LIBRE - I don't know you (Odyssée)

La brume s'attachait encore aux frondaisons de la forêt d'Eve, les lambeaux survivants s'enroulant paresseusement autour des branchages tandis que le soleil qui se levait délitait, voile après voile, le manteau gris qui enveloppait les fourrés. C'était l'heure grise, c'était l'heure calme où nul son ne vient troubler la quiétude du petit matin, où les prédateurs rentrent d'une chasse fructueuse pour goûter le repos au creux de leur tanière tandis que les oiseaux en sont à ébouriffer leurs plumes, point encore à chanter.
Calme, et silence.
C'est dans cette ambiance paisible qu'évoluait une jolie jument grise, dans la force de l'âge et dont le corps couturé de cicatrices n'en était pas moins plein de grâce et de charme. Une solitaire, assurément, qui ne portait sur son corps l'odeur d'aucune horde, d'aucun Clan.
Une solitaire avide de rencontres.

L'ombre s'était mise à fuir, s'évanouissant au profit des premiers rayons du jour qui, un à un, rallumaient chaque âme, appelant chaque être à se relever et à poursuivre sa route, habillant ce monde de joie et de beauté. Mais toutes ces apparences n'étaient que de vagues mensonges. Du moins, c'était ce que ceux de son espèce pensaient. Pandore, pourtant, ne voyait pas la nature sous cet angle. Pour elle, les oiseaux qui chantaient à la venue du soleil n'avaient rien d'horripilant, au contraire même. Elle n'avait pas peur de le dire, et tant pis si les autres Shikakus la jugeaient sur ces à priori. Pandore se moquait bien de ce que les autres pensaient d'elle : la toute jeune jument se contentait de vivre, cherchant toujours ce qui saurait l'étonner, quêtant peut-être ces restes de savane et de chasse qui lui trottaient dans la tête.

Typée comme les Pur Sang Arabes, Pandore n'était pas grande et sa finesse était formidable. Pourtant, on pouvait distinguer sous sa peau brune de longs muscles qui se tendaient avec impatience. Pétillante et pleine de vie, Pandore semblait être, au premier abord, une de ces toutes jeunes juments encore naïves et pleines de candeurs. Elle avait de grands yeux de biche, et son sourire était généreux. Pourtant, quand ses allures se faisaient mutines et qu'elle se lançait dans d'incroyables pas de deux, il devenait évident que, malgré ses jeunes années, elle savait ce qu'était la vie.

Son regard était étrangement triste ce matin, et seule, elle errait au hasard au milieu de ces terres. L'encolure basse, se furent ses oreilles qui la prévinrent qu'un autre individu était ici. Vive, elle se redressa et, enjouée, elle décida de faire bonne figure, oubliant un instant les jours passés. Elle prit le trot, sa queue s'empanachant, et vint à la rencontre de l'élégante grise.

« Bonjour. Pandore, et vous ?

Arquant gracieusement son col, Odyssée fixa l'inconnue qui, aimable, venait à sa rencontre au petit trot. Une jeune jument, une jument avec qui la grise partageait ses traits fins et son profil gracieux, signature des origines orientales et, dans le cas d'Odyssée, de sa mère Liberty. La jument grise montrait néanmoins une carrure quelque peu supérieure à celle des pur-sang arabes, du fait de son père, Sword, robuste étalon bai-brun.

La dénommée Pandore - elle venait de se présenter - faisait bonne figure et paraissait aimable, aussi Odyssée décida-t-elle d'entamer la conversation avec la jeune femelle, probablement de quelques années sa cadette. La jument grise pivota sur ses hanches afin de faire face à l'inconnue et, élargissant ses naseaux, flaira brièvement la demoiselle, comme savent le faire les chevaux qui font connaissance. Elle ne perçut pas grand-chose sur la robe soyeuse de Pandore, sinon les effluves fugitifs qui constituaient la signature des territoires de Wild Horses et indiquaient que la jeune femelle n'était pas tout à fait nouvelle en ces lieux. Un sourire étira les lèvres argentées d'Odyssée :

"Ravie de te rencontrer, Pandore. Je suis Odyssée. Nous ne nous sommes jamais vu, je crois ? Tu es d'ici ?"