Imaginons...

Il était bel et bien la . enveloppé de ses étoffes mouvantes et d’un blanc nacré , marchant pas feutrés , traînant derrière lui sa corolle de nuages enfumés . son souffle froid cristallisait toute la nature , qui tendait ses bras , impuissante , face a ce fléau répétitif et quasiment permanent en Alaska . Le sol tapissé d’une mousse spongieuse et délicieusement odorante devenait d’une poudre fine et douce , les fleurs se métamorphosaient en lymphes de glace , et les butineurs se terraient au fond d’une souche pourrissante , en espérant revoir un jour le printemps . Les longs saules feuillus perdaient leurs parures d’émeraude , les pins striés de noir se recroquevillaient , comme nus , alors que les lourds sapins s’enhardissaient , maîtres de la terre , resplendissant dans leur nouvel habit de vert et de gris .

Le ciel , d’un délicat bleu azuré virait au gris terne et sans attrait , vidé de toutes ses nuances fascinantes et de tout nuage moutonneux , perdu et d’un blanc laiteux qui l’aurait agrémenté . Les grands oiseaux fuyaient le froid qui déjà , se lançait a leur trousses , et les petits retardataires , pas plus gros qu’un jeune poulet , regardaient leurs aînés s’envoler , certains de ne pas revoir le soleil se lever . Ecureuils et mulots terminaient d’enterrer les dernières noisettes tardives , grignotant la moindre graine qui traînait sur le sol , mettant toutes les chances de leur coté pour hiberner au chaud , nourris et sans soucis . Au fin fond de la terre , les fourmis rebouchaient les pores de la terre avec des feuilles sèches , formant des tas englués de colle naturelle pour éviter que la colonie se transforme en couloir totalement aéré et explosés aux prédateurs nocturnes .

Cerfs et rennes quand a eux , broutaient l’herbe rêche qui restait collée sur le sol , avant de se rassembler , animés par un seul instinct , celui de survie . Ainsi on entendait chaque jour leurs lourds sabots frapper la terre , gagnant par troupeaux entiers les plaines herbeuses du Sud est , évitant eux aussi le passage du maître de l’hiver . La faune semblait fuir tout le pays , et enchaînée au sol , la flore ne pouvait que subir .. Et mourir .

Et pourtant … Il y avait peux être une seule âme aux alentours qui ne sentait aucune pensée mélancolique et glacée hanter son cœur , quand le mot hiver venait sonner au fond de son esprit . Je suis cette personne . Ni loup ni humain , je ne suis qu’un chien . Le sort en ayant décidé le jour de ma naissance , je ne pouvais ni être un fils de la nature qui la créait ou la détruisait . J’étais .. Entre les deux . Mi chien , mi . . . Etre de fumée . Car mon arbre généalogique semble être plongée dans le feu , l’air , la terre et l’eau , si bien que mon coté paternel m’est resté inconnu , et le restera toujours . Etait ce un chien , un loup , un ange ou un démon ? Ma mère l’aimait elle ou était ce , une fois de plus , un mariage forcé ? Ces questions resteraient évidement , sans réponses . Et elles sonneraient toujours creux , bien au fond de mon esprit . Et pourtant j’étais la . Décidé a profiter de la vie qu’on m’avait offert , sans offre en retour . Un cadeau sans doute empoisonné , mais un cadeau tout de même .

Plongé dans la neige jusqu’au cou , mon poitrail fend la mer de brume , qui scintille au soleil . C’est tout simplement sublime . Une a une , mes pattes élancés se lèvent , trouant le manteau glacé de l’hiver , et creusant peu un peu un sillion qui serpentait entre les arbres qui caquent , secoués par le vent d’hiver . Mes oreilles pointés en avant , je balaye les alentours d’un regard que je sais profond et d’une couleur chocolatée , pour m’être tant de fois penché sur mon reflet , sans réponse . Mon poil long et fin recouvre tout mon corps en trois couches épaisses , que je sais de plus en plus douce et profondes au fur et a mesure que ma peau veloutée se rapproche . Ainsi paré , je n’ait jamais eu froid . L’eau ou la neige se dépose sur moi , sans m’attendre . La tête haute , je leve le nez et hume l’air glacé . Ça sent l’écorce arrachée et la sève qui sèche au soleil . Parfois j’entrevois le parfum d’un chien , ou peut être d’un loup . Une fois j’ai senti l’odeur corsée d’un homme , et mes pattes emballés m’ont permis de le fuir , sans qu’il n’ait pu apercevoir ma silhouette fuselée taillée dans deux couleurs différentes . Tout en moi n’est qu’un , mais je suis deux . Je suis le noir et le blanc , je bien et le mal . Je suis le silence et le bruit , la joie et l’ennui . Esprit mitigé .

La mer de neige s’achève en un rempart si brusque que j’u tombe tout entier . Devant moi , un imposant tronc laisse tomber une ombre pesante sur mon corps masculin . d’un coup de reins , je saute dessus . Aussitôt , la douleur s’empare de mes coussinets , et je claque brusquement des mâchoires , sentant le gel refermer ses crocs aigus sur ma peau fine et pale . D’un mouvement , je dégage mes pattes endolories , plantant du même coup mes griffes dans l’écorce spongieuse , évitant ainsi a mes pattes de déraper . Et soudain je comprend pourquoi un profond malaise me paralysait l’esprit . Une cascade .

Figée en plein élan , ses crocs monstrueux me regardent d’un air vicieux , suspends juste au dessus de ma tête . L’hiver l’a statufiée en plein élan et pourtant elle est au dessus et en dessous de moi … A plus de cent mètres de profondeur . Un haut le cœur me fait serrer les lèvres et j’avance doucement , posant une a une mes pattes noires sur le tronc qui me paraît tout a coup , bien trop petit et instable . Mes griffes harponnent profondément le bois , par réflexe . Mes pas se font légers mais précis . Et enfin je saute de l’autre coté , dans un nouveau bain de glace . Il neige .

Levant le nez , je darde un regard émerveillé au ciel , comme un jeune chiot qui la découvre pour la première fois . Un sourire simple étire mes lèvres noires . J’ai trop souffert pour manquer encore une fois le spectacle de la nature , et ma vie n’est composée que de plaisirs sommaires mais heureux . Une rencontre . La naissance d’une fleur . La première neige en ma présence . Ne pouvant plus détacher mes yeux des nuages gonflés , je sens les particules de poussière blanche se poser sur mon poil lisse , sans foudre , restant intacts . Presque intimidé , je ferme les yeux , remerciant la brise qui glisse des doigts amicaux au fond de ma toison profonde , créant des méandres au creux de mes reins .

Au bout .. D’une minute ? D’une heure ? Je me décidais a reprendre la route . Mes pattes impriment une marque légère sur la pente verglacée , qui ne frôle plus que les dix centimètres de haut . Automatiquement , mon regard se fixe sur une faille , creusée dans la muraille d’argent , qui se dresse en face de moi . Intrigué , je m’y approche , ne décelant aucune odeur aux alentours . Cette fissure est elle récente ? Perplexe de ne pas l’avoir discernée lors de mes dernières visites , je m’y engouffre , mon corps effilé y entrant sans problème . Comme quoi , avoir une carrure de taureau et dix kilos de muscles n’est pas forcement avantageux . Comment courir sans s’enfoncer dans la neige , comment passer dans les failles inexplorés , comment chasser un lapin agile s’il faut porter son propre poids en muscles … Et parfois même en graisse ?

Mes flancs râpent contre le mur de glace , et le sol doux se transforme en carrelage lisse , ou mes griffes laissent une marque légère en forme de faucille . Devant moi s’entend une sorte de long tunnel lisse , tout étant limé par le temps , l’eau et l’érosion . De plus en plus indécis , je leve les yeux et la vue me coupe le souffle . Ce n’est pas des stalactites qui dardent leurs pointes effilés vers le sol , mais un arc gigantesque qui a l’air aussi haut de la plus haute des montagnes ! Vaguement nauséeux , je pousse un râle qui se répercute longuement dans ce boyau glacé . Presque mal a l’aise , mais dévoré par l’envie de savoir ce qui se cache au bout de cette cathédrale de glace , je presse le pas . Sous mes pattes , le tapis glacé se transforme en macadam granuleux et hérissé de milliers de lames en cristal de roche . C’est sublime … Mais douloureux . Prenant le galop , les bonds se succédant aux bonds , je tente de toucher le sol le moins possible , battant des records de vitesse et sans doute de sauts en longueur . Mes pattes écorchés sèment derrière moi un filet de sang écarlate qui eubaume l’endroit d’une senteur douce-amer , m’éceurant au plus haut point . Et puis soudain . . . C’est la chute .

Un long toboggan de glace que je n’aurais pu soupçonner , même dans mes rêves les plus fous , s’offre a moi . Je culbute , tente de piller , mais mon équilibre légendaire ne me sert plus a rien , maintenant que mes pattes sont englués de sang et de copeaux de glace . Dévalant cette pente sur le dos , je ferme les yeux , tentant d’oublier dans quelle galére je viens de me fourrer . Un bruit d’eau . J’ouvre les yeux juste a temps pour voir mon reflet effrayé .. Et je tombe dans une marre glacée .

Etourdi , et abasourdi , je bas des pattes , mes coussinets entaillés me faisant souffrir le martyr . Excellent nageur , je remonte a la surface , d’autant que l’eau n’est ni agitée , ni profonde , et d’une limpidité presque irréelle . J’ai l’impression de nager dans mes propres pensées . L’air vivifiant me redonne courage et , en apesanteur , porté par l’eau calme , je regagne la berge , ou mes crocs impatients ont tôt fait d’extirper la glace entaillant mes pattes . En immersion dans l’eau , le sang coagule , la douleur se calme , devenant sourde , diffuse .

Tandis que je repasse la scène de mes péripéties en marche arrière , je détaille comme a mon habitude , l’endroit ou je me trouve . c’est tout simplement grandiose . Le plafond , haut de plus d’une centaine de mètres , forme une voûte parfaite hérissée des stalactites familières . Les murs d’opales , parfaitement lisses , luisent légèrement sous la lueur d’une clarté interne , sans doute des pierres précieuses ou quelque métau scintillant . Le sol est plat , presque doux , et l’air parfumé me donne l’impression de rever . Malgré tout , je suis bel et bien prisonnier . Car le toboggan qui m’a fait chuter est a plus de dix mètres de hauteur , et bien qu’assez doué , je ne suis pas bon grimpeur , surtout lorsque la paroi n’a aucune aspérité …

Soudain , ton odeur sucrée me fait dresser une oreille . Attentif , j’hume a nouveau . Les effluves sucrés sont bien la , très proches , mais je ne te vois pas . Car c’est bien toi , une chienne qui est avec moi dans cette prison de cristal . Pourtant , je ne te perçois nulle part , et cette pièce ronde regorge de cachettes en touts genres …

« Inutile de te cacher , je sais ou tu es ! . »

Lançais je sans réfléchir , contrairement a mes habitudes . Je sais désormais que tu es la , avec moi , dans cette pièce ou il n’y a pas de sorties . Je me sens moins seul , pourtant , tu te caches . As tu quelque chose a te reprocher ? Ou est - ce moi qui t’intimide ? D’un pas souple , je sors de l’eau , et commence a te chercher . Ma bravade n’était que pure invention .. Car je n’ai aucune idée dans qu’elle direction chercher ! Un peu d’humour dans cet endroit glacé , il en fallait bien un peu … Non ?