La Vie a t-elle un sens...? [PV Zanzibar]

Mais lorsque l'on survie à une mort certaine, l'on est heureux de vivre. Cette vérité n'était pas, n'était plus, universelle. L'étalon de flammes ne ressentait aucune joie en lui : son âme semblait creuse et son cœur battait dans le vide. Il n'était pas mort sous les sabots d'un autre, ses os ne s'étaient pas brisés dans des craquements sinistres, son sang n'avait pas noyé la plaine d'Orage. Il était encore debout, blessé et souffreteux, mais debout. Pourtant, il n'était pas heureux. Le fils de la douce Gaïa semblait las, comme si la mort aurait été, pour lui, plus douce et moins honteuse. Aurait-il aimé mourir au nom d'un assassin ? Cette seule idée le rendait malade. Il s'était battu pour une cause à laquelle il ne croyait pas, il s'était battue pour une cause qu'il n'avait pas épousé ; il s'était battu à contrecœur, pour honorer seulement ses promesses. Mais peut-être y-aurait-il eu une autre possibilité ? S'il avait dit non, s'il avait empêché ses quelques guerriers de courir cette plaine, en seraient-ils meilleurs ? S'il avait appris une chose, c'est que l'Histoire ne se refait pas. Jamais il n'oublierait cette journée de sang et de cris, de honte, aussi.

Parce que oui : Zanzibar avait honte. Honte de lui, de son image, de ce qu'il était, de ce qu'il représentait ... Sur le champ de batailles, il avait galopé au côté de l'étalon fou, au côté de celui qui, sans prévenir, avait ôté la vie. Il avait, se permettant de juger, arraché ce divin souffle des corps des jumeaux, laissant à l'Ange et au Démon des corps froids, inanimés et couverts de sang séché à l'odeur âcre. Et lui, fils du Crépuscule, prince d'un autre monde, lui, fils de Zénith et de Gaïa, avait associé et le nom du Crépuscule, et celui de ses parents et le sien à cet acte barbare, comme s'il bénissait cette action. Qu'il s'en voulait, qu'il se haïssait de s'être battu. Mais aurait-il dû laisser Shiki, ami et allié, courir seul en tête de cortège ? Aurait-il dû laisser planer seule l'ombre de Black sur cette terre qu'il ne chérissait que trop ? Il avait agi en allié, en ami peut-être. Mais qu'il s'en blâmait alors ! Jamais les images de ce qu'il avait vécu ne le quitteraient désormais : à vie, il en garderait des traces. Et si elles ne seraient physiques, elles hanteraient ses rêves de Roi.

Il semblait porter à lui seul tous les crimes qui avaient été commis, comme s'il était le seul être à blâmer de ces incidents. Mais comme tous les autres, il n'avait été qu'un pitoyable acteur du drame qui s'était noué, devant et malgré eux. Et ces assassinats, avaient-ils été réellement nécessaires ? Thief et Bliss n'avaient été qu'un prétexte, comme pour donner une valeur morale à cette bataille. L'Alliance du Sud avait eu une bonne raison d'attaquer : venger le sang d'une de leur reine. Zanzibar savait bien que, depuis quelques temps, les esprits au Nord s'échauffaient. Les jumeaux n'avaient été que le catalyseur auquel ses alliés, et lui par conséquent, avaient mis le feu. Un assassin, un manipulateur, un tricheur, un menteur ... Un salopard ?

Son sabot heurta une pierre noire, et son corps se précipita en avant. Ses antérieurs, sous son poids, se ployèrent, ses genoux s'écorchant plus encore qu'ils ne l'étaient déjà sur le sol. Exténué, se relever lui semblait insurmontable. La main chaude et ferme du vieux Tauron passant sur son épaule parvint à lui redonner force et courage et, dans une douloureuse grimace, le géant de flammes souleva sa masse. Il n'y eut aucun mot, comme s'ils convenaient tous que le silence était le meilleur des habits. Le jeune étalon vit néanmoins du coin de l'œil l'elfe se pencher : il regardait ses blessures en se grattant la tête, se demandant peut-être s'il pouvait l'aider. Mais Zanzibar ne voulait rien, rien qui puisse soulager ses douleurs : il voulait souffrir. Pour lui était là le meilleur moyen de ne jamais oublié de quoi il avait été l'acteur.

Haut dans le ciel volait l'oiseau de feu, ses larges ailes brassant l'air frais de cette fin d'automne. Il avait posé son regard sur l'alezan, et il épiait tous ses mouvements. Il avait su dès le début que c'était avec lui qu'il devrait se lier. Hoodoo avait su lire les signes, et jusque là, il ne s'était pas trompé. Pourtant, il n'avait rien dit. Aucun mot n'était sorti de sa bouche pour réconforter, accompagner le jeune. Pourquoi ? Hoodoo avait ses convictions, et il condamnait cette bataille. Pourquoi alors se serait-il donné la peine d'être auprès d'un de ses acteurs ? Parce qu'il était son daemon ? Il souriait avec ironie.

L'étalon s'était remis en marche, redressant légèrement sa tête. Oh, il n'avait plus rien de ce port plein d'orgueil et de majesté ! Il semblait las, déboussolé, perdu dans un monde trop vaste et trop dur ... Mais quelque chose attira son attention. Flottait dans l'air une odeur de sang. Il savait que ce n'était pas ses blessures : il ne sentait plus leur puanteur, à force de vivre avec elles. Un animal blessé était là. Un rescapé de la bataille ? Son cœur se serra comme il avançait, les sens aux aguets. Juste devant eux, un corps, allongé et épuisé, souffreteux aussi. Equidé, de taille moyenne, à la robe noire et ... Se pouvait-il que ?!



« SIANA ! »


Sans attendre davantage, l'étalon de flammes s'était élancé, ne pensant plus ni à l'elfe ni à Hoodoo qui les veillait de là-haut. Tauron, qui ne s'attendait à un tel regain d'énergie, tomba du dos de l'étalon, sans se faire mal heureusement. Il ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait, mais déjà, le Phœnix descendait de ses inaccessibles hauteurs. Lui avait déjà vu la solitaire, car il était partout. Mais c'était avec calme et prudence qu'il s'approchait des équidés, restant en retrait pourtant, respectueux peut-être.

Elle se le demandait encore... elle s'était battue. Parce qu'elle avait voulu servir a quelque chose... en cet instant, elle s'était sentit perdue, en cet instant ou elle avait vu ces deux groupes qui galopaient l'un vers l'autre, déterminés. Elle avait voulu y prendre part. Elle se le demandait encore... était elle devenue folle, a ce moment ? Et si elle avait passé son chemin, ou serait-elle, dans quel état ?
Elle n'avait plus de but, plus de destination...

Mais elle entendit un cri. Un cri puissant... qui criait son nom.
Siana ouvrit grand les yeux, d'un coup, et leva la tête. Elle aperçut une grand forme qui galopait vers elle. Une silhouette, qui semblait être faite de feu...
La petite jument noire se releva précipitamment, malgré sa jambe. Cela resta difficile et lent. Elle fit un pas claudicant. Elle s'appuya sur ses trois autres membres, laissant sa jambe tordue un peu bizarrement, et regarda le nouveau venu.

"Zanzibar !"

Elle était heureuse. Si heureuse ! Elle ne l'avait pas oublié... même si elle ne pensait plus a lui, depuis quelques temps. Mais elle ne pensait plus a personne... elle était refermée sur elle même.
Et pourtant, l'étalon de feu qui se tenait devant elle, elle était contente qu'il soit là !
Elle remarqua un étrange oiseau, non loin là-bas, avec un... une créature qu'elle ne connaissait pas du tout. Il ressemblait a un homme... bizarre. Mais elle n'y prêta pas grande attention...
Elle l'observa. Son corps était si blessé, comme le sien. Elle fut légèrement triste et peinée... mais cette tristesse fut parfaitement surmontée, car la joie de retrouver un ami était si forte.
Elle se contenta de poser ses yeux dans ceux de Zanzibar. Des yeux heureux et doux, malgré ses autres souffrances, qui pendant cet instant, s'étaient oubliées.

Zanzibar avait posé ses yeux dans ceux de la solitaire, et si aucun mot ne sortait encore de sa bouche, son cœur, lui, s'agitait, à la limite d'imploser, comme s'il avait été pris dans un étau. A la joie succédait la peine, le doute, l'appréhension et la crainte. Revenaient ensuite au galop bonheur, curiosité et bons sentiments. L'étalon devait faire la part des choses, il devait choisir, trancher entre tous ces sentiments contradictoires. Les lèvres sombres de la jument frémirent, laissant échapper son nom. Zanzibar. Il était encore lui, sa robe était toujours de flammes, ses yeux, d'or, et son cœur, lui, lourd de secrets et de peines. Il était encore lui, encore et toujours le même ... Et il était heureux. Heureux de retrouver cette amie à laquelle il avait pensé ces derniers temps. Il fit un pas en avant, trébuchant encore, mais posa avec délicatesse ses naseaux chauds sur l'encolure de la petite jument noire.

Il n'était pas sûr des mots qui sortiraient de sa gorge, il n'était pas sûr de goûter à la voix qui l'avait, un jour, si bien habillé. Mais il refusait de se taire davantage. Un timide sourire illumina son visage, portant en faux pour quelques secondes cette profonde peine qui s'y était installée.



« Siana ... ! Je vois que cette bataille ne t'a pas épargnée non plus. Souffres-tu de tes blessures ? Je ... de quel côté t'es-tu battue ? »


Les mots semblaient mourir au coin de sa bouche, là où un filet de sang coulait encore. Il avait honte, tellement honte d'avoir couru dans ce camp. Il se sentait malade, le cœur chaviré, rien que d'oser y penser. Mais il avait fait des choix, et il saurait en assumer les conséquences. Être chef, c'était savoir accepter de perdre ceux qui comptaient, tant que le clan allait. Mais était-il prêt à ce genre de sacrifice, lui, le fils oublié ?

Hoodoo s'était approché et, avec une infinie délicatesse, s'était posé sur le dos malmené de l'étalon qui avait grimacé. L'oiseau de feu avait posé ses yeux oranges sur le jeune jument, et avec respect, il inclina sa tête, la saluant. Tauron, lui, s'était approché d'elle et, doucement aussi, avait posé une main sur son membre endolori. Il devinait sans peine la douleur qui la traversait, et il leva les yeux vers elle, la considérant avec tendresse presque.



« Ceux sont de vilaines blessures que celles que vous avez là, tous les deux, d'ailleurs ! Je peux peut-être faire quelque chose ... enfin, si vous le souhaitez ? »

Malgré ses gestes sûrs, malgré sa voix grave ou ses muscles saillants ; malgré ces futiles apparences qui faisaient de lui un adulte, Zanzibar n'était encore qu'un enfant, qu'un jeune adulte. Il comprenait enfin ces querelles qui avaient pu habiter le cœur de son père. Il comprenait désormais le doute, l'incertitude et la rudesse de celui qui n'avait jamais trouvé le temps de s'occuper de lui. Longtemps, le fils du Crépuscule avait haï cette figure si lointaine et proche à la fois, se promettant de ne jamais lui ressembler. Mais, cruelle désillusion, le jeune roi venait de se rendre compte qu'en fait, il ne valait pas mieux que le puissant dapple. Être chef, ce n'était pas forcément choisir. Et cette impuissance, cette contrainte, cet asservissement lui faisaient mal. Son orgueil, à l'image de son corps, avait souffert de cette étrange et chaotique bataille. Rien ne serait jamais plus comme avant : il y aurait désormais un 'avant' et un 'après'.

Mais ici, il se sentait mieux, comme les yeux qui le voyaient étaient ceux de Siana. Être jugé par la jeune solitaire lui était moins pénible : il savait qu'elle penserait en le connaissant. Elle ne serait pas comme un de ces inconnus, à tirer des conclusions hâtives d'événements qu'il ne comprenait de toute façon pas.



« J'aurai aimé pouvoir galoper à vos côtés. Mais l'on ne choisit pas d'êtres les Bons ou les Méchants quand l'on se lie avec d'autres. »


Etrangement, il n'avait plus peur. Il ne pensait plus que Siana allait le rejeter. Elle semblait ne pas lui tenir rigueur de ses faits d'arme. Zanzibar eut un sourire intérieur, comme si quelqu'un, pour une fois, le comprenait. Mais rapidement, son regard se reporta sur Tauron qui s'était avancé vers elle, lui proposant de la soigner. Mais les pouvoirs de l'elfe étaient limités, et l'étalon de flammes le savait. Il se tourna vers Hoodoo, et sans prononcer mot, lui demanda de s'occuper de la solitaire.

Tauron, respectueux, laissa l'oiseau de feu s'avancer, et repartit vers le jeune animal, blessé lui aussi. Il posa ses mains sur le corps de Zanzibar, et ses lèvres se mirent à bouger, comme s'il invoquait une prière secrète.

Hoodoo était à côté de la jument, et doucement, avec une infinie sagesse, il entama le dialogue.



« Je m'appelle Hoodoo. N'ayez crainte, je vais m'occuper de votre jambe. Votre guérison ne sera pas totale, il faudra plus de temps. Mais au moins, votre membre vous fera moins souffrir. Voulez-vous bien me laisser essayer, Siana ? »


Zanzibar tendit un sourire à la petite jument, et pour lui dire d'avoir confiance en son daemon, et pour lui dire merci d'être elle.

Elle ne le jugeait pas. Pour elle, qu'importe qu'il se soit battu du "mauvais côté". Elle savait qu'être chef avait de grosses difficultés, du moins elle pensait le savoir. Elle n'y pensait pas. Il était lui, elle était elle, et pour elle, il était bien d'autres choses que le chef du Clan du Crépuscule. Il était son ami.
Elle s'appuya un peu plus sur lui, dans un geste de tendresse infinie. Elle se recula légèrement ensuite, pour le regarder de nouveau, heureuse qu'il soit lui, et qu'il soit ainsi.
Ses yeux bruns suivirent de nouveau l'elfe, qui rejoignait Zanzibar. Elle restait pour le moins intriguée de ces deux êtres qui accompagnaient l'étalon de feu, mais ne posait la moindre question, se contentant de les observer respectivement.

Elle soutint le regard de l'oiseau, écouta attentivement ses paroles. La petite jument noire jeta un léger regard discret et interrogatif a l'étalon de feu. Le sourire de celui-ci lui suffit amplement et elle se tourna vers Hoodoo.
"Je vous serai très reconnaissante si vous pouviez m'aider !" dit-elle d'une voix affectueuse.

L'oiseau de feu avait posé ses yeux d'or au creux de ceux de Siana, comme si le simple fait de la regarder pouvait lui permettre de comprendre. Mais comprendre quoi ? Hoodoo avait connaissance de chacune des choses qui se tramait sur les territoires immenses qui composaient Wild Horses. Il avait toujours tout vu, tout entendu ; mais l'inverse n'était pas vrai. De lui, l'on ne connaissait rien, et pour beaucoup, ils n'avaient pas même idée de son existence. Pourquoi, alors, se révéler à une parfaite étrangère ? Parce qu'aux yeux de son lié, parce qu'aux yeux de Zanzibar, cette étrangère avait de l'importance, cette étrangère trouvait un sens. Elle était l'amie de celui sur lequel il avait veillé, et maintenant qu'il s'était révélé à ce dernier, ce n'était pas pour le laisser seul face à de telles situations.

Sans rajouter le moindre mot, il se rapprocha d'elle, ses puissantes serres s'enfonçant dans l'herbe grasse. Une suave chaleur émanait de son corps, et dans des gestes lents, sus et maîtrisés, il fit couler ce qu'il avait de plus précieux sur le membre endolori de la petite jument noire. Des larmes de phœnix. Elles avaient le pouvoir de soigner, de tout soigner, à ce que l'on disait. Mais comment discerner le vrai du faux ? Quoi qu'il en soit, Hoodoo se recula ensuite, comme si sa tâche était terminée. Ses puissantes ailes se déployèrent et en un battement, il prit son envol, embrassant à nouveau les cieux, et décrivant au-dessus d'eux de larges cercles. L'animal veillait.

Tauron s'activait lui aussi autour de Zanzibar, et il lui adressa un sourire, alors qu'il terminait ses incantations. Les miracles n'existaient pas, mais le jeune étalon avait l'impression que, déjà, la douleur qui le mordait était moins vive et incisive. Il inclina respectueusement la tête à son égard, et se dirigea ensuite vers Siana, un sourire presque timide aux lèvres.



« Comment vous sentez-vous, à présent ? »

Les mots de la solitaire prononcés, le jeune étalon de feu tourna sa tête vers les nuages, où deux soleils dansaient à présent. Le Phœnix volait au-dessus d'eux, décrivant de larges cercles, ses ailes tendues, planant encore et toujours. Il était en effet incroyable de penser, de croire en ce qu'il venait de se produire. Une larme, une seule, avait coulé sur le visage de feu de l'oiseau, avant de s'infiltrer dans la plaie de la douce jument et de faire, instantanément, effet. Comment ? Pourquoi ? Zanzibar n'avait rencontré l'animal que récemment, au cours d'une étrange nuit, et déjà, il l'avait sauvé d'une mort quasi certaine, lui montrant par là que, même en ses terres, il n'était pas infaillible, et que partout où son pieds incertain se poserait, il serait susceptible de faillir, aussi jeune et vif pouvait-il être.

Mais ce souvenir ardent n'avait rien à voir avec eux deux. Maladroit et hésitant, l'étalon semblait cette fois ne pas avoir la force de parer aux phrases courtes et concises de la jument. Il lui était impossible de penser pouvoir lui dire que sa jambe le faisait encore souffrir, tout comme sa nuque d'ailleurs. Il lui était impossible aussi de parler d'autre chose que de ce qu'il venait de se produire. Comment aurait-il pu ? Le souvenir de leur folle galopade au milieu des flammes l'assaillit soudain. Dans leur relation, y aurait-il un avant et un après combat ? Zanzibar n'en savait rien, il espérait seulement qu'elle n'en vienne à le détester ou à le haïr de ce qu'il était.

« Je vais bien mieux, Tauron possède de réels dons. Que souhaitez-vous faire, maintenant ? Peut-être puis-je vous escorter jusqu'à un endroit plus calme et serein, ou vous serez à l'abri et à l'ombre ? »

L'oiseau volait en cercles, contrastant avec le ciel bleu clair et les quelques traînées de nuages qui le décoraient. Il y avait un oiseau fait de flammes, un Phoenix, un être qu'elle pensait n'exister que dans les légendes qui venait d'apaiser sa douleur. Était-ce seulement possible ? Jamais, au grand jamais elle n'aurait cru qu'un tel animal se pouvait être réel. Pourtant, il était bien là, ce n'était pas un songe. C'était fascinant.
Pourtant elle ne releva pas les yeux vers lui. Son regard restait posé sur Zanzibar qui était, certes, moins impressionnant que l'oiseau mais qui était plus important à ses yeux. Hoodoo restait encore un inconnu, mais l'étalon alezan était un ami.

Dire que, quelques instants auparavant, elle se sentait seule et perdue ! Que chaque muscle de son corps, et plus particulièrement la plaie de sa jambe, était endolori ! Peut-être l'était-elle toujours car peu de choses avaient changé ces quelques minutes passées, pourtant les douleurs lui semblaient plus supportables, sa jambe la lançait bien moins et elle ne se sentait plus seule.
Un doux sourire se dessina sur son visage. Siana n'avait jamais eu d'ami proche, et si elle ne connaissait pas encore aussi bien qu'elle l'aurait souhaité Zanzibar, sa présence était une des rares qui lui réchauffait le coeur. En cette période, la petite jument noire était renfermée sur elle-même et ne parlait plus beaucoup. Elle ignorait royalement les inconnus alors qu'auparavant, elle se serait montré plus que sociable.
Mais avec l'étalon à la robe de flammes elle redevenait elle-même, même si le poids de la solitude l’assaillirait à nouveau lorsqu'il retournerait à son devoir.

"Avec grand plaisir !"

Puis son regard et sa voix se firent un peu plus timides, alors qu'elle ajoutait :

"Peut-être... pouvons-nous nous tutoyer ?"

Enfermé dans d'imprenables tours, l'étalon de flammes s'était fait l'otage de son rang, de son statut et des fonctions qu'il avait décidé d'occuper. En embrassant ce poste, il s'était résigné à se priver de certaines libertés : il n'avait plus le droit, désormais, de se laisser aller et de s'amuser avec les autres. La sincérité et l'amitié les plus profondes, pouvaient-elle seulement encore prétendre exister ? Ces seules questions lui causaient lots de peines et de souffrances, aussi, il avait fait le choix -lâche sans doute- de ne plus se les poser. Mais la question de Siana eut pour lui l'effet d'une bombe. En soit, se tutoyer ne représentait rien. Shiki et d'autres le tutoyaient, et quelque part, il lui semblait que c'était légitime. Mais tutoyer Siana ... Solitaire et timide, elle avait pourtant su, à ses yeux, devenir quelqu'un. Elle était plus qu'une simple rencontre : elle était son amie.

Son amie. Que ce mot lui était devenu précieux ! Une suave impression de chaleur se distilla dans son corps, et déjà, il souriait, simplement heureux.

« Je serai vraiment ravi de t'entendre me tutoyer dès à présent ! »

Et comme si cette seule question avait éveillé en lui tous ses souvenirs, son corps se regroupa, ses allures s'élevant, malgré la douleur, et déjà, il poussait amicalement, avec complicité, l'encolure de la belle de ses naseaux.

Entre dans mon monde.