EVENT 2014 - Le miroir de votre sang comme du mien.

Rouge.
Telle était la couleur dont se paraient les lacs Miroir, pris dans les feux du crépuscule tandis que Shiki les ralliait au petit galop. Allant de l'avant sur une délicate bande de terre et de roc qui séparait deux abîmes sans fond dans lesquels s'ébattaient mille vies aquatiques, inconnues et mystérieuses, l'étalon se repaissait de la beauté environnante. A ses yeux, quoi de plus splendide que cette nature immense et écrasante, ces trous d'eau agrandis par les pluies, les années et les colères du ciel jusqu'à l'horizon, bordés par la frange frémissante de la banquise, loin, là-bas, au-delà de la toundra et de la taïga boréales, encadrés de lichens et de montagnes indomptées ?

Les lacs étaient rouges comme le sang qui courait dans ses veines, rouges comme le sang qu'il partageait avec tous les siens, tous ceux dont le coeur battait pour le Clan de Glace et dont le corps charriait la magie. Cet immense volume d'eau, c'était comme le miroir de leurs vies à tous, de leurs existences, leurs soucis et surtout, l'image du sang qu'ils partageaient tous avec le Clan et leur terre, la terre à laquelle ils appartenaient de droit.
Partir ne serait pas aisé.

Gravissant une petite zone surélevée entre quatre lacs, Shiki s'immobilisa, superbe dans la lumière du couchant, sa robe fumée reflétant le ciel lui-même reflété par l'eau calme. Une brise légère, tiède encore - la saison n'était pas si avancée - agitait sa crinière noire et épaisse, couleur corbeau, tandis que ses yeux anthracite fouillaient avec curiosité l'espace alentours, attendant de voir qui répondrait à son appel. Il en attendait beaucoup, et une avant tout, Sorrow Life.
Black et lui s'étaient parlé récemment, au gré d'évènements ô combien perturbants, et le maître de l'Ombre avait confié à son descendant de coeur le soin de veiller sur la jument en laquelle reposaient tous ses espoirs et ses rêves. Aussi, parcourant la foule du regard, Shiki prit-il le temps de s'assurer de la présence de la Dame avant de parler :

"J'ai été informé de l'approche d'un troupeau malade. Ces chevaux viennent vers nous par le Sud, mais je ne suis pas sûre que l'éloignement de notre terre nous protège. Ils sont malades ou, du moins, porteurs de maladie, d'un fléau qui a tué ou affaibli nombre des leurs sur leur territoire d'origine...
Certains sont d'avis de les abattre et parlent de miséricorde, d'autres veulent les accueillir. Les derniers envisagent purement et simplement la fuite, de laisser leur vague mourir sur le sable de nos territoires et de revenir quand la tempête sera passée."

Nerveux et contrarié, le jeune Thar fit les cent pas, conscient qu'il s'adressait à un Clan forgé par les intempéries, le froid et la rudesse de ses hivers, mais endeuillé par la perte de Stelmaria et devant s'accoutumer à un nouveau Thar comme lui devait s'habituer à son nouveau fardeau.

"Je vous le dis tout net : accueillir ces chevaux sur nos terres, c'est pour moi faire entrer le loup dans la bergerie. Nos territoires, froids, glacés, ont toujours été de ce fait préservés des épidémies et autres malheurs qui ont frappé les troupeaux du Sud.
Mais les abattre ? Parmi eux, probablement des animaux contaminants mais aussi des chevaux sains, et puis, aller s'en prendre à eux, n'est-ce pas aller au devant de la maladie, de la contamination peut-être, du danger enfin ? Nous sommes certes accoutumés au danger...mais on ne peut guère affronter celui-ci avec les sabots.
Faudra-t-il nous terrer sur nos territoires, et en défendre farouchement les frontières ?
Faudra-t-il fuir, abandonner momentanément cet endroit où nous sommes nés et qui nous protège autant que nous l'habitons ? Certains d'entre vous le savent, j'ai autrefois voyagé, loin, à l'Est...j'ai survécu. L'est n'est pas si inhospitalier que certains veulent nous le faire croire...mais nous ne sommes pas chez nous là-bas comme nous le sommes ici. Pour la plupart, nous appartenons à ces terres ; pourrons-nous les laisser derrière nous, ou faut-il y demeurer ?"

Shiki cessa ses déambulations et, d'une volte-face, se planta face à ses sujets. Son regard était froid, grave, son ton sérieux comme le Thar que les évènements le forçaient à devenir tandis qu'il interrogeait les siens :

"Si vous avez un avis à donner, voici venu le moment. Défendrons-nous nos frontières ou les franchirons-nous ?"

Les membres du clan de la Glace n'étaient pas les plus démonstratifs, les plus chaleureux ni les plus avides de retrouvailles collectives. Mais ils avaient une conscience, solide et franche. Ils se savaient les uns les autres et, plus que tous les autres clans, ils étaient farouches. Farouches de cette vie qu'il fallait défendre à chaque instant face à la première hostilité qu'était celle des territoires qu'ils habitaient, farouches de ce lien aussi ténu que fort qui faisait d'eux des frères. Les corps frémissants des guerriers qui l'entouraient, attentifs aux mots du jeune Thar, n'étaient pas que de simples ombres. Ils étaient sa famille, ses frères et ses sœurs de sang comme d'armes. La muse aux allures étranges redressa l'encolure, ses yeux s'accrochant sur la silhouette puissante du jeune mâle. Comme tous, elle l'écoutait dans un silence respectueux. L'enjeu était véritable. Devaient-ils abandonner ces terres pour fuir, ou devaient-ils rester pour se battre ? Certains avaient grandi ici et d'autres, comme elle, avaient appris ces terres. Sauraient-ils vivre sans le chant mugissant des glaces, sans les craquements sourds et ténébreux de ces immenses étendues ?

Sorrow Life portait en elle la vie. Future mère, elle était déjà à l'écoute de ce futur être. Devait-elle courir le risque de compromettre son existence ? Ou devait-elle partir, qu'il naisse ailleurs, loin de chez lui ? Elle était partagée. Son enfant devait connaître ces terres. Il devait les apprendre, se les approprier et en faire son terrain de jeux. Elle savait la rigueur du froid et elle savait aussi qu'il lui serait plus simple de s'y faire s'il passait ses premiers mois dans ce paysage hostile. Mais s'ils devaient mourir ? Elle ne supportait pas l'idée que son enfant puisse disparaître. Mais Shiki n'avait pas tort : la température qui régnait au sein du clan pouvait endiguer la pandémie. Que faire ?

Ce choix n'était pas le sien propre pourtant. Black aussi avait son mot à dire et, si elle s'apprêtait à prendre la parole, elle le consulterait tout de même, quand elle le pourrait.

« Vous avez découvert l'Est, et vous en êtes revenu, oui. Mais vous saviez que Stelmaria, Thar avant vous, était là pour veiller sur ces terres immenses. Pensez-vous qu'il soit raisonnable, si je peux employer ce mot, de les laisser seules, à la merci d'une horde d'équidés malades ? Ces terres sont les nôtres, les vôtres plus que tout. Dans quel état les retrouverons-nous, si nous nous en allons ? N'est-ce pas normal, pour un clan comme le nôtre, d'affronter nos ennemis potentiels ? »

Respectueuse, elle termina son intervention par un bref signe de tête, reconnaissant en le jeune Shiki ce Thar nouveau qu'il incarnait à la perfection.

Ils avaient répondu à l'appel, tous ou presque, ce qui ne laissait pas de surprendre le jeune étalon. Debout face à son Clan, se tenant droit et fier, Shiki sentait son coeur se gonfler de joie à l'idée que tous ces chevaux, tous ces êtres, toutes ces existences lui étaient confiées et confiées du plein gré de leurs propriétaires. Pourtant, ce sentiment s'accompagnait d'un autre, une blessure pulsant douloureusement, une souffrance sourde s'agitant aux confins de son esprit, un vide profond, un abîme sans fond laissé par la disparition de la Jument Rouge dans lequel se diluait le plaisir qu'il ressentait à voir les siens regroupés. Car, des siens, tous n'étaient pas là. Certains n'étaient plus présents et ne le seraient jamais plus, sinon dans les souvenirs de ceux qui les avaient connus, craints ou aimés et les empreintes indélébiles qu'ils laissaient dans les poussières et les coeurs. Certains ne reviendraient plus.
Et s'il était une sensation nouvelle pour un jeune prince, c'était bien celle-ci.

Shiki coucha les oreilles et faiblit une seconde, oh ! presque rien, juste le temps que la belle Sorrow Life prenne la parole à son tour et capte l'attention du jeune étalon en l'extirpant de ses sombres pensées. Sorrow Life soulignait le risque qu'il y avait à abandonner leurs territoires et Shiki, tout en l'écoutant, hocha la tête avant de s'éclaircir la gorge pour reprendre, d'une voix lente :

"En effet. Partons, et nous courrons le risque de laisser nos territoires à la merci, non seulement des chevaux malades mais surtout des Clans ennemis et des opportunistes...tous ne partiront pas. Je pense aux Wolfs Arctiques, qui de tout temps ont convoité ces terres de chasse voisines de celles des Léopards Géants. Ils ne sont, ni les uns ni les autres, menacés par la maladie. Aussi je pense qu'ils ne partiront pas, et que nos alliés les léopards se trouveront confrontés à eux...avons-nous le droit de laisser nos alliés se battre seuls ? Ou plutôt, car il vaudrait mieux poser la question en ces termes, leur serons-nous d'une quelconque utilité en restant ?
Si nous restons, nous occupons les territoires, et si nous restons personne ne pourra investir nos terres sans notre accord. Nous avons la chance de bénéficier de terres accessibles par un, et un seul passage...si ce passage est bien gardé, nous pouvons isoler le Clan de tout le reste des territoires.
Cela impliquera pour le Clan un repli sur lui-même, au moins momentané, même si nous pourrons toujours recevoir des messagers ou des visiteurs triés sur le volet. Cela impliquera aussi une mise en quarantaine, que ceux qui sortent ne reviennent pas - ou alors après avoir prouvé leur innocuité. Et il se peut que cela implique des combats, peut-être violents. Nous devons en être conscients.
Prenons quelques minutes pour réfléchir, ensembles ou en privé, à ce problème."

Signant par là l'interruption de la conférence, Shiki s'avança entre les rangs des chevaux du Clan, orientant ses oreilles afin de saisir, mine de rien, des bribes de conversation. Mais c'était vers une personne en particulier qu'il s'avançait, et il la rejoignit paisiblement pour lui parler en privé, au calme.

"Sorrow Life, Black m'a chargé de te transmettre un message. Nous avons parlé récemment de ce qu'il convenait de faire...tu n'es pas sans savoir que, si Stelmaria a disparu, elle n'est pas la seule. Avec elle... - la voix de Shiki faiblit une seconde puis il reprit le dessus - son fils Aglow Star, son compagnon Equinox surtout, Moondance - là, il marqua une pause plus appuyée-. Autant de personnes qui lui étaient chères et...Black estime qu'il serait de bon ton, tant pour lui que pour apaiser les troubles que cela a pu causer, qu'il se joigne à ceux qui envisagent de voyager.
Mais il n'était sûr de rien. Parce que, pris autant au dépourvu que moi par toutes ces nouveautés, il n'a pas eu le temps de venir en parler avec toi et qu'il refuse de prendre une décision définitive sans l'avoir prise en accord avec toi. Il m'a donc chargé de te dire que, s'il ne trouvait pas un moment pour rejoindre les Terres de Glace dans les jours à venir, il souhaiterait te retrouver à la Clairière Enchantée le matin où les autres chevaux partiront.
Et dans l'optique où lui partirait et toi non, il m'a...personnellement chargé de veiller sur toi."

Le sourire de Shiki se tordit en une grimace un peu embarrassée. Il ne connaissait pas si bien que cela la jument, et l'indépendance des chevaux de Glace était de notoriété publique, aussi craignait-il une réaction négative de la belle.

"Ne t'inquiète pas, je ne me transformerai pas en chaperon ! Mais je tenais à ce que tu sois au courant, et que tu saches que je prends cette demande au sérieux."

[sur le sujet de "départ" de l'Event, Black voudrait bien causer à Sorrow si tu as cinq minutes^^]