Il ne restait plus qu'à attendre.

Entre les arbres fins et squelettiques se faufilait une douce silhouette, d'un blanc sepoudré de taches sombres, filant dans la nuit noire tel un fantôme. Un vent doux secouait doucement l'épais feuillage verdâtre des arbres qui cachaient le quart de lune de ce début d'été. Tout était d'un noir profond. Seules quelques points de lumière clignotaient dans la nuit, mystérieux.
Ce qu'Antéa ne sembla pas remarquer.
En fait cela l'importait peu. Tout ce qu'elle souhaitait maintenant c'était de sortir de là.
La jument était seule, zigzaguant entre les arbres. Elle n'y voyait strictement rien, et cherchait désepéremment une issue à cette forêt. Elle était venu ici espérant trouver un point d'eau limpide, mais s'y était bien trop enfoncée.
Elle s'arrêta alors d'un coup, décidant qu'il faisait bien trop noir pour réussir à sortir, et donc qu'elle passerait la nuit ici.
Il ne restait plus qu'à attendre.

Le Chasseur noir de Nuit se coulait entre les arbres avec une agilité fauve. Ses muscles roulaient souplement sous sa peau d'ébène. Ses sabots ne bruissaient pas même sur le sol. Il était l'implacable Traqueur. Cela faisait un moment désormais qu'il suivait sans bruit la jument. Son toupet long et fin recouvrait son étoile, seule parcelle de son corps d'athlète à ne pas être aussi sombre que le fond d'un gouffre. Ses naseaux frémissaient doucement, tandis qu'il ne perdait pas la trace de la jument. Finalement, elle s'arrêta. Il s'immobilisa du même mouvement. Puis il expira bruyamment. Il savait que ce bruit serait rauque et sifflant, effrayant. La Maladie lui laissait des restes, de même que la nuit amplifiait la Terreur. Il était impossible de savoir de quoi et d'où venait ce bruit. Il laissa patiemment l'effet se faire. Enfin, un sourire diabolique se dessina sur ses lèvres sombres et, Noir dans le noir, il sortit de sous la voûte des arbres. Il arrivait de derrière la jument. Secouant la tête, il dénuda son étoile et dénuda ses dents d'ivoire. Ces tâches de lumière luisirent faiblement d'un éclat menaçant. Il frôla la jument en passant le long de son corps clair et visible. Ses muscles courts jouaient sous sa robe. Son odeur forte et musquée était marquée d'une fragrance nauséabonde aux naseaux des faiblards. Il était teinté de sang. Ses sabots normalement clairs et marbrés étaient écarlates des restes d'un combat. Il était devenu un Prédateur Féroce. Sa voix était un véritable piège, tandis qu'un sourire enjôleur venait habiller ses dents pâles.

« Cet endroit est dangereux, pour une jument seule... »

Sa voix chaude et rauque coula aux alentours, résonna d'un écho faiblard dans l'étendue boisée. On ne devinait guère à son temps s'il était ce danger dont il parlait, dans son attitude pas plus, mais pourtant il était entouré d'une aura légère et inquiétante. Beau, splendide, c'était le feu qui attirait les papillons, qui finissaient souvent par s'y brûler, captivés et incapables de s'en détacher, malgré leur détermination.

La jument frissona. Elle n'avait à vrai dire pas imaginé une seule seconde qu'elle aurait pû être suivie, et n'avait pas été attentive une seule seconde. Quelle naiveté.
Il s'agissait d'un étalon, et la jeune jument en devina la nature à sa façon de s'approcher et à son odeur sanglante.
Mécaniquement, sa respiration se coupa. Elle tenta de ne pas bouger lorsque l'étalon d'ébène la frôla. Il ne fallait surtout pas montrer sa peur.
A présent, toute l'admosphère était devenue effrayante. D'habitude Antéa appréciait la nuit. Elle aimait respirer son air frais, admirer ses étoiles scintillantes et son éternelle lune pâle. Mais cette fois-ci c'était différent.
L'angoisse montait petit à petit. Elle se sentit trembler, de plus en plus fort.
Il fallait qu'elle se calme. Elle conaissait très bien ce genre de chevaux, et la peur était leur principal atout pour conquérir leur proie. Elle aurait donc bien plus de chances de lui échapper si elle parvenait à la contrôler.
Respirant profondémment et tentant de ne pas croiser son regard, elle parvint à dire à l'étalon d'une voix calme et posée :

- Cet endroit est un endroit comme un autre. Il n'est dangeureux que si quelqu'un le souhaite.

Elle ferma alors calmement les yeux. La pire chose à faire serait de croiser son regard enjôleur. Puis, pensant à ce bel télon au regard doux et aux reflets de flammes, et lui demanda, un très léger sourire aux lèvres.

- Puis-je savoir ce que vous voulez donc de moi, Shikaku?

Vif' savait que, malgré son apparence calme et posée, il insufflait la peur jusqu'au fond du cœur de la jument. Si ce n'était déjà fait, cela ne tarderait plus. Un sourire démoniaque étira ses lèvres, un instant, avant qu'il ne devienne enjôleur. Il avait quelque chose de fourbement irrésistible. Si la jument ne tombait pas d'entrée de jeu dans ses dangereux filets, ce ne serait qu'une question de temps. Et du temps, il en avait à revendre. Il se savait - quelle confiance aveugle! - capable de la piéger céans longuement. Il alla de nouveau au contact, comme un fauve.

« Vous pensez-vous en sécurité avec moi? Soyez franche, je ne supporte pas les mensonges. »

Quel dangereux prédateur! Sa voix était chaude et envoûtante, on n'avait qu'une envie: fixer son regard enivrant et son corps superbe, au risque de s'en retrouver piégé. Oh, peut-être pas immédiatement, mais il était doué de cette facilité à embobiner quiconque lui plaisait. Il était un charmeur né, un charmeur vicieux et assassin, certes, mais charmeur avant tout. Son sourire était attirant, il était plaisant de lui faire confiance... Et ses courbes délicates, bien que masculine, dessinées de muscles courts et forts, gonflant doucement la peau sombre et luisante... Son corps d'athlète, de danseur, d'étalon de nuit et de gloire. Il était d'une beauté farouche, presque irréelle, nimbé d'argent par la nuit, alors qu'il n'était que noir ambiant, son toupet long cachant ses yeux, le rendant mystérieusement attirant, cachant aussi sa pelote, héritage de son ô splendide père. Il reprit, un peu plus irrésistible.

« Tout dépend de vous, demoiselle. »

Charmeur, dangereux charmeur. Ce qui en dépendait? Peut-être survivrait-elle, si elle se montrait coopérative. S'il s'agissait de la calmer, il pourrait tout aussi bien la tuer de sang froid, et cela sans l'ombre d'un remord, en la regardant, un sourire aux lèvres, agoniser dans la mare de son sang. Mais, alors qu'il parlait, calme, rassurant, avec sa voix chaude, diablement masculine et séductrice, il n'en laissait rien paraître. Il semblait d'humeur gracieuse, si ce n'est qu'il était joueur, très joueur, tout cela caché sous sa carapace épaisse de séducteur.