toutes les hardiesses du monde, capable, peut-être, d'accomplir mille et une prouesses pour que la nuit ne tombe, pour que l'instant ne cesse, pour que son visage ne s'efface. Le garder. Mais l'aimait-il comme elle l'aimait? Oui, elle le sentait, et elle savait aussi qu'on ne pouvait feindre ces sentiments. Ils étaient trop violents et trop pleins, et, sans hésitation, elle courait perdre pied dans cet abîme, sans appréhension ni peur, puisque Vif' l'accompagnait désormais. Elle aurait tout fait pour lui, et elle s'imaginait que leur histoire prenait ici vie et forme.

Jamais Bliss n'avait échangé de gestes si tendres et brûlants. Serrée contre le profond poitrail de l'étalon, la jument baie avait le souffle court, presque coupé, alors qu'elle sentait les dents tranchantes de l'étalon se promener sur son dos. Un frisson électrique s'empara de tout son corps, remontant le long de son échine, alors qu'elle ne bougeait plus, se laissant faire par l'étalon. Oh, si elle l'avait su! Mais elle l'aimait si fort! Elle fit glisser une nouvelle fois son doux visage contre l'épaule solide de l'étalon, appuyant avec plus de force peut-être, tant le souffle du désir la brûlait.
Jusqu'où iraient-ils avant d'apprendre la terrible nouvelle?