On choisit pas sa famille...

Terres de Glace.
Terres mythiques et sauvages, terres inhospitalières où tout un chacun, du plus jeune poulain au plus vieux léopard, de la plus petite fleur à l'arbre centenaire, du papillon éphémère à l'énorme orque, était armé pour lutter. Lutter, pour vivre...ces lieux glacés ou arides, violents, avaient forgé les êtres qui les peuplaient. Sauvages étaient les terres, et sauvages étaient ses habitants. Et parmi eux, les chevaux des terres de Glace, fédérés derrière la lignée des Thars, tous mâles par tradition, Mendori, puis Balbas, puis Aglow Star, fils de Stelmaria la Renégate. Et, dernier maillon de la chaîne, fils de cette antique et redoutée lignée, Shiki, à la fois héritier des Thars et des chefs du Sud, Shiki qui deviendrait peut-être Thar à son tour, à moins qu'il ne succombât avant de devenir le roi de ce Clan fier et cruel.
D'un trot altier, le jeune mâle avançait pour l'heure avec insouciance. Sa crinière, noir corbeau, luisante et fournie, brillait de reflets bleutés sur son encolure qui commençait à se développer, dévoilant la solidité de sa charpente. Si Shiki avait obtenu de sa mère la grâce et la finesse, on devinait dans ses lignes et ses allures l'élégance ravageuse de son père, couplée à l'ossature solide de son grand-père Equinox, un cheval de bonne taille, musclé et nerveux. Pour l'heure, ce prince avait cependant encore l'allure d'un poulain vite grandi, et ses muscles qui se développaient n'avaient pas été ciselés par les combats et la lutte que tout un chacun découvrait ici. Pourtant, il avait de l'élégance et une certaine prestance déjà, irradiant la bonne santé, son regard d'acier souligné par une robe bien étrange. Le jeune étalon possédait en effet un pelage à couleur de fond gris fumée. Ce gris était agrémenté de pommelures dont on ne voyait que les contours sombres, sur les parties charnues de son jeune corps, tandis que les membres et le dessous du corps du jeune être, tout comme la ligne de son dos et le sommet de sa tête, se paraient d'anthracite. Enfin, ses extrémités, oreilles, pointe du nez, bas des membres, semblaient trempés dans l'encre luisante. Un brin d'argent resplendissait sur sa robe, hérité de la teinte pâle de sa mère. Portant haut la tête, le jeune être paraissait flamboyer d'énergie contenue, royal et déjà puissant, et son regard gris ombré de cils noirs possédait déjà l'aspect perçant des yeux de sa lignée. Encore inconscient de sa beauté, il dansait plus que ne marchait, sur la pointe des sabots, pieds levés hauts, et sa façon de regarder ses interlocuteurs par-dessous son toupet soyeux lui donnait des allures de jeune séducteur.
Il aimait d'ailleurs à faire le jolicoeur auprès de ces dames, amusé par ce jeu qu'il découvrait, bouillonnant de vigueur et d'hormones, et quand il ne se lançait pas dans une course folle et sans but, Shiki paradait devant les demoiselles...ou plaisantait avec Undisclosed Desires, un étalon plus âgé que lui mais dont il se sentait bien proche, comme une étrange amitié entre un étalon en pleine fleur de l'âge et un être en construction.
Freinant soudain, Shiki élargit ses naseaux. Un bruit...il s'arrêta, image même de la vigilance, attentif, mais sans crainte. Les chevaux du Clan de Glace le connaissaient assez, ce d'autant plus qu'il avait une structure semblable à celle de sa lignée, et nul n'aurait osé attaquer le petit fils de la Renégate. De même, en vertu de l'Alliance des Thars, le jeune être se trouvait totalement protégé des attaques de léopards. Mais alors, qui déboulait? Il entendait son pas sans encore la voir dans l'obscurité tiède de la Forêt de printemps.

Une demoiselle. Une adorable jument, à peu près du même âge que Shiki, peut-être plus âgée, comme une déesse surgissant soudain entre les troncs teintés d'émeraude par les ombres des ramures. La jument se tenait droite, face à lui, tandis que le jeune étalon anthracite déboulait d'entre deux fourrés, pour stopper à son tour, saisi par une rencontre qui le frappait. Cette jument...elle avait son âge, à peine plus, au vu de la beauté gracile de son corps de jeune adulte. Une robe d'or pur, plus nuancée que celle uniforme de Sun Star, chatoyante et colorée, l'enveloppait comme une nymphe se drape dans un voile de soie brillante, orné de pommelures pâles, petits flocons d'argent déposés par une bien étrange magie avec une telle perfection. Sa crinière d'argent, plus claire que celle d'Odyssée, plus lumineuse que celle de Liberty, plus luisante qu'un diamant, s'enroulait avec souplesse autour d'une encolure gracieuse, arquée comme celle d'un cygne, au sommet de laquelle, sublimée par un toupet clair, une somptueuse tête révélait ses lignes pleines de finesse et d'aristocratie. Une jument, à n'en pas douter, au vu de la maturité qui brillait dans ses yeux, si différente de ces pouliches qui détournaient les yeux devant les ébats du jeune séducteur, si différente de ces gamines encore innocentes et timides, sans conversation, tout juste bonne à complimenter la gracieuse encolure du jeune mâle.

Pour le coup, il était presque l'intimidé...Shiki dévisagea quelques secondes la demoiselle, hésitant presque à jouer les jolicoeurs, sidéré par cette apparition qui, dans la pâle clarté nimbant les alentours, ressemblait à une véritable révélation, comme si une déesse antique avait soudain surgi sous les yeux émerveillés du jeune mâle. Puis, passé ce premier moment d'éblouissement devant la beauté de la jument d'or, Shiki se reprit, cambra son encolure et salua avec un sourire. D'ordinaire il se cabrait, jouant au mâle viril et puissant, ce jour-là, le jeune être se contenta de ployer son genou couleur suie, et d'incliner la tête en rouant le col, en une gracieuse révérence, un hommage à cette belle inconnue. Sa crinière, plus noire et luisante que les plumes d'un corbeau, frôla son encolure grisée, et lorsqu'il se redressa, son toupet déjà assez long et soyeux retombait sur la moitié gauche de son visage. A travers le voile léger des crins, les yeux perçants du jeune étalon ne quittaient pas cette rencontre imprévue, cette jument d'or et d'argent, si jeune et si...adulte en même temps. Avec un léger pas de côté, genoux levés haut car telle était son allure, héritée de son père, Shiki sourit à la jument et se présenta:

"Bonjour, je m'appelle Shiki...quel est ton nom?"

Elle était de son âge, il estimait normal de la tutoyer, et ce "tu" dans sa bouche ne constituait pas un irrespect, bien au contraire. Habitué aux jeunes juments facétieuses et toujours une plaisanterie aux lèvres, une exclamation vive, Shiki se sentait comme désarmé en face de cette femelle irradiant, non seulement la jeunesse et la beauté, mais aussi la maturité. Cette aura était quelque chose que même un cheval encore jeune comme il l'était était capable de ressentir et de qualifier, quelque chose qui influait aussi son jugement et surtout, éveillait sa curiosité...mais qui était cette jument, pour être si jolie, si jeune et adulte à la fois? Qu'est ce qui avait composé cette alchimie si particulière? Elle n'avait rien, vraiment rien à voir, avec les pouliches devant lesquelles il avait coutume de parader, et cette différence marquée intriguait Shiki, lui donnant envie de mieux connaître la jeune femelle.

Oh, il ne courberait pas son encolure devant elle, ni ne lèverait les genoux en un pas de danse élaboré et instinctif à la fois. Non, il ne lui jetterait pas de regards en coin par-dessous son toupet luisant, non, il ne jouerait pas à s'approcher et s'écarter comme il le faisait face à toutes les autres juments. Non, il ne ferait pas le jolicoeur, et il ne savait pas se l'expliquer! Mais voilà...elle l'impressionnait, l'impressionnait favorablement, et devant la demoiselle, il demeurait presque planté sur place, avec l'impression que ses jambes étaient devenues de plomb et que sa langue avait perdu toute son habileté, l'esprit tournant à plein régime, oscillant entre une curiosité dévorante et une admiration toute aussi intense, admiration, naturellement, de la beauté physique de la jument. S'il était inconscient de sa propre allure, Shiki était sensible à celle des juments et bien qu'il ne mesurât pas toujours l'émoi qu'il pouvait provoquer auprès des juments à peine pubères, ces jeunes femelles de sa génération, il lui arrivait de rester tout simplement saisi devant la beauté physique d'une jument. Oh, jeune encore, son attirance était rarement de nature charnelle, c'était plutôt l'harmonie des courbes et des teintes qu'il goûtait chez les juments, sans encore que l'instinct de reproduction prenne le pas sur sa sensibilité...et pourtant, pourtant, il y a toujours un peu de cela derrière son regard brillant, un je ne sais quoi d'impatience, un trouble qu'il découvrait et qui le laissait parfois pantelant sans qu'il pût le nommer, ni même le décrire à autrui, comme un instinct, un réflexe, celui de tout animal face à un membre de son espèce du sexe opposé et en bonne santé...mais cela, Shiki y était encore assez peu sensible, bien loin de certains de ses congénères, véritables coureurs de jupons, il préférait le jeu de la séduction.
Auquel il était trop impressionné pour jouer.

Elle était si belle, si mignonne, si élégante enfin! Déesse drapée dans un drap d'or et de satin...et elle baissait les yeux, d'un geste furtif, comme une ablette qui se faufile dans les roseaux, baissait les yeux avec toute la grâce de ces demoiselles pudiques d'un autre temps, avec toute la douceur d'une jeune jument. Shiki frémit de tous ses muscles, légèrement, son coeur battant la chamade entre ses côtés, au point qu'il était presque surpris qu'elle ne le note pas. Elle avait un physique magnifique, et la maturité qui émanait de son corps encore juvénile constituait un savoureux mélange entre les courbes d'une belle jument de son âge, et l'aura attirante d'une adulte. Non, ce n'était pas là une pouliche...c'était une dame. Une demoiselle. Et Shiki sentit, au milieu de tous ces émois qui le bousculaient sans ménagement, un respect immense se coupler à son admiration et au trouble qu'elle distillait, délicieusement, de ses yeux bruns pailletés.
Bruns pailletés d'or, océan de métal précieux, et Shiki s'y abîma, corps et biens, sans même s'en rendre compte, captivé et saisi plus que frappé par ce regard de diamant liquide, ces yeux flamboyants, doux et forts à la fois, avec ce je ne sais quoi de réserve qui définit la grâce. Ô, par ses ancêtres, par Hymlya, Devil, qui encore? Par ses aïeux, quelle grâce...une véritable naïade, qui lui adressait la parole. A lui, le poulain pataud, qui se sentait si ridicule devant cette jument si mature, belle et forte, là où il était faible, puéril et dégingandé.
Moondance. Belle comme la lune, ce symbole de la féminité, oui...Shiki aurait bien aimé répondre, mais il lui fallait attendre que son cerveau retrouve ses moyens, son cerveau littéralement submergé par une vague immense lorsque la douce voix de la jeune femelle s'était élevée au milieu des arbres. Elle était belle la forêt, d'ailleurs, bien plus belle qu'il y avait cinq minutes. Rendue bien plus belle par la présence de la jument en son coeur...Shiki finit par reprendre plus ou moins, plutôt moins que plus, ses esprits, et parvint à articuler une phrase cohérente. Dont le ridicule aurait pu le faire rougir de honte:

"Je...enchanté, Moondance, enfin je veux dire, Moon'. C'est vraiment un joli nom, ça te va bien...après tout, je suis sûr que même la lune n'est pas plus brillante que ta crinière."

Si cela avait physiquement possible, et possible en présence de la jument, il se serait foutu quelques coups de sabots, comme ça, pour punir son cerveau divaguant. Maladroit, pitoyable, lamentablement ridicule. Il avait voulu faire un compliment, il allait passer pour un charmeur hypocrite. Bien Shiki, bieeen. Le jeune étalon dansa d'un pied sur l'autre et finit par demander, quêtant désespérément un sujet de conversation:

"Tu es solitaire, n'est ce pas?"

Bien, de mieux en mieux, il allait bientôt toucher le fond de l'abysse là. Si ça avait été volontaire, ça n'aurait pas été pire...Shiki remua la queue, soudain rendu timide par la beauté étonnante de cette jument. Il s'était toujours considéré comme plus mature que les autres poulains, et c'était vrai mais la force de cette jeune adulte le ramenait soudain au niveau intellectuel d'un poulain nouveau-né, naïf, innocent, et ne sachant que faire pour exprimer son admiration.

MoonDance piqua un fard en plein milieu de la clairière. Alors ca, si c'était pas la chose la plus gentille qu'on lui ai dite ! De plus en plus gênée, rendue timide par la présence de ce jeune mâle qui lui parlait comme à une amie, elle ronfla légèrement des naseaux, pas de peur, mais un peu de timidité, ne sachant pas trop comment se comporter face à cet étalon qui, elle le savait, lui était déjà bien plus cher que tous les autres. Cette certitude se frayait un chemin vers son cerveaux, émanant de son coeur, qui pulsait tellement qu'elle se sentait prête à s'envoler.
En fait, la jeune jument au poil chatoyant serait bien restée là pour l'éternité, à admirer le mâle qui se tortillait à quelques mètres d'elle. Ah, lui aussi avait l'air gêné. Ca la rassurait quelque peu, elle qui d'habitude menait les conversations, tant avec les jeunes qu'avec les adultes !

"M.. merci... ta robe n'a rien à lui envier ! Elle est assez incroyable.. "

Les deux jeunes laissèrent passer un moment de silence, dans lequel Moon se détendit légèrement. La question du mâle, cependant, la mis sur ses gardes. Elle ne décelait rien de méchant dans l'attitude de Shiki, cependant, alors elle répondit avec un sourire adorable :

" Oui, je suis solitaire. Toi aussi, ca se voit ! "

Qu'elle était belle, une perle rare dans l'océan de tous les chevaux du monde...Shiki aurait pu passer des années à l'admirer, juste pour la regarder, sentir son odeur de fleurs et de liberté à quelques pas de lui, admirer la douceur et la force de son regard d'ambre, le jeu délicat d'une crinière soyeuse sur une encolure gracieuse...Oh, quelle beauté se tenait devant lui, lui si chanceux de pouvoir parler à une telle nymphe des bois! Cet arc d'encolure et ce maintien, et ce regard, et ces traits sauvages et aristocratiques, tout en elle respirait la distinction et l'élégance, si bien qu'elle le réduisait au silence, lui le bavard, lui qui d'ordinaire menait les conversations et son interlocuteur comme bon lui semblait, lui habile avec les mots et les sons, lui le charmeur se trouvait soudain charmé.
Elle semblait aussi gênée que lui, à danser et ronfler maladroitement, et Shiki s'en voulut d'avoir mis mal à l'aise une si belle jument. Non, il ne parlait pas que de sa beauté physique! Et une si gentille jument, car elle lui répondit à son tour par un compliment, qui était, il n'en douta pas une seule seconde, tout à fait sincère, sur sa robe gris fumée. Shiki, d'ordinaire, aurait arqué le col et lancé un bon mot. Mais il se trouva tout benêt à sourire, un sourire un peu fragile de celui qui craint encore d'être repoussé et n'ose croire à ce qui lui arrive, et murmura un léger:

"Je...merci. Je la tiens de mes parents, alors je n'estime pas avoir grand mérite à posséder une telle couleur..."

Il se détendit un peu dans le silence, d'autant plus qu'il ne semblait pas ennuyer Moondance, la danseuse de lune. Quel beau nom, danse, danse lunaire! Pour l'instant, c'était plutôt le coeur de Shiki qui dansait, affolé, tandis qu'une vague d'émotions, désir, admiration, respect mêlés, et par-dessous tout une grande envie de rester là avec elle, lui montait à la tête. Elle était si...spéciale!
Il s'en voulut d'avoir tendu l'ambiance avec sa question, mais Moon répondit avec un sourire. Aaah, sourire. Shiki aurait pu se pâmer, se damner, se livrer pieds et poings liés au diable et aux Shikaku réunis pour voir encore et encore ce sourire si ravageur! Etrangement, il reprit alors un petit peu d'assurance. La raison en était simple: il se sentait bien en compagnie de Moondance. Il arqua donc légèrement le col et sourit en répondant, humble:

"Oui, ça se voit...et pour toi aussi d'ailleurs. Désolé, c'était une question idiote, je sais bien. C'est bien bête de ma part, je ne suis pourtant pas du genre à perdre mes mots!"

Il passait outre ce vieux réflexe de survie lui disant de se protéger. Non. Il pouvait bien se livrer à une personne, n'est ce pas? Et c'est ainsi qu'il révéla le fond de sa pensée et son trouble, qui lui faisait perdre l'usage du langage élégant et raffiné dont il était coutumier...Finalement, il se lassa de piétiner et fit deux pas vers Moon, interrogatif et presque timide:

"Et si on marchait un peu?"

Oh dieux de tous les Clans, il venait vers elle. MoonDance resta plantée là, le souffle coupé : pitié, que cet Apollon, ce cheval doté d'une beauté, de quelque chose de spécial, de divin, qu'il s'approche encore ! Qu'il la frôle, qu'il la touche, qu'elle sache si un tel être était bien réel, et que ce n'était pas un de ces fantômes sortis de ses fantasmes...
La jument ressentait toujours cette pointe d'appréhension, mais n'était-ce pas plutôt de l'excitation envers l'inconnu, de l'expectative quant à ce qu'elle imaginait ? Car autant dire que son imagination, guidée par son coeur, galopait comme si elle avait le diable aux trousses... Oui, elle était encore intimidée, et sa gorge était toujours nouée, mais cependant, l'envie, le désir et un tout autre sentiment qu'elle ne connaissait pas enflaient comme un gigantesque brasier en elle.
Se retenant de déglutir, Moon offrit un autre sourire gratuit, un peu moins timide à Shiki, et ses yeux pétillèrent lorsqu'elle s'ébroua, émettant le son feutré d'une damoiselle secouant sa robe. Un peu amusée mais pas moqueuse, elle fit à son tour deux pas vers l'étalon, cédant sans plus résister, à son grand étonnement, aux charmes de celui ci. Ils étaient proches, maintenant, tant qu'ils auraient pu se frôler de leurs naseaux veloutés rien qu'en tendant leur encolure juvénile.

"On peut se tromper sur ces choses là, alors une question n'est jamais idiote, t'inquiète pas ! "

Eh oui, les intuitions jouaient souvent des tours, bien que très rarement à Moon, forcément... La jument or et argent sourit de nouveau, une étincelle... de tendresse ? au fond des yeux. Oui. Autant qu'elle le reconnaisse tout de suite... elle le connaissait depuis moins de dix minutes... et elle était déjà amoureuse de lui. Un peu honteuse, Moon' se fit l'effet d'une jument facile, puis secoua mentalement sa tête : non, ce n'était pas qu'une amourette de passage...

"D'accord, marchons ! "

Son allant un peu retrouvé, MoonDance s'avança à nouveau vers Shiki et s'enfonça dans la forêt, en profitant pour frôler, mine de rien, avec extase la robe argentée de l'étalon, comme une caresse interdite, et volée.

Elle est belle comme
Une princesse de sang
De celles qui rendent un homme
Faible et languissant.

J'ai la fièvre dans le sang
Cette fille m'échauffe les sangs
Comme un adolescent
Je déraille bon sang!
J'ai la fièvre dans le sang
Cette histoire je le sens
Ne finira pas sans
Effusion de sang!

Alain Chamfort - La Fièvre dans le Sang

Un canon. Une déesse, une splendeur, et qui n'esquivait même pas, ne s'enfuyait pas à son contact. Non, elle était demeurée là, s'ébrouant avec un sourire qui donnait des ailes à Shiki, et même...Ah, mais elle s'avançait, avec toujours ce sourire brillant et ce regard lumineux. Pitié, vite, des lunettes de soleil! Elle était si proche que Shiki aurait pu tendre son col et effleurer le poitrail gracieux et solide de la demoiselle, Moondance, si proche et belle! Oh, il brûlait de la toucher, la frôler, s'assurer qu'elle n'était pas une déesse échappée d'un rêve, mais n'osait. Etrange timidité qui le retenait là...
Ce sourire! Il aurait pu y plonger, s'y noyer, y naviguer...mon Dieu, vite une bouée, Shiki sait nager mais là, dans ces yeux, il se perdait. Et pire, il se perdait avec plaisir, heureux de se noyer et désireux de couler de la sorte, satisfait et content. Que pouvait-il demander de plus, que la clarté trouble et douce de ces yeux noisette, cette crinière d'argent auréolant une robe d'or, que demander de plus que sa présence, son odeur, son contact aussi? Comme il désirait la toucher, sans l'oser, de crainte d'effaroucher la jolie demoiselle, de crainte qu'elle ne s'enfuie, s'envole, comme une hirondelle du printemps. Oh, qu'elle était belle...quelle splendeur!
Et elle lui proposait, de sa douce voix, chaude comme une nuit d'été, douce comme le duvet d'un poussin, de marcher un peu. Non, elle acceptait sa proposition et...diablesse, qui le frôla soudain en se mettant en marche! La douceur de sa peau, cette robe frémissante et le muscle qui dansait dessous, ce pelage chaud...Shiki se figea, et pour un peu, il aurait tremblé mais non, il se contenta de la suivre, mal assuré, et de se hisser à sa hauteur. Marcher à ses côtés et soudain, coquin, prétexter de s'ébrouer pour frôler de ses naseaux l'épaule luisante de la jument, une caresse volée, une caresse prétendument involontaire, pour tester ses réactions, voir si elle le repousserait, ou si elle accepterait...Shiki reprit sa marche près d'elle, et leurs épaules, leurs crins parfois se frôlaient au gré des mouvements. Tiens, il était un peu plus grand qu'elle, mais quoi d'étonnant à cela, lorsqu'il avait la carrure des étalons de sa famille?
Il chercha une question, pour relancer la conversation. Oh, il serait bien resté là, à marcher avec elle, jusqu'à la fin des temps, mais il avait peur qu'elle ne s'ennuie:

"Quel âge as-tu, Moondance?"

Elle avait perdu sa mère? Le souvenir d'Odyssée vint se nouer dans les pensées de Shiki, Odyssée la jument grise, riante, souriante, heureuse, sa mère, toujours là pour lui et le défendant quand il ne savait pas encore le faire. Elle illuminait ses jours de poulain, même s'il aurait aimé connaître mieux son père, qu'il n'avait vu que le jour de sa naissance, et ne connaissait que par les récits. Il s'en était construit une image, celle d'un étalon noir, plus fin que Black ou Equinox, mais avec la fierté de leur port de tête, quelques marques blanches rehaussant sa robe, quelques cicatrices marquant le corps du fils de la Renégate. Aglow Star...Shiki soupira et à son tour, fit une confidence:

"Ah...Moi, c'est mon père que je ne connais pas vraiment. Il était là le jour de ma naissance, je m'en souviens, mais...c'est quelqu'un qui voyage beaucoup. Je ne lui ai jamais parlé. J'aimerais le voir un jour..."

Silence. Ca compte dans une jeune vie, un père.
Puis Moon le questionna sur son âge et Shiki sourit:

"A vrai dire, Moon', nous avons presque le même âge alors! J'ai deux ans et demi environ, puisque je suis né en été...donc, un peu moins de deux ans et demi."

Puis, la voix admirative de Moon' le fit rougir et il s'ébroua en marmonnant:

"Ben oui mais ça c'est normal...je suis un étalon, enfin presque! Et puis, mes grands parents sont grands aussi, et surtout, mes grands parents."

Il croisa le regard de Moondance et sourit, presque timide, mais désireux de la complimenter. Et tant pis si elle le prenait juste pour un flatteur!!

"Mais toi Moon', tu es plus...je sais pas, plus adulte que moi, j'ai l'impression."

Petit sourire scintillant:

"Ou alors, juste plus jolie, et ça, sans aucun doute."