LIBRE - Neiges d'été [fini]

Le crissement de la neige, de ce qu'il restait encore de neige, sous des sabots délicats, était plus léger et inaudible qu'un tintement de cristal, et le vent qui agitait ces crins d'une blancheur immaculée, plus doux qu'une main caressante. Le fond de l'air demeurait frais sur les plaines toujours enneigées où chassaient les onces, et cette température modérée était la bienvenue en ces jours de chaleur estivale. Les encolures se courbaient, les robes se poissaient de sueur et les regards se voilaient, chacun passant les heures les plus chaudes de la journée dans l'eau d'une rivière complice ou sous un arbre judicieusement planté. Les terres des Etoiles avaient beau demeurer relativement tempérées, le soleil y tapait malgré tout.

C'était le printemps qui laissait place à l'été, et la vie continuait au sein du Clan. Quelques vieux chevaux avaient rendu l'âme au cours de l'hiver, et ne seraient pas oubliés, mais de jeunes poulains gambadaient déjà, comme pour effacer de leurs pas dansants les traces de ces ancêtres disparus. C'était l'été, la période des naissances et du renouveau. Certaines juments avaient déjà mis bas et les hennissements aigus des petits, semblables à des gazouillis, emplissaient l'air frais des montagnes. D'autres, goûtant le calme des hautes vallées et de leur herbe verdoyante même en plein été, attendaient à l'ombre des arbres des montagnes que leurs flancs finissent de s'arrondir.

Et Liberty de penser, quand elle voyait ces mères et ces futures mères, ces étalons qui ne pouvaient s'empêcher de parader et ces poulains qui jouaient, à ses jeunes années et à la naissance d'Odyssée. Sa fille, devenue grande, devenue mère à son tour, et qui l'avait laissée en plan, traçant son propre chemin. Trouvant sa propre famille, laissant la jument blanche en plan, la chassant presque de son existence heureuse.

Heureusement qu'il lui restait Edelweiss, sa vieille amie, le bras droit des léopards des neiges, le bras droit de Tharaman et la compagne du grand mâle tacheté. Si l'once passait plus de temps avec ses petits ces derniers temps, petits qui devenaient bien grands, bien massifs désormais, elle n'en oubliait pas pour autant la première reine des Etoiles. Et c'était d'ailleurs elle qui revenait en bondissant, dans la neige, vive et insaisissable, si grande que sa tête dépassait largement le garrot de Liberty, invitant sa complice à une course effrénée dans la plaine des fauves timides et clairs de robe.

Liberty piaffa, se prépara à bondir et aurait suivi Edelweiss jusqu'au bout du monde si la sensation, très nette, d'une présence ne l'avait pas soudainement alertée.

Marchant sans bruit sur la neige restante, Wild Light ne cherchait rien, elle profitait d'un rare moment de détente. Sa fourrure noire se détachait du paysage environnant. Pour fois, la panthère noire ne recherchait pas la discrétion et l'efficacité. Pas ici, pas sur les terres des léopards des neiges. Elle marchait juste, sans but, dans l'espoir de vider son esprit de cette question, dont la réponse était si compliquée à trouver. Qui devait-elle aider?

Wild Light soupira, pour le moment elle resterait neutre, discrète observatrice de ce monde au bord de la guerre. Ce monde si beau était au bord de la destruction. Ce repaire pour les animaux, cette oasis de paix, loin des humains et de leur méchanceté. Elle avait espéré que jamais la paix ne soit troublée, que tout reste figé. Mais ce n'était qu'une utopie, elle le savait bien. Tout ce qu'elle savait et qu'elle avait appris concordaient. La paix de ce monde avait déjà été troublée auparavant et tout indiquait qu'elle le serait encore. Épuisée par ses réflexions, découragée par ses conclusions, elle était venue chercher un peu de réconfort auprès des onces.

Elle releva sa tête, laissant ses beaux yeux émeraudes observer le paysage. La plaine des onces était encore sous la neige pour ce qu'elle voyait, mais une neige si fine qui bientôt disparaîtrait sous la chaleur de l'été. Il n'y avait presque rien à l'horizon, hormis quelques plantes, aucune once en vue. Le vent qui faisait naître des vagues dans son pelage lui apporta une odeur. Non, plutôt deux: une féline et une équine. Humant l'air plus attentivement, Wild Light soupira de nouveau, non ce n'était pas les personnes dont elle aurait le plus besoin. Mais l'odeur féline lui rappelait néanmoins des souvenirs. Cette odeur ne lui était pas inconnue, elle l'avait déjà sentie à plusieurs reprises.

Dans la blancheur de la plaine, deux silhouettes commencèrent à se détacher aux yeux émeraudes de la panthère. Un léopard des neiges et un cheval, blanc. Deux femelles si elle en jugeait par son odorat. Son cœur rata un battement. Et si c'était Liberty et son animal lié, Edelweiss? Elle avait voulu rencontrer cette jument plusieurs fois auparavant mais jamais ne l'avait trouvée. Non, il ne fallait pas aller trop vite, il pouvait s'agir d'une jument lui ressemblant. Wild Light s’avança encore un peu et huma de nouveau l'odeur de la jument. Elle portait l'odeur des Étoiles. Cette fois, Wild Light n'avait plus de doutes. Il s'agissait bien de Liberty. Tranquillement, la panthère noire s'approcha d'elle. Elle s'assit, à quelques mètres de la jument de neige, attendant que celle-ci remarque sa présence. Sa voix posée s'éleva dans le silence environnant:

"Salut à vous, je suis Wild Light. Serais-je en présence de Liberty et Edelweiss?"

C'est Edelweiss qui, la première, repéra cette silhouette noire filant sur la neige d'un blanc immaculé. Les yeux de la grande panthère argentée, accoutumés à percer les brumes vaporeuses des brouillards qui, tout l'automne durant, couvraient le Désert Blanc, insensibles à la luminosité violente de la neige, traversant le blizzard et repérant sur l'horizon blanchi les silhouettes noires des orques que les léopards chassaient, les yeux d'Edelweiss se fixèrent vite sur cette silhouette frêle qui trottait dans la neige. La démarche était ondulante, le mouvement de la ligne du dos ne laissant subsister aucun doute: c'était un félin qui allait là-bas, d'un pas rapide et sans crainte aucune.
L'animal aussi les avait repérés, il s'arrêtait en humant l'air sous les yeux attentifs de l'once, toujours prudente. Derrière Edelweiss, Liberty avait elle aussi repéré cette présence inattendue, et fixait son attention sur l'inconnue qui, désormais, avançait vers elles deux sans hâte ni prudence excessive. Elle huma encore l'air une ou deux fois, et Edelweiss voulut l'imiter, mais le vent était dans son dos, l'empêchant de tirer la moindre information de cet air vif et frais, si agréable en ce début d'été. Pas après pas, le fauve -c'était bien un félin- s'approchait et, bien vite, Edelweiss put identifier une panthère noire.
Oh, ce n'était pas une créature immense comme l'avait été Univers, la compagne du jeune Cristal Noir, le fils de Sun Star. Malgré leurs silhouettes proches, malgré leur démarche aussi souple l'une que l'autre, malgré leurs yeux brillant et attentifs au moindre mouvement, Edelweiss et cette inconnue n'avait en commun que leur nom de félin. Car la créature qui s'approchait était une panthère noire, une panthère d'une taille normale, loin des mastodontes qui chassaient sur les terres arctiques et s'attaquaient sans crainte à des orques ou des animaux monstrueux. Il s'agissait d'une bête assez petite pour les standards de sa race, plus petite même que ne l'avait été Arwen, la compagne de Magie Noire et la première amante du tigre Snow. Un animal qui ne représentait un danger que pour Liberty, mais en aucun cas pour Edelweiss, puisqu'elle était seule et que l'once mesurait plus de deux mètres au garrot. Aussi la chasseresse s'assit-elle, pour laisser le félin s'approcher à pas circonspects.

Liberty demeurait concentrée sur l'animal, un vieil instinct la poussant à se méfier de tout prédateur, même apparemment animé d'intentions pacifiques comme semblait l'être celui-ci. Celle-ci, car renseignements pris, il s'agissait sûrement d'une femelle, à la charpente délicate et fine, aussi fine qu'elle pouvait l'être pour un fauve, épaules massives et mâchoires carrées. L'animal s'assit devant elles, à bonne distance, avant de se présenter d'une voix qui conforta le pressentiment de Liberty: c'était une femelle.
Une femelle qui les connaissait apparemment, puis qu'elle les appelait par leurs noms. Cela ne surprit ni Edelweiss ni son amie: toutes deux se savaient quelque peu célèbres. Et si la gloire de Liberty était passée avec son titre de chef à la jeune Pépite d'Or, et si la belle Edelweiss, connue pour avoir vengé son mentor d'une façon plus que sanglante à son retour au sein du clan des léopards, n'était célèbre que dans le petit cercle des animaux arctiques, elles demeuraient néanmoins connues. Leurs noms, sans être de ceux dont on fait les légendes comme celui de Black ou de Black Hole, de Zanzibar, étaient des noms qui avaient couru dans les conversations, les débats et les évènements. Des noms qui, malgré tout, avait posé sur les terres des Etoiles et les neiges éternelles comme une empreinte.
Liberty, la première, s'inclina rapidement pour saluer l'inconnue:

"Enchantée, Wild Light. Je suis effectivement Liberty, ancienne reine du Clan des Etoiles, et voici mon amie Edelweiss, Lieutenant du clan des Léopards Géants d'Hymlya."



Edelweiss inclina sa grande tête massive, et reprit d'une voix douce:

"Il est rare de croiser des fauves autres que les léopards des neiges ici. Les panthères noires ne chassent pas dans la blancheur, n'est ce pas? Que fais-tu ici, dis moi, Wild Light?"

 

La fraîcheur de la neige sous Wild Light détendit celle-ci. L'once avait été la première à la remarquer. La jument blanche ne l'avait remarquée qu'ensuite et elle gardait son attention fixée sur la panthère. Au bout d'un instant, Liberty, puisqu'il s'agissait bien d'elle, salua Wild Light. Edelweiss la salua à son tour et posa une question qui tira un bref sourire à la panthère. L'once ne manquait pas de bon sens, en effet comment aurait-elle pu chasser ici, elle qui se détachait du fond blanc. Toujours tranquille, Wild Light laissa le vent ébouriffer son pelage une nouvelle fois avant de répondre, de sa voix calme:

"En effet, les panthères noires ne peuvent pas chasser ici. Il faudrait être aveugle pour ne pas repérer un félin noir sur la neige. Pourtant, je viens souvent ici, à chaque fois que je suis tourmentée en fait. J'aime venir jouer et discuter avec les onces. Aujourd'hui je cherchais surtout un moyen de me libérer l'esprit, j'ai marché sans me soucier d'où me portaient mes pas."

Wild Light s’arrêta un instant afin de reprendre son souffle, elle reprit ensuite, à l'intention de Liberty. Ce nom si connu pour elle, la faisant espérer d'un monde pacifique. Liberty, la jument reine des étoiles:

"Il y a longtemps déjà que je souhaitais te parler Liberty. Je sais que tu diriges encore ton clan dans l'ombre, même si tu a passé le flambeau à Pépite d'Or."

Wild Light regarda tour à tour Edelweiss et Liberty, ses yeux émeraudes brillant étrangement de sa joie de rencontrer enfin Liberty mais de la crainte d'une nouvelle guerre.

Pensive, Edelweiss hocha la tête. Bien sûr que la panthère noire ne venait pas chasser, même le plus innocent des chatons savait bien qu'il ne pourrait parcourir ces terrains si sa fourrure, par ses teintes, ne s'accordait pas à la couleur du sol. Et un félin accoutumé, non seulement à la chasse mais aussi à la chasse en solitaire, acquise lors de son long exil, comme l'était Edelweiss, savait mieux que quiconque à quel point la discrétion et le camouflage faisaient merveille, sitôt que le temps était à la chasse.
Mais de prendre du réconfort auprès des onces...la lieutenante leva une oreille. Elle ne connaissait guère ses petits congénères, à peine plus grands que ses propres chatons, mais peut-être était-ce un tort? Peut-être que ces petits animaux renfermaient une certaine sagesse...Ou bien était-ce juste la blancheur et la paix de la plaine enneigée qui réconfortaient la panthère noire?
Mais Edelweiss opina du chef sans rien laisser voir de ses pensées:


"Naturellement. Nos petits cousins sont donc d'une société agréable, et des animaux accueillants? C'est assez surprenant...Nous autres léopards géants ne sommes pas les meilleurs hôtes au monde. Nos terres sont trop rudes pour que grand monde s'y rende, et si notre territoire est giboyeux, les bêtes y sont retorses. Nous n'aimons guère partager le fruit de chasses dans lesquelles nous risquons chaque jour notre vie."

Sauf avec les chevaux de Glace, sourit-elle en son for intérieur. Il y avait là un vieux pacte, une tradition qui voulait que tout cheval du clan soit le bienvenu sur les terres des Léopards, comme tout léopard géant était accueilli à bras ouverts au sein même des hordes. Poulains et chatons jouaient ensembles, les premiers apprenant à ne pas craindre les fauves gigantesques et les second apprenant leur force et la fragilité de leurs alliés.

Un fin sourire étira les lèvres de Liberty. La laisserait-on un jour se retirer du trône, réellement se retirer? La laisserait-on jeter son sceptre à terre et rendre la couronne à Pépite d'Or et à elle seule, ou devait-on demeurer chef à jamais, sitôt qu'on l'avait été un temps? Les chevaux étaient-ils à ce point incapables de se passer d'elle, qu'il lui fallût encore diriger dans l'ombre le clan, ou qu'il leur fallût encore imaginer leur ancienne reine comme une ombre bienveillante se penchant sur leurs petites affaires?
Tu es injuste.
Elle était la fondatrice de ce clan. Devait-elle encore s'étonner d'y avoir apposé comme une empreinte, devait-elle se montrer surprise de voir son nom si peu oublié, si conservé, si vibrant encore dans les phrases, sinon dans les coeurs, de ses ouailles? Liberty commençait à le comprendre, on n'abandonne pas le pouvoir. Ou plutôt, il ne vous abandonne pas, et l'anonymat lui était désormais aussi inaccessible que la lune. Avec un sourire qui allait s'affranchissant, perdant son fond d'ironie, la jument blanche répondit:



"Je ne dirige plus réellement, même si je pourrais m'offrir le luxe de conseiller Pépite d'Or, si elle me le demandait. Et quand elle me le demande, je lui offre avis ou assistance, comme tout membre du Clan...à ceci près, peut-être, que j'en connais les rouages puisque j'ai occupé la position avec laquelle elle doit composer. Beaucoup veulent me rencontrer...chacun pour ses raisons. Quelles sont les tiennes?"

Wild Light souria en entendant Edelweiss parler des Onces et des Léopards des neiges. Oui, les onces et les léopards différaient les uns des autres. Mais les deux n'aimaient pas partager leurs proies, autant pour les uns que pour les autres. Un sourire plus amusé qu'auparavant apparu sur ses babines tandis que dans ses yeux, l'étincelle de crainte disparaissait. De sa voix veloutée, elle répondit:

"Je ne peux dire s'ils sont plus accueillants que les léopards des neiges, car je ne suis jamais allée chez eux. Cependant, ils n'aiment guère partager leurs proies. C'est pourquoi je n'y vais qu'aux moments où ils ne chassent pas. J'aime jouer avec eux ou simplement discuter, mais si les onces m'acceptent sur leurs terres, c'est peut-être aussi par le fait que je connaisse l'une d'elle et que nous soyons amies."

*Oui, je connais surtout une once liée à une jument.*
Les pensées de Wild Light partirent vers une image qu'elle chérissait plus que tout. L'image d'une once perchée sur le dos d'une jument, toutes deux discutant et riant ensembles. Une jeune once du nom d'Ondée, aux yeux azurs et une jument nommée Jasmina. Elle les connaissait toutes les deux, en fait c'était Ondée qui lui avait présentée Jasmina. Les deux amies s'étaient apprivoisées mais désormais, elles étaient liées. Ces deux sauvageonnes vivant heureuses malgré la menace de la guerre lui mettaient du baume au cœur. Ondée et Jasmina, membres du clan fondé par Liberty aimaient discuter avec elle. Ce qui n'était pas le cas de tous.
*En ces temps difficiles, elles vivent heureuses. Je les envie beaucoup.*

Wild Light sourit de nouveau, elle aimait peut-être ces deux demoiselles mais ce n'était pas le moment de penser à elles. De nouveau sérieuse, elle écouté avec une attention non feinte la tirade de Liberty. Oui, beaucoup souhaitent la rencontrer.  léger ronronnement sortit de la gorge féline. Si léger que nul ne l'avait entendu.

"Oui, il est vrai que tu agis comme un membre normal malgré tes connaissances. Mes raisons? Il n'y en a qu'une, très simple. Je souhaitais te rencontrer car j'ai toujours admiré les personnes qui préfèrent la paix à la guerre. Peut-être aussi car, bien que tous connaissent ton nom, tu as su rester simple."

Sur la blancheur de la neige, le pelage noir de la panthère ressortait. Ses yeux émeraudes tranchaient avec la noirceur de son pelage. Une douce brise glacée fit voleter un peu de neige, qui touchant le pelage de Wild Light, le tachetait de blanc avant de fondre. Les gouttes d'eau ainsi créées firent briller le poil noir sur leur passage.

Edelweiss sourit, compréhensive. Elle se souvenait de moments où elle avait été jusqu'à chasser un apprenti trop curieux, ou un félin en visite trop entreprenant, et ce pour conserver sa pitance. Seuls des félins comme Snow avaient le droit de partager les chasses et les prises des grands léopards, forts de leur statut d'animaux-liés d'alliés. Edelweiss s'assit et enroula sa longue queue autour de ses pattes, ce qui amena sa tête plus haut que celle de son amie Liberty, bien plus haut. Elle ronronna:


"Au sein de mon clan, seuls Tharaman et moi-même sommes des animaux-liés. Je crois que mes propres petits envisagent de le devenir, un jour. C'est un fonctionnement qui leur plaît, et un lien qu'ils souhaiteraient expérimenter...mais les léopards géants sont méconnus pour les autres que les chevaux de Glace, et des prédateurs, difficiles à contenter et à côtoyer au sein d'un autre Clan que celui-ci."

Liberty s'ébroua, et sa crinière retomba sur ses yeux jusqu'à ce qu'elle la rejette en arrière d'un mouvement brusque, avant de reprendre, curieuse:


"Alors tu fais partie de ceux qui ne considèrent pas la guerre comme une nécessité absolue? C'est un avis qui va à l'encontre de celui de beaucoup...la plupart des chefs, à vrai dire. Même Sun Star et Lusitania, avec qui je partage des conceptions de la vie de Clan et du monde, sont des guerriers et comme tels, ils considèrent que la guerre est un mal inévitable."

Assise au milieu de la neige, Wild Light engrangeait de nouvelles connaissances. Lorsque Edelweiss reprit la parole, elle ne put contenir un large sourire. Oui, peu de léopards géants étaient liés mais tout pouvait changer. La jeune génération était celle qui pouvait tout changer mais elle risquait d'être entrainée dans un conflit dont elle n'avait rien à voir. Mais il était trop tard et désormais, plus rien ne pourrait arrêter la folie du monde. On ne pouvait que retarder son échéance. D'une voix douce elle répondit à Edelweiss:

"Oui, peu de membres de ton clan sont liés. Mais beaucoup veulent le devenir. Mais ils ne peuvent décider seuls, le lien ne peut être créé qu'à deux et peu de chevaux les connaissent. Si plus de chevaux vous connaissaient, je pense que plus de liens apparaîtraient. Seulement, en ces temps troublés je doute que les chevaux aient le temps d'en apprendre plus sur vous, c'est malheureux. Peut-être que certains des tiens auraient pu se lier avec un cheval mais qu'ils ne l'ont jamais rencontré.

Il est vrai que votre espèce est difficile à contenter, peut-être ne lui est-elle possible de se lier avec les membres de certains clans."

Wild Light fit une pose, rassemblant ses mots avec attention avant de reprendre:

"Mais toi, Edelweiss, tu es liée avec un membre d'un clan n'appartenant pas à l'alliance du nord. Si jamais une guerre éclate, tu risqueras de te battre contre les membres de ton espèce. Y arriveras-tu?"

La panthère noire laissa le silence reprendre ses droits avant de se tourner ver Liberty, le regardant dans les yeux:

"Je sais que tôt ou tard, la guerre éclatera. J'espère seulement que lorsque celle-ci se déclarera, les clans arriveront à conclure un pacte de paix. Mais aujourd'hui, les clans n'y sont pas encore prêts, je souhaite que la guerre n'arrive pas de sitôt, que la génération qui l'affrontera sera prête à tirer un trait sur le passé. Nous ne pouvons le changer mais nous pouvons en tirer des réponses.

Ce monde est un havre de paix, un lieu que nul humain n'a encore sali par son esprit. Et pourtant, il en possède les marques. Pour moi, la guerre est l'apanage des Hommes. Si nous pensons être plus intelligents qu'eux, nous devrions arrêter de nous battre!"

Wild Light avait crié, elle avait laissé ses émotions s'emparer d'elle. Jamais elle n'accepterait la guerre comme seule issue. Il en existait toujours une autre, mais elle pouvait être cachée aux yeux de ceux qui se laissaient emporter par leurs émotions.

Edelweiss hocha la tête:

"Tes paroles recèlent un fond de vérité, cependant tu négliges un aspect non négligeable des choses. Un pacte, ancien et indéfectible, nous lie aux chevaux de Glace et il ne s'agit pas seulement d'un de ces accords oraux que signent les chevaux entre eux, mais d'un arrangement aussi puissant que celui qui lie le cheval et l'animal-lié. Etant les alliés, dès notre naissance, des chevaux de Glace, nous faisons en sorte que nos jeunes grandissent à leurs côtés et que les chevaux de Glace apprennent à connaître les chatons du Clan. Ceci crée déjà un lien privilégié entre eux et nous, et rend inconfortables les alliances avec des chevaux de Clans ennemis, comme j'ai pu le constater.
D'autre part, nous demeurons des prédateurs, avec des besoins et des appétits de grands fauves...où trouver des créatures assez massives pour nous nourrir sur les terres du Sud? Les risques d'accidents seraient grands...tandis que sur les terres de Glace, nous pouvons nous nourrir d'orques et vivre en Clan. Nous restons souvent proches de notre Clan de naissance, même liés, plus encore que les loups. Et ainsi, nous sommes là encore plus à l'aise en nous liant avec des chevaux du Nord.
Si une guerre éclate, je ne me battrai pas. Ou, plus précisément, cela dépend de l'affrontement...les léopards géants évitent souvent de se mêler aux conflits, mais si jamais le Clan de Glace est réellement menacé, le pacte conclu il y a des siècles m'oblige à le soutenir, indépendamment de tout autre lien : la magie qui m'unit à Liberty n'est pas aussi forte que celle qui m'attache aux chevaux de Glace, et qui les attache à nous...cependant, hors ce cas extrême, je me tiens à l'écart pour éviter ce type de conflit de loyauté. La seule exception à cette règle, je la fais quand un de mes proches, un membre de ma famille ou Liberty est menacé, auquel cas je le défends."

La panthère soupira au souvenir de certains vieux conflits de loyauté, et n'ajouta rien. Elle avait appris à composer avec son rôle de lieutenant du Clan des Léopards et celui de Liberty, mais sa tâche se trouvait facilitée depuis que la jument blanche n'était plus reine des Etoiles: elle aussi pouvait faire le choix de s'écarter des combats, soulageant ainsi sa vieille amie. Vieille amie qui frotta sa lourde tête contre l'épaule de Liberty en ronronnant, puisque sa position allongée en Sphinx lui permettait d'atteindre jusqu'à la base de l'encolure de la jument.
La jument blanche, quant à elle, écouta la fin du discours de Wild Light en couchant les oreilles, dérangée par le volume sonore de la voix de la panthère, puis elle répondit, résistant à la tentation de se laisser elle aussi emporter par ses émotions, avec calme et douceur:

"J'ai pensé cela aussi. Et puis, je me suis rendue compte qu'il n'existait pas tellement d'autres moyens d'orienter, parfois, l'évolution des choses dans le sens qui convient...Les idées des chevaux du Nord sont trop opposées de celles des chevaux du Sud, les chevaux de l'Ombre défendent une indépendance farouche, fondée sur la force de chacun et la capacité de chacun à se défendre tout seul. Ils oublient tous les faibles, tous ceux qui ne peuvent pas se débrouiller, et qui n'ont pas de puissant protecteur...on pourrait résumer leur point de vue par: "savoir se battre, ou mourir". Les chevaux du Sud, Clan du Soleil ou des Etoiles, préfèrent un système de Clan, de véritables tribus où règnerait une certaine entraide, ou chacun n'aurait rien à redouter de son voisin. Mais de telles tribus ont besoin d'un chef, et de l'obéissance de leurs membres...
Ces vues sont diamétralement opposées. Et si nous cessons de nous battre contre les chevaux du Nord, ils disloqueront les troupeaux en vertu de leur propre idée du futur, tandis qu'en ce qui nous concerne, choisir ce modèle de tribus impose aussi de mettre à genoux les chefs du Nord et de bannir, ou de soumettre, leurs sujets.
La discussion fut tentée. Elle a toujours dégénéré en bataille rangée. Et les chevaux du Nord apprennent l'amour du combat avec le lait de leur mère."

Écoutant tranquillement Edelweiss et ses arguments, Wild Light réfléchissait, oui, cela se tenait. Les points de vue des clans étaient opposés et il y avait peu de chances pour que certains se plient aux idées des autres. Peut-être qu'une guerre changerait les choses. La panthère noire hésitait. Depuis longtemps déjà elle n'avait rencontré une personne capable de contrer tous ses arguments. De plus, elle se sentait coupable. Ne pensait-elle pas que la véritable issue était cachée à ceux que les émotions emportaient? Et pourtant, malgré cette idée elle s'était laissée emportée par ses propres émotions. Après cela, avait-elle le droit de juger les autres?

  Le froid pénétrait dans son corps, gelant lentement ses fins muscles. Wild Light se leva et étira délicatement ses muscles ankylosés. Dans ses yeux émeraudes, une lueur d'amusement de se voir ainsi contrer planait. Après s'être rassise, elle reprit la parole d'une voix tranquille:

"Oui, tu as raison Edelweiss, je néglige parfois des détails importants sans m'en rendre compte. Il est vrai que sur les terres du Sud vous auriez du mal à trouver des proies à votre taille. Peut-être la nature a-t-elle voulu que ton espèce ne puissent bien vivre que sur les terres du Nord, là où votre fourrure permet de se protéger du froid des blizzards. Après tout, peut-être ai-je tort d'espérer que plus de chevaux du Sud se lient avec les vôtres. Je devrais y réfléchir de nouveau.

Liberty, toi aussi tu as peut-être raison, si une alliance veut imposer sa manière de voir l'avenir à l'autre, elle est forcée de l'écraser. Du moins tant que les poulains du nord apprennent l'amour du combat dès leur plus jeune âge. Je me trompais sans doute en croyant que la discussion marcherait, elle avait déjà été essayée sans aucun résultats. Peut-être qu'une guerre permettrait de faire basculer des points de vue après tout. Pour ma part, j'ai toujours espéré que la guerre n'ait pas de place ici mais après tout, elle réussira peut-être là où la discussion échoue, mais j'en doute.)

Détendue, Wild Light attendait la réaction de ses interlocutrices face à son revirement de point de vue.

Edelweiss nota l'ankylose de Wild Light mais ne dit rien, décidant que, si l'animal désirait se mouvoir, il saurait le leur dire lui-même. Alors, elle demeura assise et écouta ce discours qui s'approchait presque, à ses oreilles, de celui des éphémères Fidèles. La Nature, comme volonté consciente...c'était un concept surprenant et surtout, nouveau. La panthère fronça le nez:


"Je ne sais pas si la Nature existe et si elle a une volonté propre, mais une chose est sûre: mon territoire de chasse, c'est la neige et l'immensité de la banquise, mes petits apprennent à y chasser, et leur fourrure blanche les handicapera toujours dans les herbes vertes...Nous dominons les terres du Nord, nous y sommes, n'en déplaise aux loups, prédateurs-rois. Pourquoi voudrions-nous venir vivre dans des contrées trop chaudes pour nous, où les proies sont trop petites pour notre appétit, où nous n'apporterions que chaos et désordre?
Peut-être faut-il parfois savoir respecter ce que nous sommes et la place qui nous convient le mieux..."

Liberty écouta Wild Light sans mot dire, surprise, simplement, par ce revirement brutal et presque lunatique de l'animal. Puis, la jument blanche, pesant ses mots, explora cette nouvelle possibilité:


"Je ne sais pas. La guerre, c'est le sang, la mort et souvent, l'appel à la vengeance. Est-ce vraiment une solution? Peut-être, en réalité, que cela crée autant de tensions que cela en libère. Mais malgré tout, je crois que parfois, le choc du combat, tout atroce qu'il soit, demeure salutaire pour assouvir les vieilles haines et calmer les esprits.
C'est finalement, avant tout, un outil de manipulation politique et peut-être même de cohésion des clans..."

Wild Light écouta avec attention les réponses de ses interlocutrices, souriant doucement. Puis elle reprit la parole:

"Je pense que vous avez raison, vos points de vue sur ces sujets sont intéressants et il me faudrait y réfléchir pour trouver les réponses à mes interrogations."

  Après un léger silence, la panthère se leva et, esquissant une légère révérence, déclara:

"Je suis ravie d'avoir pu discuter avec vous aujourd'hui mais il me faut hélas vous quitter si je veux arriver chez les onces avant la chasse. Au revoir donc. J'espère vous revoir un jour."

  Après un nouveau temps de silence, Wild light étira ses muscles. La solitude l'appelait et elle ne pouvait y résister. Aussi, après un léger signe de tête, la panthère noire pivota sur elle-même et reprit sa route, goûtant l'air frais qu'une légère brise lui apportait. Peu à peu, le fauve accéléra, prenant un trot léger et souple, allure qu'elle pouvait conserver durant des heures entières. Certes, elle n'allait pas vite mais pour elle, c'était l'allure la mieux adaptée au moment présent. Si Edelweiss et Liberty voulaient continuer à parler, elles n'auraient aucune difficulté à la rattraper.