All of the Laws I've broken | PV.

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Mépris. Le jour naissait à peine, mais déjà, immobile sur les versants abruptes de la falaise noire, une inconnue dardait son regard farouche sur les terres du crépuscule. L'hiver avait enfin fait son oeuvre, et sur sa robe devenue plus sombre, et sur son coeur devenu comme plus froid. Bliss, encore. La jeune fille de Pépite d'Or et de Black Hole semblait apparaître ponctuellement, comme un refrain entêtant qui ressurgirait parfois, une mélodie presque oubliée mais pas encore. Une mélodie qu'un vieux sorcier aigris entammerait chaque fois que l'on devait mourir. Pourtant, cette dame au sourire résigné semblait différente de ses parents. Jusque là, il n'y avait eu en son coeur ni haine maladive ni rage excessive. Mais aujourd'hui devait changer. Si Shiki et Zanzibar représentaient l'avenir, le demain de Wild Horses, elle était à l'heure actuelle la seule fille de Shikaku. Pourquoi son sang ne l'appelait pas, pourquoi sa folie ne la faisait pas sombrer ? Parce que jusque là, Bliss avait cru.

Mais aujourd'hui, elle était las, las de penser aux beautés passées de ce monde devenu triste et méprisable. Las de se dire aussi qu'elle ne devait absolument pas faire les mêmes erreurs que ses parents. Ils avaient gâché son enfance, ils lui avaient arraché ce bonheur innocent, ils lui avaient ôté son sourire d'antant. Elle, elle n'avait personne à aimer, à préserver ou à protéger. Mais voilà qu'apparaissait ce monde que l'on était libre de détruire. La tentation était grande. Mais était-ce cela qui l'animait réellement ? Ne cherchait-elle pas plutôt la fierté de son père, ombre noire et lugubre qui avait forcé l'admiration, ombre dans laquelle elle avait grandi ... ?

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Lentement, il marchait, comme revisitant un endroit autrefois aimé et chéri, un endroit qui lui avait amené repos et bonheur. Un endroit qui lui avait porté aussi malheur. Zénith. Vieux roi au visage encore grave, le puissant étalon à l'étrange robe dapple avait entammé l'ascension de la falaise noire de bonne heure, comme désireux de se perdre en son sommet, de se saouler du paysage qu'elle offrait, de la vue sur les terres du crépuscule qu'elle donnait. Mais surprise : ce matin, il n'était pas le seul à épier ces territoires mystérieux et plaintifs. Le guerrier s'immobilisa, en retrait de l'inconnue, alors que ses naseaux s'étaient dilatés, respirant l'odeur indubitablement féminine qui s'émanait de ce corps à l'allure presque mâle. Il ne l'avait jamais vue, aussi, il préféra se taire et rester en retrat, le temps de l'observer. Son odeur portait quelque chose d'âcre, comme du sang séché. Pourtant, elle ne semblait pas être blessée. Alors seulement, l'ancien chef compris. Cette jument à la somptueuse robe baie était une Shikaku. Le dapple poussa un hennissement, sortant alors de l'ombre, se découvrant dans la lumière blafarde de l'aurore naissante. Il se doutait bien que cette étrangère ne le connaissait pas, mais peut-être, qui sait, avait-elle entendu son nom courir dans des discussions. Ici, se souvenait-on seulement de lui, de sa période de règne ? Zanzibar, son fils, son seul enfant, avait d'ailleurs pris la tête de ce clan qui, il fallait bien l'avouer, était sur le point de s'éteindre. Mais, et même si son fils le haïssait aujourd'hui, le bel étalon avait foi en lui. Il pouvait, il devait relever ce clan, fondé autrefois par le propre fils de Black ; Hell Demon. Mais trève de rêves : enfin, il se présentait.

Face à l'élégante dame, il ploya son col épais, alors qu'une voix grave et rauque s'échappait de sa gorge, faisant vibrer ses cordes vocales.

« Dame Shikaku ; je me présente, Zénith. »

Il se redressa ensuite, la fixant de ses grands yeux bruns.

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Méfiance. Si la fille du démon vêtu de nuit était restée immobile, son ouïe, elle, lui avait porté le son de pas sur le roc. L'on approchait. Mais Bliss avait en elle, dans son patrimoine génétique comme dans le sang qui coulait dans ses veines, cette défiance naturelle et arrogante, tout comme son père. Volontairement, elle ne s'était pas retournée, mais avait prêté une oreille attentive. L'inconnu s'était arrêté et l'avait épiée. Peut-être avait-il cherché à lui voler, contre son gré, des informations sur celle qu'elle était ? Mais qu'importe, puisqu'en enfin, il s'était avancé, se dévoilant à elle, lui présentant un corps ... un corps. L'étalon à la somptueuse comme rare robe dapple était modelé de puissance et de charmes, alors que son col était épais, ses muscles, saillants. Il portait sur lui des cicatrices, preuve qu'il était un combattant émérite. Mais qui en aurait douté, aux vues de son assurance et de son physique ? Pour compléter le tableau, sa voix, grave et rauque, ponctué d'accents sourds et profonds, venait de vibrer dans l'air encore frais et emprunt d'humidité. Alors, c'était donc lui, Zénith, compagnon de Gaïa, ancien chef du Crépuscule, et, enfin, père de Zanzibar, le jeune mâle à la robe de feu et aux idées modernes ... C'était donc lui, cette ombre singulière et mystérieuse qui errait sur ces terres qui, un jour, autrefois, avaient été placées sous sa gouverne. C'était donc lui l'exilé. Mais qu'était-il venu faire ici ? Que pensait-il, quels étaient ses desseins ? La curiosité de la jeune jument, de la vieille enfant, avait été piquée, et les yeux qu'elle posa sur lui étaient plein de défis. Sa voix, légère et éthérée, comme mélodieuse, fit écho à celle de Zénith.

❝ Zénith. Alors, si j'en crois les noms qui courent dans les vents, un chef s'est incliné face à moi, Bliss, fille de Black Hole ... ? ❞

Nonchalante, elle ploya un membre, pleine d'arrogance, lui servant une révérence malade, comme pour lui montrer qu'elle se moquait des têtes à couronnes, de ce qu'ils représentaient, eux, les chefs d'un temps passé. Seul ne comptait plus que le présent. Shiki et Zanzibar, en somme ...

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Ainsi, Bliss le défiait ? Sourire, et il acceptait, son regard s'embrasant soudain. Elle était jeune encore, mais déjà, elle semblait habile dans l'art des mots et des gestes. Habile pour tourner les âmes en dérision, certes. Pourtant, à sa duperie, il n'offrit qu'une large grimace amusée. Que croyait-elle donc ? Il avait peut-être un jour été roi, il avait peut-être un jour régné ; mais il avait tiré sa révérence, abandonnant une terre, abandonnant un enfant. Quel genre d'animal était-il, pour abandonner son propre sang ? Sans doute s'était-il rassuré sur le sort du jeune poulain de feu en se disant qu'il n'était pas seul, comme le père se soulage dans les brumes de l'alcool. Pourquoi donc revenir ? Son fils éprouvait à son égard une haine patricide, il tendait toute son intelligence et tout son orgueil contre lui. Mais comment le lui reprocher ? Comment en vouloir à un enfant que l'on a abandonné de nous haïr à présent ? Zanzibar voulait sa mort ? Il l'aurait. Mais là n'était pas le sujet de discussion. Bliss se moquait de la hiérarchie, des règles, du sang, des lignées ... de l'Histoire de cette terre ?

« Dans ce cas, demoiselle, entendez mieux : je ne suis plus chef, je ne suis plus roi. Ils ne se souviennent de moi que comme un usurpateur, que ce soit ici, ou ma famille qui doit être heureuse aujourd'hui de me croire mort. Je suis seul, une ombre errante qui cherche réponse. Mais vous, pourquoi haïssez-vous toutes ces hiérarchies créées bien avant votre naissance ? »

Le bel animal frissonna, alors que sa voix grave avait de nouveau percé l'air frais du matin. Black Hole. Elle était donc la fille de celui qui avait été l'investigateur du coup d'Etat ? Peut-être détestait-elle donc les têtes à couronnes par hérédité ? Cette idée le fit rire, alors qu'il avait encore une fois posé ses yeux sur elle, jument avant toute chose. Depuis longtemps maintenant il n'avait plus croisé présence féminine, ni sur ses chemins ni dans son coeur.

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Il n'était plus chef, il n'était plus roi ... Pourtant, le sang qui coulait dans ses veines portait encore cette race, cette famille et ce nom. S'il avait abdiqué de son trône, s'il avait refusé de saisir encore le pouvoir ; il ne cessait d'être une tête à couronne. De lui, ils avaient bien des choses, notamment qu'il était né pour n'être que second, que c'était son frère, BlackBird, qui avait pris la suite de son père, qui avait mené son clan, ses troupes, à leur perte. Vérité ou mensonge, seule la mémoire du dapple était encore l'objet torturé de ces questions. Il souriait, relevant son défi, sûr de lui, de son aura et de sa prestance. Il ne se trompait pas complètement, et Bliss eut un sourire, pâle sans doute, mais un sourire reste un sourire. Pourquoi haïssait-elle les têtes à couronnes ?

❝ Mon père, pour les abattre, s'est fait criminel. Il a lancé un coup d'Etat et les a faites chuter. Mais alors qu'il perdait ces rois, il se perdait lui, son coeur, son sang ... Ma mère ... Que dis-je, celle qui de lui m'a eue l'a séparé de nous, l'empêchant de nous voir. J'ai grandit avec une ombre à l'odeur âcre qui nous suivait, avec cette présence si douce, chaude et rassurante, mais si lointaine à la fois. Je voulais me jeter contre lui, me presser contre son corps, et partager avec lui toutes ces choses entre un père et son enfant. Mais l'on m'en a privée. Si la haine de certains Shikaku est dite infondée, la mienne est réelle, Zénith. Mais j'ai bien trop parlé. Parlez-moi de vous, que je puisse me faire une idée ... réelle ? de celui que vous êtes. ❞

Sa voix s'était brisée, alors qu'elle repensait une énième fois à son enfance sur ces terres. Bliss, depuis qu'elle était revenue de son apprentissage, tournait en rond, rappelant à elle ses souvenirs, alors qu'elle n'avait personne encore à qui parler, à qui dire. Elle tournait folle, alors qu'elle portait en son coeur une foi sincère, et pour le groupe qui dépendait désormais d'elle, et pour une de ces têtes couronnés, justement ...

Elle tourna sa tête vers lui, alors que son regard était humide. Lui. Pourquoi était-il là ? Pourquoi parlait-elle avec lui, alors qu'il avait également détruit l'enfance de son fils ?

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Elle la détestait. Et la façon dont elle en parlé lui faisait froid dans le dos. Elle ne l’appelait même plus sa mère. Zanzibar, était-il si dur et cruel à son égard ? Sans doute, oui. Il l’était même plus : il lui avait bien fait comprendre que s’il le croisait encore une fois sur ses terres, il le tuerait, sans se poser de question. L’étalon dapple ferma les yeux. Il s’en voulait, terriblement même, mais il lui semblait que jamais son fils, son enfant unique, ne pourrait lui pardonner ses fautes. Mais avait-il manqué de quelque chose ?! Non, il était resté sur les terres fertiles de Wild Horses, sans n’être jamais inquiété de rien. Et Bliss, avait-elle connu la privation ? Non, sans doute que non. A mesure que l’élégante parlait, pourtant, sa voix se brisait, lui faisant mal à lui, celui que l’on pensait aujourd’hui sans cœur. Ils avaient tort, ils ne savaient rien, ni de lui, ni de sa famille. Ils ne savaient quelles avaient été ses obligations. Il était désormais le seul à le savoir, lui qui avait perdu la belle et douce Gaïa. Il s’en voulait encore, et ce n’était que pour cette unique raison qu’il était revenu. Pour l’apprendre à son fils, à son sang, à sa chair, à son petit. Zénith avait craint la perdre une fois, et avec bonheur, il avait pu se presser à nouveau contre elle. Mais cette fois, il était certains que plus personne ne la reverrait jamais. Pourquoi le sort s’était-il acharné sur eux ? Un Maudit, voila ce qu’il était ! Jamais, jamais la vie n’avait été clémente avec lui, et il continuait aujourd’hui d’en payer le prix.

« Je suis désolé pour vous, Bliss. Mais pensez-vous réellement que votre mère est coupable ? Pensez-vous sincèrement qu’elle est la seule à mériter vos blâmes. De moi, je ne saurai quoi dire … Sauf peut-être que j’ai moi aussi abandonner mon enfant, forçant sa mère à me suivre. Mon geste n’a jamais été compris, et sans doute ne le sera-t-il jamais. Qu’importe : regardez le rang qu’il occupe aujourd’hui. Qu’il me haïsse ou m’aime, il reste mon fils, ma fierté, mon tout. Et ça, personne ne pourra me l’enlever, jamais. »

Son cœur, dans son profond poitrail, s’était serré, et il ressentait comme une douleur sourde. Il venait de lui dire bien des choses, et il se rendait compte que, malgré la douleur de ces souvenirs, il était comme allégé d’un poids certains. Il eut, à cette pensée, comme un maigre sourire, alors qu’il reprenait, soudain plus sûr de lui.

« Êtes-vous seule, Bliss, pour porter toute cette haine sur vos épaules et dans votre cœur ? »

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La jeune jument observait à présent le silence, cherchant à se calmer. Son coeur s'était mis à battre plus vite, alors que ses doutes l'assaillaient à nouveau. La voix grave de Zénith perça enfin le silence, et elle s'apaisa, comme bordée par les accents profonds du mâle. Comment osait-il se permettre de la questionner sur les torts de sa mère ? Bien sûr que Pépite était à blâmer, bien sûr qu'elle était responsable ! Bien sûr ? Etait-il possible que, depuis quatre ans, Bliss n'ait eu de cesse de se tromper ? Pourquoi innocentait-elle toujours son père ? Peut-être parce que de lui, elle n'avait rien eu. Et pourtant, qu'elle l'avait cherché, lui et ses histoires, lui et son passé ! Du vent, toujours et seulement du vent. Parfois, alors qu'elle était pouliche, il lui avait semblé apercevoir une haute silhouette sombre sur ses pas. Elle se précipitait alors, mais ne trouvait toujours que du vide. Du vide imprégné pourtant d'une odeur aussi insistante qu'enivrante. Alors, dans ces heures de course, son coeur battait plus vite, et elle était sûre que c'était son père qui respectait les commandements de sa mère. Black Hole, n'était-il pas à blâmer ? Pourquoi n'était-il pas sorti de l'ombre ? Pourquoi n'avait-il pas trompé les ordres de Pépite d'Or ? Peut-être qu'au fond, il se moquait d'eux. Parce que Bliss, en effet, n'avait pas été seule dans cette histoire. Il y avait eu Thief of Dreams, son frère jumeau si fragile, son frère jumeau que sa mère aimait tant. Elle, sans son père pour apprécier sa force brute, sa témérité et son air de tête-brûlée, elle avait été comme mal-aimée. Il fallait veilleur sur thief, faire attention, le ménager ... ce qu'elle avait fait par amour pour lui, ce frère qu'elle adorait. Mais sa mère n'avait vu que la fragilité apparente du jeune pie. Bliss était forte, Bliss était un mini-Hole. Alors, à quoi bon semer le vent ? Elle n'avait pas souhaité récolter la tempête. Elle s'était trompée. En la laissant seule, elle l'avait nourrie de rancoeurs. Le monstre que la somptueuse jument baie serait sans doute ne serait que le fruit des desseins de la jument cremello.

❝ Je vous en ai déjà trop dit, me semble-t-il. Je crois que vous ne vous rendez pas bien compte, Zénith, de vos actes. Vous avez abandonné votre propre sang ! Pourquoi ? Zanzibar, le méritait-il ? Il a grandit sans son père ni sa mère. Savez-vous ce que cela fait ? Non, bien sûr que non vous n'en savez rien ! Vous, vous avez été élevé par vos deux parents ! Mais lui ... le soir, il se retrouvait seul dans le tourment de la nuit, seul dans le froid et seul contre ses cauchemars ... Pourquoi revenir ici, après le mal que vous avez fait ? ❞

Bliss s'était emportée malgré elle, et ses paroles étaient empruntes de colère. Elle ne parvenait à comprendre comment un père pouvait faire ce genre d'erreurs. Mais l'étalon dapple, habile, changeait de sujet. Il ne pouvait le savoir, mais ce n'était pas non plus de bons souvenirs pour la baie.

❝ Seule, depuis mes premiers jours. J'ai bien sûr aimé. Mais j'ai aimé quelqu'un de trop fort, de trop haut pour moi. Et me voilà de nouveau seule, à l'aimer, lui, son souvenir, son ombre ; alors qu'il ne pense sans doute même pas à moi ... ❞