And the prophet speaks. | PV.

Perché sur le toit du monde, le jeune étalon était immobile, à regarder encore et toujours dans la même direction. Le ciel, ce soir, était plein d’étoiles. Des étoiles qui se confondaient en des milliers de diamants chantant, appelant ces âmes parties déjà, égarées sans doute à cette heure. Mais il n’existait de paradis, de jardin glorieux pour les accueillir. Toutes ces choses que l’on racontait sur la mort n’étaient que de belles histoires destinées à rassurer les poulains, à duper les adultes qui, affolés par ce qu’ils ne connaissaient, préféraient se donner l’illusion de croire en nombre de mensonges. Lui aussi, un jour, avait cru en ces dires. Mais s’il l’avait fait, ce n’était pas pour lui : il avait espéré un paradis, mais seulement pour les siens. En acceptant d’être chef, en se ralliant à la Coalition du Nord, il avait fait de lui un être en proie aux vices et aux tourments. Il savait bien, le jeune étalon de flammes, que l’on ne sortait pas indemne d’un tel exercice. Quoi qu’il puisse faire, il serait jugé, en permanence, et ce, parce qu’il était chef. Mais que ce soit lui, Black, Stelmaria ou Sun Star et bientôt Shiki ; ils se donnaient tous, se sacrifiant sans compter pour ceux qui se battaient à leur côté. Il ne reculerait pas, jamais, et irait toujours en avant des siens, comme pour leur montrer qu’il ne les abandonnerait pour aucune raison.

Mais les choses avaient changé, brutalement et radicalement. La bataille de la plaine d’orage lui avait comme ouvert les yeux, lui qui pourtant ne se faisait plus d’illusion sur la nature des âmes, et ce, depuis ses tendres années. S’il s’était dressé face à Sun Star, défendant un assassin malgré lui, si les coups qui avaient déferlé sur son corps avaient été ceux d’un chef qu’il estimait ; il n’en gardait pas moins les traces. Son corps était encore marqué, et un de ses membres restait douloureux. Mais cette blessure guérirait, il le savait. Les tares physiques disparaîtraient : les plaies allaient se refermer, les bosses s’estomper, et sa robe de feu, bientôt, allumerait de nouveau tout son corps. Mais c’était en lui que demeureraient les plus importantes séquelles. Comment accepter, même en étant chef, de voir ses guerriers, ses amis revenir blessés, la tête basse et le regard éteint ? Comment pouvait-il les rassurer, les accompagner quand lui-même s’était mis à douter ?

Il devait remonter la pente. Pour lui, c’était un devoir. Le pouvoir, il l’avait cherché, se présentant à Arpango pour lui demander les rênes de ce clan encore jeune et malformé. Il avait eu la prétention d’en faire une entité guerrière, à l’aune du clan de l’Ombre et de celui de la Glace. Il ne pouvait se permettre de douter, il était trop tard pour s’offrir ce genre d’excentricité. Et il savait aussi qu’il le devait à ses guerriers.

Alors, malgré sa jeunesse et ses doutes, Zanzibar s’était remis à croire. Non à la bonté qui pouvait couver peut-être dans le cœur de certains, mais en la force de son clan, de ceux qui le composaient. Il n’avait pas foi en l’âme, il avait foi en ses guerriers. Perché sur le toit du monde, le jeune étalon était immobile, et il l’attendait. Qui ? Ses sens ne le trompaient pas, et il connaissait ses terres par cœur. Il savait que bientôt, une âme se présenterait à lui. En contrebas, sur la roche noire et dure, de solides sabots frappaient le sol. On venait. Et c’était sans crainte que l’étalon attendait, la tête encore tournée vers les cieux.

Le jeune chef du Crépuscule semblait calme, et c'était avec lenteur qu'il avait tourné ses yeux vers la nouvelle venue, posant sur elle son regard d'or. Pourtant, aucun mot ne s'échappa de sa gorge, et il la regarda s'installer à ses côtés, comme s'il respectait le silence qu'elle lui imposait. Le vent du soir était frais, et il faisait danser sa courte crinière de feu. Oh, qu'il lui était bon de s'abandonner ainsi, d'embrasser à nouveau, dans une communion parfaite, toutes ces choses qui faisaient vivre ses terres. Pourtant, Zanzibar semblait attendre quelque chose, comme si, finalement, la silencieuse présence de la mystérieuse jument le dérangeait.

Les secondes s'écoulèrent, et, enfin, elle entamait la discussion, le jeune mâle sortant de son immobilité. Malgré les blessures et la douleur qu'elles entraînaient, il restait fauve et alerte dans ses déplacements. Rapide et souple, il fit un quart de tour, de sorte à se retrouver face à elle. Les étoiles ne brillaient plus dans ses yeux : il concentrait désormais toute son attention sur elle. Solide, la crinière ondulante, il était clair que du sang espagnol coulait dans ses veines. Et cette robe grise ... Moonrise. Le jeune chef ne lui avait jamais vraiment parlé, il avait seulement appris que ses parents étaient morts lors de la Fête du Printemps.

Respectueux, il arqua son encolure, adressant un signe de tête à sa guerrière, et ses mots, bientôt, firent écho aux siens.

« Je suis venu ici pour voir le Crépuscule se coucher, et depuis, je n'ai plus bougé. Et toi, Moonrise ? Es-tu venue chercher ici quelque chose en particulier ? »

Le ton de l'étalon était doux, bien que sa voix demeurait grave et rauque.

Hors du temps. En haut de l'imposante falaise, les secondes semblaient suspendre leur vol, comme si rien n'avait encore besoin de suivre son cours. C'était peut-être cela qui l'apaisait, lui dont le regard, un jour, avait trahi son incompréhension, ses doutes et ses douleurs. Zanzibar avait douté, et des siens, et de sa propre personne. Comment avancer quand l'ombre aimante de ses parents disparaissaient ? Et pourquoi rester debout même quand le si fidèle second s'évanouissait ? Le jeune étalon avait appris à se battre contre ses démons, et il avait fait de ses rêves sa vie : il s'était cru aigle ou oiseau de feu, et durant de longues heures, il s'était épuisé sur le Désert Blanc, tentant, par tous les moyens, de partir. Mais partir pour aller où ? Le fils de Zénith n'avait qu'une place, et il en avait aujourd'hui pleinement conscience : seul le Crépuscule l'appelait vraiment, et seules ses terres capricieuses pouvaient prétendre être sa demeure.

Aussi, il la comprenait. Il la comprenait, que ce soit par rapport à cet endroit si paisible et serein, ou par rapport à la morsure du manque qui naissait dans son cœur, par l'absence de ses parents. Parfois, Zanzibar croyait apercevoir la silhouette d'argent de sa mère. Plein d'un espoir vain, il s'élançait à sa suite, ses naseaux se dilatant, et cherchant avec frénésie l'odeur chaleureuse de celle que parmi toutes l'on reconnaîtrait. Mais Gaïa n'était pas là, n'était plus là. Elle s'était évanouie au côté du dapple, abandonnant à son compte un jeune poulain, le laissant sans défense. Pourtant, étrangement, la rancœur de Zanzibar ne lui était pas destinée. Il n'en voulait qu'à son père. Peut-être parce qu'il ne lui avait pas ramené sa mère ... ?

« Je ne trouve pas cela idiot du tout, Moonrise. Je pense que c'est important, de parler à ces âmes qui ne sont plus à nos côtés. Je n'ai pas eu la chance de connaître tes parents, mais je suis sûr qu'ils étaient formidables, et que de là où ils sont désormais, ils sont fiers de toi. Leur fille est charmante, douce et intelligente : ils ne peuvent être qu'heureux ! »

C'était avec entrain qu'il avait parlé, croyant fermement à ses propos. Zanzibar était, ce soir, sincère.

Ou peut-être encore avait-elle été appelée par ces âmes si chères mais disparues désormais ? Peut-être qu'inconsciemment, son cœur l'avait menée ici, l'exposant aux yeux de ceux qui n'étaient plus, qu'ils puissent voir de leur inaccessible hauteur qu'elle allait bien, qu'elle était encore forte et fière ? Mais lui, malgré son statut de chef, n'était qu'un simple mortel, perdu et noyé dans la masse, si semblable à ceux qu'il dirigeait. Zanzibar était, comme beaucoup, un ignorant. Personne ne pourrait jamais percer les mystères des cieux, et alors qu'il grandissait, il semblait se détourner de cette envie de tout savoir : la noirceur des âmes l'avait, durant cette impitoyable bataille, comme froissé. Il n'était désormais plus le même.

Toujours aussi grave, solitaire, sérieux et sage, oui ; mais il savait désormais que ses rêves n'étaient qu'utopies, que jamais ils ne pourraient se réaliser car l'ennemi qu'il combattait était la multitude. L'Individu, s'il pouvait être doux, aimant et bon, mourait dès lors que la foule apparaissait. La foule était bête, folle et cruelle, motivée par un sentiment collectif qui faisait ressortir de chacun son plus sombre côté. Zanzibar ne se battrait pas contre des moulins à vent : il s'attaquerait à l'ombre cruelle des multitudes qui se poseraient sur sa route. Il se battrait contre des ombres invincibles et immortelles qui, au soir de sa vieillesse, l'encercleront encore, se moquant de lui et de ses craintes de vieux rois.

Mais ce jour n'était pas encore arrivé, et il avait besoin de croire en quelque chose, alors que les motifs de cette bataille lui échappaient encore. Et soudain, la réalité le rattrapa : il était là, perché sur le Falaise Noire, à admirer les cieux et ses milliers d'étoiles qui semblaient ne briller, ce soir, rien que pour eux. Combien de temps s'était écoulé entre les derniers mots de la balle et son brusque éveil ? Il aurait été incapable de le dire, mais serein tout de même, il reprit la parole, posant ses yeux gourmands aux reflets d'or sur elle :

« Ou peut-être avaient-ils besoin de te voir, ce soir ? »

Un sourire passa sur les lèvres du jeune étalon, comme s'il était sincèrement convaincu de ce qu'il avançait.