Savages [PV.]

Savages.

L'élégante Lusitania était encore une fois en vadrouille. Ses longs crins fins et éparses volaient doucement au vent. Son port était royal sans qu'il fut hautain. Elle présentait magnifiquement bien, sans chercher à se pavaner comme certaines pouliches. Non, elle se contentait de sa musculature fine et pourtant bien présente sous sa robe inégale, luisante et unique à la fois. Son chanfrein, légèrement creux, était habillé de crème et de rose et cette tête superbe, aux naseaux ouverts tandis qu'elle humait l'air, était portée par une encolure à l'arc léger et aux muscles courts et attachés avec délicatesse sur une épaule parfaitement dessinée. Elle manquait peut-être de profondeur aux idéaux de certains, mais elle n'était pas faite pour l'étendue du galop de fond. Non, ses membres, fins et secs, courts et forts, aux muscles dessinés avec subtilité, étaient faits pour la pousser vers l'avant à une vitesse fulgurante sur une distance bien plus courte. C'était une sprinteuse, capable de prouesses physiques sur la courte distance. Elle était taillée pour pouvoir se défendre honorablement au combat; mais elle n'était pas une guerrière. Non, la sublime pie était une diplomate acharnée.

Que faisait-elle là, par ce vent qui, parfois, l'ébranlait complètement? Elle observait, ne vous en déplaise. Elle se posait nombre de questions. Et son statut de lieutenante du Soleil y était totalement étranger, ne vous en déplaise. Non, elle se souciait pour ses proches. Sun Star avait été secoué de la perte de ses fils. Renji recommençait à souffrir et elle avait peur que ce ne fut plus qu'il ne put endurer. Il y avait aussi l'énigmatique Black Hole, entré sans qu'elle n'ait bien compris pourquoi dans sa vie, en temps qu'ami, en tant qu'appui. Alors elle était seule, la tête dressée, le regard vagabond, et elle songeait. Un bruit, derrière elle, la fit frémir imperceptiblement et elle tourna la tête, l'air farouche, les muscles bandés.

Les clés du Paradis sont ici sur mes Terres ♥

Jour ou nuit, quelle importance? Ces derniers temps, l'Animal se confondait en prédateur. Qu'il pleuve, neige ou vente, la Bête allait, ses muscles saillants roulant sous le satin de sa peau noire. Il était à la fois puissance, vélocité et beauté. Comment décrire, avec les mots justes et brefs, un tel être? Parfois, il n'était que démon, à d'autres moments, il se confondait en une âme charmante et douce, apte à comprendre toutes les douleurs. Où était la limite? Il jouait, sans cesse, sur cet étrange fil, mince, fragile, muable, qui menaçait de lâcher sous le poids de ses péchés, l'abandonnant alors à l'abîme. Pourtant, il aimait ces pas endiablés, ces pas fous qui, un jour, le perdraient. Ce qui allait le tuer était aussi ce qui le faisait vivre. Paradoxe? Affliction. Une simple association, futile et si vulnérable, mais aussi véritable. Eux, les autres, se voulaient bons, justes, loyaux et honorables. Mais une des forces de cet étrange magicien, était qu'il avait conscience de la noirceur de son âme. Shikaku, Shikaku... Il ne cessait de se répéter ce mot. Y puisait-il sa force? Sa puissance, sa rage, sa colère et sa haine? Quel lien pouvait-il exister entre un simple mot et un être doué de conscience? Souvent, le guerrier se prenait à réponde: Ce n'est pas un lien, c'est tout un monde. De ce statut, il savait en parler, il savait l'expliquer, et peut-être même arrivait-il à le rendre légitime. Chacune de ses foulées lui apportait une nouvelle question. Interrogation à laquelle il lui était maintenant simple de répondre. Après tout, la vie l'avait suffisamment servi. Aujourd'hui, il était sur cette rive. Il avait déjà passé le premier grillage, et peut-être que la mer de plomb n'était plus très loin. Pourtant, il ne semblait pas fatiguer, bien au contraire.

C'était un ouragan, un cyclone de puissance. Black Hole galopait à une extraordinaire vitesse, ses membres secs et fins battant le sol à s'en briser. D'un moment à l'autre, il pouvait trébucher, se rompre la nuque. Mais il semblait ne pas en avoir conscience, et il continuait sa folle avancée, comme s'il courait pour la victoire. Pourtant, il n'y avait pas d'adversaire, pas de rival ou d'ami. En le regardant, il était aisé de voir en lui couler les forces et les vigueurs de la jeunesse. Etait-il immortel? Dès qu'il touchait le fond, il remontait plus haut, avec toujours plus de splendeur et de force. La première fois qu'il avait couru les terres du Soleil, il ignorait tout de cet endroit, et il cherchait seulement un adversaire apte à le briser, à le torde, à le ployer. Mais chaque coup mortel qu'il recevait le rendait plus fort et vigoureux, plus amer, acerbe et prêt. Prêt à quoi? Le Monde avait arrêté de tourner, et tous les clans retenaient leur respiration. Quelle guerre Zanzibar allait-il amener?

«Moi, je suis libre.»

Il avait finalement fini sa course, s'approchant dans un trot relevé, glorieux et royal de la jument pie. Il l'avait reconnue rien qu'à son odeur, douce et chaude, baume pour les coeurs déchirés. Il repassa finalement au pas, pour s'arrêter à la même hauteur qu'elle, posant son regard de Ténèbre sur l'horizon. Son corps musculeux frôlait celui plus fin de la belle jument. Un instant, Black Hole se transforma en penseur, alors que le vent jouant dans ses crins les faisait courir vers ses joues soyeuses, dont l'une d'elle portait aujourd'hui une large cicatrice. A cette idée, un sourire imperceptible dessina ses lèvres, et l'image fière et forte de Shiki lui traversa l'esprit. Mon Petit Prince, je pense à toi, sais-tu? Je suis convaincu que tes choix seront les bons.

Savages.

Cette odeur chaude et musquée, elle la connaissait. Ce rythme de trot, elle le connaissait. Et cette silhouette noire qui vint la frôler, elle la connaissait. Quelques temps auparavant, ses muscles auraient frémis, elle aurait bondi, elle se serait défendue devant ce qu'il était. Mais aujourd'hui, elle se contenta de soupirer calmement. Il lui avait fait peur, au premier abord, ce jour encore. Mais la divine pie était maintenant rassurée de savoir qui s'était approché si vite d'elle. Elle le détailla, doucement, sans se cacher. Cette large cicatrice, de qui pouvait-il bien la tenir? Elle le savait guerrier, elle savait qu'il mourrait libre de ses actes dans un duel enflammé. Mais ce savoir, c'était comme une peu qui la consumait. Elle était Soleil, et elle ne trahirait jamais sa patrie, mais elle connaissait la peur à l'idée du destin du beau noir.

Affectueusement, elle colla son chanfrein fin contre l'encolure massive du Shikaku. Elle s'autorisa un instant à clore les yeux. Ses tracas s'apaisèrent rapidement. L'odeur de Black Hole surpassait tout. Et si cette fragrance dure qu'était celle de son groupe était encore difficile à supporter, Lusitania savait, au plus profond de cette jument de principe qu'elle était, qu'elle ne s'y habituerait jamais, mais que, pour le Frère de Cœur de Renji, elle passerait au-dessus assez vite. Elle appréciait réellement le Démon vêtu de Nuit. Il était un cheval, certes fou, certes fourbe, mais au-delà de cela intègre et loyal, quelqu'un sur qui l'on pouvait véritablement compter. La pie rompit pour le contact.

« Quel vent t'amène ici, Shikaku? »

La voix était ferme mais douce, comme toujours, accompagné d'une courte révérence. Ici, elle parlait comme la lieutenante d'un clan surprenant ce qui s'approchait le plus d'un ennemi sur ses terres. Mais son regard riait pour elle tandis qu'elle fixait le noir. Elle se chargeait des formalités. Après tout, elle était là pour le simple plaisir, Black Hole peut-être pas. Mais elle était tout de même heureuse de le voir. Elle espérait bien qu'il ne soit là que pour profiter des instants de la vie. Après tout, une conversation entre amis était toujours plus agréable qu'une conversation entre une lieutenante et un intrus. Elle était plus à même d'être l'amie. Car il l'était, oui, malgré tout, malgré son statut, malgré son rang, malgré son appartenance. Elle était passée au dessus.

Les clés du Paradis sont ici sur mes Terres ♥

Un vieux singe avec de nouvelles grimaces
Un étrange sourire peignait le visage grave de l'étalon noir, alors qu'il fixait encore l'horizon, comme désireux de s'y crever les yeux. Black Hole avait conscience du fléau qu'il représentait, et il savait aussi que si Lusitania l'acceptait sur les terres du Soleil, c'était en grande partie parce qu'il était le Frère de Coeur de Renji. Renji, mon Frère, mon Petit Frère chéri, comment vas-tu? Pourtant, lors de leur rencontre, il avait senti autre chose, quelque chose de fort, d'insidieux et peut-être même quelque chose de pervers. Mais la jument pie avait rapidement rompu le contact, alors qu'ils s'étaient adonnés à des frôlements hésitants mais fiévreux, parfois à la limite de la violence. Le Shikaku n'y avait plus vraiment repensé, alors que l'image de Shiki ne le quittait plus. S'il pensait aux siens, à sa grande famille d'amis, à son sang; celui d'Odyssée prenait désormais une grande place en lui. Shiki, le petit Shiki devenu si vite grand et fort, devenu si vite digne de son nom, de son rang et des siens. Oh, comme le temps courait vite! Comme il allait, ne s'arrêtant jamais, ne ralentissant pas! Et bientôt, ils seraient vieux, ils seraient la mémoire de ces lieux, le passé, l'Histoire. Quand son apprenti talentueux se lèverait, qu'il se déciderait à prendre son Matin, le Soir de l'étalon de nuit sonnerait alors.

La bête sauvage laissa la belle poser son chanfrein contre lui, alors que sa peau trassaillait. C'était un étrange sourire que celui qui tordait à présent ses lèvres. Il semblait dire: je sais, je sais tout le bien et le mal que l'on se fait. Nous sommes biens, collés ainsi l'un contre l'autre, le Monde semble moins lourd à porter; et pourtant, sur les champs de bataille, nous serons les pires ennemis. Il savait. Il savait, mais il semblait ne pas avoir peur de se brûler les ailes, de se briser contre ces sentiments étranges, traîtres et assassins. Il voulait vivre cette union, l'explorer, la visiter, et l'affronter. Black Hole était désireux de connaître l'issue de ce bel ouvrage.

Un rire bas et rauque s'échappa de la gorge de Black Hole, alors que Lusitania l'interrogeait. Allait-il encore une fois, lui l'Animal si grave et si sérieux, se laisser prendre au jeu? Pourquoi pas.

«Peut-être est-ce l'insolent vent de la liberté qui a poussé mon infortuné pied jusqu'en ces lieux? Peut-être est-ce un insctinct de prédateur qui a animé mon coeur et aiguisé mes sens? Peut-être est-ce l'ami qui vient prendre du bon temps loin du Monde et des autres? Le savez-vous, vous, Lieutenante, ce que le Shikaku que je suis est venu chercher?»

Savages.

L'entente fut compliquée, aux premiers moments, mais cette rencontre marquerait pour longtemps la jument qui avait failli se briser sur des sensations nouvelles. Avec l'étalon noir, tout était plus puissant, tout n'était que rage consumant tout, même si la douceur s'y mêlait parfois. Lusitania avait laissé ces sentiments trop forts se mêler et s'opposer, elle avait, fougueuse et rapide, accepté des contacts qui brisaient pour l'éternité tout entière. Mais le dessein du Shikaku n'avait jamais été de la briser, de la pousser à brûler ses ailes. Et elle l'avait apprécié, en plus de son amitié avec Renji, à ce propos. Renji, fameux Renji. Il se brisait petit à petit, et si son esprit était redevenu vif, s'il ne se laissait plus aller, son corps, lui, connaissait l'inexorable déclin qui précède le néant. Mais il s'accrochait, voilà où était le plaisir de l'extraordinaire pie.

Et Black Hole se prit au jeu, simplement, après un rire rauque. La jument se contenta de le pousser avec amusement du bout des naseaux. Ce jeu, elle le savait piégeux, puisqu'ils s'étaient abîmés en réflexions à leur première entrevue et que tout s'était embrouillé, était devenu compliqué. La pie n'était pourtant pas contre un peu de jeu de langue, puisqu'elle savait tenir cela à la perfection. C'était son domaine de prédilection. Elle était née pour se battre par les mots. Elle répondit néanmoins, le timbre beaucoup plus clair et doux:

« J'ose espérer que tu es là en temps qu'ami. C'est bien plus simple ainsi. »

Son regard noisette pâle riait pour elle, tandis qu'un fin sourire illuminait ses traits doux. Elle était contente que le Démon vêtu de Nuit compte dans ses amis plus que dans ses ennemis. Elle sentait la puissance brute à travers le plus imperceptible de ses mouvements. Elle le savait, oui, d'intelligence, qu'il lui aurait suffi d'un coup fourbe pour la réduire à jamais au silence, pour offrir son corps à blanchir au soleil, pour offrir ses chairs en repas aux corbeaux. Mais elle lui faisait confiance, oui. Elle savait que si, un jour, leurs chemins se croisaient sur les champs de bataille, ils s'éviteraient, s'en prendraient à d'autres, car ils ne sauraient se battre, se faire face.

« Comment te portes-tu? »

Les clés du Paradis sont ici sur mes Terres ♥

La respiration de l'étalon noir était calme, et son profond poitrail se soulevait avec régularité. Les démons de Black Hole, à première vue, semblaient s'être apaisés, et il aurait été facile de penser l'animal serein. Pourtant, il n'en était rien. Seul son regard pouvait trahir son apparente quiétude, et de quelle façon il la démentait! Toujours cette même flamme, immortelle, de plus en plus belle et forte, aussi. Etait-ce son subconscient qui animait ainsi son regard? La folie, le rongeait-elle de l'intérieur? Qui, qui pouvait encore se risquer à parler des sentiments du grand noir? N'était-il qu'un mensonge? Se jouait-il de tous? Oh vieux singe, quelque chose me dit qu'une d'elle détient la vérité... Un instant, l'animal de ténèbres ferma les yeux, levant le nez en l'air, et aspirant l'odeur fraîche, douce et nostalgique que lui apportait le vent. Il avait tourné une oreille vers la lieutenante du Soleil, et il écoutait ses mots, il cherchait en lui le reste de frisson et d'incertitude qui l'avait fait trembler lors de leur première rencontre.

Lusitania semblait prête à jour une nouvelle fois, se battant avec des mots qui, au premier sens du terme, pouvaient sembler anodins et vides. Pourtant, Black Hole, lui, était sensible à cette musique, et c'était sans crainte qu'il s'y aventurait. Sans ses coups puissants, peut-être aurions-nous pu croire qu'il aurait été perdu, mais il en n'était rien. Le Chasseur de Grande Endurance maintenait son cap, et rien ne le ferait dévier de sa trajectoire. Tourner, vriller, décrocher et repartir. Une autre danse, un autre combat, une autre âme, aussi. Il tourna alors son profil royal vers la jolie pie, et presque acerbe, il sauta sur l'occasion, saisissant la perche que Lusitania venait de lui tendre.

«C'est plus simple, alors? Et si je ne voulais de cette facilité, de ce masque, de ce déguisement, de ce mensonge? Lieutenante, m'empêcheriez-vous d'être plus que cet ami? M'empêcheriez-vous de rendre les choses plus compliquées pour qu'elles ne soient que plus belles et vraies? Avez-vous peur de la vérité qui se cache derrière mon masque d' "ami"?»

Si son ton avait été presque mordant, son attitude demeurait amicale. Mais pouvions-nous dire qu'il riait? N'usait-il en fait pas d'un subtil subterfuge pour aborder un sujet ... épineux? Son corps s'anima, et il fit un quart de tour, regardant à présent Lusitania droit dans les yeux.

«Physiquement, je dirai que je suis au mieux de ma forme, je n'ai presque jamais été si bien! Après, j'ai pris de nouvelles responsabilités auprès du fabuleux Petit Prince tu sais! Et toi Lusitania, comment vas-tu?»

Savages.

Black Hole pouvait facilement être un calvaire pour la jument lorsqu'il se mettait à jouer des mots, car il y avait tant de sens et d'interprétations que la douce avait du mal à tout suivre, par moments. Mais ces moments étaient aussi important pour elle puisqu'elle pouvait parler à cœur ouvert, se dévoiler. Elle pouvait simplement passer du bon temps avec un ami, et elle en était passablement contente. Ces moments étaient le feu et la glace pour elle, mais elle les appréciait par la seule présence de l'étalon noir. Il lui permettait de sortir de son habituelle apparence de douceur et de fermeté, d'intelligence pure et de jument sur laquelle on pouvait compter. Elle était cette jument, mais elle pouvait en être une autre, habile de ses mots, joueuse de son corps et tellement piégeuse. Parfois, aux côtés de Hole, elle se permettait d'exister autrement, sans se trahir. Mais elle aurait préféré choisir la facilité et la transparence. Dois-je vous dire que c'était impossible? Chaque mot avait deux sens au moins. Les paroles étaient soigneusement pesées.

« On ne peut emprisonner l'esprit sauvage dans les marques des esprits déjà domestiqués, et je ne saurais forcer ton choix, Guerrier. Même en choisissant la facilité, le fond s'avère compliqué et les choses ne sont jamais ce qu'elle devraient être. Alors fais, choisis. Montre-moi ce que tu veux me montrer, garde ou tombe le masque, mais choisis seul, choisis selon tes convictions. »

Son regard était incroyablement clair. Elle devait avouer qu'elle brûlait de connaître le fond de la pensée du Shikaku, mais que cette idée la glaçait aussi. Savait-il lui-même ce qu'il était? Saurait-elle comment agir? C'était tantôt une crainte, tantôt un désir que de savoir et la belle Lusitania, à l'accoutumée si sûre d'elle, si décidée, si franche et si déterminée, venait à douter, chose qui ne lui arrivait que peu souvent. Mais pour le Démon vêtu de Nuit, les doutes n'étaient que poussières. Si elle ne l'avait guère connu, à son ton, elle aurait été piquée, elle aurait encensé, renâclé, reculé certainement. Elle ne pouvait pas être sûre d'un cheval pareil. Mais elle le connaissait, lui faisait confiance, et une moue ironique étirait ses traits tandis qu'elle le regardait.
Je te connais assez pour ne plus te craindre.
Leurs regards se croisèrent, rapidement, et la jument retint un frémissement le long de sa colonne. Il soutint néanmoins le regard abyssal et brûlant de l'étalon avec son regard noisette, clair, doux, luisant. Elle eut un petit sourire doux, presque désabusé. Physiquement, oui, il allait bien, elle le voyait. Mais comment allait son âme torturée, perdue dans les méandres de sa folie?

« Je vais, à vrai dire, plutôt bien. Le temps passe toujours au même rythme, l'hiver arrive, le Clan prospère, j'ai l'impression que le monde s'écroulerait si Sun Star et moi ne tenions pas tête aux évènements. Le choix du Crépuscule nous donne matière à réflexion, car, d'une manière ou d'une autre, il nous implique. C'est beaucoup de tracas, mais je tiens le cap.
Méfie-toi du sang de Shiki. Il coule en lui l'essence même du futur Thar, et il serait mal avisé de ta part de te mettre Stelmaria ou Nathanaël à dos. »

Son regard avait pris un soupçon d'intelligence farouche, comme un masque devant ses prunelles claires. Parfois, il lui arrivait d'être plus sérieuse, plus déterminée. Et dans ces cas-là, elle était sûre d'elle, comme un guerrier parti se battre pour une bonne cause.

Les clés du Paradis sont ici sur mes Terres ♥

Des mots, des gestes... Des suggestions qui passaient également par les regards, les frissons et les pas. Ce langage, Black Hole ne le connaissait que trop. Dans un monde où tout un chacun rêvait d'être le plus téméraire en déclamant de fausses vérités scandaleuses, seule cette langue avait encore lieu d'être. Mais qui pouvait se targuer d'en connaître tous les moindres détails, toutes les nuances et déclinaisons? Si le Shikaku la comprenait en partie, certaines règles restaient cependant obscures et confuses. Et c'était dans cette ombre qu'il fallait aujourd'hui se battre, c'était dans cet autre monde qu'il fallait terrasser ses adversaires, les ployer à une toute autre force, antique mais nouvelle, tant elle était complexe et innovante. Elle avait en effet la fabuleuse capacité de s'adapter aux Âges, et à chaque nouvelle génération, elle renaissait, avec plus de mystères et de folies encore. Mais aujourd'hui, l'entier noir avait trouvé un adversaire à sa taille. Lusitania. Vive et intelligente, elle répondait rapidement, avec des mots justes aux sens nombreux et complexes. Le piège était de tout prendre au premier degré, au risque de se fermer des horizons. Mais une fois qu'un autre sens était trouvé, la suite des définitions tombait en avalanches copieuses. Il fallait doser subtilement la chose, entrabâiller au centimètre près la porte, capter différentes idées et être capable de la refermer avant d'être emporté par la surabondance informative. Les règles, ils les savaient; les façons de faire, ils les connaissaient. Pourtant, ils étaient francs l'un envers l'autre, ce qui, quelque part, les condamnait à passer dans certains chemins, chemins piégeux qui les mèneraient peut-être à leur perte. Black Hole avait pleinement conscience de la délicate position dans laquelle il avait mis la Lieutenante, mais, comme elle retournait bien la situation, il continua, jouant et tirant sur le fil.

«Alors, je suis libre? Vous me donnez donc, Lieutenante, le pouvoir de faire sur votre vie ou le jour ou la nuit? Vous m'autorisez à me jouer de vous, sans marquer de protestaion aucune? C'est donc à ce jeu là que vous voulez jouez?»

Il n'avait plus peur de se brûler les ailes, il n'avait plus peur de souffrir. Toutes ces choses lui importaient peu, ce qu'il voulait à présent n'était pas à la portée de tout le monde, et ces donc ne s'offraient qu'à ceux qui s'en donnaient la peine. S'il y avait déjà goûté maintes fois, il était désireux de ne vivre plus que de sensations pleines et entières, de moments brûlants et intenses, au risque de chuter et chuter sans cesse pour se briser les os contre un abîme démonté. Mais pourtant, quand il voyait ses amis qu'il considérait comme sa famille, il était conscient que ce choix ne lui appartenait pas en entier. Il n'avait pas le droit de briser l'autre pour vivre son euphorie et ses moments de grâce. Et qui voulait tenter l'avanture, avec la quasi-certitude qu'il allait se faire briser et dévorer par le feu trop grand de l'étalon noir à l'étoile blanche?

«Zanzibar, encore... Il fait beaucoup parler de lui ces derniers temps. Normal, me diras-tu, puisque de lui dépend la prochaine bataille. Le Soleil, a-t-il besoin d'un allié, ou pourrait-il se permettre d'aller au front avec son soutien de toujours, les Etoiles? Le Crépuscule, fera-t-il vraiment pencher la balance en cas de guerre? En tout cas, Lusitania, si les hostilités éclatent, si les clans se déchirent, sois sûre que je serai là, au coeur de la bataille. Je me batterai sans doute d'un côté comme de l'autre. Mais sois certaine que si l'on te menace, que si tu vois la fin arriver à grands pas vers toi, sois assurée que je ne serai non loin, prêt à te défendre, toi, ton nom, ton rang et ton clan. Pourtant, je ne pourrai esquiver tous les combats, aussi, et je sais que tu le sais, si j'arrivais à devoir me battre contre un de tes guerriers, je n'hésiterai pas une seule seconde. Pour le Soleil, Renji, Sun Star et toi n'auriez rien à craindre de ma part, et vous pourrez même me compter comme appui.
Je sais Lusitania, je sais devant qui je vais danser à présent. Mais Shiki est bien différent de tous les autres. Il a la jeunesse en lui, l'intelligence et l'expérience de ses aïeux. Il a connaissance des lourdes fautes du passé, et il ne les comettra pas une nouvelle fois. Avec sa naissance, une nouvelle politique s'esquisse. Et puis, je le connais depuis qu'il est petit. Je l'avais croisé un soir, et voilà qu'il me demande d'être son Maître. J'ai confiance en lui. Et, à sa décharge, il a un peu de sang de Liberty en lui.»

Le guerrier qui se bat pour la bonne cause, est-il plus sûr de lui que celui qui se bat en sachant pertinamment qu'il a tort? S'il se bat pour la cause qu'il pense juste et bonne, il a un poids suplémentaire sur les épaules: il se doit de gagner. Celui qui part en ayant tort n'a rien à perdre, puisqu'il se base sur le mensonge. Il est alors libre de s'autoriser toutes les folies, et sa rage peut prendre le contrôle, aussi, il peut être amené à être le plus fort. La justice n'existe pas, et quand tout disparaîtra, il ne restera plus que l'Ombre et ses armées de Fous.

Savages.

Une fois de plus, le verbe devenait épineux à entretenir entre les deux chevaux, puisqu'au jeu des sens, l'un comme l'autre était habile, mais il était aisé de se perdre pour un mot pris pour un autre. Il leur aurait peu fallu pour se perdre entre leurs interprétations. Et pourtant, Lusitania était confiante, son regard clair ne lâchant plus Black Hole. Elle le détaillait, sans se cacher. Entre eux, la franchise était de mise puisqu'ils jouaient le même jeu et cherchaient à atteindre le même objectif, sans pour autant que ce soit l'un ou l'autre; non, c'était eux deux, unis, malgré leurs différences. La lieutenante avait abattu les réserves, elle avait laissé entrevoir autre chose que son habituelle carapace de lieutenante. Mais le regrettait-elle? Non, pas le moins du monde. Pourrait-elle le regretter? Elle s'en sentait incapable. Et leur jeu, leur précieux jeu, elle le jouait avec plaisir, même si elle avait peur des conséquences, parfois. Elle fonçait, tête baissée, encore une fois. Carpe diem. Sourire léger et carnassier à la fois; une mimique qui détonnait sur son visage angélique.

« Fais, Guerrier. Tu sais où sont les limites, tu connais ma main, fais ton jeu. Tu sais aussi bien que moi que je suis capable de mettre des limites que personne ne pourra franchir. Ces limites, si tu les trouves, seront tes seules interdictions. »

Qui ne la connaîtrait pas la croirait sûrement folle, mais elle était tout le contraire, elle était l'intelligence farouche, l'esprit vif et la douce patience à la fois. Elle était d'un caractère exceptionnellement doux, elle était de celles que l'on veut compter à ses côtés. Mais elle était aussi de celles fougueuses et dangereuses par ce qu'elles étaient et non par ce qu'elles faisaient. Lusi' était absolument sublime et jouait de ses charmes. Elle était intelligente et jouait de son esprit. Elle était douée en verbe et se servait de sa langue. Elle était née pour être une diplomate acharnée, une amie fidèle, un appui solide. Elle était née pour servir et non pas pour vivre sa vie. Parfois, elle l'oubliait. Et à chaque fois qu'elle commettait cet oubli, elle était une autre.

« Le choix de Zanzibar est crucial. Etoiles et Soleil ne préparent en aucun cas la guerre, c'est le premier point, nous ne sommes pas des peuples guerriers. Mais si jamais le Crépuscule rejoint le Nord, j'ai bien peur que Black s'amuse à une petite guerre contre son frère. La haine est encore là. Alors oui, le Jeune Chef fait parler de lui, mais je le tiens en estime; il a l'air franc et semble prêter de l'attention à son peuple plus qu'à des apparences trompeuses. Il nous surprendra. Mais si la guerre éclate, nous serons tous sur le Front, et, si tu es là, tu ne pourras pas nous protéger. Plus que moi, plus que Renji, plus que Sun Star, ce sont les Clans qui doivent se relever, malgré la perte ou non d'un chef, d'un meneur, d'un ami. Je te suis reconnaissante de ce que tu feras, car je sais que tu choisiras en ton âme et conscience, mais si le Destin nous frappe, on ne peut le détourner. Partir au champ de bataille, c'est partir pour ceux qu'on défend, c'est la plus belle mort qu'on puisse espérer, quand on se bat pour les autres et non pour nous.
Shiki est différent, certes, mais le sang est le même, et le Sang appelle le Sang, le Sang reste le Sang. C'est toi qui m'a dit que l'on ne luttait pas contre son Sang, car il est l'essence même de ce que l'on est. Alors un jour, le Sang rappellera à Shiki qui il est, et il pourrait bien se retourner. Même contre son gré, même s'il est différent, même si tu lui fais confiance. Ce que nous sommes nous pousse à faire des choses insensées. Alors, pour Renji, pour moi, fais attention, veux-tu? Je sais bien que je n'ai pas à te faire la morale, mais si l'un tombe, l'autre le rattrape, n'est-ce pas? »

Elle comprenait parfaitement ce qu'il voulait dire, mais elle voulait tout de même lui faire comprendre le fond de sa pensée. Si l'un s'écroulait, il emmenait avec lui un autre, ce qui embarquait le dernier. Et ils ne pouvaient pas se permettre ce genre d'actions. Lusi' tendit doucement l'encolure vers l'étalon et avança d'un pas, lentement.

Les clés du Paradis sont ici sur mes Terres ♥

Ses silences déclamaient des hurlements rauques et graves, et ils étaient plus à craindre encore que ses malédictions proféraient à haute voix. Aussi, l'étalon de nuit ne faisait jamais dans la demi-teinte. Il avait l'assurance, l'audace et la frénésie du joueur de poker: soit il misait, soit il se couchait. En jouant avec les moitiés, les nuances, il n'y avait plus de place pour la franchise. Le guerrier en était donc incapable: il se devait à lui-même d'annoncer la couleur. Parfois, il prenait des risques, parfois, il blessait les siens, mais au moins, il n'avait aucun regret quant à ses choix. Même le coup d'Etat qu'il avait participé à faire, il ne le regrettait pas. Certes, il s'était trompé. Mais il avait reconnu ses torts, et il s'était racheté, reconnaissant en certains des amis dont il n'aurait jamais fait la rencontre sans ce massacre ruineux. De plus, aujourd'hui, il semblait plus fort et mieux à-même de prendre des décisions réfléchies et mûries. Mais cet échange était une exception. Il défiait toutes les règles et tous les codes. Il n'avait besoin de rien sauf de lui-même, il s'auto-suffisait, et il se charmait de sa propre beauté, beauté acerbe mais enivrante. Le faux pas serait fatal, mais le goût du risque était alléchant.

«Respirez ce parfum. Sentez cette odeur âcre qui agresse vos poumons, qui dégoûte votre coeur. Savez-vous pourtant que c'est ce parfum même qui fait la vie? Faire, agir... Mais je suis de ceux qui aimaient aller, avancer. Je ne supporte pas de rester au même endroit, je ne supporte pas de parler en demi-teinte. Je veux du vrai, du fort et du puissant, du vivant et de l'enivrant, quite à me briser. Et si je fais, Lieutenante, vous n'en sortireriez indemne. Êtes-vous sûre que je connais votre main? Êtes-vous sûre, vraiment sûre, de me laisser manier l'épée de Damoclès qui surmonte votre divin portrait?»

Je ne suis pas comme toi, voila ce que Black Hole tentait de lui dire. Bien sûr, il estimait pour la jument qu'elle était, pour l'amie indispensable qu'elle était devenue. Mais elle n'était comme lui, et elle ne vibrait des même choses. Si Hole se brisait sans volontier, Lusitania avait l'obligation d'y réfléchir à deux fois: elle ne pouvait se permettre d'être dépossédée de ses moyens en ces temps de prémices apocalyptiques. Hole pouvait, s'il se souhaitait, disparaître du jour au landemain. Aucun compte à rendre, personne pour s'opposer à sa volonté. Il avait le loisir de délivrer son rêve sauvage en se levant simplement, et il pourrait foutre tout le bordel qu'il souhait, il n'y aurait personne pour l'affronter. Le Shikaku avait plongé son regard abyssal dans les yeux clairs de la jument. Il s'ouvrait, une fois de plus, offrant son être et ses secrets, offrant la vision de son âme brisée et de son coeur déchiqueté.

«Mais que penses-tu, au fond de toi? Crois-tu qu'il optera pour votre alliance, qu'il préférera celle de Black et de Stelmaria? Il est jeune et semble téméraire. On dit que sa jeunesse lui a été volée, qu'il résonne déjà comme un adulte ayant connaissance des sciences de la politique. A-t-il commis des impairs? Sur le front, nous partirons tous égaux. Ou pas. Je ne serai obligé d'aucune action, et je pourrai donc voler à ma guise. Il y a des choses sur moi que tu ignores encore, des choses que tu n'oserais imaginer. Des principes aussi, une ligne de conduite qui me suit depuis mon plus jeune âge. Si je le peux, je ferai de mon corps un barrage, un rempart aux coups qui vous menaceront. Mourir ne me fait pas peur, et j'ai déjà suffisamment souffert pour ne plus craindre la douleur. Que mon sang puisse couler à flots, qu'il abreuve les monts et les fleuves, qu'il emplisse l'océan et qu'il corrompe le plus profond de l'essence terrestre; s'il peut sauver ceux qui font battre mon coeur.»

Il avait parlé d'une voix grave et sombre, et tout ce qui avait pu sembler rire ou plaisanterie s'était effacé de son visage royal qui s'était muté en un masque de chasseur déterminé. Il l'avait dit de façon imagée, mais le fond n'en était que plus vrai: il n'hésiterait pas une seule seconde à encaisser les coups destinés aux siens.

«Honte sur moi, mais j'ai envie d'être égoïste. Peux-tu le comprendre, Lusitania? M'en veux-tu de te dire cela? Si tu savais... Parfois, je me sens comme un parent de ce fringuant étalon. Nous sommes si proches comme si loins toute à la fois. Il était là l'autre soir. Nous nous sommes battus des heures durant. Il était virulent, précis et vif. Il m'a rendu ma jeunesse, il m'a rendu ma soiffe, mon envie de danser, il m'a donné l'illusion de retrouver tout le feu de la frappe de mes six ans. J'ai vibré d'un feu si violent en sa compagnie. Et il revenait toujours! Plein d'idées et d'envie. Il est travailleur et a conscience de ses points faibles. Il fera un bon Thar. Sans doute le meilleur que la terre n'aie jamais portée. Et si un jour il en venait à me tuer, je serai tout de même fier de lui, fier de ses acquis et de sa force. Et puis, l'élève, n'est-il pas destiné à dépasser le maître? Mais où que j'aille, et qu'importe la façon dont je puisse finir; je ne vous emmènerai dans ma chute. Je vous laisserai debouts, et puis, avec le temps et les lunes, vous apprendrez à m'oublier, et vous deviendrez rapidement assez forts pour vous suffir. C'est dans la nature des choses, c'est le cycle de la vie.»

Quand il parlait avec sa voix suave, qui complétait si bien son être, il semblait doté d'une âme fabuleuse. Il était là, presque aussi beau que quand il n'avait que six ans, presque aussi fringuant. Son âge et ses cicatrices ne le rendaient que plus beau, et ils complétaient son port royal. Certes, il n'était appelé nulle part, sauf peut-être sur les brumes du Territoire, aussi, il était un Ambassadeur. Et elle, cette douce jument qui semblait aimer la diplomatie, elle venait à lui, doucement. Brebis craintive qui tente de charmer le Loup solitaire et royal de cette solitude. Les grands yeux de l'étalon brillaient, et il savait qu'il était déjà trop tard. Ils avaient voulu jouer, et c'était toute une mécanique qui s'était mise en marche. Vif, il se coula contre elle, embrassant de ses naseaux bouillants son garrot, alors que son poitrail profond était à la hauteur de la tête de la belle. Le contact était d'une rare violence, même si les gestes restaient doux. Electrique, le moment était unique, d'une intensité telle que le Monde semblait exploser.

Crains-moi, car au fond, tu ne sais qui je suis... Je suis un Loup damné, un prédateur, et j'aime me jouer de ces contacts brûlants qui fendent mon être. Crains-moi et fuis, tant que tu le peux encore...!

[Ca devient hard de répondre ><']
Savages [PV.] Lusita12

Savages.

Lusitania savait parfaitement qu'elle avait mis un genou à terre face au prédateur prêt à l'achever. C'était une image qui la faisait frémir intérieurement, mais elle marquait fièrement sa détermination à aller au fond de son choix. Bon ou mauvais, il n'y avait qu'elle qui pouvait en juger. Elle se fichait pas mal des "on dit" et des apparences. Pour elle, il n'y avait ce jour qu'un avis qui comptait et cet avis, c'était le sien. Elle était certes incertaine, mais elle se fiait à son instinct, quoi que son instinct devait ne pas être le bon puisqu'elle restait une proie facile, qu'elle se laissait aller à se laisser attendre. Qui êtes-vous pour la juger? Elle ricana aux paroles de l'étalon en tournant vers lui un regard espiègle. Était-elle sûre? Non, pas le moins du monde, mais elle ne pouvait plus reculer, elle se devait d'affronter ses choix.

« Non, je ne suis sûre en rien. Mais j'ai posé un genou au sol et je me suis rangée à votre jugement. Que vous connaissiez ou non ma main, vous me connaissez assez bien pour savoir mes convictions et mon caractère et savoir que je ne remets pas ce que je suis aux mains de quelqu'un sans avoir pour lui la plus totale des confiances. Et pour cette confiance si forte, je suis prête aux sacrifices, qu'il s'agisse là de briser mes espoirs ou de brûler les ailes de ma liberté. »

Qui était-elle pour mettre en des mots si forts et si durs tant de douceur et de tendresse? Elle n'était pas n'importe qui. Et malgré ses paroles lourdes de sens, son regard était clair et luisant, son port était royal et fier, sans porter la moindre trace de mépris ou d'arrogance. Elle était une souveraine aux qualités remarquables, une Ambassadrice de la pureté de l'Âme. Elle était un membre du Soleil et portait haut les couleurs et convictions de son Peuple tout entier. Mais une fois de plus, elle se faisait Confidente pour le Chasseur, qui lui permettait d'accéder à ce qu'il était, au fond. Et comme à chaque fois, la belle pie songea que derrière cette âme noir, ce tueur, il restait un cheval qui valait le coup d'être sauvé, franc, droit, déterminé, un ami unique, un père et un amant pour une autre. Une fois de plus, elle se promit de le soutenir, de ne pas laisser cet être extraordinaire s'enfoncer plus loin, un peu trop loin cette fois. Elle ne pouvait pas, elle refusait catégoriquement de le perdre.

« Je crois qu'il a beaucoup de choses en commun avec notre alliance, mais qu'il pourrait être tenté de choisir la protection du Nord. Tu sais, les Etoiles et le Soleil ont beau être liés et prêts à riposter si l'un est menacé, on cherche plus à s'attacher à nos alliés qu'à ceux de la Glace ou de l'Ombre. Je ne saurais pas dire, mais si le Jeune Chef nous choisit, alors c'est aisément que nous nous mettrons sur le pied de guerre s'il faut aller à sa rescousse. Tous ces jeux de politique n'ont de toute manière qu'un but; savoir quel côté déclenchera les nouvelles hostilités, car la guerre va éclater bientôt, c'est à prévoir. Mais cette guerre, ce ne sera pas votre guerre, Hole. Te savoir à risquer ta vie pour une cause qui n'est pas tienne, voilà une idée qui me rend folle. Je me suis faite à tes combats, à celui que tu es, à tes idéaux si loin des miens, mais je ne peux pas imaginer que tu te battes pour d'autres, même pour ceux qui comptent pour toi. Et puis, tu sais, Renji comme Sun Star ou moi-même savons nous défendre. »

Elle laissa courir affectueusement ses naseaux le long de l'épaule musclée du mâle tandis que sa voix était joyeuse, comme le rire léger d'une chaude journée d'automne. Mais elle perdit bientôt toute joie superflue. Son cœur battit plus fort et elle se fit à l'idée; quoi qu'elle lui dise, le Guerrier Noir était prêt au sacrifice de sa vie. Elle risquait à tout instant de le perdre, lui devenu si important en si peu de temps.

« Je comprends, Hole. Mais je ne peux m'empêcher de t'en vouloir, bien que je vois à quel point il te rend vivant. Est-ce là un égoïsme de ma part? Oui, sûrement. Mais j'ai peur que ton attachement à ce jeune Prince ne te brise. Je le connais, je l'ai vu. Il sera le Thar, c'est certain. Il a cette prestance, ce quelque chose qui le rend surnaturel. Un jour, oui, il dépassera le maître; et s'il t'envoie de l'autre côté, sache que le Thar se sera fait une ennemie. Tu l'es trop précieux pour qu'un jour j'oublie ton image, ton nom ou encore à quel point tu as pu compter à mes yeux. Mais j'espère, pour vous deux, que je me trompe, que je me fais de fausses idées, que je ne suis rien d'autre qu'une sorte de mère poule inquiète pour rien. De tout mon cœur, je l'espère. Mais je suis incapable de ne pas m'en faire. Tu dois me trouver bien bête, non? »

un sourire pâle étira un instant ses lèvres. Puis son cœur rata un battement dans cette violente étreinte. Son corps entier frémit du contact électrique tandis qu'elle passait sa longue encolure le long de celle de l'étalon pour pouvoir l'étreindre. L'instant était tendre et semblait doux, mais le feu les brûlait, tous les deux, et cette violence inouïe avait quelque chose de délicieux pour la jument qui s'en délecta sans un bruit, les yeux clos. La folie des sentiments l'étranglait, son souffle en était presque coupé, si court, et son cœur battait la chamade. Chaque pulsation se sentait dans son corps tout entier.

Je te connais trop, tu ne me fais pas peur, je te fais confiance. C'est trop tard pour moi, je prise dans tes filets.

Les clés du Paradis sont ici sur mes Terres ♥

Si Lusitania était une forte tête, à cet instant, elle apparaissait devant les grands yeux noirs de l'étalon comme une jument fragile et blessée. Elle était tombée la belle diplomate, elle s'était laissée prendre au jeu, et en acceptant de cotoyer l'étalon à l'odeur musquée, elle avait accepté de nager dans les abîmes sans nom du Mal. Ce sacrifice, ce pas solennel qu'elle avait fait envers lui, Black Hole n'en était que trop conscient. La douce jument pie avait comme accepté de rompre avec elle-même, introduisant dans son cercle fermé un démon, un fou, un prédateur, un tueur. Mais Black Hole avait pour lui le charme et le charisme. Comment faire sortir de sa vie un tel animal ? Il irradiait la puissance et la passion, et il semblait être capable de plier n'importe qui face à lui. Le Shikaku à l'étoile blanche était aimable, dans tous les sens du terme. Et pourtant, oh pourtant, il faisait tout pour la mettre en garde, pour lui ouvrir les yeux. Il semblait vouloir lui dire, lui crier qu'il n'était pas comme elle, lui dire qu'en fait, l'on ne change pas. Il était né mauvais, il mourrait mauvais.

« J'ai écumé, pendant longtemps, toutes les contrées de ce bas monde. Je me suis brûlé les ailes en toute conscience. Je le voulais, j'en éprouvais le fatal besoin. Mais vous Lieutenante, vous, vous êtes encore jeune et belle, vous avez l'intelligence et la bonté, aussi, que deviendrait le Soleil sans vous ? Je peux, moi, me retirer à tout moment, disparaître et mourir. De nous deux, je suis sans aucun doute le plus libre. Même la Lune me jalouse. De ma vie, j'en fais ce que je veux. Je joue même au dangereux jeu de décider de la vie des autres. Nous ne sommes les mêmes, et votre amitié me tue, madame. J'aimerai tant de choses avec vous, j'aimerai, mais trop fort et trop violemment. Si je faisais comme je l'entendais, vous seriez écrasée par l'esprit Malin qui ronge mon être. Une dernière fois, madame, détournez-vous. »

Black Hole venait d'avouer, à demi-mots pourtant, ce qu'il ressentait. S'il n'avait déclamé son amour, il avait tout de même avoué ressentir des sentiments d'une violence inouïe. Une seule raison expliquait qu'il ne les ait nommés : il était incapable de se prononcer, de poser un mot sur la violence que se faisait son coeur, son âme et finalement, son jugement et son instinct. Aussi, le fier guerrier venait de transparaître sous un jour bien sombre, réengageant les mises en garde. Il ne voulait détruire les maigres espérances du Soleil. Malgré ses bons sentiments, Lusitania devait se rendre à l'évidence, pour elle ! Black Hole, outre ses efforts et sa loyauté, ne pouvait changer. Il était le fils du Diable, il avait promis sa vie à l'Etalon Blanc, qu'il reconnaissait comme un Père. L'étalon noir n'était en fait qu'un de ses mauvais rêves, entêtant et enjoleur, mais juste un mauvais rêve. Il était invitation aux plaisirs, lui, son corps parfait et son âge charmant. Pourtant, il savait le poison qui s'émanait de son aura, il savait son essence profonde.

« Je crois savoir de source sûre qu'il a eu de nombreux mentors, et parmis eux, de fins stratèges. Il a vécu dans tous les rôles : roi, chef, second ou simple guerrier. Il doit être habile de ses mots, mais qui sait ce qu'il se passe réellement dans son esprit ? Qui sait s'il ne roule pas tout le monde ? La guerre est proche, oui, et chacun cherche à être le plus puissant, ce qui semble être chose logique. Son choix sera décisif, et même si le Crépuscule ne compte pas pour beaucoup, il est une terre avec ses secrets. Les marais deviendront un piège mortel lors de ces combats. Je sais, je sais que cette guerre n'est pas mienne, mais quel meilleur moyen de se battre qu'en temps de guerre ? Cela légitime quelque part mon geste. Et puis, je sais que Bliss y sera, sans doute Vif et Thief aussi. Je ne souhaite pas les voir sombrer dans une telle guerre. Oui, bien sûr que vous savez vous défendre. Mais parfois, dans des situations épineuses, cela fait toujours du bien de voir l'adversaire séséquilibré par un violent coup d'épaule, par exemple. Cela peut laisser le temps de se relever. Et tu vois, Lusitania, cette idée là, c'est ce que je suis. Je serai là, que tu t'y opposes ou non. Je serai là, à tes côtés, pour t'épauler et te veiller. Je serai là pour crier dans le feu de la bataille et te redonner espoir et force. Y a-t-il des règles spécifiées contre mon espèce ? »

Il frissonna, alors que les naseaux de la belle courraient sur son épaule. Un instant, alors qu'elle ne voyait son visage, il darda un regard des plus sombres et des plus sauvages sur elle. Quelle étrange pensée pouvait traverser son esprit en cet instant ? L'étincelle qui dansait dans ses yeux devint incendie, alors qu'il reprenait, passionné et décidé.

« Non, ce n'est pas égoïste de ta part, et je comprends que tu m'en veuilles. Oui, Shiki sera Thar, il sera Roi d'une vaste terre rude et hostile, il dansera la nuit sur la glace, il hennira avec les Léopards, il s'en ira en chasse à leur côté. Peut-être même qu'il passera l'hiver avec eux, chassant le phoque. Il sera sans doute un fin tueur, un assassin aux multiples facettes, mais un assassin loyal et juste. Je sais comme il peut être difficile de voir en l'ennemi l'aboutissement d'un jour, le renouveau d'une pensée et d'une force séduisantes. Mais Shiki est ce roi, ce prince. Il sera et il vaincra, parce qu'il en a la force, et parce qu'il le veut. Je vais mourir Lusitania, bientôt, je vais m'éteindre, et cela, tu le sais tout aussi bien que moi. Aujourd'hui, chaque seconde m'est vitale ; mais ça, je suis convaincu que tu le sais au moins aussi bien que moi. Nous nous sommes plus si vite ! Pourtant si, tu finiras par perdre mon visage, mon odeur. Et quand tu t'en rendras compte, tu réaliseras que tous les souvenirs, que tous les instants que tu gardais de nous ; ils auront disparu. Je m'écarte de nouveau, et finalement, je meurs pour de bon. »

Elle était là, juste là, collée contre lui, à s'imprégner de son odeur alors que son léger col cherchait le sien, plus puissant et fort. Elle l'étreignait, l'acceptant lui et ses écarts, l'acceptant lui et ses vices. A cette seconde, il souhaitait oublier le terrible secret, il ne voulait plus de la fatale certitude de sa dmnation, de son essence nocive. Et, une fois de plus, le Shikaku se brûlait, se consummait tout entier dans cette étreinte divine. Le Bien et le Mal, de nouveau réunis. Si le Mal était toujours le même, le Bien, lui, avait changé de visage. Lusitania n'était comme sa compagne, et l'étalon ne les avait jamais confondu. Aussi, il ne bougeait plus, respirant seulement ces secondes hors du temps, attendant et priant un geste de la belle pie.

Tu sais pourtant avec quelle violence je pourrai te briser ; tu sais quelle est la force martiale des démons qui habitent mon être. Lusitania, la porte est encore ouverte, il te suffit de faire demi-tour, de renoncer à ce bout de ténèbres, et tu pourras régner libre de toute contrainte. Je suis une machine de mort, et je tuerai, alors qu'à mon passage, les eaux deviendront rouges. Pars !

Spoiler: