Vole au vent [Gondor]

Un vent puissant soufflait sur les Hautes Pierres, comme toujours à cette altitude, chassant les nuages qui s'étiraient comme des filaments de coton, déchirés par la force des courants d'air. Le ciel était très dégagé, fait rare en cette saison où la nature renaissait sous la fraîcheur revigorante des pluies de printemps, et un soleil, froid mais brillant, illuminait le paysage alentours.
Penchée au dessus du vide qui s'ouvrait sous la Falaise, immense abîme, attirant et effrayant, une jument grise, à la crinière ébouriffée par le vent puissant, observait le fond du Défilé, un fond qu'elle ne pouvait voir, puisqu'une brume blanche y flottait, masquant les contours et rendant trompeuses les évaluations de hauteur. Le vent fouettait son corps sans la moindre pitié, faisant parfois frémir sa robe grise sous le froid d'un courant plus puissant, mais il ne la déséquilibrait pas.
Odyssée redressa la tête, admirant le paysage magnifique, éclairé par un soleil clair qui sublimait la beauté des terres s'étendant à ses pieds.
Le vent, puissant, aurait pu la déséquilibrer, à cet endroit où le moindre faux pas signifiait une chute mortelle vers cet abîme, ce gouffre qui lui tendait les bras. Mais la jument ne prêtait même pas attention à la force de l'air, qui était bien incapable de la gêner. Elle avait quitté le Clan des Étoiles voilà bien des années, et, sous la tutelle de Stelmaria, elle était devenue une mortelle combattante, aussi redoutable que le fils de la Rénégate, Aglow Star, qui aurait pu être son frère adoptif étant donné qu'elle considérait la jument rouge comme une mère. Mais il n'était pas son frère. Il ne le serait jamais. Il était son amant. Récemment elle était devenue solitaire, à la fois attirée par la liberté et par le cheval noir.
Âgée de trois ans, elle avait bien grandi et n'avait plus rien de la pouliche qu'elle avait été, excepté la beauté. Mais ce n'était pas la beauté de sa mère Liberty. La jument blanche était tout en grâce et en courbes, avec la beauté exotique des chevaux arabes, et leur douceur. Elle, possédait une beauté, une grâce envoûtantes mais plus sauvages, plus brutales. Sa tête était fine et sauvage comme celle de son oncle Black, son corps fin, avec une délicatesse d'ossature que jamais un étalon n'aurait pu avoir, sculpté par des muscles ciselés, durs et fins, qui jouaient sous une robe couleur d'argent et légèrement pommelée. Ses crins fins et souples, soyeux comme ceux de sa mère, étaient couleur gris perle, et son regard brûlant passait de la teinte claire de l'acier à la couleur sombre de l'ardoise, voire à l'anthracite.

Au dessus d'elle, Ska s'amusait. Planant dans les courants puissants, l'aigle jouait avec le vent, le vent incapable de la saisir, de la ballotter dans son souffle tourbillonnant, et qui se contentait de danser avec elle. L'air coulait, comme de l'eau, le long de ses ailes chocolat, pour s'échapper en glissant sur sa queue empennée de plumes sombres. Sa tête allongée, dotée d'un bec ocre et d'yeux bleu électriques, fendait l'air comme la pointe d'une flèche, et son vol gracieux rappelait irrésistiblement la grâce sauvage des prédateurs terrestres, loups ou félins.
L'aigle passa en rase-mottes au niveau de l'encolure d'Odyssée, qui se cabra et tournoya sur elle-même pour faire mine de saisir son amie. Elle bondit lorsque Ska reprit son vol et, l'espace d'un instant, parut vouloir s'envoler avec elle.
Sauvages parmi les sauvages, les deux prédatrices jouaient avec grâce, ivres de liberté.