Surprise! [Mélancolie-Siana]

Après avoir longtemps suivi Pogo, la jument grise entendit soudain le lointain ressac de la mer, et une odeur iodée lui chatouilla les narines. Apparurent alors devant elle les bords déchiquetés d’une falaise, et derrière celle-ci, la mer infinie. Une avancée rocheuse, plus haut que le reste, s’avançait dans la mer ; l’érosion l’avait creusée si bien que Mélancolie se demanda comment elle parvenait à être toujours debout. Ce devait être le fameux pic du Diable. En-dessous, donc, il y avait la mer, d’un bleu pâle où des diamants de lumière scintillaient, calme, à peine agitée par une brise marine.

Elle avait rarement eu l’occasion d’aller au bord de la mer lors de son errance, elle préférait rester à l’intérieur des terres et, de manière ou d’autre, ne connaissait pas de chemin permettant d’y aller. Elle s’approcha au petit trot, impatiente de profiter pleinement de la vue de la mer. Elle s’avança jusqu’au bord de la falaise et contempla le paysage longuement, ivre de sa beauté.

Elle regarda longtemps la surface bleue de l’eau qui n’était que le reflet du ciel et le spectacle monotone de vaguelettes blanches d’écume qui se jetaient sur le sable avant de se retirer, spectacle qui toutefois la fascina pendant un instant. Puis elle tendit dangereusement l’encolure en se penchant en avant et plongea son regard vers le bas, bravant toute notion de vide et de hauteur. Il se promena le long des parois, rencontra des anfractuosités qui trouaient toute la surface de la roche, se heurta à de gros rochers éboulés qui avaient fini dans la mer et qui se dressaient encore avec leurs sommets plus érodés encore que les falaises, et enfin, fixa, curieux, des mouettes blanches qui piaillaient à qui mieux mieux en tournoyant au-dessus de l’eau.

Mélancolie, sans se soucier du danger, s’approcha du pic dans l’idée de grimper dessus pour dominer l’ensemble.

Pogo s'arrêta enfin, et Strangeness descendit de son dos. Le jour se levait, aussi les yeux du chat commençaient, lentement, a virer au vert. Celui ci se lécha, puis s'étira et partit dans un petit trot a côté de Mélancolie. Il était assez grand pour un chat, mais il restait tout petit par rapport a un cheval - il l'était moins a côté de Mélancolie, qui était plus petite que Pogo.

L'étalon aux yeux verts les regardait, tous les deux. Il fut presque pris d'une envie de pousser Mélancolie dans l'eau, mais il n'était pas assez fou pour le faire ; elle se ferai tuer s'il faisait cela. Il failli lui dire de faire attention, qu'elle pourrait tomber aussi près du bord qu'elle l'était, mais ne voulait pas passer pour le papa protecteur, alors il ne dit rien.
Il rejoint ses deux amis. Strangeness le regarda, et Pogo remarqua que ses yeux étaient a présent plus verts que jaunes, mais n'avaient pas encore leur couleur normale.

Tous deux observèrent la mer, sans cependant être aussi près du bord que Mélancolie.

Mélancolie se rendit compte qu’elle était très près du bord, trop peut-être même. Elle recula prudemment de quelques pas, regarda Pogo puis Strangeness, et trouva que quelque chose était bizarre avec ce chat… mais elle ne parvenait pas à dire quoi.

La jument grise décida de ne pas s’interroger davantage et eut l’idée folle de grimper sur l’avancée rocheuse, soit sur le pic du Diable même. Elle sourit malicieusement à l’alezan, lui lançant par le regard le défi de la suivre et, sans plus tarder, s’approcha au galop de l’avancée rocheuse pour ensuite sauter dessus, car le court passage reliant le pic aux falaises lui paraissait trop étroit et pas assez stable. Elle n’avait sauté qu’une fois au cours de sa vie, lors de la fuite de la maison de ses maîtres. Et ses épaules lui firent si mal, tandis que leurs muscles s’étiraient en avant, que la douleur l’aveugla momentanément. Elle perdit tout contrôle de son corps. Elle se réceptionna en glissant, un postérieur dans le vide, les antérieurs tremblants. En frissonnant, elle le ramena prestement sur la roche creusée d’ornières, celles-ci emplies d’eau ; de la mousse s’y était également développée.

Refoulant sa peur au plus profond d’elle, oubliant également sa douleur, Mélancolie progressa un peu le long du pic, faisant attention à l’endroit où elle mettait le sabot. Elle évita de marcher dans les flaques, elle n’aimait pas la sensation d’humidité, et esquiva donc agilement les ornières. Peu à peu, sans regarder autre chose que le sol devant ses sabots, elle arrivait à la pointe de l’avancée.

Pogo hésita quelques instants, mais env oyant le chat s'élancer avec souplesse derrière Mélancolie, il n'hésita plus, et partit en calquant son allure sur celle de la grise.
Pogo galopait avec souplesse et rapidité, tout en restant prudent ; le chat cependant était si petit qu'il n'avait pas la moindre difficulté a se déplacer.

L'étalon suivit Mélancolie dans son saut ; il remarqua que celle-ci eut du mal, alors que Pogo franchit avec aisance, grâce et souplesse l'obstacle. Il atterrit en douceur et continua son avancée. Strangeness avait pris du retard mais rattrapa vite.
Qu'il aimait sentir ses sabots marteler le sol dans un bruit sec qui se coordinait avec celui des vagues frappant la falaise ! C'était un plaisir simple, mais pur et, peut être, justifié.

Enfin, il s'arrêtèrent. Les deux compagnons, essoufflés, regardèrent Mélancolie. Maintenant que le jour était levé, leurs yeux étaient exactement de la même couleur ; c'était assez étrange.

La jument grise, arrivée au bout de l’avancée, s’arrêta. De là où elle était, elle avait comme l’impression de flotter au-dessus de la mer, de la dominer, de dominer le monde entier. Elle entendait le ressac avec en plus d’intensité, voyait les mouettes d’encore plus près ; c’était comme si ses sens s’étaient décuplés, alors qu’elle s’était seulement un peu avancée. Elle ne se souvint pas avoir ressenti un pareil sentiment d’extase de toute sa vie. Comme lors de son galop, il y avait à peine une heure, elle avait l’impression de pouvoir franchir le moindre obstacle, même s’il était gigantesque. La distance qui la séparait de la mer ne l’impressionnait même plus.

Les yeux pétillants, elle se retourna vers l’alezan et son compagnon, qui l’avaient suivie. Son bonheur fut brusquement douché par un sentiment proche de la peur quand elle vit que les yeux de Strangeness étaient devenus semblables à ceux de Pogo. C’était donc cela, ce détail qui lui avait semblé étrange ! Troublée, la jument détourna le regard, et tenta d’oublier pour quelques minutes ce détail en contemplant de nouveau le paysage baigné par les lueurs naissantes et à présent dorées du soleil. C’était tout simplement le plus beau paysage, peut-être même le plus beau moment, qu'elle avait vu de sa vie entière.

Pogo la regarda, tout souriant. Puis il s'approcha au bord, tout près de la mer, leva la tête, ferma les yeux, et inspira pleinement l'air iodé et marin. Il se sentait puissant, important, il avait l'impression d'être le maître du monde. C'était stupide, bien sûr, mais si revigorant !
Il ouvrit les yeux et jeta un regard a Mélancolie. Il suivit son regard et admira, lui aussi, le soleil levant qui les baignait d'une lumière douce et orangée. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait ce spectacle, mais il le trouvait toujours aussi beau. C'était rare qu'il puisse le faire découvrir a une nouvelle venue, et il était heureux, juste heureux.
Comme quoi ce n'est pas difficile de trouver le bonheur.

Strangeness avança doucement et vint s'asseoir juste entre les deux équidés. Il n'était pas autant admiratif devant le spectacle que les deux autres ; il était en réalité bien difficilement impressionnable. Mais il devait l'admettre, c'était beau.

A en voir le soleil qui grimpa lentement dans l’azur du ciel, Mélancolie resta longtemps immobile à contempler le paysage. Elle ne parvenait pas à s’en lasser ; la brise marine qui soulevait ses crins et transportait à ses naseaux une odeur iodée comme le murmure mourant et monotone des vagues la fascinaient à chaque instant.

Mélancolie remercia intérieurement Pogo de l’avoir emmenée ici. Elle ne regrettait en rien le court voyage qu’elle avait effectué pour venir là, si ce n’était la vision apocalyptique qu’elle s’était faite du pic, pic qu’elle aurait alors trouvé encore plus impressionnant, tout comme, peut-être, le paysage environnant. Mais le paysage qu’elle voyait la contentait déjà fort bien, et cet instant de bonheur simple lui été avait bénéfique au point qu’elle se sentait l’âme bizarrement reposée.

Elle finit par se détourner du paysage, balayant au passage Pogo et son compagnon du regard.

Pogo aimait le paysage ; mais il est vrai qu'il devait en être moins intéressé que Mélancolie que le voyait pour la première fois. Il s'en détourna donc avant Mélancolie, avec néanmoins le sourire aux lèvres et les yeux brillants. Strangeness s'étira un coup, puis, d'un élégant bond, grimpa sur le dos de l'étalon alezan brûlé. Bien qu'il avait semblé que ses longs poils étaient noirs de nuit il y a quelques heures, a présent que le jour était levé, on s'apercevait qu'ils avaient la couleur d'un noir poussiéreux.

Pogo regarda Mélancolie, dans un silence presque pesant. La jument qu'il avait trouvée si agressive était a présent amicale. Du moins c'est ce qu'il paraissait, car on ne pouvait être sur de rien sur une personne. Le chat en était le bon exemple.
L'étalon alezan brûlé dit finalement :

- Vous appréciez le paysage ?

-Je dois avouer que j’ai rarement eu l’occasion d’en voir de si beaux, dit Mélancolie après un court silence durant lequel elle avait cherché une phrase simple, mais qui résumait intégralement sa pensée.

Ayant ainsi le dos tourné à la mer, la jument grise peut contempler une autre facette, plus sobre mais tout aussi rayonnante sous la lueur du soleil, du paysage. Ce ne fut pas la plaine qui retint son regard, bien que par son immensité elle lui rappelait ses longs voyages, mais les falaises et les mouettes qui se nichaient dans les interstices de la roche. Ces oiseaux à la voix éraillée et criailleuse, elle les détesta de suite. Néanmoins, les voir ainsi s’activer et tourbillonner la fascinait assez, mais surtout, lui permettaient de libérer ses pensées et de les laisser voguer au rythme de leurs arabesques. Elle s’interrogea sur elle-même, sur son passé, tandis que la douce torpeur de la contemplation la saisissait peu à peu.

Elle se rendit alors compte qu’elle avait eu besoin de ce moment de réflexion, mais pas dans la beauté de la mer. Elle ne comprenait pas bien pourquoi ces mouettes devaient libérer son esprit, peut-être parce que leurs cris lui rappelaient la voix aigüe de son ancienne maîtresse et la mettaient face à ce qu’elle fût à cette période, soit une jument impassible qui, sous ses airs impénétrables, attendaient l’heure de sa vengeance. Elle se demanda alors pourquoi cette jument-là ne s’était pas rebellée dès le début. Certes, elle avait été alors jeune, mais cela aurait peut-être empêché qu’elle souffre pendant plusieurs années. Ils l’auraient vendue. Sûrement. Et puis, si déjà elle n'avait pas été abandonnée à sa naissance, cela aurait été différent. Pourquoi donc n'avait-elle jamais connu ni sa mère ni son père ?

Penser à ce qu’elle n’avait pas fait la mit en colère contre elle-même, penser à ce que ses parents l'avaient abandonnée lui fit aussi mal*, mais cette colère fut tempérée par le son implacable et sans rappel de la phrase qui était : c’est du passé.

Tandis que les mouettes continuent de tournoyer et de crier, Mélancolie se sentit peu à peu gagner par la colère, elle eut soudain envie de frapper quelqu’un pour évacuer ce trop plein d’émotions négatives, et surtout d’évacuer ce sentiment d’avoir été faible et lâche. Elle coucha les oreilles en arrière et montra les dents en direction des mouettes tout en poussant un hennissement semblable à un grondement bas et rauque. Elle avait oublié la présence de Pogo et de son compagnon, et quand bien même elle s’en saurait souvenu, elle ne leur aurait pas prêté la moindre attention.

*[Mélancolie ne sait en effet rien sur ses origines.^^]

Pogo dressa les oreilles, étudiant la jument qui semblait s'énerver sans raison contre les mouettes. Les mouettes, que faisaient-elles de mal ? En fait, Mélancolie avait a peu près la même attitude avec ces oiseaux insignifiants qu'avec lui, lors de leur première rencontre.
L'étalon, aux yeux verts qui, sous le soleil, se mettaient a pétiller, semblant parfois être deux émeraudes qui brilleraient de mille feux, voulut demander a la petite jument la raison de son agressivité soudaine, mais jugea cela indiscret.
Strangeness, lui, vint se placer devant elle et la fixa de ses yeux perçants. Malgré les apparences, Strangeness était extrêmement intelligent, et s'il n'avait pas complètement compris la réaction de Mélancolie, il avait son idée. Allez savoir laquelle cependant.
Il la fixa dans les yeux, presque hypnotisant. Il avait souvent fait ça a Pogo. Celui ci attendait la réaction de Mélancolie, intéressé.

Mélancolie sentit brusquement qu’on la fixait du regard. Elle fut arrachée de sa contemplation et vit Strangeness plonger les yeux dans les siens. Elle ne résista pas à l’attraction de ce regard vert hypnotique, surprise de se sentir brusquement happée dans les yeux du chat.

Pendant un moment, elle ne put faire le moindre geste ; sa colère, douchée par la surprise, restait en veilleuse comme un feu pratiquement éteint qui n’attend qu’à être de nouveau alimenté. Surtout, mais elle aurait préféré se jeter du haut du pic plutôt que de l’avouer, Strangeness lui fit peur en cet instant. Elle ne comprit rien à ce qui se passait.

Pogo avait déjà compris que l'effet escompté était réussi. Lorsque l'alezan était en colère, ou frustré, ou triste, c'était toujours Strangenss qui le calmait. Il avait un de ces regards...! Perçant, hypnotisant, rien ne lui résistait.
Un petit sourire s'étira peu a peu sur les lèvres du chat. Strangeness, qu'il portait bien son nom ! C'était dans ces moments là que Pogo s'en rendait le plus compte.

Le petit félin ne quittait pas des yeux le regard de la jument grise. l était si surprenant qu'il avait empêché le feu de se répandre. Mais il était incapable de l'éteindre sans l'aide de Mélancolie.
Il ne pipait mot, mais s'il avait parlé, il aurait dit :"Pourquoi tu t'énerves ? Ce ne sont que des mouettes insignifiantes. Elle n'ont rien a voir avec toi. Tu as plus a m'en vouloir a moi qu' elles, je te l'assure. Et pourtant, je ne t'ai rien fait non plus."
Peut être cela se lisait dans son regard.

Mélancolie vit dans les yeux du chat un point d’interrogation, une remontrance, qu’elle ne saisit pas tout à fait. Néanmoins, elle comprit qu’il l’interrogeait sur sa brusque saute d’humeur, et le feu de sa colère fut soudain ravivé avant qu’elle ne l’étouffe pour répondre assez sèchement :

-Ce n’est rien. Je me suis laissée emporter par mes émotions et mon passé.

Et elle détourna les yeux de Strangeness, assez gênée de l’intensité de son regard, pour plutôt fixer de nouveau les mouettes, frissonnant intérieurement du pouvoir de ses sentiments. Elle se mit à avoir peur de sa colère, toujours là, comme un serpent tapi dans les fourrés, et décida fermement de se reprendre en main et de faire en sorte qu’aucune émotion ne transparaisse en présence de gens, qu’ils soient amis ou non. Elle respira profondément pour ensuite expirer doucement, tâchant de chasser sa colère, de se vider de toute émotion et de ne penser plus à rien qui puisse la faire changer d’humeur.

Le chat n'hésita pas. Il répondit directement, simplement. Il raviverait peut être la colère, mais il faut combattre le feu par le feu.

- Alors ne te laisse pas envahir. Ce n'est pas en t'énervant stupidement contre des mouettes que tu changera ton passé ou que tu te libéreras de tes émotions. Ce ne sont que des mouettes. Ne te laisse pas envahir, tu es plus forte que tes émotions. Si les émotions sont puissantes, elles ne sont rien par rapport a toi. Tu es leur maîtresse.

Quel philosophe ! Mais Strangeness parlait en maître de la matière. Il bailla comme un stupide chat, comme s'il n'avait jamais émis de telles paroles.
Pogo, lui, observait la scène, décidément très intéressé.

Mélancolie fut encore plus surprise et dévisagea, abasourdie, le chat noir comme si c’était la première fois qu’elle le voyait. Mais elle se remit rapidement de sa surprise, se rappelant du pacte qu’elle venait de passer avec elle-même et, reprenant un visage impénétrable, dit d’une voix la plus neutre possible :

-Je sais bien. Le passé est le passé, il est désormais trop tard pour le changer. Il est inutile de me faire une leçon de morale, mais je te remercie bien, Strangeness.

Elle maudit alors le ton glacial qui a transparu à la fin de sa dernière phrase, et essaie de le contrebalancer avec un regard qui se veut être amical vers le chat. Décidément, c’était mal parti.

Le chat rit doucement. Le ton glacial, il en l'avait que trop bien remarqué, et il avait aussi bien compris que le regard amical de Mélancolie ne servait qu'a sauver la mise. Son rire n'était pas moqueur, ni méchant ; il signifiait simplement que Strangeness aurait toujours le dernier mot.

- Je ne te donne pas de leçon de morale, détrompe toi.

Pogo le savait très bien. Oh, qu'il était intéressé par la scène ! Strangeness avait toujours le dernier mot, il était impossible de le faire changer d'avis. Tellement que parfois, il en devenait agaçant.

Mélancolie, cette fois, sentit l’agacement mordre son cœur. Elle sentait aussi qu’elle ne parviendrait pas à lutter contre le chat, car elle connaissait les chats et savait combien ils étaient entêtés… bien que Strangeness remportait la palme, et de loin. Elle ne répondit pas, admettant sa défaite, même si cela la faisait grincer des dents. Elle préférait ne pas poursuivre, déjà pour ne pas se faire humilier davantage, mais aussi parce qu’elle craint avec toujours autant de force sa colère, et elle sait que si elle répond, le chat répondra aussi, et elle finira par perdre ses moyens jusqu’à commettre une faute irréparable. Elle soupira, tâchant d’évacuer ses émotions. Elle fallait à tout prix qu’elle réussisse à contrôler ses sentiments, à les réduire à presque rien, mais elle sut que cela n’était pas gagné d’avance.

Pogo ne savait que trop bien ce que ressentait Mélancolie. Il pouvait être terrible ce petit félin ! Celui s'écarta d'ailleurs, bailla un bon coup et remonta sur le dos de l'étalon alezan brûlé.

Le cheval aux yeux verts s'approcha de Mélancolie. Il ne voulait certainement pas être indiscret, et ne souhaitait pas réveiller de nouveau l'agressivité de la jument grise, mais il se demandait ce qu'elle avait. Il ne dit rien, soutenant simplement son regard, intrigué. Strangeness ferma les yeux, comme s'il s'endormait. En réalité, il était très attentif a ce qu'il se passait aux alentours, que ce soit la mer, les mouettes, mais surtout les deux chevaux.

Mélancolie regarda Pogo s’approcher de lui et le laissa plonger son regard vert dans le sien. Elle se répéta mentalement qu’il ne fallait rien laisser transparaître, de peur qu’elle ne se fasse encore blâmer pour une saute d’humeur… Mais Pogo n’avait peut-être pas des yeux aussi perçants que son compagnon, si ? Quoi qu’il en soit, elle tâcha d’avoir le regard le plus impénétrable possible, laissant toutefois l’alezan la scruter des yeux.

Pogo se perdit un instant dans les yeux de Mélancolie. Son regard était impénétrable. Il ne souhaitait pas lire dans ses pensées, cependant, si elle voulait lui dire le pourquoi de sa réaction, il voulait la laisser lui dire.
Il détourna son regard, un peu mal a l'aise. Strangeness, qui somnolait toujours -ou semblait somnoler - soupira.
Pogo ne dit rien, même s'il aurait aimé parlé.

Mélancolie fut brutalement assez gênée, elle eut envie de dire quelque chose, mais elle ne savait quoi, et Pogo ne lui en laissa de manière ou d’autre pas le temps, car il se détourna. La jument grise sentit son malaise croître tandis que le silence perdurait. Peut-être aurait-il fallu s’excuser pour sa saute d’humeur ; néanmoins, sa fierté l’en empêchait.

Pogo était assez gêné lui aussi. Pourquoi ? Il ne le savait pas. Il fallait bien dire quelque chose, l'un ou l'autre devait forcément prononcer le premier mot. Alors... autant que ce soit lui.

- Tu n'a pas a t'expliquer...

Il avait dit cela un peu au hasard et eu peur d'avoir fait une bourde. Mais le silence était trop pesant, et puis c'était stupide qu'ils soient aussi gênés, que ce soit elle aussi bien que ce soit lui...

Mélancolie tourna la tête vers Pogo quand celui-ci parla.

-Je sais, dit-elle. Et je n’ai rien de plus à ajouter que ce que j’ai dit à Strangeness.

Ce sur quoi elle détourna de nouveau le regard.

-J’aimerais savoir, ajouta-t-elle en changeant carrément de sujet, si nous allons rester encore longtemps ici.

Le paysage avait en effet finit de l’intéresser, et lui avait même provoqué un puissant et amère sentiment de dégoût depuis qu’elle s’était laissée emportée. Elle ne voulait plus voir cette mer, finalement froide et quelconque, plus voir ces falaises laides par leurs creux et leurs saillies, et surtout plus entendre ces mouettes criailleuses et maudites. Elle serra les dents sous la force de l’émotion, tenta de la refouler, de la dompter, de la surmonter enfin pour « ne laisser aucune émotion transparaître. » Il lui fallait être neutre si elle ne voulait pas être encore rabrouée.

Il ne quitta pas son regard vert d'elle, trahissant a présent sur son visage un léger étonnement. Il ne dit rien cependant, même si le spectacle était magnifique, peut être l'avait-il lassée.

- Eh bien... si tu veux que nous partions, alors partons.

Strangeness ajouta :

- J'suis d'accord, j'en ai marre aussi.

Pogo jugea donc que c'était décidé et prit sa route, d'un pas lent pour attendre Mélancolie. Il continuait de se poser des questions a son sujet, mais il se taisait, refoulant tant bien que mal sa curiosité. Il ne voulait pas être indiscret, mais voyait bien qu'elle refoulait ses émotions pour rester impassible, il se demandait juste... pourquoi.

Mélancolie fit volte-face et s’éloigna d’un pas qu’elle essayait de mesurer pour ne pas paraître trop heureuse de quitter l’endroit. Rejoindre le bord de l’avancée lui parut prendre moins de temps qu’à l’aller. Là, elle eut une hésitation, comme un vague malaise. Elle se souvint de son épaule qui l’avait élancée et de la douleur qui avait failli la précipiter dans l’abîme. Mais elle n’allait pas rester ici toute sa vie…

Elle se ramassa donc sur ses postérieurs, qu’elle détendit sans plus réfléchir. Le saut fut bref, mais la douleur lancina encore son épaule et lui brouilla la vue. Elle se réceptionna en titubant un peu, puis se décala sur le côté pour laisser la place à Pogo et son compagnon.