Rien à perdre [Liberty si tu veux Cham' ^^]

Elle ne l’avait pas vu, encore, mais la rumeur montait et courait sur Wild Horses, de plus en plus forte, de plus en plus présente. On parlait d’un Maudit, un nouveau Maudit après la folle Jument Rouge. Liberty gronda. La Jument Rouge, qui lui avait volé sa fille, avec son complice Black, et qui avait fait de la tendre jument grise une combattante, une tueuse, de son petit-fils le futur chef d’une tribu barbare et sauvage, celle du Nord…Edelweiss lui donnait des nouvelles des deux chevaux, mais se refusait catégoriquement à servir d’entremetteuse. Non, si Liberty voulait revoir Odyssée, qu’elle le fasse…mais la jument blanche, si elle ressentait toujours l’amour qu’on a pour son sang, avait fait son deuil de sa fille. Odyssée ne serait plus sa fille, plus jamais, et Shiki n’avait d’elle que le sang. Elle le savait, la jument argent avait rejoint l’autre branche de la famille…comme si son couple avec Sword s’était effacé. Son compagnon tombé au combat, sa fille ravie par leurs ennemis et désormais de leur tribu...le passé avait tout englouti, et désormais c’était vers l’avenir, avec son cher Thunderhead, qu’elle regardait.

Elle grimpait au Mont de la Prophétie, encore drapée de son manteau blanc, celui où le légendaire Cheval Solitaire, dont nul n’avait entendu parler depuis longtemps déjà, avait parlé. La montagne l’apaisait et, arrivée en haut, le souffle court, les muscles brûlants, elle savait qu’elle pourrait contempler son monde jusqu’à ses confins, des plaines du Nord, de la banquise au-delà de la Mer intérieure, jusqu’aux déserts et aux forêts du Soleil, en passant par la zone aride et rocheuse du Crépuscule…elle aimait ce calme, cet apaisement, en haut de la montagne. Liberty s’ébroua et leva le nez.

Là-bas, en haut de la route, un cheval attendait. Un cheval rouge, ou noir ? Rouge sombre…qui se tenait debout, attentif et tourné dans sa direction, naseaux dilatés, encolure tendue, un étalon à n’en pas douter. Ses longs crins argent, agités par le vent des sommets, s’enroulaient paresseusement autour de son col long et souple, et Liberty sentit son souffle se tarir. A quelques mètres sous lui, elle stoppa et l’observa. Son cœur battait comme celui d’une jouvencelle. Il était diablement séduisant…mais diablement dangereux, elle le sentait. Elle en avait vu tant comme lui ! Même les Shikaku avaient leur charme de par ce danger qui émanait d’eux, mais c’était jouer avec le feu, jouer avec le léopard en oubliant qu’il a des griffes meurtrières, que de séduire ou se laisser séduire par de tels étalons…Liberty avait repris contenance et elle gravit les derniers mètres, arrivant face au cheval. Elle s’inclina, gracieuse, comme on le lui avait appris, comme Larme Blanche le lui avait enseigné, un genou en terre, la tête rentrée entre ses antérieurs, exposant sa nuque en signe de paix.
Puis elle se releva et ses yeux noisette, troublés mais doux comme ils l’étaient toujours, se posèrent sur l’étalon. Elle eut presque honte de parcourir son corps superbe du regard, puis s’éclaircit la gorge et lança :

« Bonjour. Mon nom est Liberty…vous êtes Nathanaël, je suppose ? On commence à parler beaucoup de vous, au sein des tribus… »

La jument qui s'avançait vers lui avait la robe immaculée, si blanche que la neige autour d'elle en paraissait terne alors qu'elle était pourtant éclatante. Immobile, les naseaux frémissants, il se perdit dans ses souvenir tout en la laissant venir à lui.


"N'y vas pas ! Ils n'ont pas besoin de toi ! Tu as assez souffert par leur faute, tu ne leur dois rien ! Reste avec moi... "
La jument blanche ficha un regard désespéré dans ses yeux. Au grand jamais il ne l'avait entendu le supplier ainsi. L'étalon la fixa sans rien dire, à l'esprit la détermination que seule est capable de donner le désespoir et l'amour.
"Je veux que tu vives Seilhan. Ma présence parmi eux peux décider de ta vie future..."
Il tourna les sabot, son coeur déjà déchiqueté ouvert à nouveau, par son propre choix cette fois. L'étalon s'arrêta le temps de la saluer une dernière fois, puis disparut dans la nuit.
"Reste avec moi... !! "
Le cri de souffrance de Seilhan se perdit dans la nuit.


Nathanaël revint à lui comme si rien ne s'était passé, ses yeux, bleu et doré, toujours fiché sur Liberty, semblant la sonder jusqu'au plus profond de son âme.
En lui, la Malédiction bailla, se tourna et s'assoupit de nouveau, comme un gros félin. L'étalon aux reflets sanguins accueillit la nonchalance de sa compagne avec indifférence, sachant très bien qu'elle surveillerait leur échange quand bien même elle faisait semblant de dormir.

"Bonjour. Oui, Liberty. Je... sais. Parler de moi dans les tribus ? Que peuvent bien dire ces chevaux de quelqu'un qu'ils ne connaissent pas ?"

Sa surprise était réelle. Il était vrai qu'il s'était montré lors de la Fête du Printemps, mais il n'avait pas prêté attention à grand monde... Et comme il se désintéressait de la plupart de ses semblables, hormis pour le déjeuner, il s'attendait plus ou moins à ce qu'ils ne fassent pas non plus attention à lui.

Il était resté silencieux un moment, sans broncher ni la quitter du regard, surprenant Liberty. Peut-être rêvait-il mais alors, il savait rêver sans en donner l'impression...La jument esquissa un sourire en voyant le cheval rouge surpris, et le laissa bégayer un peu, avant de gratter le sol du sabot et de l'observer par en-dessous:

"Oh, dans les autres clans que le mien je n'en sais rien, mais ici on dit que vous êtes un Maudit, à l'instar de la Jument Rouge...quand à ce que peuvent dire des chevaux d'un inconnu, ma foi, bien des choses! A tort ou à raison d'ailleurs, mais selon ce qu'ils ont vu, ce qu'ils ont entendu dire et ce qu'ils savaient qui semble s'y rapporter, ce qu'ils découvrent ou croient découvrir..."

Elle sourit de nouveau et ramena son toupet en arrière. Regarder le bel étalon à travers ses crins blancs et soyeux, ça allait cinq minutes, il risquait de croire qu'elle lui faisait la cour si elle exagérait...or, elle était déjà casée, et bien casée, la reine blanche...Liberty reprit, avec un brin de malice, sans savoir pourquoi elle était malicieuse:

"C'est sur ces fondations-là que poussent les légendes...mais vous, d'où venez-vous? Quel est votre nom, d'ailleurs?"

Par les Dieux, qu'elle était bavarde ! Un vrai rossignol que cette jument. Nathanaël l'écouta avec patience, tout en décryptant son attitude, son timbre de voix et sa façon de parler. Puis elle lui redemanda son nom et, sortant de son inspection, il répondit docilement, sans s'offusquer d'être la cible de ces ragots dont elle lui parlait :

" Oui, je suis bien Nathanaël. Je viens du Nord. Et je crois que ma robe ne saurait clamer autre chose que la présence de la Malédiction sur moi, non ? Quoi qu'il en soit ces chevaux sont bien naïfs s'ils croient tout ce qui se raconte par ici."

Il émit un bref rire séduisant, ses épais cils nacrés couvrant un moment ses yeux, puis son regard bicolore se ficha à nouveau sur Liberty, troublant d'intensité, et sa voix chaude s'éleva, plus enjôleuse :

" Que venez vous faire en ce lieu ? Il y a plus hospitalier pour une jument seule, non ? "

Cependant si sa voix était vaguement séductrice, il s'accorda un petit sourire pour ne pas trop indisposer celle qui se tenait face à lui, comme un vague et paresseux renseignement : je plaisante, n'aie crainte...

[merde je me souvenais plus qu'elle savait déjà son nom^^']

Liberty dévisagea l'étalon. Toujours ce quelque chose de malsain dans ses mots et son rire...la jument blanche se raidit une seconde. Il était diablement attirant, mais finalement, la réaction de la jument devant le charme de ce mâle n'était que répulsion, répulsion pure et simple. Il venait du Nord, disait-il, et Liberty posa alors une question qui lui brûlait les lèvres:

"Vous êtes du Nord...alors, si vous êtes Maudit et du Nord, avez vous un quelconque lien avec Stelmaria, la Maudite?"

Elle eut peur d'être allée trop loin, mais il changea radicalement de ton, tout d'un bloc, et se mit à la fixer d'un air enjôleur. Et Dieu sait qu'il devait en enjôler, des juments, avec ce regard doux et humide, cet air de ne pas y toucher...Liberty frémit, mais c'était de peur et de dégoût, pas d'attirance ni de désir. Elle finit par répondre, inclinant la tête, s'offrant à son tour un sourire un brin charmeur:

"Ma foi, ce sont mes terres, et n'y a-t-il pas plus hospitalier que l'endroit où on a grandi? Quand au fait que je sois seule, non, je ne le suis pas puisque vous êtes présent, et de plus, que pourrait-il bien m'arriver?"

L'animal redevint tout à coup mortellement sérieux à la dernière phrase de la jument, et posa un regard insistant sur elle tout en laissant planer le silence un moment. Pour finir, sa voix plus glaciale que l'air autour d'eux trancha :

" Vous n'avez justement pas fait la bonne rencontre, sans vouloir vous menacer, même si je le voulais je ne pourrais pas garantir votre sécurité contre moi même. Et épargnez moi vos futures protestation, si je craque, je vous promet que rien ne vous sauvera, Liberty, fille de Personne."


Le jeu entre eux deux était fini. L'étalon n'avait prononcé ses derniers mots pour y mettre une fin clair et définitive, pas pour blesser la jument, mais à vrai dire, il se fichait de le faire. Il fouetta sauvagement ses flancs de sa queue claire, impatient de la tournure qu'allait prendre les choses. Pourquoi se montrait il si direct aujourd'hui ? Lui qui tournait d'habitude toujours autour du pot... il lorgna la frêle jument devant lui? Ils faisaient sensiblement la même taille, pourtant il la trouvait d'apparence fragile, malgré l'assurance qu'elle dégageait.
Il repris, retrouvant tout son calme :

"En effet, je suis le frère de Stelmaria. Le petit frère. Ne croyez pas que j'en retire des griefs contre vous, je souhaitais juste vous avertir que je serais navré, après coup, si je venais à vous faire du mal. Bien que cela ravirait surement d'autres personnes, je n'ai rien contre vous."

Elle l'observa, sans comprendre tout d'abord. Puis, des liens et des associations d'idées se firent dans mon esprit, et Liberty hocha la tête, une vague compréhension dans les yeux. Si, à la différence de Sun Star qui n'avait jamais voulu lui relater cet entretien, elle n'avait pas eu accès à des informations sur la Malédiction de la bouche même des Maudits, elle en connaissait les effets. Elle avait vu l'atroce carnage laissé par Black et Stelmaria quand il s'étaient échappés des griffes des Shikaku. Elle se souvenait du cadavre de Ganesh, voilà longtemps déjà. Les Maudits étaient moins que des bêtes, que des fauves. La jument blanche approuva:

"Je vois. Cela a un rapport avec cette fameuse Malédiction, je suppose?"

Il la toisait et elle sentait son regard sur elle, mais le charme de l'étalon rouge, si violent de prime abord, n'opérait plus, et Liberty se sentait calme, débarrassée de toute tension sexuelle. Il n'y avait que peu d'ambiguïté dans leur discussion, quoique ce cheval fût affreusement difficile, peut-être presque impossible, à cerner.
Mais elle se tenait face à un Maudit. Elle était effrayée, un peu, du fait de l'ancienne légende, des carnages, de tout ce sillage de mort et de sang qu'elle avait pu observer dans le sillage des tueurs. Mais c'était aussi l'occasion ou jamais d'obtenir des informations sur la Malédiction et, quoique ce fût Pépite d'Or qui tînt désormais le devant de la scène, elle demeurait chef avant. Prudente, elle décida néanmoins de jouer franc-jeu:

"Vous n'avez donc aucun contrôle sur vous-mêmes et sur...cette Malédiction? D'ailleurs, en quoi consiste-t-elle, précisément, quels en sont les effets, les causes, la fréquence?"

A s'approcher de la lumière noire, papillon blanc risque de se brûler les ailes.