J'ai cru voir un gros minet! [PV.]

La silhouette qui, agile, se glissait sur les terres de la Glace avait été, un jour, connue. Puissant et serein, l'étalon à l'étrange robe dapple marchait sur l'immense étendue, son regard sombre fouillant le paysage. Il ne semblait inquiet d'une rencontre, comme s'il était sûr d'être le seul être assez fou et abscons pour se trouver ici à cette heure. Combattant, sa peau en garderait les indélébiles marques: une longue cicatrice lui barrait la croupe. Mais plus que c'est blessures anciennes, c'était son attitude qui le dénonçait le mieux, sans doute. Il avait en effet, le vieux chef, cette exactitude dans les membres: chacun de ses gestes étaient justifiés, et il allait au plus court, sans chercher à perdre du temps ou à s'épuiser plus qu'il ne le fallait.

Il pensait. Il pensait à ce jeune étalon, plein de feu et d'envies, à cet animal doué d'une grande sensibilité qui s'était, à force de vouloir, hisser au rang de chef. Sa "légitimité", avait-elle compté? Zénith, car en effet, il était cet animal, ne savait pas grand chose quant à l'accession au trône de son fils. Il était à la fois fier et déçu. Fier de voir que Zanzibar, à son égal et à l'égal de sa famille, avait été promu chef de clan; mais déçu de n'être plus qu'une ombre pour son fils. Leur dernière rencontre s'était soldée par un mandat parricide de fuir. Il s'était, l'élégant étalon, détourné de cet être autrefois si bon et tolérant. Dans l'ombre du Crépuscule, il avait battu le sol, s'arrachant de ce souvenir, alors qu'il avait jeté un coup d'oeil plein d'émois à son jeune poulain.

Las, il s'était exilé, vieux roi solitaire à l'âme lourde d'erreurs. Il s'était incliné, prosterné devant le Crépuscule, reconnaissant ses terres léguées par Hell Demon; et il s'était abandonné à l'ombre, se reniant et se laissant traiter de tous les noms; s'attirant une haine profonde et amère de la part de son fils. Oh, quel soleil avait-il été pour lui pourtant! Le bel animal se souvenait du regard plein de vie de son fils, alors qu'il découvrait à peine le monde. A tout jamais, il garderait en lui la mémoire de la première rencontre entre Zanzibar et le Lac.

Pourtant, aujourd'hui, il était seul, affrontant le froid sur une terre hostile dont les guerriers ne le portaient pas forcément dans leurs coeurs. Il semblait confiant, s'enfonçant dans les terres, alors que son corps fort glissait sur la neige avec une relative aisance.

Soudain, une présence. L'ancien chef prêta l'oreille, alors qu'il accélérait, prenant le galop. N'avait-il pas été roi? Qu'ils viennent, eux qui lui en voulaient, qu'ils viennent et parlent: il ne se défilerait pas; il était prêt.