Théorie Hybride.

« Huit février 2074. La guerre mondiale se poursuit. En Egypte, le peuple a assassiné son dirigeant principal, rapidement imité par les petits pays d'orient au gouvernement instable. Sur le front, de nombreuses mutineries gangrènent toutes les nations. Les soldats lambdas refusent de coopérer, répugnés par la façon dont laquelle les dirigeants usent de la bombe nucléaire. En effet plusieurs métropoles ont été touchées, décimant en quelques heures des millions de familles et d'entreprises. Des mesures radicales ont été prises : les sanctions sont appliqués a … »



Elle détacha son regard de la petite radio incrustée dans le mur, qui diffusait ses grésillements intempestifs. Depuis quelques années, les médias ne diffusaient plus qu'une suite sans fin de calamités plus atroces les unes que les autres. Les capitales des pays avaient été radiées de la carte. Washington, Londres, Moscou ou encore Tokyo n'étaient plus qu'un lointain souvenir.

Les cadavres démembrés restaient seuls témoins du drame.

Le monde était fou.

Et désespéré.

Les radiations des bombes avaient également fait des ravages indirects et officieux. Les substances chimiques avaient libéré leurs pouvoirs mutagènes, et les traditionnelles malformations avaient eu lieu comme prévu.

Ce qu'on n'avait pas prévu, c'était que la radioactivité pourrait entraîner des lésions cérébrales, donnant lieu à l'apparition de mystérieux … Dons.

L'affaire avait rapidement été étouffée. Les rumeurs démenties. Des structures furent crées pour les enfants victimes de radiations. Pour les soigner, avait-on affirmé.

Mais dans les bars, les cours d'écoles ou lors des pauses café, on chuchotait que … Certains de ses enfants savaient lire l'avenir.

D'autres étaient télépathes.

D'autres encore, savaient créer du feu ou de l'eau.

Bien sur, les racontars étaient ponctués de rires et de quolibets.

Mais personne ne savait démêler le vrai du faux.

Qu'avait concrètement provoqué la bombe 238-Chimaeski qui avait frappé en Amérique du Nord ? Et celle envoyée par les Nippons en Europe centrale, la 783-Tadasane ? Comment un corps humain avait-il pu survivre parmi les radiations et développer cette tare cérébrale qui lui permettait de développer une capacité fantaisiste ?

Pourquoi eux ? Pourquoi maintenant ?

Comment ?



Bien évidement, les gouvernements avaient réagi avec promptitude. Dans les centres, ils avaient parqué des adolescents touchés, d'une tranche d'age s'étendant de huit à dix-sept ans. Ils les avaient étudiés. Analysés. Testés. Mutilés.

Comme des cobayes.

Et ils avaient trouvé. L'attente avait été longue, les souffrances multiples, les pertes nombreuses. Mais ils avaient localisé la molécule atomique qui adhérait à l'hémoglobine humaine et se fixait ensuite sur l'encéphale, provoquant les mutations du tissu cérébral par la suite. Aussitôt, ils avaient tenté d'en profiter. De l'inoculer à des soldats plus forts que les autres, à des généraux à l'intelligence redoutable, à des individus à la servilité notoire et possédant une rage de vaincre innommable.

C'était la guerre, après tout.



Ils étaient tous morts.

Le virus ne semblait efficace que sur des enfants, qui sécrétaient encore une certaine dose d'hormone de croissance. Passé ce stade, la molécule radioactive n'était plus amie, mais ennemie du genre humain.

La bioéthique semblait inexistante. On inocula la molécule, nommée Delta-Cuivre à des orphelins recueillis ici et la ; et on les observa, comme jadis on notait jour après jour l'évolution des souris auxquelles on avait injecté le virus du VIH ou encore de la rage.

Au bout de quelques jours, les premiers signes précurseurs du don apparaissaient.

Après quelques semaines, le don était établi et identifiable.

Au bout de deux mois, l'enfant le maîtrisait dans son ensemble.

De part le monde, des rafles d'enfants commencèrent. Les gamins qui traînaient dans les rues furent ramenés aux ' Centres de Soins ' les pauvres vendaient leurs rejetons pour gagner une médiocre poignée de billets.

Les insidieuses campagnes, discrètes mais efficaces, proliférèrent.

Adoptez un orphelin et vendez le nous, pour le bien de votre pays, pour que la guerre cesse.
Pour un futur meilleur.

Ils furent des centaines, des milliers puis des millions d'enfants, arrachés à leur foyer, à leurs repères. Contaminés par le virus, surveillés jour et nuit, parqués ensemble sans jamais pouvoir sortir, ils grandissaient tous, avec l'idée qu'ils n'étaient rien de plus que des armes.

Des pions qu'adultes, on lâcherait sur le champ de bataille pour détruire en masse des armées entières, exploser les puissantes machines de guerre, démanteler les avions en plein vol, broyer le cerveau du dirigeant ennemi sans même l'avoir touché.

Ils étaient créés pour se battre.

Dean Kendall était devenu l'un des leurs.

Ils étaient ainsi nombreux à être trompés, et à finir en tant que possesseur d'un don.

Elle en faisait partie.

Conditionnée pour qu'elle ne développe aucun espoir. Aucune envie.

Brave petite machine destructrice, qui ne sortirait de son entrepôt que pour tuer.

Triste sort, pour une gamine d'à peine treize ans. Mais elle était différente. Elle était plus intelligente. Plus réfléchie. Plus mature. Plus ef-…



- Disdain !

Évitant de justesse un bond monumental qui aurait immédiatement discrédité sa pseudo capacité à tout prévoir et anticiper, Lilian Disdain, blondinette aux yeux d'un bleu inquisiteur, se retourna âprement, affichant un visage de marbre à celle qui vociférait derrière elle.

Emily Olingworth.

La harpie.

Quadragénaire à l'épaisse crinière brune, elle était l'une des surveillantes principales du Centre, elle-même infectée par l'un des virus radioactifs de la bombe 783-Tadasane. L'une des premières gamines à avoir grandi avec un pouvoir. L'une des premières à développer... L'autorité.

Encore une belle invention que cette dernière.

- Ici !

Les enfants des Centres possédant des pouvoirs, il était tout à fait normal qu'ils se rebellent au bout d'un temps. Contenir une masse grouillante et hargneuse pouvant déclencher la congélation de votre propre sang ou vous immoler en un claquement de doigts n'étant pas une capacité que pouvaient développer des humains lambdas, on engagea des adultes eux-mêmes atteints par le virus, en inoculant une nouvelle formule chimique dans leur sang, baptisée tout simplement ' Autorité '

L'Autorité était incontestable.

Celui qui la possédait était obéi à la lettre par la moindre personne infectée par Delta-Cuivre. Qu'importe l'ordre, ou la volonté de l'individu. Qu'importe le lieu, l'intonation ou la force mentale.

L'Autorité était irréfutable.

Indiscutable.

Indéniable.

Elle était loi souveraine, berger au milieu des moutons, reine obéie par ses sujets empressés et serviles.

Elle était … Absolue.



Ce fut cette même autorité qui força Lilian à se déplacer.

Ses jambes, animées d'une vie propre, se mirent en mouvement. D'une marche d'automate, avalant mètres après mètres, elle se dirigeait pas à pas vers une Emily Olingworth échevelée et aux poings crispés avec rage.

Lilian eut la désagréable impression d'être l'agneau qui avançait gaiement vers le loup affamé qui l'attendait, gueule grande ouverte, pour qu'elle se jette entre ses crocs.

Elle n'était en cet instant, rien qu'un tas de viande en mouvement.

Il ne lui restait plus que sa pensée autonome, pour haïr férocement sa tortionnaire.

Elle ne s'en priva pas.



Son regard contestataire ne dévia pas des yeux sombres de la quadragénaire, consciente que le simple fait de ne pas les baisser pourrait l'agacer prodigieusement.

Soumise à l'Autorité, enchaînée malgré elle, Lilian ne pouvait qu'user d'armes dérisoires face à la puissance d'Emily, et s'acharnait à mettre toutes ses possibilités, même infimes, pour sortir du lot. Pour montrer qu'elle n'était pas un animal au regard bovin, qui suivait le chef sans lever la tête plus haut que les autres.

Pour être l'Unique.

Emily n'aimait pas les récalcitrants. Elle n'affectionnait que les bêtes bien dressées et se complaisait dans son sentiment de puissance absolue lorsqu'elle était au milieu des gamins du Centre. Ils la craignaient. Elle les haïssait. Mais ils étaient les seuls à lui apporter ce sentiment glorieux de puissance. Apprécier leurs échines se courber lorsqu'elle passait et ordonnait, voir leurs mouvements mécaniques quand un ordre claquait dans l'air surchauffé des salles.

Or, la blondinette en face d'elle désobéissait a la règle.

Serrant les dents, Emily Olingworth décida que Miss Disdain avait besoin d'une petite .. Révision. Sans doute avait-elle oublié les règles hiérarchiques ici ? Avait-elle omis qu'elle et les autres enfants de son age n'étaient que du menu fretin destiné à se battre puis mourir sur le champ de bataille ?

Les objets ne devaient pas se révolter.

- Alors, Disdain ?

Elle tendit la main vers elle dans le but de lui attraper le poignet.

La gamine poussa un cri, et ses yeux s'assombrirent brutalement.

Emily Olingworth quitta alors le sol.
[...]