All that we've Amassed ft. Hopeless

Le ciel était plein d'étoile, et la lune, cette nuit, était rousse. Pandore avait quitté comme à regrets la Zone, et elle errait depuis, sans but apparent. Installée dans un trot rapide, ses foulées étaient aériennes, ses muscles se contractant sous sa robe soyeuse à la couleur brûlée mais parsemée de claires pommelures. L'arabe semblait danser, alors que ses membres fins aux articulations cagneuses remontaient haut dans le mouvement, lui donnant cet aspect léger et dansant. Ses yeux irisés de biche étaient grands ouverts, et ils regardaient le paysage défiler devant elle. Adieu les roches durs et érodées par la mer et le vent, adieu les longues plaines enneigées.

Pandore semblait perdue dans cette grande forêt sombre. Les pins étaient hauts et rapprochés les uns des autres, mais l'odeur résineuse qui les entourait la faisait sourire. Du trot elle passa au pas, sa queue flottant dans le vent comme une longue traine. Soudain, des lucioles s'envolèrent. Fascinée par le spectacle, la belle petite jument se mit à les suivre, les yeux luisants d'excitation, comme si elle n'était encore qu'une jeune pouliche émerveillée de tout. Bien sûr, cette image était très loin de la vérité! Pandore connaissait bien les autres et la nature des équidés: elle ne s'y trompait plus.

Mais elle aimait aussi vivre sa vie et ressentir les choses. Elle voulait goûter à tout avant que la mort ne toque à sa porte, avant que le don d'Athéna ne s'échappe...

Pandore ne rêvait pas de bonheur, de joie ou de rose à chaque seconde. Pandore, malgré sa jeunesse, ses yeux rieurs et son sourire franc, avait les pieds sur terre. Elle estimait savoir ce qu'elle pouvait attendre des siens, et elle s'était résolue à ne rien leur demander, sinon une danse de temps à autre. La petite arabe ne voulait pas s'attacher: elle voulait seulement vivre. Respirer l'odeur de l'autre, et comme chaque fleur fane, partir une fois que l'odeur ne serait plus aussi forte. Pandore était comme ça. Qu'on l'aime ou non ne la touchait pas. Elle s'en moquait. La seule chose qu'elle voulait, c'était profiter de chaque seconde de sa vie. Danses, chasses et batailles devaient occuper sa vie, et alors, elle sourirait toujours. Pas besoin des autres, ni envie d'eux. C'est ce qu'elle voulait au moins croire.

Les lucioles l'amenaient avec elles. Elle vit une source, et, devant elle, un cheval. Un étalon bai, bien plus haut et puissant qu'elle. Elle sourit. Souvent, ceux qu'elle rencontrait sous-estimaient sa force. Et advenait ce qui devait se passer: ils tombaient devant elle. Pandore se battait pour relever le défi qu'ils lui faisaient, pour se distraire, se satisfaire, se souvenir de moments magiques. Elle chassait pour s'accomplir, pour épouser celle qu'elle était, au fond. Sans peur, elle s'avança encore, s'approchant à une foulée de l'inconnu. Ses yeux de biche, faussement effarouchés, se posèrent dans ceux du mâle. Rien ne passait sur son visage, et elle ne savait quoi attendre de cette rencontre. Mais elle lui sourit quand même. Au premier regard, ils étaient peu nombreux à se dire qu'elle était Shikaku.

- Bonsoir, je m'appelle Pandore. Et vous?

Pandore regarda avec attention l'étalon. Elle l'avait déjà vu. Et pour cause! Il était, tout comme elle, un Shikaku, mais il semblait ne pas l'avoir reconnue. Elle sourit. La jeune jument aimait bien jouer, quitte à se mettre dans d'invraisemblables situations. Rien ne pouvait encore l'effrayer, et elle ne craignait pas les siens, aussi dangereux pouvaient-ils être. Hopeless avait de grands yeux noirs, durs et froids. Aucune étincelle ne semblait y vivre, aucun plaisir ne s'y reflétait. A première vue, l'étalon semblait être une âme vide de plaisir ou d'envie. Une coquille vide qui voguerait sur une mer déchaînée, sans se préoccuper de savoir si les roches suivants la briserait. Son cœur aurait pu se serrer dans sa poitrine, mais Pandore n'était pas comme ça. S'apitoyer sur les autres ne lui ressemblait pas. Et puis quelque part, elle se disait que cela valait mieux pour lui: si vraiment rien ne le touchait, il n'aurait plus jamais aucune raison de souffrir et, quelque part, il avait déjà compris.

- Enchantée de vous rencontrer, Hopelss.

Mais était-il froid au point de ne plus rien ressentir du tout? Pandore niait en bloc cette idée: aucun étalon ne pouvait se soustraire au désir, à l'envie, au besoin de plaisir. Sauf, peut-être, les âmes blessées, écorchées. Mais elles pouvaient guérir, et se remettre à désirer, torche flambante. Un éclair passa dans son regard, et provocante, comme si elle niait tout danger pouvant venir de sa part, elle s'approcha de l'eau, cambrant son encolure tandis que son nez camus y plongeait. Elle buvait, les yeux braqués sur l'onde claire, sans se préoccuper de la position indélicate dans laquelle elle se mettait. Hopeless était nettement plus fort qu'elle: il aurait pu la coincer, la briser, l'abattre d'un seul coup de sabot. Mais Pandore n'avait pas peur, pas peur de lui en tout cas.

Les sens de la jument ne se tendaient pas vers Hopeless, à épier le moindre de ses mouvements, la moindre de ses respirations. Pandore ne regardait que l'onde, encore et encore, comme si son reflet allait disparaître, comme si la quiétude allait bientôt être troublée. Elle n'avait pas tort. Hopeless, de sa voix rauque, brisa le silence. Il se doutait qu'elle était Shikaku. Il avait raison. Mais allait-elle le laisser s'en tirer si facilement? Il n'avait pas l'air idiot, et cette question avait déjà trouvé sa réponse. Pourquoi l'avait-il posée, alors? Bien sûr qu'elle était Shikaku! Quelle jument se serait permise une telle inconscience en présence d'un mâle étranger bien plus fort qu'elle? Pandore se redressa doucement, des gouttes d'eau parant sa robe de cristaux, et elle se tourna, lentement encore, vers le grand bai.

- Sans doute, oui. Et toi aussi.

Une étincelle alluma son regard et sourire aux lèvres, elle s'approcha de lui, lascive presque dans son allure. Il savait ce qu'elle était, et il la cernerait, ou penserait le faire, rapidement sans doute. Peut-être lui apprendrait-il certaines choses sur elle qu'elle ignorait? Ou pas. Pandore, malgré les apparences, se connaissait bien. Derrière les sourires et les doux yeux de biche se cachait une jument rusée, froide et méthodique. Froide? La petite arabe brûlait en permanence, cherchant toujours la source la plus chaude, dans l'espoir de se faire brûler vive. Mais dans certaines circonstances, elle savait être détachée.

- Pourquoi?

Sa question aurait pu recouvrir bien des domaines différents. Pourquoi, par exemple, lui avait-il posé cette question? Mais ce n'était pas ça qu'elle voulait savoir. Elle s'en moquait éperdument. Son pourquoi ne regardait que lui: elle souhaitait savoir ce qui l'avait poussé à devenir Shikaku.

Ils étaient différents, mais étaient-ils meilleurs ou pires que les autres? Pandore ne se considérait pas comme un monstre sadique assoiffé de sang et de vengeance. Mais elle se connaissait. Ou plutôt, elle avait renoncé renier cette partie d'elle qui, parfois, la brûlait. Tous les guerriers de clan avaient déjà rêvé de tuer un ennemi, de le faire tomber lors d'un combat. Alors, pourquoi auraient-ils été meilleurs qu'eux? Parce qu'ils ne le faisaient pas? Ils le pensaient, et pour Pandore, cela suffisait. Elle, elle n'était pas lâche. Quand elle pensait quelque chose, elle allait au bout de ses idées, par principe. Cela faisait-il d'elle quelqu'un de plus mauvais que les autres? Elle s'en moquait. Ils pouvaient bien penser d'elle ce qu'ils voulaient, leurs avis ne la touchaient pas. Elle était libre, elle l'avait toujours été, et ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait changer pour rentrer dans le moule ou la voie. Jusqu'à son dernier souffle, elle continuerait d'être celle qu'elle était, et qu'importe si cela gênait ou agaçait les autres.

- Pourquoi?

Elle s'était arrêtée à une foulée de lui, et elle avait posé ses yeux plein de détermination dans les siens, si froids et éteints. Elle ne lui demandait pas pourquoi les Shikaku étaient différents: elle avait son opinion, et de toute façon, creuser sur ce sujet maintenant, avec un inconnu, ne l'intéressait pas. Cette fois, son pourquoi portait davantage sur lui. Immobile, la joyeuse petite arabe pleine de vie s'était immobilisée, le regardant avec insistance. Il n'y avait plus aucun mouvement dansant sur son corps, seules ses courbes suggéraient encore un mouvement. Elle attendait, patiente peut-être malgré le feu qui brûlait dans ses yeux. Pourquoi était-il là, l'air si dépité, solitaire, froid et dur? Pourquoi était-il comme ça? Pourquoi parlait-il comme ça? Pourquoi était-il celui qui se présentait ainsi à elle?

L'étalon bai ne disait rien, mais il s'était avancé vers elle. Un pas, un seul. Hésitant peut-être, mais un pas tout de même. Elle lui sourit doucement, pour lui montrer sans doute qu'elle était contente de cet effort, consciente qu'il faisait un pas vers elle bien qu'il ne parle pas davantage. Mais à présent, que devait-elle faire? Parler encore, poser une nouvelle question? Ou bouger, avancer aussi quitte à réduire au minimum l'espace qui les séparait? Pandore était indépendante et libre: elle n'avait de compte à rendre à personne, et elle était franche. Elle décida d'avancer. Dans une extrême douceur, elle fit une demi-foulée, s'approchant d'avantage encore de l'inconnu. Leurs naseaux n'étaient qu'à quelques centimètres, et elle pouvait déjà sentir son souffle chaud sur son chanfrein. Avait-elle eu tort de faire ce pas? Elle n'en savait rien, mais elle espérait que non.

- Que voient tes yeux, quand ils regardent cette cascade?

Sa voix était douce et légère, comme une mélodie jouée à la flûte. Pandore, à cet instant, n'avait plus rien de provocant ou d'aguicheur. Elle était juste cette enfant curieuse, intriguée par le puissant étalon qui semblait si indifférent et distant. Avait-elle tort d'essayer de s'en rapprocher? Elle espérait que non, encore. Mais petite sotte, la boîte s'est refermée avant que l'espérance n'en sorte.

Attentive à ses moindres mots, Pandore avait hoché la tête en signe d'approbation. Ce cours d'eau n'était pas qu'une décoration, qu'une enjolivure du paysage. Il transportait avec lui bien plus que cela, puisqu'il donnait la vie. Tout naissait de l'eau. Silencieusement, Pandore posa ses grands yeux sur la cascade, laissant ses oreilles se faire bercer par le son clair et mélodieux. Que cet endroit était beau et calme ! Ils semblaient êtres seuls, et seule leur voix perçait par moment la quiétude. Mais Pandore n'allait pas se taire. Parler ne lui faisait pas peur, et elle avait envie d'en apprendre plus sur l'étalon.

- Malgré les apparences, tu es sensible, Hopeless. Où a commencé ta laborieuse course?

La petite Arabe n'avait pas bougé, et elle le fixait de ses yeux curieux. Avancerait-il encore vers elle, quitte à ce que leurs naseaux en viennent à se toucher? Ou se contenterait-il d'une vague et abstraire réponse? Les yeux de la belle brillaient de détermination.

Il fallait vivre les choses. Peut-être qu'en fait, c'était ça, sa philosophie de vie. Pandore avait ce besoin, cette urgence de se sentir vivante, de faire ce qu'elle voulait, de voir chaque chose qui l'entourait. Mais Hopeless semblait si différent! Il était en face d'elle, à seulement quelques centimètres, mais il ne faisait aucun pas, comme si, en la frôlant, il se serait engagé à quoique ce soit. Mais elle ne le jugeait pas. Et elle ne fit pas de pas non plus: elle préférait lui laisser le faire, lui laisser la liberté de choisir le moment le plus opportun.

- Et les sensations, les sentiments? Tu ne penses pas qu'il faut les vivre aussi?

Intelligente et, quelque part, attachante. Pandore savait ce qu'elle voulait, cela se voyait et se sentait. Elle n'avait pas froid aux yeux et elle n'était pas du genre à reculer. Ce qu'elle souhaitait à présent, c'était qu'il s'avance, qu'il la frôle juste. Ensuite, elle serait pus libre, et elle pourrait vivre, le connaître et l'apprendre. Cette nuit pourrait peut-être effacer certaines illusions, certaines bêtises que d'autres leur auraient appris.

Hopeless... qui aurait souhaité un tel nom ? Personne. Mais c'était le sien, s'il s'appelait ainsi, il y avait une raison. Pour lui, qu'est ce qui a de l'importance, qui mérite d'espérer ? Bien peu de choses. Bien peu.Il ne s'était bien sûr pas toujours nommé comme tel. Se souvenait-il seulement de son ancienne appellation ? Non.
Elle était belle, elle était gracieuse. Tout le contraire de lui. Lui n'était qu'un corps abîmé. Une âme abîmée ? Non, il n'était pas sûr d'avoir eu un jour une âme. Quand il était tout jeune poulain, qu'il s'amusait avec ses amis ? Non, pas même. Il n'avait jamais eu d'amis. Ce n'était pas dramatique. Cela n'avait pas d'importance.
Peut être que si ? Il ne savait plus.

Mais il n'avait plus envie de réfléchir en cet instant. Avait-il seulement des envies ? S'il en avait, il aurait souhaité, peut être, être libéré du fardeau de sa différence, d'avoir une véritable âme, juste pour quelques instants. Pour savoir ce que cela faisait.
Qu'aurait-il pu lui dire ? Qu'il était errant, qu'il ne se sentait pas vraiment de ce monde ? Qu'il n'était pas sûr d'être vraiment vivant ? Mais il était vivant. Car les yeux de biche de Pandore éveillaient quelque chose en lui. Car sa peau tressaillait lorsqu'elle s'avançait vers lui. Car cette voix douce était agréable a ses oreilles.

"Je ne me souviens... que d'errance et d'incompréhension. Est-ce a cela que se résume la vie ? On m'a dit que non. Pourtant... que fais-je donc de ma vie ? Rien. Rien n'a d'importance. J'ai erré. J'ai été toujours seul. J'ai souffert ? Je ne sais pas. Ai-je donné de la souffrance ? Certainement. Mais comment pourrai-je le savoir ?"

Sa voix était rauque, mais elle l'était moins qu'habituellement. Comme s'il se perdait dans ses songes, comme s'il s'interrogeait lui même... sans peut être répondre aux attentes de Pandore. Mais qu'aurait-il pu lui dire ?